Le Dr Catherine Hamel, responsable du domaine Protection Maternelle et Infantile pour le département de l’Ain, explique dans cet entretien l’intérêt tout particulier porté par ce département au développement du langage chez les jeunes enfants et les actions mises en place pour prévenir des troubles qui semblent en augmentation.

Que font remonter les territoires de l’Ain concernant le langage chez le jeune enfant et les troubles des apprentissages ?

Catherine Hamel. Les équipes de PMI réalisent des bilans de santé en moyenne section de maternelle. Il s’agit de dépistages effectués par des puéricultrices à l’aide d’outils comme l’ERTL4. Ces dépistages nous ont permis de constater que 14% des enfants présentent des troubles du langage. Cela ne signifie pas que le bilan orthophonique qui est censé être réalisé ensuite conclura au diagnostic d’un trouble avéré et sévère, mais ce pourcentage traduit néanmoins l’existence de réelles difficultés.

Ce phénomène est-il en augmentation ?

C.H. Le sentiment des médecins et des puéricultrices est qu’il y aurait en effet une augmentation de ce phénomène. Ces professionnels se posent également la question de l’influence des écrans. En salle d’attente nous avons toujours eu des parents qui se contentaient de répondre à leur enfant sans chercher à jouer avec lui pour l’occuper. Aujourd’hui, en plus, ils lui tendent le portable quand il est assez grand pour le prendre. Et puis il y a cette idée, pour certains parents, que le langage vient naturellement et qu’il n’est pas besoin d’être particulièrement actif dans cet apprentissage, et que la lecture n’a pas d’effet avec des tout petits, qu’il n’est pas nécessaire de lire des livres à des tout petits pour stimuler le vocabulaire. En tous cas, nous sommes assez inquiets. D’autant plus que certains territoires, dans le département, connaissent une pénurie d’orthophonistes et qu’il n’est plus possible d’obtenir un rendez-vous pour un bilan car les délais sont de plus d’un an (le délai est d’un an à un an et demi), ce qui n’a pas de sens pour de la prévention. A tel point que certains se demandent à quoi sert le dépistage si on ne peut pas proposer de prise en charge derrière.

Et que répondez-vous à cette interrogation sur la nécessité du dépistage ?

C.H. Qu’on ne peut pas faire comme si le problème n’existait pas. Les conséquences à long terme ne sont pas négligeables. Ce sont des enfants qui vont avoir des difficultés avec le système scolaire, développer du stress, d’éventuels troubles du comportement. Soulever le problème est déjà une façon de le mettre à l’agenda de tous les professionnels.

Quelles solutions tentez vous de mettre en place ?

C.H. Le département propose une bourse pour les étudiants en orthophonie qui viendraient y effectuer leur stage de fin d’études, comme c’était déjà le cas pour les internes en médecins dans le cadre d’une politique de lutte contre la désertification médicale. Il s’agit d’un investissement sur le long terme. En matière de Protection Maternelle et Infantile, nous réalisons en parallèle des actions plus quotidiennes sur une petite dizaine de sites. Il s’agit de proposer des animations dans les salles d’attente de PMI pour mettre à profit ce temps à l’aide d’un media, un livre, des jeux, un tapis de motricité. Nous observons que certains parents ont le réflexe de laisser leur portable à l’enfant ou gardent le bébé dans leurs bras alors que des tapis de motricité sont disponibles. Tout l’enjeu est de valoriser les compétences parentales, de leur montrer que sur un tapis le bébé peut se déployer et que ses parents peuvent jouer avec lui, qu’on peut utiliser le livre même avec un tout petit qui va être attentif à une histoire, toucher le livre, regarder les mouvements du doigt. Nous proposons ces petites animations, finalement assez fugaces, les jours des consultations jeunes enfants. Ces consultations sont assurées par un médecin et une puéricultrice, elles durent assez longtemps et du coup le temps passé en salle d’attente est plus long. Nous travaillons avec des médiathèques et bibliothèques et depuis que nous avons mis en place cette sensibilisation en salle d’attente, ces structures voient venir des familles qu’elles ne voyaient pas avant.
Avec nos partenaires et la Caf de l’Ain en particulier nous soutenons également le développement de lieux d’accueil enfants parent dans le département, ainsi que des actions de soutien à la parentalité, qui visent à valoriser et renforcer les compétences parentales.