Les mères sont plus violentes quand les pères et les grand-mères adhèrent eux-mêmes aux châtiments corporels. Les fait pour ces mères de se sentir soutenues par des proches ne vient pas modifier l’association entre les normes perçues et la violence effective. On peut être un parent soutenu par son entourage et néanmoins maltraitant, si cet entourage véhicule lui-même des normes porteuses de risques pour l’enfant.

On sait que les châtiments corporels sont pratiqués dans des contextes sociaux spécifiques. Cette étude parue dans Child Abuse and Neglect* analyse le lien entre ces pratiques et le soutien parental prodigué par l’entourage de la mère ainsi que les normes injonctives véhiculées par ces soutiens de premier plan. En introduction, les auteurs auteurs rappellent que la violence éducative est devenue un enjeu de santé publique en raison de l’association établie avec les risques pour le développement de l’enfant.

L’importance des « normes injonctives perçues »

Aux Etats-Unis 71% des adultes sont d’accord avec le fait que la punition physique est parfois nécessaire pour discipliner un enfant. La prévalence est la plus forte pour les enfants de 3 à 5 ans et pour les enfants afro-américains. Les mères frappent davantage leurs enfants que les pères. Les normes sociales concernant les châtiments corporels constituent le premier facteur de risque. Or cette donnée est souvent négligée dans la recherche. D’après la théorie du « comportement planifié », les « injonctions normatives perçues » sont une source importante d’influence our les attitudes et comportements parentaux. Les « normes injonctives perçues » sont la façon dont le groupe de référence ou un individu important au sein de ce groupe approuvent ou désapprouvent un comportement particulier. Elles peuvent influencer un comportement très dépendant des attentes sociales. Elles jouent par exemple un rôle dans la modélisation des attitudes et comportements concernant l’abus de substances, la vitesse, l’activité physique, les comportements sexuels.

Le fait de percevoir une approbation à l’égard des violences éducatives de la part des amis, de la famille et des professionnels peut contribuer à façonner les attitudes et les usages. L’une des questions porte sur l’identité des personnes qui influencent le plus les mères. Par ailleurs, on sait que le soutien social reçu par les parents (soutien émotionnel, conseils, outils) peut influencer positivement les croyances et les pratiques parentales. Ce soutien est généralement protecteur pour les enfants. Mais il existe peu de travaux permettant de comprendre la spécificité des ressources qui permettent de réduire le risque de mauvais traitement. On ne connaît pas le lien entre ce soutien social et la pratique des châtiments corporels. Les membres de la famille qui sont soutenants peuvent aussi renforcer des pratiques parentales maltraitantes ou négligentes. Si le soutien provient d’une personne qui approuve fortement la violence éducative alors ce soutien peut contribuer à réduire le stress parental mais aussi à augmenter les risques pour l’enfant.

Analyse fine des liens entre soutien perçu, normes injonctives perçues et violence éducative

La présente étude s’articule autour de 4 questions : Qui sont les personnes qui sont les plus soutenantes pour les mères ? Les normes injonctives perçues de la part de ce soutien clé est-il associé avec l’attitude et les pratiques maternelles en matière de châtiment corporel (CC)? Le fait de se sentir socialement soutenue par cette personne est-il associé avec les attitudes et pratiques maternelles en matière de violence ?Le fait de se sentir soutenue par cette personne vient-il modifier le lien entre les normes injonctives perçues et les attitudes et pratiques maternelles ? La compréhension de ces liens subtiles peut offrir des leviers intéressants pour faire évoluer des attitudes parentales dangereuses pour l’enfant.
Les participants ont été recrutés au sein de la cohorte « Special Supplemental Nutrition Program for Women, Infants and Children » à la Nouvelle Orléans. 83,7% des mères interrogées étaient Noires. La moitié avait au moins un niveau collège ou CAP. La plupart ont subi es violences dans l’enfance et un tiers ont été victimes de violences conjugales. La majorité de l’échantillon percevait de faibles revenus. La majorité de l’échantillon (67,7%) se sentait modérément ou fortement soutenu. Pour 37,9% des mères le père biologique est considéré comme le principal soutien. 24,2% ont cité la grand-mère maternelle de l’enfant et 13,7% le partenaire actuel.
Les mères qui perçoivent un haut niveau d’approbation des CC sont 84,3% à avoir une attitude positive vis à vis de ces CC, contre 15,7% des mères qui perçoivent une plus fable adhésion aux CC chez leur principal soutien. Concernant le recours même aux CC, il est plus élevé chez les personnes qui perçoivent une adhésion dans leur entourage (69,2%) que chez les mères qui perçoivent une moindre adhésion (30,8%). Les parents qui se sont déclarés baptistes ont davantage recours à la violence. Les mères victimes de violences conjugales frappent davantage leurs enfants. Le fait de se sentir soutenu, ou pas, par cette personne proche ne modifie pas le lien entre les normes injonctives perçues et les attitudes et pratiques.

Cibler les pères et prendre en compte la violence conjugale

Pour les auteurs la première leçon de cette étude est le rôle clé joué par les pères, tels qu’ils sont mis en avant par les mères elles-mêmes. Il peut donc être intéressant de les cibler spécifiquement. Autre leçon : la confirmation du rôle joué par le conservatisme religieux et l’exposition à la violence conjugale. Ces résultats plaident pour des programmes intégrés traitant dans leur ensemble les phénomènes de violence familiale. L’influence normative de la principale source de soutien social dans la parentalité est apparue comme un fort prédicteur des attitudes et pratiques parentales. Il peut donc s’avérer très pertinent de chercher à modifier la perception des pères, des conjoints, et des grand-mères vis à vis des violences éducatives. De plus, le fait qu’il n’existe pas d’association entre le soutien apporté par le père ou la grand-mère et le recours aux châtiments corporels signifie que se sentir soutenu ne protège pas les enfants du risque de violences. Les personnes ressources pour les parents peuvent renforcer l’usage de la violence.
Pour les auteurs il est donc important de modifier le regard de la communauté dans son ensemble, au-delà des parents eux-mêmes et d’inclure dans les interventions la question des violences conjugales.

*The association between perceived injunctive norms toward corporal punishment, parenting support, and risk for child physical abuse, in Child Abuse and Neglect, Julia M.Fleckman, Catherine A.Taylor, Katherine P.Theall, KatherineAndrinopoulos, vol 88, février 2019