Après notre synthèse du rapport américain « Parenting matters », nous continuons notre étude des liens entre pratiques éducatives et développement de l’enfant avec ce focus sur un document réalisé en 2010 mais qui est toujours diffusé : « intervenir auprès des parents, réfléchir, construire et expérimenter des projets dans un contexte européen ».

Nous reprenons ici un ouvrage intitulé « Intervenir auprès des parents », diffusé notamment par Familles Rurales, réalisé par différents partenaires européens (ONG, organismes de formation, instituts de recherche)*. Ce document date de 2010 mais il sert toujours de support (il a été proposé récemment aux participants d’une journée de formation organisée par Familles Rurales) et les thèmes abordés comme les principes dégagés n’ont pas fondamentalement changé.

La politique nataliste française, l’exception européenne

Les auteurs rappellent les nuances entre les politiques familiales au sein de l’Europe où la France fait figure d’exception. Notre pays est depuis longtemps investi dans une politique familialiste pro-nataliste. La conciliation vie privée-vie professionnelle est une priorité, de longue date. Les allocations familiales ne sont versées qu’à partir du deuxième enfant. En Grande-Bretagne, le soutien aux familles se fait dans une perspective sociale et non nataliste. L’objectif poursuivi est l’éradication de la pauvreté des enfants, pas le maintien d’un taux de fécondité élevé. Les pays d’Europe du Nord s’inscrivent dans une démarche de recherche d’égalité, égalité entre les enfants en terme de bien-être, de niveau de vie et égalité entre les sexes. L’ouvrage note que la notion d’investissement social devient la nouvelle tendance, avec un focus de plus en plus fort sur « la pauvreté infantile qui joue négativement sur le développement des enfants ».

Dans une première partie, les auteurs reviennent sur les liens très discutés entre contexte socio-économique, formes familiales et impact sur les enfants. Le vécu et les effets de la monoparentalité, par exemple, ne sont pas les mêmes selon le milieu social. La question des effets de la séparation sur le devenir scolaire des enfants est loin d’être tranchée mais l’hypothèse semble se dégager que c’est davantage le conflit parental qui précède la séparation et perdure après elle qui semble avoir des effets délétères sur l’enfant, davantage en tous cas que la séparation elle-même. Nous avions traité ces questions dans un article précédent.

Consensus sur les besoins de l’enfant, risque de la normativité, l’éternel débat

Dans une deuxième partie, les auteurs tentent de cerner les compétences éducatives parentales et les besoins de l’enfant. L’introduction de cette partie résume parfaitement à nos yeux en quoi consiste les débats actuels sur le soutien à la parentalité. Ce rapport pose d’un côté que chaque société est « emprunte de valeurs, de normes, de règles qui structurent nos représentations et nos pratiques ». Mais, rappellent les auteurs, d’un autre côté, « il n’en demeure pas moins qu’il existe des connaissances partagées sur le développement de l’enfant. » (…)  « Il est donc nécessaire pour un intervenant en soutien à la parentalité, d’être en maîtrise de ces savoirs pour pouvoir accompagner ces familles et répondre le plus rigoureusement possible aux demandes et questions des parents ». Et de poursuivre : « Le débat fait souvent rage sur ce sujet : y-a-t-il une seule façon d’éduquer un enfant ? Peut-on identifier des « bonnes pratiques » ? Qui parle ? D’où parle-t-on lorsqu’il y a prescription de ces bonnes pratiques ? Le risque est là : peut-on et doit-on imposer une norme éducative dans la sphère privée ? Il est donc nécessaire d’être particulièrement vigilant à cet aspect des choses. Pour autant, doit-on s’interdire toute forme d’information, de conseil, voire de formation afin d’éviter le risque d’être normatif ? »

Les auteurs décident de s’appuyer sur le modèle des douze besoins proposé par Pourtois et Desmet en 1997 qui peuvent être organisés comme suit : les besoins affectifs (attachement notamment), cognitifs (l’accomplissement basé sur la stimulation, l’expérimentation), sociaux (développement de l’autonomie), et les besoins de valeurs (constitution d’une idéologie). Cette modélisation rejoint les objectifs définis très récemment par le rapport américain « Parenting matters ».

Besoins de l’enfant et bonne pratiques éducatives

Les intervenants du champ psycho-social sont donc censés aider les parents à adopter les attitudes et pratiques éducatives qui vont permettre de répondre à ces besoins. Les auteurs procèdent à une petite revue de littérature (elle est beaucoup plus datée et plus limitée que celle effectuée dans le rapport « Parenting matters »). Ils rappellent ainsi que la recherche a montré avec constance que les éducations de style « démocratique » favorisent beaucoup plus le développement de l’enfant que les éducations rigides ou autocratiques. Ils listent d’ailleurs en deux colonnes les attitudes parentales « favorables » et « défavorables » (selon une typologie de Pithon et Terrisse). Côté favorable : interactions nourries avec l’enfant, stimulation, donner des explications, échanger, débattre, accorder sa confiance, tolérance à l’erreur, chaleur, affection, communication et vocabulaire élaborés, stabilité, fermeté. Côté défavorable : n’intervenir qu’en réaction à un comportement de l’enfant, être intrusif, anarchie, défiance vis à vis de l’enfant, sévérité extrême, rigidité, froideur et indifférence, communication et vocabulaire restreints, indécision.

Pour de nombreux chercheurs, les compétences instrumentales des jeunes enfants (responsabilité sociale, autonomie, désir de réussite) sont fortement associées aux pratiques éducatives parentales. Les enfants des parents « démocratiques » seraient plus compétents que les autres, plus indépendants, plus coopératifs avec les adultes et avec leurs pairs. Ils sont plus confiants et ont une meilleure image d’eux-mêmes. Les enfants de parents permissifs ou autoritaires seraient plus dépendants, plus agressifs, plus désobéissants, moins confiants. Les études menées depuis 50 ans sur le sujet dégagent un consensus fort. Elles soulignent toutes l’impact des pratiques parentales sur le développement des enfants.

Les auteurs de ce rapport estiment en tous cas qu’« un intervenant doit connaître les attitudes et pratiques éducatives les plus favorables pour le bien-être, l’insertion sociale et scolaire de l’enfant ». Ils poursuivent : « son rôle est d’aider les parents (et les autres éducateurs de l’enfant) à développer ces compétences, à partir du repérage des aptitudes parentales ».

Parentalité et culture, sujet loin d’être tranché

Dans une autre partie, ils se penchent sur l’influence de la culture sur l’éducation, estimant que la question interculturelle revient à s’interroger sur les liens entre culture d’origine et culture d’accueil.

Les auteurs estiment que le culturel et le social ne peuvent pas être déconnectés. Ils avancent que l’argument culturel peut être une façon de trouver une place sociale. Et citent l’exemple suivant : « un père peut obliger sa fille à rester à la maison, mais ce sera peut-être pour défendre son statut de père dans la culture d’origine (montrer aux autres que le père est respecté, et pas seulement « dominé » dans le monde du travail comme le sont souvent les immigrés ». C’est intéressant certes mais du point de vue de l’enfant, de la jeune fille en l’occurrence, il nous semble que le résultat est le même. C’est elle qui devient la variable d’ajustement des difficultés identitaires du père. Les auteurs ne disent pas ce qu’il serait judicieux de faire dans cette situation.

Ils s’interrogent : « La culture est-elle source de forte destabilisation dans l’intégration des familles ? » Ils estiment que les autres facteurs socio-économiques sont prépondérants. Et écrivent : « les chiffres concernant l’intégration de la population arabo-musulmane en France laissent peu de place aux dimensions culturelles ». « Par exemple les indicateurs forts d’intégration (indice synthétique de fécondité comme révélateur du rapport à l’enfant, le pourcentage de mariages mixtes, la pratique religieuse et valeurs politiques comme signe de sécularisation…) montrent une faible influence de la culture d’origine dès la deuxième génération. » Ils affirment ensuite qu’il existe un risque de surestimation de la dimension religieuse quand la personne immigrée utilise sa culture comme mode d’identification. A l’instar de jeunes issus de l’immigration, qui, lorsqu’ils sont interrogés, avancent une forme de radicalité mais ne se plient à aucune norme religieuse.

Il n’est pas certain que les auteurs seraient encore aujourd’hui dans une telle relativisation de la place du religieux dans la population issue de l’immigration, y compris dans la 2ème voire la 3ème génération. Car c’est bien parce que les pratiques religieuses se sont considérablement renforcées, c’est bien parce que la sécularisation des Français de culture musulmane ne semble plus aller de soi, que le débat porte aujourd’hui à ce point sur la laïcité et les qualificatifs qu’il faudrait lui accoler. Sont-ce vraiment les observateurs qui, constatant le port massif du voile par les jeunes femmes dans certains quartiers, surestiment la dimension religieuse ? Peut-être qu’en 2010 il était encore possible de ne pas voir. Dans ce livret, les auteurs se positionnent en faveur d’une « médiation interculturelle », donner « la possibilité à des jeunes de dire ce qu’ils sont pour leur permettre de se construire ». Ils plaident aussi pour une valorisation des compétences des populations immigrées (la maîtrise de plusieurs langues), et le pour le fait de favoriser l’axe biographique.

Cette partie du document sur la dimension culturelle nous semble assez datée et peu opérationnelle. L’approche proposée par l’ADRIC, que nous avons résumée dans cet autre article, nous apparaît plus réaliste et plus pragmatique. Le guide qui sert de base aux formations de l’ADRIC dépeint d’abord une réalité beaucoup plus tendue que celle proposée par le livret européen :  « les travailleurs sociaux, les éducateurs, les juges, l’ensemble des acteurs sociaux et des institutions disent leur désarroi devant des comportements parentaux qui ne s’accompagnent pas nécessairement d’une évolution des mentalités vers plus de respect et d’égalité. Les traditions culturelles, les convictions ou les croyances religieuses elles-mêmes sont parfois revendiquées pour affirmer une identité, pour énoncer des certitudes éducatives, pour afficher une visibilité sociale ou pour témoigner d’un sentiment de victimisation qui ont fort peu à voir avec les sources ou les justifications alléguées.»  Face à ce constat, le guide propose d’un côté la valorisation des capacités d’action des individus (préconisation pour le coup très partagée) mais aussi la nécessaire adhésion de chacun à des valeurs non négociables (laïcité, égalité filles-garçons par exemple). Le livret européen s’inscrit dans une vision plus optimiste diront les uns, plus lénifiante diront les autres.

*Sous la direction d’Olivier Prévôt, avec Guillaume Guthleben et Guillaume Jehannin (IPS), Pascale Boucaud, François Boursier, George Eid (ISF), Gwendal Hartereau, Sophie Levy, Eric Rossi (Familles Rurales)