Le sexe faible n’est décidément pas celui qu’on croît. Plus concernés par les troubles du développement ou du comportement, par l’échec scolaire puis plus tard par certaines pathologies psychiatriques et comportement « a-sociaux », les garçons suscitent l’intérêt des chercheurs. La psychologie cognitive, la neurobiologie, l’endocrinologie avancent des explications à cette fragilité perceptible dès la grossesse. Nous vous proposons ici une synthèse du dernier numéro de l’Infant Mental Health Journal, entièrement consacré à ce sujet, dans lequel une dizaine d’auteurs analysent en quoi le fait d’être un garçon constitue un facteur de risque supplémentaire, en population générale, et encore plus dans les milieu défavorisés ou les minorités ethniques.

Vendredi 17 février, le ministère de l’Education Nationale adresse aux rédactions un dossier de presse de 19 pages pour détailler sa campagne intitulée « Tous mobilisés contre le décrochage scolaire ». Même si le nombre de décrocheurs, ces jeunes qui sortent du système scolaire sans aucun diplôme, a diminué (passant de 140.000 en 2010 à 80.000 en 2017), le sujet demeure préoccupant. Il l’est pour la plupart des pays de l’OCDE. De façon étonnante, le Ministère présente les dispositifs mis en place sans jamais proposer une analyse de la cible visée. On parle de « décrocheurs », de « jeunes », sans rappeler qu’à plus de 60%, il s’agit de garçons. Sans rappeler aussi que ce différentiel filles-garçons en matière d’échec scolaire est encore plus marqué dans les populations défavorisées ou issues de l’immigration.

Didier Leschi, ancien préfet à l’égalité des chances du 93, interviewé la semaine dernière dans Le Point à l’occasion des émeutes récentes, explique : « On le voit dans les statistiques de l’INSEE, une partie des garçons commence à décrocher au collège. Cela s’accentue au lycée. Selon la composition et l’origine des familles, les mécanismes de rattrapage diffèrent (…). on assiste à un empilement des frustrations : non-réussite scolaire, éviction du système, difficulté à trouver des maîtres d’apprentissage, rapport à la sexualité compliqué (…) ».

Les difficultés de lecture des garçons se manifestent tôt

Dans son ouvrage publié en 2015, « Ecole, la fracture sexuée », Jean-Louis Auduc (que nous avons interviewé il y a un an) souligne que les trajectoires atypiques dans les milieux aisés (élèves en échec scolaire alors que le milieu est propice à la réussite) concernent quasi exclusivement des garçons alors qu’à l’inverse les résilients scolaires (réussite malgré un milieu défavorisé) sont plus souvent des filles. Il précise aussi dans cet ouvrage que les difficultés scolaires des garçons se révèlent très tôt, dès l’apprentissage de la lecture. C’est même en raison de ce phénomène désormais bien identifié que certains pays mettent en place des programmes d’apprentissage de la lecture spécifiquement destinés aux garçons, tel que le guide pratique « Moi, lire? Tu blagues » développé en Ontario au Canada. Cette spécificité masculine de l’échec scolaire est très peu analysée par le Ministère de l’Education nationale. Pourtant d’autres disciplines cherchent à comprendre pourquoi l’épidémiologie fait de plus en plus apparaître les garçons comme le sexe faible et la recherche considère de plus en plus les porteurs du chromosome y comme des sujets plus à risque, surtout en contexte difficile.

Pathologies mentales, troubles du développement : les garçons plus à risque

Car il se trouve en effet que les garçons sont également sur-représentés dans les troubles neuro-développementaux (troubles du spectre autistique ou troubles du déficit de l’attention par exemple), dans un grand nombre de pathologies mentales mais aussi, sans surprise, dans les prisons et dans les statistiques de criminologie en général. Le « Infant Mental Health Journal » (Journal de la santé mentale de l’enfant) vient de publier un numéro spécial dédié aux garçons de 0 à 5 ans, et plus spécifiquement aux garçons les plus à risque, ceux issus de milieu défavorisés ou des minorités. Il s’agit pour la revue d’analyser les interactions entre le sexe, les conditions socio-économiques et l’origine ethnique. Ces articles constituent le prolongement d’une conférence qui s’était tenue sur le sujet en novembre 2015 aux Etats-Unis, à Santa Fe. Voici une synthèse des articles proposés dans ce numéro captivant.
En introduction, le Infant Mental Health Journal (IMHJ) rappelle son souhait, à travers cette série de contributions, d’analyser ce qu’il est convenu d’appeler sur le plan sociétal « la crises des garçons », à la lumière des connaissances accumulées sur le développement de l’enfant. D’un côté, depuis plusieurs décennies, il a bien fallu prendre acte que l’échec scolaire, les conduites à risque, la délinquance, les psychopathologies, le TDAH, se retrouvent surtout chez les garçons. De l’autre côté, si tous les enfants confrontés à des situations difficiles risquent de développer des problèmes de santé mentale ou de comportement, de plus en plus de preuves scientifiques montrent que les événements adverses ont plus d’impact sur les garçons. De nombreuses études portent donc sur le contexte épigénétique, neurobiologique, d’attachement, et le contexte social dans lequel grandissent les garçons.
Dans un article consacré à la neurobiologie développementale et à la neuroendocrinologie des garçons à risque, Allan N.Schore affirme que « pour certaines pathologies mentales ou addictions, le sexe est plus prédictif que n’importe quel facteur car la spécificité masculine persiste quelle que soit la culture ». La littérature en psychologie du développement et en psychiatrie serait sans ambiguïté. Les garçons sont plus susceptibles de présenter des troubles externalisés et troubles des conduites, plus à risque de présenter un déficit des fonctions émotionnelles et sociales. Les hommes sont plus prompts à exprimer leur souffrance par des comportements externalisés, les femmes par des comportements internalisés (dépression). Pour de nombreux chercheurs ces différences prennent naissance dans la période prénatale. Selon Zahn-Waxler et al (2008), cités par l’auteur, « les origines des psychopathologies dominantes chez les hommes et les femmes dans leur vie d’adulte prennent racine dans les différences biologiques, physiques, cognitives et socioémotionnelles qui précèdent l’expression des problèmes cliniques. »  Dans la littérature des neurosciences il est aussi acté que les troubles neurodéveloppementaux apparaissent davantage chez les garçons alors que les fille sont plus sensibles aux troubles plus tardifs (dépression, anorexie…). Les Troubles du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité(TDA/H) et les troubles du spectre autistique (TSA) sont aussi beaucoup plus fréquents chez les garçons.
Pour l’auteur il existe une convergence de plusieurs disciplines qui permet de montrer l’importance du genre quand on pointe la notion de sujet à risque. Il s’agit désormais de savoir comment utiliser toutes ces nouvelles données non seulement pour mieux diagnostiquer et mieux prendre en charge mais aussi pour mieux prévenir.

Fragilité des garçons : le rôle prépondérant des hormones

Le premier effet du sexe qui est pointé est la maturation cérébrale plus lente chez les garçons, dont les manifestations apparaissent dès la naissance. L’expressivité émotionnelle et l’auto régulation s’expriment différemment selon les sexes pendant la petite enfance. Les bébés garçons ont davantage besoin du soutien maternel pour réguler leurs affects et sont de ce fait beaucoup plus impactés par les troubles de l’attachement. Cette plus lente maturation cérébrale s’explique notamment par l’imprégnation hormonale pendant la grossesse et en période périnatale.
Les fœtus mâles sont très sensibles aux altérations et aux ruptures de taux d’androgènes (hormones mâles dont la principales est la testostérone). Ils répondent moins bien au stress, sont plus à risque de prématurité. Les fœtus mâles et femelles instituent des mécanismes différents, notamment placentaires, pour répondre à des environnements ou événements adverses (par exemple aux hormones du stress sécrétées par la mère). Pour les bébés garçons, il existe deux périodes de pic hormonal, entre la 8ème et la 24ème semaine de grossesse et lors du premier mois de vie. L’alcoolisation de la mère pendant la grossesse peut annuler ces deux pics. Le stress maternel peut lui aussi affecter le déclenchement et la durée de l’exposition à la testostérone en période périnatale. Cette très grande sensibilité aux variations hormonales en pré et périnatal rendrait les garçons également plus à risque de troubles psychiatriques.
Dans la période postnatale, les garçons réagissent plus, non seulement aux facteurs de stress environnementaux mais aussi aux agents infectieux et aux challenges immunitaires. Les recherches ont montré que la testostérone a tendance à amoindrir les capacités immunitaires et augmente la sensibilité aux attaques virales et bactériennes alors que les oestrogènes (hormones femelles) renforcent l’immunité. Ces différences immunitaires précoces selon les sexes donnent le ton pour les étapes ultérieures du développement. Ce qui fait dire à Kigar et Auger (2013) -cités par l’auteur de l’article- : « Les preuves sont de plus en plus fortes d’une responsabilité des hormones et de l’éducation, posées comme les organisateurs d’un cadre épigénétique, qui déterminent le risque et la capacité de résilience face aux troubles, selon le sexe ».
L’auteur pose aussi la question des perturbateurs endocriniens. Ces dernières années, la prévalence des TDAH et TSA a beaucoup augmenté, voire explosé. Pour l’auteur, le changement de classification et les diagnostics plus précoces n’expliquent peut-être pas tout. Il pose l’hypothèse des toxines environnementales. Mais pourquoi les garçons seraient-ils plus à risque face à ces toxines ?
Son hypothèse : les toxines anti-androgèniques présentes dans l’environnement interrompent la production de testostérone. Or, comme on vient de le voir, les garçons sont très sensibles aux variations de testostérone pendant la grossesse.

Les garçons beaucoup plus impactés que les filles par un attachement insécure

Allan N.Schore poursuit en expliquant que la très grande sensibilité des bébés mâles aux perturbations hormonales internes et aux facteurs de stress externes les rendent très vulnérables aux abus et négligences pendant la petite enfance. Un attachement désorganisé a ainsi des conséquences beaucoup plus graves pour un garçon. Les facteurs de stress intenses semblent altérer durablement l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (HPA) ou axe corticotrope (cet axe est une chaîne qui va de l’hypothalamus au cortex surrénalien en passant par la glande pituitaire intérieure et qui émet des réponses neuroendocines au stress). L’axe HPA est un régulateur de stress. Les chercheurs établissent de plus en plus un lien entre les perturbations hormonales précoces (en raison de toxines environnementales, d’une consommation d’alcool de la mère, ou d’un traumatisme de l’attachement), l’altération durable de l’axe HPA et les troubles du comportement à l’adolescence. La période de l’adolescence, au cours de laquelle survient le troisième pic hormonal, est particulièrement critique pour les garçons qui ont été exposés à des dérégulations hormonales pendant la période pré et périnatale. Les histoires d’abus et de négligences sont fréquentes chez les individus avec des problèmes récurrents de violences. On trouve chez les garçons ayant des conduites agressives de plus forts taux de testostérone. L’association d’un haut niveau de testostérone avec une réponse faible de l’axe HPA est retrouvée dans les psychopathies.
L’auteur parle de prédisposition à la violence en raison de ces traumatismes précoces dus à un attachement insécure, dans des situations de négligences ou d’abus.

Population latino-américaine : le facteur ethnique aussi important que le sexe pour expliquer les inégalités

Dans un deuxième article, Natasha J.Cabrera, Jenessa L.Malin, Cathrine Kuhns, et Jerry West, de l’Université du Maryland, analysent la situation des garçons latino-américains par rapport aux garçons blancs et aux filles de la même origine. A 9 mois il n’y a pas de différences significatives entre les performances cognitives des bébés Latinos et des bébés blancs. Elles apparaissent plus tard, à 24 mois, et elles s’installent. Les garçons Latinos entrent à l’école avec moins de vocabulaire et moins d’habiletés mathématiques que leurs camarades blancs. Le bilinguisme est considéré comme un atout pour les fonctions exécutives. Or, les enfants issus de l’immigration latine sont moins bons dans les apprentissages en terme de concentration, d’appétence, de flexibilité, d’autonomie. A l’entrée au jardin d’enfants (5 ans), les garçons Latinos comparés aux garçons blancs montrent un déficit en langage et en maths mais pas dans les compétences sociales et en capacités précoces de lecture. Entre 24 mois et 4 ans les différences, à l’avantage des garçons blancs, se voient dans tous les domaines.
L’analyse de l’environnement familial montre que les garçons issus de l’immigration latine sont moins engagés dans les interactions avec la mère, l’attachement est moins secure. Les mères latines sont moins stimulantes sur le plan cognitif (lisent ou racontent moins d’histoires), elles répondent moins aux sollicitations de l’enfant. Même constat pour les pères, même si les pères Latinos  «chantent plus ».
Les différences avec les filles de la même origine ethnique sont beaucoup moins flagrantes, plus fluctuantes et pas forcément à l’avantage des filles. Peu de différences ont été notées dans l’investissement des parents selon le sexe de l’enfant. Pour les auteurs, les facteurs ethniques apparaissent donc ici aussi importants que les facteurs de genre. Ils soulignent aussi que les facteurs les plus prédictifs de bonne entrée dans les apprentissages scolaires sont les revenus du foyer et le degré d’investissement parental, quels que soient l’origine ethnique ou le genre des enfants.

Des programmes de soutien spécifiques pour les garçons amérindiens

Un troisième article s’intéresse à la situation des « populations autochtones nord américaines -indiennes-et d’Alaska » ( AIAN ). Il est établi que les garçons AIAN sont plus exposés aux disparités de santé que les garçons non AIAN et que les filles AIAN. Il s’agit de la communauté la plus touchée par la pauvreté aux USA. 70% des enfants AIAN de moins de 6 ans vivent sous le seuil de pauvreté. Les garçons et filles de ces tribus s’engagent plus tôt que les autres dans la consommation d’alcool et de drogue et dans les conduites à risque. Cette consommation d’alcool est très fortement liée à un sur risque de tentatives de suicide, de décès involontaires et d’exposition à la violence chez les garçons et les hommes. Le risque de blessures et de décès accidentels est beaucoup plus élevé chez les garçons et hommes AIAN que chez les Américains blancs et chez les filles AIAN. Ces hommes sont aussi ceux qui sont le plus victimes d’agressions. 40% des jeunes hommes rapportent en outre des abus ou négligences émotionnelles et négligences physiques pendant l’enfance. 35% évoquent des abus physiques et le fait d’avoir été témoins de violences sur leur mère et 14% rapportent des abus sexuels.
Or, il s’agit également d’une communauté où les croyances et rituels sont très forts, très présents, et où les enfants sont très ancrés dans la communauté, incités à développer un sentiment fort d’appartenance. L’enfant est sacré pour les amérindiens. Ces tribus sont aussi porteuses d’une philosophie qui met en avant l’interconnexion des générations entre elles, ce qui entre en résonance avec l’épigénétique. Autant d’éléments qui constituent des leviers intéressants pour favoriser le bon développement des enfants et lutter contre les inégalités de santé.
Les auteurs proposent l’exemple du projet RezRiders, implanté au sein de deux tribus au Nouveau Mexique. Il s’agit de promouvoir auprès des garçons la pratique de sports extrêmes, pratique intégrée aux cycles de l’eau et de la neige à travers la culture indienne et qui s’appuie sur les valeurs inhérentes à la culture de ces populations : force, fierté, honneur, résilience. Le projet s’inspire aussi des bases de la psychologie positive. Le programme a été mis en place par un homme issu de la communauté (co auteur de l’article) et s’est appuyé sur un comité constitué de personnalités de la communauté détentrices d’un réel savoir culturel, mais ayant aussi d’une bonne connaissance des pratiques sportives dans la nature, capables d’assurer un mentorat et de servir de personnes-ressources. Les évaluations sont en cours et les premiers résultats prometteurs.

Les études ont montré que les enfants AIAN très investis dans leur culture d’origine s’en sortent mieux à l’école (idée développée un peu plus loin pour les enfants afro-américains). Les programmes de soutien destinés à ces enfants sont donc construits à partir des principes culturels, en congruence avec eux. Ils se révèlent assez efficaces pour les compétences socio-émotionnelles. Des programme de visites à domicile auprès de femmes enceintes sont développés avec des professionnels de la communauté pour que les conseils prodigués soient compatibles avec la culture de ces femmes et permettent d’améliorer les interactions, de diminuer les mauvais traitements ou les négligences. Le programme national de lutte contre les inégalités dans la petite enfance, Head Start, a un volet spécifique AIAN.

Apprentissage de la lecture : les garçons afro-américains plus à risque que les filles

Dans cet autre article du même numéro de l’Infant Medical Health Journal, Iheoma U.Iruka s’intéresse aux facteurs prédictifs de l’apprentissage de la lecture chez les garçons afro-américains. L’auteur pointe d’abord les éléments identifiés chez les hommes noirs ayant réussi sur le plan académique : bonnes capacités langagières pendant l’enfance, un environnement soutenant, une identité raciale forte et fière. L’auteur rappelle aussi les liens entre le niveau socio-économique, la parentalité positive, le soutien de la communauté et le développement des enfants.
Les enfants noirs grandissent dans des familles moins riches avec des parents moins éduqués que les jeunes Américains blancs. Ils sont plus susceptibles d’être placés, d’avoir des parents alcooliques ou ayant des conduites à risque. Les garçons blancs ont plus souvent des parents réactifs et sensibles que les filles noires qui ont plus de chance d’en avoir que les garçons noirs. Les bébés noirs profitent beaucoup plus du fait d’être élevés par une mère mariée que les filles noires ou les garçons blancs (or, 66% des jeunes Noirs américains de moins de 18 ans vivent dans une famille monoparentale). Ce facteur a un réel impact sur les apprentissages pré-scolaires. Les mères noires seules sont plus stressées et interagissent moins avec leur bébé, spécialement avec les garçons.
Le caractère ferme de la parentalité a des effets positifs sur les garçons noirs en matière d’apprentissage de la lecture. Ce qui confirme les résultats d’autres études qui ont en effet montré que dans un environnement difficile, les parents fermes sont en fait garants de la sécurité de leur enfant. La littérature note cependant que ce caractère ferme a des effets positifs s’il est associé à une parentalité chaleureuse. Enfin, les garçons noirs réussissent mieux à l’école dans un contexte rural.

Les trajectoires violentes des garçons de milieu défavorisé

Dans l’article suivant, Carolyn Joy Dayton et Johana C.Malone mettent l’accent sur les garçons de milieux défavorisés. Les auteurs rappellent que ces garçons sont plus susceptibles de développer des troubles des conduites et comportements anti-sociaux dans la petite enfance et que ces difficultés persistent à l’âge adulte. Elles expliquent que ces troubles sont difficiles à prendre en charge et que les interventions préventives avant leur survenue, auprès des familles, constituent la piste la plus prometteuse. Les deux chercheuses recensent les avancées des 30 dernières années et articulent différents modèles théoriques : théorie de l’attachement, du contrôle social, le modèle cognitivo-affectif, la théorie des apprentissages sociaux. Et proposent un « modèle de pont », à comprendre comme un modèle passerelle qui synthétise les perspectives de cadres théoriques disparates et les connaissances des différents stades de développement de l’individu, afin de fournir un cadre cohérent permettant de comprendre les processus à l’oeuvre dans la survenue des antécédents des problèmes de conduite.

De cette synthèse théorique il ressort que les troubles des conduites et les comportements anti-sociaux prennent leur source dans un attachement désorganisé pendant la petite enfance, que les schémas d’interactions familiales expliquent une part des difficultés scolaires, que des réponses inappropriées des parents avec le bébé sont corrélées avec une discipline coercitive plus tard. Toutes les études menées pour tester ces modèles théoriques ont montré un lien de causalité entre des attitudes parentales peu adaptées, peu réactives, hostiles, ou de rejet, et le développement de comportements antisociaux ou troubles des conduites. A contrario un haut degré de parentalité positive constitue un facteur de protection pour les enfants grandissant dans des environnements à risque. Entrent aussi en ligne de compte la santé mentale des parents, les violences au sein du couple. La dépression maternelle joue un grand rôle, notamment parce que la mère ne peut pas répondre de façon appropriée à son enfant mais aussi en raison de facteurs de risque génétiques. Les facteurs susceptibles de compromettre la parentalité ainsi que la dépression maternelle sont plus élevés dans les milieux pauvres.

Lien très net entre la sensibilité maternelle et le développement d’un trouble des conduites pendant la petite enfance

Pour tester les différentes hypothèses théoriques (parentalité inadaptée, non réactive, mauvaise qualité des interactions, dépression maternelle, violences, attachement désorganisé), les auteurs ont suivi une cohorte de 310 garçons et 55 filles recrutés entre 6 et 17 mois et suivis jusqu’à l’âge de 22 ans. Toutes les familles étaient à faibles revenus.
L’objectif : examiner les associations entre la qualité de l’environnement familial pendant la petite enfance et l’apparition des comportements anti sociaux ou troubles des conduites de la petite enfance jusqu’à l’âge adulte avec un focus sur la façon dont la parentalité, les facteurs compromettant des soins de qualité (dépression maternelle, voisinage pauvre), et le comportement de l’enfant dans ses 3 premières années peuvent conduir précocement à des trajectoires persistantes de sérieux troubles pendant l’enfance et l’adolescence.
L’accent a été mis sur la sensibilité maternelle pendant la première année. Avec l’hypothèse qu’un manque de sensibilité et de réactivité aux besoins de l’enfant menait à des échanges plus coercitifs plus tard et à des taux plus élevés de troubles des conduites chez l’enfant. Résultats : le manque de réactivité maternelle aux demandes d’attention de l’enfant est corrélé avec un comportement non conforme ou agressif de celui-ci à deux ans et avec un trouble des conduites à trois ans. A noter : cette corrélation n’a pu être établie que pour les garçons !
Les caractéristiques propres de l’enfant et la façon dont elles entrent en ligne de compte dans les interactions avec la mère ont aussi un impact sur les troubles ultérieurs. Un enfant très insistant dans sa demande d’attention peut susciter une aversion chez la mère. Ce mécanisme est corrélé à la survenue de troubles des conduites. C’est particulièrement vrai avec les garçons.
L’analyse des comportement des enfants en milieu scolaire montre que les enfants de 8 ans présentant un haut niveau d’agressivité, d’opposition, ou de TDAH à l’école avaient eu des problèmes de comportement dans la toute petite enfance et vivaient dans des familles présentant plusieurs facteurs de risque (dépression maternelle, faible support social, parentalité peu adaptée).

Analyse de l’impact d’un trouble du comportement très précoce sur le devenir ultérieur de l’enfant

Pour analyser les liens entre l’enfance et l’adolescence, quatre groupes ont été définis. Celui où les troubles ont débuté pendant l’enfance et sont restés élevés jusqu’à l’adolescence, celui où ils ont débuté plus tard et ont perduré, celui où ils sont toujours restés faibles et celui où ils ont décru. Dans le premier groupe 78% des jeunes avaient déjà eu affaire à la justice, contre 49% pour le deuxième groupe (contre 25% pour le groupe des « troubles toujours restés faibles »). Même dans le groupe où les troubles du comportement avaient beaucoup chuté entre 10 et 17 ans, le taux de procédures judiciaires reste élevé (60%). Quand on compare les garçons du groupe « troubles restés faibles » et du groupe où le taux de problèmes de comportement ont augmenté, une seul facteur les distingue : la dépression maternelle. Quand on compare ceux du groupe « troubles restés faibles » et ceux du groupe où les troubles du comportement étaient élevés dans la petite enfance et ont chuté, deux facteurs discriminants apparaissent : la dépression maternelle et une parentalité « de rejet ».

Les auteurs ont aussi analysé le type d’infractions pour lesquelles les jeunes étaient poursuivis selon qu’elles relevaient ou pas d’une forme de violence. Un seul facteur distingue les jeunes de cette cohorte qui n’ont jamais été poursuivis en justice des jeunes qui ont été poursuivis pour des affaires non violentes : le niveau de revenus des parents. En revanche, si on compare la différence entre les jeunes ayant été poursuivis pour des affaires non violentes et ceux ayant été poursuivis pour des affaires violentes, on distingue chez les derniers : un haut niveau de comportement oppositionnel dans la petite enfance, une faible capacité à réguler les émotions et un haut niveau de rejet parental dans la petite enfance. Ce sont là les facteurs de risque les plus forts pour des trajectoires violentes.
A noter que les effets d’une dépression maternelle modérée mais persistante sont plus forts que les effets d’une dépression sévère (plus de problèmes de comportement à l’adolescence, modifications du cerveau chez le jeune). Il s’agit d’un résultat contre intuitif. Pour l’expliquer, les auteurs avancent une hypothèse : quand la dépression maternelle s’exprime de façon modérée, personne ne vient suppléer la mère dans son rôle. Si la dépression est massive, il y a une intervention au domicile ou les enfants sont placés.

Les auteurs concluent leur article par un plaidoyer. Nous avons aujourd’hui toutes les preuves que l’environnement dans lequel évolue l’enfant est décisif pour son futur. Nous connaissons les facteurs de risque (notamment, ici, bien identifiés, la dépression maternelle, les pratiques parentales non ajustées, en milieu précaire). Il faut agir. Il faut soutenir ces familles, en leur donnant accès à un accompagnement pour renforcer leurs compétences et accompagner le développement psycho-social de leur enfant, à travers des plate-formes d’accès universel. Il faut absolument venir en soutien des familles les plus vulnérables.

Ce numéro de l’IMHJ est une plongée fascinante dans une thématique complexe, sensible et forcément polémique. Il apporte des arguments forts, scientifiquement étayés, sur la spécificité des difficultés masculines précoces. Il incite à poursuivre les investigations pour comprendre pourquoi les garçons sont à ce point sensibles à ce qui se produit pendant la période pré, péri et postnatale. Les articles de l’IMHJ sont américains et traitent donc sans aucune réserve les problématiques ethniques, au cœur du questionnement scientifique dans les pays où il est autorisé de s’y intéresser (et où les tensions raciales sont fortes). Tout comme aux Etats-Unis, les garçons français issus de l’immigration sont sur-représentés dans les chiffres de l’échec scolaire, du chômage et de la délinquance. Mais en France où le recueil sur les données ethniques est très limité, les chiffres le sont tout autant. L’une des rares études qui a pu analyser les trajectoires d’individus d’origine étrangère, l’étude TeO (Trajectoire et origines, enquête sur la diversité des populations en France), co réalisée par l’INSEE et l’INED, pointait dès son introduction le net différentiel de réussite scolaire entre garçons et filles, au bénéfice des secondes. Pour y apporter une réponse un peu…courte.
« (…)De façon frappante, les écarts entre origines concernant les sorties sans diplôme du système scolaire se maintiennent pour les garçons de la plupart des groupes minoritaires, même quand les résultats tiennent compte du milieu social des parents. Au contraire, les écarts par origine disparaissent pour les filles. Tout se passe comme si l’institution scolaire ne produisait pas de désavantages liés à l’origine pour les filles, mais en créait pour les garçons ou se montrait dans l’incapacité de les juguler. La plus forte déclaration par les garçons de traitements injustes fondés sur l’origine dans l’orientation scolaire, ou dans la façon dont les agents scolaires s’adressent à eux, vient confirmer l’hypothèse selon laquelle leur désavantage persistant relèverait d’un fonctionnement discriminatoire de l’institution scolaire à l’encontre des garçons sur le fondement de leur origine.

L’institution scolaire, comme d’autres, n’est certainement pas exemplaire, loin s’en faut. Mais conclure, sur la foi de questionnaires, que les garçons issus de l’immigration réussissent moins que les filles parce qu’ils seraient plus discriminés, relève plus de l’assertion péremptoire, du parti pris politique, que de l’analyse scientifique. Le dernier numéro de l’IMHJ vient rappeler que la problématique n’est pas franco-française et que les réponses à lui apporter sont bien plus complexes.