Article initialement mis en ligne en février 2015 sur le site Enfances en France, blog de l’auteur

« Il y a tellement d’enfants malheureux dans le monde, pourquoi est-ce si compliqué d’adopter ? » Ou encore : « Mais si les gens n’arrivent pas à avoir d’enfants pourquoi s’acharnent-ils au lieu de donner une famille à ceux qui n’en ont pas ? » Ce sont les deux réflexions qui ne manquent jamais de jaillir lorsque sont abordées les problématiques d’adoption ou d’assistance médicale à la procréation. Deux questions qui montrent à quel point les réalités de l’adoption nationale et internationale sont finalement encore très méconnues du grand public et les idées reçues, dès lors, très tenaces.

Là où le niveau de vie augmente, les abandons d’enfant diminuent

Or, les chiffres sont particulièrement éloquents. Un démographe et sociologue, Jean-François Mignot, vient de réaliser pour l’INED une synthèse des causes et conséquences de la baisse vertigineuse des adoptions à travers le monde. Entre 2004 et 2013, le nombre d’adoptions internationales de mineurs a chuté des deux tiers, en France comme dans le monde entier.

Il est important de noter que cette baisse concerne tous les pays adoptants. Au milieu des années 2000 la France, et notamment l’agence française de l’adoption, était en effet accusée par les associations de candidats à l’adoption, d’être particulièrement inefficace en comparaison avec les performances de son voisin italien ou des Etats-Unis, très actifs en la matière. Pourquoi une telle chute généralisée des apparentements ? Jean-François Mignot livre l’analyse suivante : « La pénurie de mineurs adoptables est due à la baisse du nombre de mineurs orphelins ou abandonnés et à l’essor des adoptions nationales dans les pays d’origine, mais aussi à diverses mesures politiques qui cherchent à contrôler plus strictement l’adoption pour éradiquer le trafic d’enfants.» Reprenons. Si ces adoptions diminuent c’est en raison d’une réduction drastique du nombre d’enfants adoptables. Le nombre de candidats à l’adoption, lui, reste élevé (même si de plus en plus de familles, découragées, renoncent). Première explication à cette raréfaction du « vivier » d’enfants : les principaux pays pourvoyeurs, comme la Chine, la Russie ou la Corée du Sud, ont vu leur niveau de vie augmenter et les abandons d’enfant diminuer. L’accès à la contraception et à l’IVG a aussi permis dans certains de ces états une meilleure maîtrise de la fécondité des femmes. Les grossesses non désirées sont moins fréquentes.

L’adoption internationale est aujourd’hui beaucoup plus encadrée et les enfants mieux protégés

Ces explications économiques et sociales sont concomitantes à la ratification par de nombreux pays de textes internationaux encadrant l’adoption, comme la Convention de La Haye, ratifiée par la France en 1998. Cette convention pose ainsi que dans l’intérêt de l’enfant abandonné, l’adoption doit être effectuée prioritairement par des ressortissants de son pays d’origine. Ce qui se produit de plus en plus dans les pays où une classe moyenne a commencé à émerger et à revendiquer elle aussi, comme les couples des vieux pays occidentaux, le droit de fonder une famille malgré une infertilité médicale.

Pour éviter les trafics d’enfants, la convention de La Haye interdit également les adoptions dans les pays en guerre, situations dans lesquelles il peut être très difficile d’établir si un enfant est orphelin ou pas. La convention proscrit également les démarches individuelles, obligeant les pays signataires à refuser les candidats qui ne passent pas par une agence centrale ou un organisme agréé (OAA). En 2012, 32% des adoptions effectuées par des Français provenaient pourtant d’une démarche individuelle. Ces candidats s’étaient adressés à un pays non signataire de la Convention et avaient donc pu se passer du recours à un organisme agréé français. La France envisage régulièrement de mettre fin aux démarches individuelles de ses ressortissants (considérées comme plus à risque de dérives) mais les résistances sont très fortes. De nombreux candidats, refusés de facto par les OAA français, n’ont en effet pas d’autres choix que de se lancer seuls dans la procédure. Les OAA n’ont pas le droit, en théorie, de sélectionner les dossiers mais ils sont bien obligés, en pratique, de vérifier la conformité des profils des candidats avec les exigences posées par le pays d’origine, exigences sur lesquelles la France n’a pas son mot à dire. Certains pays refusent ainsi les célibataires ou les couples homosexuels. D’autres, comme la Chine, posent des conditions de diplôme ou de niveau de vie.

Plus âgés, handicapés : le profil des enfants adoptés à l’étranger a radicalement changé

La conjonction de ces évolutions socio-économiques et du durcissement des règles internationales et internes à certains pays ont donc eu pour résultat le net déclin de l’adoption internationale mais aussi une considérable évolution du profil des enfants adoptés. Il ne s’agit plus de bébés en bas âge mais d’enfants « à particularités », c’est à dire plus grands, en fratrie, et/ou malades ou handicapés. Pour l’écrire crûment, les enfants dont les ressortissants de ces anciens pays pauvres ne veulent pas en première intention. D’où l’interrogation de Jean-François Mignot : « Dans quelle mesure est-il dans l’intérêt d’enfants de plus en plus âgés d’être encore adoptés à l’international, alors même qu’ils ont une longue expérience de leur pays d’origine ? »

D’où aussi les réflexions récurrentes, au sein des conseils généraux, sur les profils des parents adoptants, les conditions d’obtention d’un agrément et l’accompagnement mis en place avant et après l’apparentement. Accueillir un enfant de huit ans d’origine étrangère ou un bébé lourdement handicapé nécessite davantage de préparation. Le démographe  pose une autre question complexe: la baisse du nombre d’enfants abandonnés dans le monde signifie-t-elle vraiment une augmentation des adoptions nationales ou va-t-elle aussi de pair avec une augmentation des enfants en institution ? En clair, certes, ces enfants qui auparavant étaient adoptés à l’autre bout du monde restent désormais dans leur pays et ne sont d’ailleurs plus forcément abandonnés. Mais pour autant bénéficient-ils vraiment d’une famille ? Ou sont-ils élevés dans un orphelinat ? Question qui renvoie au débat qui a lieu en ce moment en France avec l’examen de la proposition de loi de Michelle Meunier sur la protection de l’enfance (voir l’article consacré à ce texte). En 30 ans, les déclarations d’abandon annuelles sont passées en France de 900 à environ 150. Ce dont on peut se réjouir si cette décrue signifie que les enfants sont aujourd’hui davantage désirés et les parents mieux accompagnés pour les élever. Nombreux sont néanmoins les spécialistes qui estiment au contraire que cette baisse des abandons s’est traduite par une hausse des enfants « institutionnalisés », c’est-à-dire élevés par l’aide sociale à l’enfance, alors qu’ils pourraient faire l’objet d’une adoption.

Que fait la France pour ses propres pupilles de l’Etat « à particularité » ?

Autre raison pour laquelle ce nouveau visage de l’adoption internationale ne manque pas de faire écho parmi les professionnels français de la protection de l’enfance : les enfants adoptés hors des frontières seraient donc, de plus en plus, des enfants « à particularité », âgés, malades ou porteurs d’un handicap, en fratrie. Mais de tels enfants existent sur le territoire français, et attendent des années, souvent en vain, qu’on leur trouve une famille. C’est ce qu’ont tenté d’expliquer les auteurs du « plaidoyer pour l’adoption nationale » en septembre 2013. Ces professionnels de terrain déplorent la disproportion des moyens accordés par la France à l’adoption internationale au détriment de l’adoption nationale, évoquant un budget de six millions consacré à la première en 2012 contre 89.000 euros dédiés à la seconde. Leurs propositions visent à mieux coordonner le travail de tous les services au niveau national afin de cerner, d’un côté, l’adoptabilité de ces enfants français qui sont laissés sans projet de vie, et de l’autre côté, le profil et les capacités des candidats à l’adoption. Mettre en quelque sorte en adéquation les besoins des uns avec les envies et possibilités des autres. Il n’existe pas aujourd’hui d’organisation centrale en charge de cette problématique. Ce qui signifie qu’un enfant déclaré abandonné, dit « à particularité », peut ne pas trouver de famille dans un département alors que dans un autre département, plusieurs familles seraient prêtes à l’adopter. Des candidats à l’adoption peuvent aussi ignorer qu’en dehors de bébés en bonne santé il existe d’autres enfants tout à fait adoptables en France. En 2014, l’une des signataires de ce texte nous expliquait : « Aujourd’hui nous ne sommes pas capables de recenser toutes les candidatures ouvertes aux besoins de ces enfants. Ce n’est pas qu’elles n’existent pas mais que d’un département à l’autre elles ne sont pas centralisées. Un fichier informatique avait un temps été constitué mais faute de moyens il n’est pas utilisé. Du coup, les candidats français pour de tels profils vont être dirigés vers l’adoption internationale. » Elle concluait ainsi : « Il nous semble dommage qu’un petit sourd français ait moins de chance d’être adopté qu’un petit sourd chinois».