Petite enfance: du langage corporel à la communication verbale
Date
10 février, 2016
Catégorie
Colloques
Auteur
Elise Levy

Le dernier colloque organisé par Zoeki, le 1er février dernier, modéré par Sophie Marinopoulos (à gauche sur la photo), portait sur la communication chez, ou avec, le tout petit. L’intitulé exact de cette journée était « avant et après les mots, du langage corporel à la communication verbale ». En voici le compte-rendu.

La première intervenante, Laurence Vaivre-Douret, neuropsychologue clinicienne et psychothérapeute, axe sa conférence sur les premiers moyens d’expression du bébé, à travers le corps et les mouvements.

Le bébé, une parole en mouvement

« Les mouvement in utero sont les premiers signes de vie et les premiers moyens d’expression du bébé. Les systèmes sensoriels sont fonctionnels in utero. Ils ont un graduel de mise en place allant du cutané proprioceptif (ndlr : en lien avec des perceptions profondes du corps) au visuel. La relation mère-enfant passe par tous les sens, bien qu’on n’y porte attention en Occident que depuis une vingtaine d’années. Les civilisations asiatiques, africaines et indiennes ont toujours intégré ce mode de relation à l’enfant. Le sens du toucher se développe avec une origine embryonnaire similaire à celle du système nerveux. En outre la peau est un organe vital, c’est l’organe le plus étendu de l’organisme, la surface de contact entre le corps et le milieu environnant. In utero, la surface cutanée du bébé et ses organes de l’équilibre sont sollicités par le liquide amniotique, la pressions de son corps contre les parois, les mouvements de la mère, la voix maternelle via ses vibrations. Ce corps en mouvement lui fournit des informations proprioceptives et vestibulaires (ndlr : le système vestibulaire, situé dans l’oreille interne, contribue aux sensations de mouvement et à l’équilibre). Ces informations primordiales sont déjà communiquées in utero.
La naissance est une rupture de rythme brutale. Les contractions intensifient les sollicitations corporelles en massant le corps du bébé. Il y a introduction d’une nouvelle personne qui va le prendre, le réchauffer, c’est le début de l’attachement. »

Après cette introduction, Laurence Vaivre-Douret enchaîne avec un développement sur les compétences sensorielles et perceptives du foetus, du nouveau né et du nourrisson, avec un découpage en six points.

1) Le tactile
La mère ressent les premiers mouvements du bébé vers le 4e mois, c’est un premier signal de communication. Alors que le bébé prend plus de place, le liquide amniotique diminue, multipliant les échanges tactiles et le ressenti du corps. Les stimuli viennent de son propre changement de position et des mouvements de la mère.
Au 6e mois de grossesse, tout le corps est rempli de percepteurs et le processus de maturation des voies nerveuses est en cours d’achèvement.
2) Le système vestibulaire
Il est situé dans l’oreille interne avec des canaux semi-circulaires procurant des informations sur le placement de la tête et sur le déplacement dans l’espace. Il contient également l’organe qui retransmettra le son, la cochlée. La vision servira aussi à rétablir plus tard la position d’équilibre. Le système vestibulaire est le deuxième système mis en place, sa maturation s’achève vers la 5e / 6e semaine de grossesse. Le foetus baigne dans le liquide amniotique et est stimulé en permanence.
3) La gustation
Elle se met en place avec les premiers bourgeons gustatifs, d’abord dans la bouche, dès la 7e semaine de grossesse puis la langue et le palais se répandent.
A 3 mois les papilles  gustatives sont matures, à la fin troisième mois tout le système gustatif est fonctionnel. L’enfant déglutit le liquide amniotique au 3e trimestre. La saveur du liquide amniotique varie selon les habitudes alimentaires de la mère, constituant une imprégnation in utero qui familiarise l’enfant.
4) L’olfaction
A 7 semaines les narines et le nez sont visibles. Le nerf olfactif se constitue vers 7 semaines et il est possible de distinguer les récepteurs olfactifs vers 11 semaines.
5) L’audition
Elle se constitue a partir de trois feuillets embryonnaires. Formée d’une partie externe de l’oreille, d’une partie moyenne et d’une partie interne plus haute, la cochlée est l’organe récepteur des sons réagissant à des fréquences. La maturation de l’oreille interne est achevée au 8ème mois, l’oreille moyenne se développe à partir du 2ème mois et est fonctionnelle après le 8ème mois.
L’univers sonore du fœtus est sollicité par des bruits internes et externes.
Il existe un son intermédiaire entre les bruits intérieurs et extérieurs , c’est la voix de la mère, ses vibrations vocales. Les sons extérieurs comme la voix du père passent par le tissu maternel, lequel les atténue.
La mémorisation du rythme et de la mélodie de la voix est précoce. Le bébé est capable de différencier la langue maternelle des étrangères très tôt. L’intonation maternelle reste la voix féminine préférée du nourrisson encore à 4 mois. Le bain maternel et les premières vibrations passant plus par la voix de la mère, cela va solliciter largement sa sensibilisation aux voix féminines.
La mémorisation anténatale est démontrée par la reconnaissance par le bébé des aspects prosodiques (c’est à dire l’intonation) et mélodiques (les groupements rythmés). En fonction des langues, les intonations sont différentes.
6) La vision
Le nerf optique commence à se former vers le 7è mois. L’oeil est visible vers la douzième semaine. L’information visuelle va atteindre a minima la paroi utérine.

Focus sur le développement moteur de 0 à 4 ans

Laurence Vaivre-Douret, toujours :
« Avant que la mère ne sente son bébé bouger, il est déjà très actif. Dès le deuxième mois, il saute, bouge, marche en prenant appui contre la paroi, pleure, sourit, exerçant toute sa motricité. Ces exercices vont se poursuivre après la naissance, jusqu’à l’âge de 2 mois.”
NDLR: La diffusion d’un film sur la « motricité libérée » (extrait de l’enfance Pas à Pas de Valéria Lumbroso) est ensuite proposée. Il s’agit de l’expérience du Docteur Albert Grenier menée dans les années 80. Ce médecin a montré qu’en soutenant simplement la tête du nourrisson on le libère et le rend capable de mouvements volontaires qu’on ne pensait possibles que plusieurs mois plus tard.
Laurence Vaivre-Douret: “Dans le film, le médecin soutient la tête du nourrisson, le dos de celui-ci tient parfaitement droit, il se saisit des objet, ouvrant le pouce, dans un geste direct, très intéressé. C’est ce que le docteur Grenier appelle “La motricité libérée”. Quand on sait toute cette appétence qu’a le nouveau né, il est dommage de ne pas la mettre directement en route dans un environnement dynamique. C’est la libération d’un geste souvent contraint, de ce qui peut empêcher, brider le corps de l’enfant sans en avoir l’air.

Ensuite il y a tout l’aspect moteur, la progression de l’aspect posturo moteur. Mais il existe des postures et gradients intermédiaires: il ne s’agit pas seulement de tenir assis ou debout pour l’enfant (attention aux grands stades, parfois reflets de “faux développement” dans le sens où l’on peut avoir des enfants potiches qu’on place dans des positions figées)  mais surtout comment l’enfant parvient à cette position.
Une échelle plus fine que celle du Brunet Lezine a été développée. Elle veut donner les niveaux de coordination de l’apprentissage avec une chronologie, les liens fonctionnels entre les différentes acquisitions et la croissance osseuse. L’enfant ne prend pas du jour au lendemain: d’abord il regarde ses mains, puis les met en mouvement dirigé.
On peut parler d’une fourchette de normalité au delà de laquelle on peut s’inquiéter d’un éventuel retard. Ce n’est pas la datation en elle-même qui est importante, mais c’est de prendre en compte les aspects quantitatifs et qualitatifs du mouvement qui vont donner cette coordination.
La mobilisation tonique posturale et le mouvement actif du sujet sont des moteurs de la construction d’un référentiel corporel. Il est important de passer par ces stades, de prendre une position donnée, mais aussi de la contrôler, l’utiliser, la quitter et la reprendre. Ces mises en liberté doivent se mettre en place, ce qui ne se fait ni en regardant la télé ni en restant dans son cosy.
Ce développement est dit psycho-moteur. Il met en jeu la capacité à ressentir et à analyser l’environnement, tout en contrôlant ses mouvements. »

Le développement du langage et ses grandes étapes

Laurence Vaivre-Douret officie toujours :

« Il ne s’agit pas d’avoir une maturation des organes puis de rester passif : il faut un environnement donné pour se développer.
Phase prélinguistique 0-2mois : elle marque l’intérêt privilégié pour la voix humaine. Le nourrisson est capable de différencier des phonèmes.
Les cris sont la première production vocale permettant de s’exprimer, de dire la faim, la douleur, de faire signifier, d’appeler. La signification de cette communication demande un apprentissage progressif de décodage. Au cours du 2e mois, les vocalisations se diversifient. La sensori-motricité est le point de départ du langage. L’environnement doit pouvoir mettre l’enfant dans une situation d’exercice des muscles phonatoires. La sensation de plaisir se développe chez l’enfant dans ces exercices.

Entre 3 et 4 mois, toute la motricité buccale est en effervescence, avec la mise en place de sons. Le nouveau né va reprendre ce qu’il entend de son entourage, d’où de nombreux jeux buccaux, il gargarise, ce sont les prémices de moteurs nécessaires à la future parole.

Vers 5-6 mois il fait des syllabes , écoute et recommence. Il se rassure et prend confiance, il avance donc par sa propre prise de conscience. C’est le stade du début du babillage dit canonique, indispensable au développement du langage.
Dans cette période le bébé reconnaît son nom et rentre dans des jeux interactifs avec son environnement. A l’évolution des productions vocales s‘associe le développement de la communication non verbale, regard puis sourire, mimiques.

Entre 6 et 8 mois: Il varie ses vocalises, son articulation se fait plus précise. Sa production de syllabes est bien articulée. Il est capable de répéter plusieurs syllabes à la suite. Il commence à extraire ses propres mots du langage quotidien qu’il entend.

Vers 8-9 mois : le bébé cherche à attirer attention, il montre du doigt, comprend des mots comme “prends” ou “tiens”, ce sont des étapes importantes du développement d’une intersubjectivité.
Vers 10 mois, on voit apparaître une grande variété de syllabes et de voyelles.
Autour de 12 mois c’est le début des premiers mots.”

Sensorialité, motricité et posture

Laurence Vaivre-Douret évoque le programme PMSE (Vaivre Douret & Eds Odile Jacob), qu’elle a conçu pour respecter et favoriser la qualité de vie et les soins du bébé.

“Ce programme met en exergue l’importance du portage dans la sollicitation de l’enfant, les manipulations, les sollicitations d’éveil: le toucher sensori-tonico-moteur, le massage non pas de khinésithérapie mais de bien être.
Le matelas d’eau suscite la mise en équilibre de l’enfant, la prise du bébé dans la position foetale a pour conséquence que le bébé arrête de pleurer (nouveau né de 2 jours), repliant bras et jambes. Ces premières interactions sont importantes même si elles font peur à un parent qui a tendance à penser le bébé trop fragile pour les accomplir. Le matelas d’eau rassure par la sonorité de l’eau et la similarité des mouvements avec la vie in utero, le bébé peut réagir presque de la même façon. Il appuie à un endroit du matelas ce qui peut engendrer un mouvement de retournement du nouveau né, une relation émotionnelle.

Penser l’environnement c’est penser le positionnements du corps du bébé en situation d’éveil et de sommeil mais aussi l’aménagement de l’espace pour qu’il suscite son regard et oriente son positionnement. Le change, moment d’interaction privilégié pour le parent, n’est pas forcément un bon moment, en raison des cris, des pleurs, de l’appréhension chez l’enfant, mais on peut en faire un moment divin.

La position sur le dos est recommandée pour la prévention de la mort subite du nourrisson mais ce n’est pas une bonne position développementale. Évidemment, les nouveaux nés n’ont pas les mêmes chances de développement selon leur environnement. Par exemple, les enfants peu stimulés sont souvent mis dans des cosy, ce qui entraîne des contractions du positionnement du cou.”

Laurence Vaivre-Douret donne un exemple de prévention posturale avec le coconou, dispositif qui permet de contenir le bébé sans l’entraver. Elle illustre ensuite son propos avec un bébé de 4mois et demi trachéotomisé. “L’introduction du coussitête, un oreiller postural, permet la mise en mouvement des bras, la communication avec le docteur, le regard qui s’éveille et les mimiques qui se transforment. Les mains se rencontrent pour la première fois. L’enfant commence à se mouvoir.”
Pour la spécialiste, l’utilisation du coconou montre qu’on peut transformer le vécu d’un bébé rien que par l’aménagement postural. Les prémices de la communication sont liés à cette sensori motricité et tout est global. Voir un enfant se mettre assis ou debout n’a rien d’une victoire si tout le reste est verrouillé. L’environnement est primordial pour le langage, la motricité est le précurseur. On a les moyens de développer une communication riche de sens et qui globalise tous les sens qui existaient in utero. L’éprouvé corporel est le point de départ d’une dimension relationnelle qui fait éclore les émotions et la communication précoce.

Premier temps d’échange avec la salle

Sophie Marinopoulos reprend la parole :  « Avant les mots, il y a donc déjà des mots: ceux de l’autre. »
Elle revient sur la question de contenance, sur ce que signifie porter physiquement et psychiquement le bébé. Mais aussi sur la question de comment les parents craignent le bébé: craignent ses cris, craignent de ne pas bien interpréter et contenir.

Vient la première question : « vous avez parlé du passage du contact de la peau au moment de la naissance. Est ce que les conditions de l’accouchement ont une incidence sur la suite du développement moteur ? Plus précisément j’ai entendu dire qu’un accouchement trop rapide peut avoir une incidence sur le développement du bébé. »
Laurence Vaivre-Douret répond : « Oui, s’il y a eu stress respiratoire par exemple, il y aura une incidence sur le développement. Si l’enfant met du temps à sortir aussi. Mais tout ça est encore peu acquis au niveau des connaissances. Et tout dépend de l’approche qui va suivre cet accouchement. Pour un accouchement rapide, il y a un besoin de contenance après. Si les fonctions n’ont pas été nourries avant et pendant accouchement, on peut encore les nourrir après. »

Une autre question : « Je travaille dans des centres de PMI et il y a une période qui craignent beaucoup les parents qui s’interrogent sur la façon de prendre le bébé et lui parler, c’est la période des coliques du nourrisson. Quelle est la meilleure façon de les conseiller dans cette période là? »
Laurence Vaivre-Douret : « C’est un phénomène physiologique, il faut les rassurer, leur dire que ça se termine vers 3 mois. Ca correspond à la mise en place de l’appareil digestif. Le massage et le contact au niveau du ventre est important, il faut que le bébé se sente contenu au niveau du ventre. Les parents sont peu au courant, les 2 jours à la maternité sont le signe d’une décadence de la prévention de tout cela.

Troisième question : « Que pensez vous des portiques, tapis à plat avec anses, tapis d’éveil avec choses suspendues? ».
Laurence Vaivre-Douret : « Un portique a de l’intérêt quand il est mis à bon escient. L’enfant a besoin d’être au sol, on le met trop assis actuellement. Ces tapis ont l’intérêt de pouvoir susciter le regard de l’enfant. Il s’agit aussi de garder les objets à portée de bras. Le mobile va fixer l’attention visuelle et engendrer les mouvements avec l’ouverture de la main. Mais il faut choisir des objets de matières différentes. »
Une infirmière puéricultrice : « Le couchage sur le dos est la règle en raison de la mort subite mais on dit aux mamans que dès que l’enfant est en phase d’éveil il faut lui donner des positions différentes. »
Laurence Vaivre-Douret ;« Il y a eu toute une génération à qui on a dit de mettre un enfant à plat ventre puis on leur a dit de ne plus jamais le faire. Non, il faut l’amener, lui, à se mettre à plat ventre. L’enfant n’aime pas les changements de position, il est un peu comme une tortue qu’on retourne. Il est bien plus intéressant de susciter son changement de position. Il ne faut pas hésiter à renforcer, apprivoiser la zone qu’il ne connaît pas, puis l’amener lui-même à sentir et expérimenter les changements de position à son rythme. »

«Chez les assistantes maternelles, les enfants passent du couchage sur le dos au transat. Que peut on leur conseiller? »
Laurence Vaivre-Douret : « Quand l’enfant est sur le dos il a tendance à prendre une position naturelle avec les bras en position externe; c’est la pesanteur, à laquelle il doit s’habituer. Il faut que la maturation de la motricité volontaire se mette en place. On peut le placer sur un petit coussin puis rassembler ses bras pour permettre une prise de connaissance. Le problème pour le bébé comme pour l’adulte c’est qu’avec un coussin, la tête ne se place pas au zénith, elle tourne, ce qui pose des problèmes de cou et douleurs musculaires (ndlr : d’où l’intérêt du coussitête, autre dispositif dans la gamme coconou, qui permet l’alignement de la tête et évite les contractions musculaires du cou). On peut aussi procéder à une sollicitation du mouvement de rotation en faisant bouger les jambes. Un enfant bien positionné dès le début de la vie a ensuite un développement très favorisé. C’est aux professionnels de transmettre les processus développementaux, et de connaître les pourquoi fondateurs des mouvements. Expliquer le sens des fonctions aux parents pour qu’ils y adhèrent. »

Dernière question : « Par rapport aux objets que vous proposez: sont-ils nécessaires pour tous les enfants ou pour des cas particuliers? Je pensais qu’il suffisait de mettre les bébés allongés au tapis, pas qu’il faudrait un matériel spécial. »
Laurence Vaivre-Douret : « Non, ce n’est pas nécessaire pour tout le monde, c’est un accompagnement pour déverrouiller les situations, car tous les enfants n’ont pas pu bénéficier d’un environnement stimulant ni être mis au tapis ».

Accueillir les émotions du bébé et y répondre

Le deuxième intervenant, Bertrand Doret, est masseur kinésthérapeute, formateur Edelweiss en massage pour bébé.
D’abord une petite introduction:« Au sujet des interactions précoces: le bébé est un être social qui a besoin de communication. On sait maintenant très bien qu’un bébé dépourvu de contacts sociaux va se laisser dépérir ou souffrir de troubles du comportement. » Puis l’intervenant enchaîne avec une présentation en trois points.

1) Les émotions
A la naissance, le bébé a déjà un certain nombre d’acquis, comme vu dans l’intervention précédente. Il faut l’accueillir dans son vécu, ses besoins (corporels et émotionnels), ses émotions, ses pensées et ses envies.
La vie d’un bébé à la naissance est un stress omniprésent. Il passe d’un monde aquatique au monde de la pesanteur. On sait que le bébé aura des émotions dès la naissance. La différence avec les animaux c’est que par la suite il aura la capacité de mentaliser ses émotions. Le bébé a déjà un certain nombre de pensées. On s’est rendu compte avec l’émergence du langage des signes que dès 6 mois un bébé va pouvoir s’exprimer sur sa volonté et son appétit. S’il peut exprimer les choses, c’est qu’il il les conçoit. Qu’est ce qui nous empêche de penser que cela viendrait encore plus tôt?

L’émotion c’est le corps qui va réagir. La joie par exemple: un sourire manifeste d’abord la satisfaction comme avec la tété, c’est le symbole du bien être. Plus tard on va apercevoir des sourires intentionnels. La communication se met en place.
Le déplaisir s’exprime aussi, via les grimaces et les cris. L’enfant va faire le lien entre le cri et l’arrivée de la maman/du papa. A la naissance, la notion d’individuation du corps est absente, le corps du bébé et de la maman ne font qu’un. En corollaire de cela, le passage de l’émotion maman/bébé sera très lié, il y a une symbiose corporelle et émotionnelle. Quand on a une maman stressée, ou une maman baby blues, ou détendue, cela se sentira. Dans le sens inverse la mère attentive pourra sentir un certain nombre de choses se passant dans la chambre du bébé. Le bébé est une éponge émotionnelle, il capte les émotions autour de lui, pas seulement de la mère d’ailleurs.

2)L’interprétation
– Interprétation passive du parent: mon bébé pleure, je lui trouve une solution, l’enfant n’intervient pas
– Interprétation active : mon bébé pleure, je prends le temps d’écouter ses besoins, de lui demander ce qui lui arrive, le regarder, l’écouter pleurer, l’enfant s’exprime. L’interprétation reste par définition personnelle.
Qu’est-ce que la « position magique » ? Elle favorise l’expression d’un certain nombre de choses et d’émotions. C’est un rappel de la position foetale, avec enroulement du bassin, maintien souple de la nuque, les yeux dans les yeux à la même hauteur, elle favorise la rencontre, le lien.
NDLR : Bertrand Doret s’appuie sur une vidéo pour illustrer son propos.
Voici un bébé qu’on met en « position magique » et à qui on laisse le temps de s’exprimer: le retour au calme est immédiat. L’expression du visage montre qu’il y a déjà déjà communication. Tous les muscles étaient tendus, le regard fuyant, les yeux qui se crispaient, puis c’est comme si tout son corps fondait entre les mains du masseur.

3)Les interactions

Face à un signal de détresse il faut pouvoir : percevoir, accueillir, nommer, accompagner. Percevoir et répondre: à un bébé qui sourit, on va renvoyer un ton jovial et adapté. A un bébé qui pleure: on va modifier notre façon de parler. C’est un accordage affectif, “mirroring”, permettant l’adaptation du/au bébé.
On assiste à un paradoxe sociétal : on nous demande d’être connecté avec soi même. Alors qu’on a tendance, dans un monde hyper connecté, à être déconnecté, à ne pas être à l’écoute de ses propres émotions. Il est très importance d’être présent dans l’intention, avec le langage du corps : je ne suis pas là quand j’écris un texto en allaitant.

Deuxième temps d’échange avec la salle

Une première intervention: « Je ne vais peut être pas être dans le dialogue mais là on a beaucoup vu la position de l’enroulé. Il existe aussi la couverture magique qui sera au contraire de l’enroulé sur “l’étiré”. Il y a aussi les langes d’autrefois où le bébé était bien serré: là on va allonger les bras pour rassembler le bébé, permettant souvent aux enfants qui ont du mal à dormir de s’apaiser.”
Bertrand Doret : « La notion de couverture magique peut être adaptée pour des enfants agités avec un syndrome de sevrage ou hyperactifs, on va aussi s’en servir pour le réflexe de moro dans les premiers mois ou semaines. Mais dans la couverture magique il n’y a pas la notion d’interaction, l’enfant sera plutôt passif. On l’installe et on lui donne un moyen d’être moins éparpillé. Alors que dans la position magique, il y a la notion d’interaction. »

Deuxième question: « Pendant combien de temps peut on utiliser cette position magique? »
Bertrand Doret:« Un Bébé de 10-12 mois aura déjà plus de difficulté à garder la position. Elle est plus adaptée pour les nouveaux nés à mobilité limitée. En revanche on gardera la notion d’enroulement et la gestion des émotions. On peut le positionner en enroulement après une crise pour lui faire un calin, pour l’accompagner dans la gestion des émotions. On garde l’idée de communication et d’enroulement.

Incise de Sophie Marinopoulos : « Attention, il faut laisser l’expression de soi, immobiliser physiquement peut immobiliser psychiquement. »
Une intervention de la salle : «  A mon sens le lange empêche toute relation avec l’enfant, et il est bien dit que c’est pour faciliter le sommeil. Il n’y aura pas l’envie de repousser ou d’inviter l’autre. Il y a une tension dans cette couverture/lange. »
Bertrand Doret: « On en revient à a conception de l’interprétation. Comment utilise-t-on le lange/la position magique et comment lui donne-t-on sens? Si la position magique est un simple moyen de faire taire le bébé, elle perd son sens. »

Une objection dans la salle: « Avant de mettre l’enfant en maillot, on faisait un massage. Ca apaise l’enfant et on ne le fait que la nuit. Quand on a deux enfants dont l’un a tapé l’autre, il faut apaiser les deux mais il faut s’occuper plus de celui qui a fait l’action, qui a mordu l’autre, tapé… »
Laurent Doret: « Un enfant qui a un comportement non adapté, on fixe le cadre, on rappelle les règles (on ne mord ni ne tape) mais on l’accompagne dans ses émotions ».

Interactions et expérimentations: les fondements du langage

Dans l’après-midi, deux orthophonistes ouvrent le bal : Carole Vanhoutte et Elsa Job-Pigeard, co-fondatrices et formatrices du groupe de réflexion « joue, pense, parle ».

“Lorsque l’enfant est content, sa mère (comme n’importe quel adulte en présence) s’approche et lui parle sur un ton qui met en sens ce que l’enfant au niveau biologique a produit (“oooooh, tu as bieeen mangé, tu es conteeent”). L’enfant va poursuivre cette interaction en souriant, ce sourire est adressé à sa maman, au proche, et assez peu aux étrangers. Il y a mise en place à ce moment de la réciprocité de l’échange et instauration précoce des échanges et tours de rôles. Dès cette expérience, on dit même dès le ventre, l’adulte est un partenaire. C’est l’adulte qui propose un espace, installe l’enfant dans des régularités. L’enfant est installé dans un processus d’anticipation de ce qu’il va se passer.
Il se construit des choses dans des moments simples, à condition que l’adulte accorde de l’importance à ces moments de simplicité et les décrypte, ce qui met l’enfant sur le chemin du langage. C’est l’adulte qui permettra, également, la demande. L’adulte aura la certitude d’un signal, l’autre aura une réponse, une mise en sens. Ce processus de réciprocité est l’essence même de la communication.
NDLR: Dans une vidéo (très drôle), on voit un un bébé qui joue avec du papier, le papa arrive et déchire le papier, le bébé éclate de rire, le papa recommence, nouvelle cascade de rires.
« L’acte du papa qui déchire, sans savoir quelle sera la réponse du bébé, est une proposition, explique l’une des oratrices. L’enfant apporte une réponse, à laquelle l’adulte s’adapte. Le papa continue, continue à lui proposer, mais aussi le regarde, rit avec lui. Il voit à quel point c’est important pour son enfant d’être dans le plaisir. Il continue à le surprendre en allant de plus en plus vite. On voit à la fin de la vidéo que l’enfant commence à regarder le papier. C’est processus d’apprentissage : on fait on fait on fait, en rigolant, et on approche l’expérience personnellement. Il met tout à la bouche: oui, car le papier par exemple, est encore une matière à explorer. S’il n’y a pas cette exploration, il n’y a pas d’appropriation. »
Les deux intervenantes développent quelques grandes étapes :

1)La période des 9 mois.
Moment phare. L’enfant a déjà un certain vécu, il est installé dans la relation. Il se fait alors chercheur. Si l’on observe les enfants à cet âge-là, on observe des réitérations d’action. A la manière d’un scientifique il découvre empiriquement. Il découvre, par hasard, mais ce qu’il en fait ne relève plus du hasard: il commence à recherche un sens.
ndlr: Carole Vanhoutte prend une cuillère en bois. « A 9 mois, quel est le regard de cet enfant sur cet objet là? Il va jeter, taper sur le sol, mettre son doigt dans le trou de la cuillère, mettre en bouche. Si l’on reprend l’exemple de taper: il va taper avec la cuillère, puis un lego, puis une tasse… La même action sur différents objets. C’est cette variété qui lui permettra de construire sa pensée. L’action qu’il produit n’est pas collée à un objet, elle peut être partout. A partir de maintenant il regarde le monde différemment car il commence à organiser dans sa pensée ce que l’on peut faire avec ces objets-là: le bébé devient penseur. Il construit une représentation.”

2) Vers 9/12 mois
A peu près à la même période, il devient pointeur. C’est la recherche de Boris Cyrulnik, la naissance du sens: une équipe de scientifiques filme des bébés de 7/8mois jusqu’à un an et quelques. L’Enfant est sur une chaise, sur une table, il se rejette en arrière de n’avoir pas pu attraper l’objet, parfois il mord ses doigts: les scientifiques appellent cela l’hyperkinésie.
Citation de Boris Cyrulnik : “On refait la même expérience et là l’expérience se produit, il pointe du doigt l’objet, pour faire ce geste l’enfant doit accepter de produire un geste ne permettant pas d’attraper un objet immédiatement”. Cette étape est importante car elle nécessite la conceptualisation élaborée du fait que par un geste, il peut obtenir un objet éloigné dans l’espace grâce à l’intermédiaire d’un tiers. A partir de ce moment, effectuant son geste désignatif, l’enfant ne regarde plus l’objet mais l’adulte dans la pièce. A ce moment là c’est l’adulte qui met en mots. C’est une attention partagée: l’enfant a fait l’expérience qu’il peut partager avec l’adulte, qui lui a apporté une réponse. L’adulte, lui, va pouvoir savoir ce que l’enfant désigne et le mettre en mot. (-”Aaaah, duda.” -désignant la cuillère- “Mmh, tu veux dire la cuillère ! Tiens.”)

D’où la nocivité des écrans pour les tout-petits. On sait que la télé a quelque chose d’hypnotisant pour un bébé, même si l’écran est simplement dans la pièce. Or l’enfant installe sa pensée dans l’interaction. Le bébé parleur est dans un pointage proto-déclaratif. L’enfant désigne un objet, il anticipe une interaction, et s’accompagne toujours d’une verbalisation, sous forme d’un « proto-mot »: même si on ne reconnaît pas que c’est un mot, ça en a la valeur.
Vers la fin de sa première année l’enfant est donc dans un dynamique travail de chercheur. Il fait varier les hypothèses et prend sans cesse appui sur ses résultats. L’enfant devient un grand observateur de tout ce qui est fait et dit autour de lui. C’est le début des jeux d’immitation. L’enfant en étant reconnu et installé dans une relation de plaisir, construit une pensée capable de donner sens au monde qui l’entoure et qu’il commence à vocaliser.

3) Aux alentours de 18 mois
Une fois debout, c’est un nouveau grand progrès puisque les mains sont libérées. Il va construire des explorations plus loin, plus haut sur les étagères, il continue à explorer au moyen d’actions plus complexes…Il fait varier tous les possibles.
Or qu’est ce que réfléchir? C’est faire varier tous les possibles. Qu’est ce que les mots? Faire varier tous les possibles pour un langage porteur de sens.
Quand cette recherche sera mise en mot, elle aura la même complexité.
Les orthophonistes considèrent l’enfant globalement, et pas le langage de façon isolée. On a vu la découverte des objets par l’enfant à 9 mois. Ici, 9 mois plus tard: l’enfant fait rouler sa voiture partout où il le peut, et l’adulte va s’ajuster. Par exemple, on va lui proposer un garage, avec le petit toboggan, l’ascenseur… On avance vers les jeux d’imitation. La petite fille qui donne à manger à sa poupée pendant que la nounou nourrit sa soeur dans la cuisine, imitation différée.

4) Aux alentours de la fin de la 2ème année:
L’enfant a désormais un projet dans son jeu et des verbalisations. Même si ses mots ne sont pas nécessairement tous intelligibles, il n’y a pas intérêt à le faire répéter à ce stade, il vaut mieux que lui aille chercher les mots qui font sens dans son environnement. Dans ces âges, la reformulation de l’adulte fait sens et donne un modèle phonologique. Mais souvent c’est lui qui va chercher dans son environnement le mot qui raconte ce qu’il vit. Le langage ne parle plus forcément que de ce que j’ai sous les yeux. L’enfant a construit un processus de symbolisation qui est différent du jeu d’imitation.

Le jeu symbolique c’est détourner un objet de sa fonction première. La cuillère devient épée au détour d’un jeu. Il est très important de dire que cela ne s’apprend pas mais se construit; c’est parce qu’il aura compris tout ça que l’enfant, à la fin de sa 2e année, a fait tout un travail, tout un chemin: la cuillère qui ne servait qu’à taper est devenue symbole. Nous pensons que si l’enfant n’a pas fait ce travail, il n’est pas prêt à passer au langage, car le langage est un système de symboles. Avant l’entrée à l’école, le langage est devenu porteur de fiction, l’enfant est créateur de sa propre langue.

Le langage a une fonction d’étiquetage et d’objectivation, de construction des rapports de cause à effet. On ne parle pas nécessairement de phrases compliquées. Même si l’enfant zozotte, ne conjugue pas le verbe: qu’est-ce que l’enfant me raconte du monde?
NDLR Pour appuyer ces propos, un extrait du film « Le brouille » de Claude Boujon est diffusé.
Face à l’image qui lui est montrée, l’enfant va décrire
1) “Il y a un lapin gris, un lapin marron, un trou, un ciel bleu, ooh, il a de grandes oreilleeees”. C’est le langage à étiquetage
2) “Oooooh, content lapin, oh ‘tention il va tomber lapin, trou”: c’est le langage interprétation, création, construction.
Il n’est pas nécessaire qu’il soit parfaitement construit, mais sa fonction de compréhension, de symbole, est cruciale. Il perçoit qu’il y a un contexte.
Le langage étiquette n’est pas anormal. Mais il est primordial que l’enfant soit capable de passer à autre chose. 

Dans nos cabinets, nous n’avons jamais eu autant de demande: chez nous il y a 6 mois à 1 an d’attente pour un rendez vous ! Si ce travail de sens et d’appropriation du sens n’a pu être fait, l’enfant n’est pas prêt pour l’école.
Pour les plus grands, le problème se pose autrement: “je ne comprends pas, il apprend très bien mais il n’arrive pas à restituer à l’école quand on lui pose la question autrement”.
On n’a également jamais vu autant d’enfants de 3-4 ans ne parlant pas du tout. Dépassant la question du langage, nous sommes confrontées à des enfants qui ne regardent pas, qui n’interagissent pas. Des enfants qui arrivent précocement chez l’orthophoniste, le signal d’appel étant l’expression.
Il y a des redémarrages: rien n’est fichu à 4 ans. Mais les enfants pour lesquels on a été au départ formés, les troubles spécifiques, on n’en voit presque plus. Il y a un petit souci. Quand on fait des formations pour les professionnels de la petite enfance, ils nous interpellent. Ils voient aussi ces problèmes d’oralité et d’interaction. On est dans le soin, mais notre mission d’orthophoniste est maintenant de vous parler à vous.

Restez sur cette idée, puisqu’aujourd’hui ce sont des regards croisés, que le développement du langage n’est pas une compétence isolée de la pensée et la relation, c’est un tout. On observe chez les enfants qui ont un retard du langage, des retards dans les activités ludiques. »

Troisième temps d’échange avec la salle

Une participante s’interroge sur l’écholalie (cette période où l’enfant est dans la répétition des paroles de l’adulte), sur la durée normale de cette phase.   Réponse : « L’écholalie fait partie du développement classique. C’est important aussi car témoigne que l’enfant est capable d’imiter, qu’il nous a reconnu comme partenaire et modèle. Il faut l’entendre mais également l’enrichir. A ce moment l’enfant répète aussi car cela lui fait plaisir, cela décroit aussi. Il faut regarder l’enfant globalement, voir s’il y a des signaux d’appels. L’enfant qui va répéter répéter, il faudra regarder comment il se sépare, est ce qu’il existe par lui-même. Si cela dure, et qu’on voit des signes également au niveau des mimiques (seulement 30 % de la communication est verbale), effectivement à un certain moment il faudra s’en inquiéter. Il faut se demander si l’enfant a eu accès à la symbolique des mots. S’il ne fait que répéter on essaye de nourrir, faire des proportions variées.”

Autre question dans l’assistance :  « Le pré langage des signes: des parents nous parlent d’une méthode pouvant apprendre à décrypter les besoins des enfants. Apparemment cette méthode apparaît dans certaines crèches. »
Réponse de Carole Vanhoutte: «On se doutait que cette question viendrait, on nous la pose souvent. Notre troisième partenaire a écrit à ce propos sur notre blog. Il y a des outils pour comprendre les bébés, pour être persuadés de leurs compétences etc. En revanche, en faire une méthode c’est embêtant. Pour nous c’est dommage de penser qu’on n’est pas suffisamment équipé en soi. Nous avons toujours décrypté dans l’interaction et l’observation. Notre approche est plutôt celle de convaincre les parents que la nature nous a équipés, leur faire prendre confiance, plus que leur faire croire à une méthode immédiate, certaine, et magique. Il y a une pression forte de tous les côtés, mais ce qui est proposé à l’enfant est majoritairement pauvre, et saucissonne les choses. Laisser un enfant explorer (sans le laisser faire n’importe quoi), renforcer les professionnels et les parents et chercher plutôt comment rassurer les gens sur l’idée qu’on est équipés et compétents.

Une intervenante : « Il me semble que ce langage des signes chez les bébés est accompagné par la parole, et on encourage la parole avec ».
« Absolument. Je crois tout de même qu’il y a une autre question derrière ça: pourquoi la langue des signes? Elle est importée du milieu du handicap, où l’on est privé d’un sens. Je ne pense pas que ce soit quelque chose de nécessaire, il y a certainement beaucoup d’autres choses à renforcer actuellement. L’idée du plus vite, plus performant, pousse à une construction avec des failles, c’est en tout cas ce que nous observons à notre échelle aujourd’hui. »

Joelle Turin, qui sera la dernière intervenante de la journée, prend la parole : « Je voulais simplement dire que ces langages sont complémentaires. Chez l’éditeur les grandes personnes, l’illustratrice a inventé des mots n’existant pas dans le langage des signes, illustrés de situation. Je pense qu’il faut beaucoup de souplesse quand on travaille avec les enfants. Qu’on soit pour ou contre le langage des signes, en lisant ce livre on mesure la dimension poétique du langage, et la part du silence, primordiale aussi. On y trouve une parenthèse pour rêver, qui peut exister dans le langage des signes. »
Carole Vanhoutte répond : « Sauf que quand on fouille dans ce qui est vendu comme méthode, l’insistance sur la performance est gênante. »

Une question ensuite sur les écrans : « Le fait de mettre un enfant devant la télé avant 3 ans peut-il bloquer l’exploration que peut faire l’enfant du monde et avoir une influence sur le langage? »
Carole Vanhoutte: « Si c’est répété, parlons des écrans en général, s’ils sont la seule proposition, ma réponse est clairement oui. Les recommandations sont unanimes: pas d’écran avant 3 ans. Il faut vivre avec son temps, bien sûr, mais sans jamais perdre de vue l’enfant et ses besoins. Regarder un dvd de 10 min avec l’enfant, encadré, où c’est un prétexte à la communication et la construction, pourquoi pas. L’utilisation qu’on en fait change bien sûr. »

Sophie Marinopoulos transmet une information pratique: « Sur internet, vous pouvez télécharger le “3-6-9-12”, tableau de recommandations par tranches d’âge. Il n’est pas contre les écrans mais assez ferme sur le avant 3 ans où l’écran est un évitement de la relation.”
Les orthophonistes: « Nous ajoutons aussi les travaux de la psychologue Sabine Duflo, auteure d’une tribune dans Le Monde appelée « éloignons les enfants des tablettes ». Les tablettes promettent un travail sur le langage (mais il s’agit toujours du langage étiquette) et elles ont fait une entrée fracassante. La règle des 3 6 9 12 est très bien mais parfois compliquée à mettre en place dans les fratries. Sabine Duflo met en place la règle des “4 pas”, assez simple:
Pas de télé avant l’école, important pour l’éveil de l’enfant.
Pas 2 heures avant le coucher, car la relation temps d’écran / difficulté de sommeil est prouvée
Pas dans la chambre et pendant les repas
Pas pour les – 18 ans ou -12 ans quand c’est notifié”

Sophie Marinopoulos: « j’ajouterai que les frères et soeurs n’ont pas les mêmes droits: oui ton frère a 10 ans et regarde la télé, non toi tu n’as pas le droit ».

Les capacités des bébés à lire la voix

La dernière intervention sera celle de Joëlle Turin, responsable de formation au sein de l’association « Lecture Jeunesse ». L’intitulé exact de sa conférence : “Les capacités du bébé à lire la voix… La lecture avant les textes écrits”

« Les enfants interprètent, et comme lire n’est que donner du sens, on peut dire que la lecture commence très tôt. Dans le ventre l’enfant entend la voix de sa mère, voix qu’il va retrouver à la naissance et à laquelle il va s’attacher très tôt. On peut dire que l’enfant aime la voix de sa mère avant d’aimer sa mère.
Proverbe: “Pour qu’un enfant devienne beau, il faut l’habiller de belles paroles.”
Dès la naissance, lui donner le goût des belles paroles, et lui offrir cela. C’est une notion de générosité naturelle que les parents, sauf problème, ont à l’égard de leurs enfants. Donner sans nécessairement attendre en retour. Importance de la voix, des gestes… De la lecture. On dit aujourd’hui que mettre des livres partout fait partie de la lutte contre l’illettrisme, ce qui m’agace car par la lecture on ne cherche pas à ce que l’enfant collectionne des mots, mais on cherche à entrer en relation avec l’enfant par le biais de l’outil. C’est une relation de partage. On a beaucoup parlé de l’attention conjointe, qui est pour moi le fait de regarder dans la même direction: une image, un tableau. On y met des mots mais le silence est aussi important. Ce n’est pas parce qu’on sait que l’enfant ne regarde pas/ne voit pas les images qu’on ne doit pas les partager avec lui.

Ce que l’on dit à l’enfant, tout en étant persuadé que l’enfant comprend sans comprendre, c’est que c’est notre meilleur interlocuteur. Parler de lui, avec lui, au dessus de lui c’est entrer en relation avec lui et lui signifier qu’on sait qu’il va finir par nous comprendre. Nous savons que ce petit interlocuteur d’aujourd’hui sera demain encore plus capable de nous répondre et collaborer à la lecture du livre.
On sait que montrer du doigt n’est pas que pour désigner l’objet que l’on veut posséder. Le travail que je réalise avec les associations est de s’intéresser à la pensée de l’enfant. Il s’intéresse aux détails, certains que vous n’avez jamais vu, et les montre du doigt. Il a le regard en lanterne quand on l’a plutôt en faisceau.
La voix maternelle est donc ce qu’il y a de plus important pour l’enfant. Elle va marquer le premier signe de l’altérité. Dès que l’enfant babille on peut reconnaître à quelle région du monde le bébé appartient, il reprend la prosodie et les intonations de la langue maternelle, en montrant qu’il a commencé à discriminer. Plus il grandit plus il va chercher à reproduire la voix maternelle. Quand la maman s’en va, si l’enfant a commencé à construire sa sécurité, il va s’auto-accompagner de sa propre voix en imitant la prosodie maternelle.

La voix est en même temps absolument personnelle et marque l’altérité, j’ai inscrit dans ma voix ceux qui m’ont parlé avant. On s’inscrit ainsi dans une chaîne symbolique qui nous lie, quand je sais cela et suis en présence d’enfants, je suis bouleversée. Il me semble qu’on n’accorde pas assez d’importance à la voix, la symbolique qui berce et n’est pas seulement celle qui produit du sens.
Il y a des penseurs et en particulier des poètes qui ont pensé cela. La poésie et le patrimoine oral de la petite enfance montre que très tôt les hommes ont pris conscience de l’importance de la voix, qui apaise, soulage et transmet : transmet des liens, inscrit dans un milieu culturel. Le patrimoine oral de la petite enfance se retrouve dans toutes les cultures, tous les pays du monde. La poésie était chants avant d’être mots, et le rythme et la prosodie sont ce qui importe le plus dans la poésie. Cette poésie de l’enfance, ces rimailleries, a été méprisée par l’école et pourtant a demeuré. Certaines poésies de l’enfance nous viennent de très loin. Cela nous fait penser que c’est une nécessité, qu’on a besoin de textes qui vont porter ce qui vient de la voix maternelle: un rythme de balancement s’accordant au rythme du coeur.”

Joëlle Turin présente ensuite plusieurs livres, “Bonne nuit mon tout-petit”, « Bateau sur l’eau », collection Didier jeunesse, “Pomme de reinette et pomme d’api” d’ Antonin Louchard, “Jean Petit qui danse” de Charlotte Mollet, “La maison de couci-couça”, d’Elzbieta, “Avant-Avant”.

Dernier temps d’échange avec la salle

Pour répondre à une première question de la salle sur le choix des livres, Joëlle Turin explique : « Il faut être attentif à ce que veut l’enfant. Des livres sur lesquels il passera vite car ils lui parlent moins, ou il n’a pas trouvé ce qu’il cherchait. Il faut que ce soit l’enfant qui choisisse le livre dans une sélection que vous avez effectuée. »
Une intervenante, employée d’une bibliothèque dans l’Eure, « Mes collègues ont trouvé des spots publicitaires canadiens montrant l’importance de la relation parent-enfant autour du livre. »

Une question : « Les livres tactiles, avec zones à gratter etc, est-ce détourner le livre? »
Réponse de Joëlle Turin : « Le premier de ce type, c’était Pat the bunny. On est dans la transition livre-jouet, qui permet un entre-deux avant l’abstraction du livre. Peut-être une étape quand il est bien fait. Mimi petite souris où l’on soulevait des caches pour voir la couleur de la culotte de mimi, c’était bofbof… En revanche, Spot était extraordinaire car il y avait une cohérence entre l’histoire et le fait de soulever les cases pour trouver le petit chien. »

Une nouvelle question : « Le livre ne doit pas être écran entre l’adulte et l’enfant. Que pensez-vous alors du kamishibaï?”
« Pour moi, il a plus quelque chose de l’ordre du théâtre, répond Joëlle Turin. Il y a la profondeur des pièces découpées. Ce n’est pas pareil qu’un album. Le texte kamishibaï n’est pas construit dans l’ensemble du livre ».

« Etes vous pour les livres sans texte? »
« Ils posent plus de problèmes aux grandes personnes qu’aux enfants. Ils se lisent sans texte. Une image parle, raconte, on n’est pas obligé de tout verbaliser, il faut prendre en compte l’importance du silence aussi. On peut mettre un doigt, pas besoin d’expliquer, dire ce qu’il doit voir ou ce que l’on voit nous… Je trouve que tout ce qui contraint est à bannir, laissons l’enfant faire son chemin. »

Sophie Marinopoulos donne le signal de la fin: « Si vous deviez partir avec 2 mots? »
Réponse : « Souplesse, échange, créativité, disponibilité, plaisir, écoute, rencontre, lien, attention, contenir, regard, générosité, partage, diversité, variété, harmonie, affection ». Soit 17 mots. Mais quand on aime on ne compte pas.

Le prochain colloque organisé par Zoeki aura lieu à Lille, le 9 mai et sera consacré à « l’enfant créateur ».