Le temps d’une journée de formation sur le thème « Femmes enceintes et jeunes parents vulnérables : c’est l’affaire de tous », le réseau de Santé périnatal parisien (RSPP) a réuni des professionnels de la santé et du travail social. Avec pour principal objectif de fluidifier les échanges pour un accompagnement au plus près des besoins des familles autour de la naissance.

Des sages-femmes, des puéricultrices, des assistantes sociales, des coordinatrices, des médecins, enfermés, ensemble, toute une journée, afin de trouver les leviers sur lesquels s’appuyer pour mieux travailler ensemble, dans l’intérêt des familles, surtout les plus fragiles: c’est ce qu’a proposé le Réseau de Santé Périnatal Parisien (RSPP) le 8 novembre dernier, le temps de  cette journée organisée notamment par Daphné Fontaine, la responsable des ateliers “santé ville” du 14e arrondissement, et Emilie Bissette, en charge du 13e arrondissement.

En ouverture, Catherine Vincelet, médecin généraliste pour l’Observatoire Régional de Santé Ile de France, a dressé un panorama des données quantitatives disponibles pour la région parisienne. Ces chiffres proviennent de plusieurs sources d’information : INSEE, INSERM, Assurance Maladie, PMSI (Programme de médicalisation des systèmes d’information ), premier certificat de santé de l’enfant. Ce certificat, renseigné dans les huit premiers jours de l’enfant, devrait constituer un outil statistique précieux. Mais il est souvent incomplet, les données socio-économiques passent souvent à la trappe, et ce problème de remplissage limite l’exploitation qui peut en être faite. « Les maternités ont du mal à en percevoir l’intérêt » constate Catherine Vincelet. Nathalie Baunot, sage-femme coordinatrice du RSPP fait remarquer que ces collègues en maternité sont censées recueillir beaucoup de données et qu’elles manquent de temps. La prochaine dématérialisation des procédures devrait faciliter leur travail.

Données socio-économiques de la population en Ile de France

Catherine Vincelet énumère ensuite plusieurs indices permettant aux professionnels présents d’appréhender plus finement les caractéristiques socio-économiques de la population francilienne. Ces données sont à prendre en compte dans la mesure où elles ont un impact sur la périnatalité et le développement futur de l’enfant.
L’indice de développement humain est un indicateur intéressant qui englobe l’espérance de vie d’une population, son niveau d’étude et le revenu médian. A Paris, sans surprise, l’indice de développement humain est beaucoup plus élevé dans le 6ème arrondissement que dans le 20ème. Si l’on prend en compte la part des enfants dont les parents n’ont pas d’emploi et ne sont ni retraités ni étudiants, la Seine-Saint-Denis apparaît comme le département le plus défavorisé et les Yvelines comme le plus favorisé. Paris se situe au niveau intermédiaire.

Les indicateurs relatifs au suivi de grossesse

Viennent ensuite les données spécifiques à la périnatalité, à la santé et au profil des femmes enceintes (l’ORS vient de publier un document complet sur le sujet). 10,4% des femmes franciliennes ont bénéficié de moins de sept consultations prénatales. C’est dans le 93 qu’on trouve le plus de grossesses déclarées au delà du 1er trimestre (8,8%) et dans les Yvelines qu’on en compte le moins (1,7%). Dans le 93 encore que le taux de femmes n’ayant pas bénéficié de trois échographies est le plus élevé. Le taux d’IVG est lui aussi variable d’un département à l’autre. Le nombre d’IVG est beaucoup plus important dans le 93 qu’à Paris mais c’est aussi dans ce département que les naissances sont les plus nombreuses (le 93 a dépassé Paris en 2013 et compte l’indice de fécondité le plus élevé). Rapporté au nombre de naissances le taux d’avortement reste plus élevé à Paris.

Nette augmentation du diabète gestationnel en trois ans

Le focus sur les pathologies de la grossesse met en évidence la nette augmentation de diabète gestationnel en trois ans. Sur une si courte période, c’est surprenant voire inquiétant. En Ile de France ce taux est passé de 6% à 8% (de 7,6 à 10,3% en Seine-Saint-Denis, département encore une fois le plus touché). Pour Catherine Vincelet, ces chiffres doivent interroger les professionnels. La problématique est complexe. A noter : d’un côté, le taux de glycémie dans le sang défini pour diagnostiquer un diabète gestationnel a été abaissé en 2010 (de 0,95 g/l à 0,92 g/l) et ce changement de norme pourrait expliquer une augmentation mécanique de la prévalence. Mais dans le même temps il a été décidé de passer d’un dépistage systématique de toutes les femmes enceintes à un dépistage ciblé pour les seules femmes à risque, ce qui a normalement contribué à neutraliser les effets de l’abaissement du seuil. Il est donc difficile de dire sans investigations supplémentaires si cette augmentation est due à une modification des procédures de dépistage ou à une réelle augmentation pour des raisons notamment environnementales.

Les naissances franciliennes à la loupe

Le taux de césarienne est en moyenne de 24% en Ile de France mais de plus de 30% dans le 16ème arrondissement parisien. L’âge moyen des mères à la naissance d’un enfant est beaucoup plus élevé à Paris (près de 33% de mères de plus de 35 ans dans la capitale contre 25% en moyenne dans la région). Dans Paris intra-muros, les mères sont beaucoup plus âgées à la naissance de leur enfant dans les arrondissements les plus aisés. Sans surprise c’est dans le 93 que le pourcentage d’enfants nés d’une mère étrangère est le plus élevé (40% contre 14,6% pour la France métropolitaine et 29% à Paris). Et c’est également dans ce département que le taux de grand prématurés est également le plus marqué. Dans Paris, c’est dans le 7ème et 11ème arrondissement que le nombre de naissances prématurées est là son maximum, ce qui se révèle contre-intuitif, ces deux départements ne se distinguant pas par une population précaire (en tous cas pour le 7ème). L’intention d’allaiter est de 77% en Ile de France, avec des écarts d’un département à l’autre (69% en Seine-et-Marne et 83% en Seine Saint Denis.

Des chiffres essentiels pour définir des stratégies

Concernant la mortalité infantile (0-1 an), elle est assez étale dans la plupart des départements franciliens, avec deux départements qui se détachent pour leur surmortalité : le Val d’Oise et la Seine Saint Denis. A Paris cette surmortalité est la plus forte dans le 18ème arrondissement.
Ces données, très précises et pour la plupart en accès libre permettent aux acteurs de terrain d’ajuster leurs stratégies au plus près des besoins de leur population d’usagers. « Elles sont utiles pour argumenter vos dossiers, vous guider dans le choix des priorités et des actions à conduire » estime Catherine Vincelet. Elles montrent aussi de façon très nette les liens entre conditions socio-économiques et indicateurs en périnatalité.

Vulnérabilité, précarité, pauvreté : le poids et le choix des mots

Ces déterminants sociaux de santé seront également mis en exergue par la seconde intervenante, Clélia Gasquet, Enseignant chercheur à école des hautes études en santé publique, spécialisée en géographie sociale. Elle insiste sur les définitions et les subtiles, mais essentielles, différences entre les notions de précarité, de pauvreté et de vulnérabilité. Le choix des mots est important puisqu’il oriente le regard. L’intervenante souligne ainsi que la notion de vulnérabilité peut susciter des réserves. « Les populations vulnérables sont très stigmatisées. Cela peut être politiquement problématique.On aurait ainsi une population qui serait « à risques ». » Dans les faits, d’après la présentation précédente, c’est plutôt vrai, il existe bien une population plus « à risque » face aux inégalités de santé. En France la notion de « risques » est souvent suspecte (parce que perçue en effet comme synonyme de stigmatisation, de prédiction, d’étiquetage). En tous cas, Clélia Gasquet préfère parler de « vulnérabilisation » ou de « précarisation ».

La précarité induit l’absence de plusieurs niveaux de sécurité et les mécanismes sont cumulatifs, une vulnérabilité en entraînant une autre. Ces insécurités sont multiples (emploi, habitat, milieu familial, soin, école, accès à la culture). En situation de précarité, note Clélia Gasquet, l’altération des liens familiaux est fréquente. Or, « pour la femme enceinte et pour l’enfant à venir, la première cellule sociale doit être préservée ». Elle souligne ensuite les liens entre les déterminants de santé et les territoires. Elle évoque les inégalités liées à l’organisation de l’espace, la relégation de certains territoires défavorisés et la dérive progressive vers la ségrégation qui diminue le capital social des individus et l’intensité des réseaux sociaux.

Analyser les trajectoires des femmes enceintes pour identifier les facteurs de vulnérabilité

Autre dimension importante en santé périnatale : la première année de vie est à la fois considérée comme fondamentale et comme une période de grande vulnérabilité. La qualité des interactions précoces est corrélée au développement de la conscience parentale du bébé qui se dessine en période prénatale et la qualité de ces interactions est elle-même décisive pour le bon développement de l’enfant. La grossesse apparaît comme un temps déterminant pour l’avenir du bébé. D’où l’intérêt de s’interroger sur les trajectoires des femmes enceintes et sur les facteurs qui interagissent entre eux et produisent de la vulnérabilité. Une étude qualitative a été menée en ce sens pour identifier quelques déterminants parmi lesquels les comportements, pratiques de soin, conditions de migration, ressources, mobilités journalières. Sur 68 mères d’un bébé de moins de trois mois né prématuré ou de petit poids, interrogées à Paris et à Lille, deux tiers sont étrangères, 60% travaillaient pendant la grossesse, 1/8ème sont sans couverture sociale, 1/8ème sous AME, un quart sous CMU et la moitié dépendent de la CPAM.

La prise en charge de la grossesse a été très médicalisée et dans la majorité des cas, ce parcours s’est inscrit dans les représentations qu’elles pouvaient avoir de l’hôpital et du suivi de grossesse. Ce qui a prévalu au choix de la maternité est assez « classique » :  le vécu de la grossesse précédente, un label incitatif (type « maternité amie des bébés »), le lieu d’exercice du gynécologue en libéral, ou la réputation de la maternité. Lorsque le parcours n’a pas été choisi, c’est en raison d’une réorganisation des services de santé, de l’identification d’une grossesse comme pathologique, d’un manque de place dans la maternité voulue, d’une inscription tardive (notamment chez les femmes sans papiers ayant peur d’une expulsion ). Les processus de « vulnérabilisation » qui peuvent freiner l’accès aux soins sont multiples : le rang de la grossesse  (la santé de la mère passe après les enfants), un projet d’enfant pas prévu, une addiction, un conflit avec le conjoint, la qualité du logement, la migration récente, la pénibilité du travail, la fréquence et la durée des déplacements journaliers.
Tous ces facteurs génèrent du stress. Or, précise Clélia Gasquet, « le stress est vaso constricteur et peut contribuer à la prématurité ». La chercheuse développe ensuite les différences de spatialité (en terme de déplacements) selon les vulnérabilités des femmes. Plus les conditions de vie sont précaires, plus ces spatialités sont éclatées.

Daphné Fontaine, membre du RSPP, fait remarquer : « Quand on préparait les Etats Généraux de la PMI, on voyait le temps de déplacement des femmes logées à l’hôtel et l’importance d’avoir un point d’ancrage (une maternité, un centre social, une sage-femme) pour mettre un peu de stabilité dans ce parcours. » «Il y a aussi un problème quand on les fait changer d’hébergement après l’accouchement sous prétexte d’une chambre plus grande, ajoute Clelia Gasquet. On les coupe du réseau qu’elles ont tissé. Est-il compliqué de garder des liens avec les services avec lesquels elles étaient en contact ? »
Une réponse fuse : « Il existe déjà une grande difficulté à travailler au niveau très local alors entre départements… »
Autre remarque : « les puéricultrices de Paris n’ont pas le droit de franchir le périphérique ».
Frédérique Perrotte, sage-femme coordinatrice du RSPP intervient : « Il ne faut pas hésiter à appeler les coordinatrices des autres départements. »

L’assistante sociale au sein de la maternité

Ce sont ensuite une assistante sociale à la maternité de Tenon (est parisien), Cécile Gessat, et un assistante sociale polyvalente de secteur, Angélique Emelie qui interviennent pour expliquer la façon dont chacune accueille et accompagne les femmes.
« Nous voyons une population avec de fortes difficultés en terme d’hébergement, de climat social, de contexte familial, commence Cécile Gessat. Moi, à l’intérieur de l’hôpital, je rencontre les femmes sur un temps court, limité. En suite de couches, on passe le relais. Comment interagir pour garantir à ces femmes la prise en charge la plus adaptée à leur situation ? » Elle précise que bien évidemment les maternités n’inscrivent pas toutes les patientes de façon inconditionnelle, ce sont toujours les mêmes services qui reçoivent les situations les plus complexes (ndlr : on pourrait faire un parallèle avec la ghettoïsation scolaire).

Elle explique ensuite comment les femmes arrivent jusqu’à elle. « Au sein de la consultation en gynécologie elles ont évoqué un problème (financier, familial, de couverture sociale, d’hébergement). Elles peuvent aussi venir spontanément car elles connaissent une amie qui… Parfois elles ne veulent pas nous contacter alors qu’on a repéré des éléments inquiétants sur le déroulement de la grossesse ou l’avenir de l’enfant. Ce sont les plus difficiles à approcher. » Le premier rôle de Cécile Gessat c’est l’accès aux soins. Mais sa mission va bien au-delà. « On s’immisce dans la vie de ces femmes qui parfois viennent avec, en première intention, le souhait d’ouvrir des droits. Derrière on perçoit une situation familiale sociale complexe. On essaie de détecter les leviers qu’on peut actionner et quel partenaire on peut solliciter. C’est un gros travail de repérage. La plupart n’ont jamais vu de travailleur social. L’hôpital est l’endroit où pour la première fois on va considérer l’intégralité de leurs conditions de vie
Mais cette position est difficile à exercer en milieu hospitalier. « On est entre deux feux: D’un côté il y a la nécessité de faire sortir les patientes (et vite, les délais sont courts) mais pour ces femmes, il est compliqué d’envisager une sortie précoce. A partir du moment où on nous met dans la boucle, l’hôpital doit nous laisser le temps d’évaluer. Nous n’avons pas les mêmes temporalités que les médecins.» Cécile Gessat évoque enfin une « mission très importante » : la protection de l’enfant. « Dans quelles conditions va-t-il naître ? Comment est investie cette grossesse ? »
La solution est souvent pour elle de réorienter la patiente vers un psychologue, une association, des services sociaux extérieurs, des unités mère-enfant.
« Nos interventions s’inscrivent dans une démarche globale ouverte sur l’environnement. On transmet à l’extérieur, on se met en lien, pour que ce passage à la maternité n’ait pas été inutile ».

Tisser du lien avec les services sociaux du secteur, au sein de la maternité

A l’extérieur, justement, il y a Angélique Emelie, assistante sociale polyvalente de secteur. Ces services doivent offrir un accueil inconditionnel aux personnes en difficulté logées ou hébergées sur le territoire, notamment aux populations vulnérables -les assistantes sociales n’ont pas les mêmes précautions de langage que les chercheurs, l’épreuve du terrain peut-être-, dont les femmes enceintes. Lorsque la femme qui leur est adressée en sortie de maternité est déjà connue de leurs services, le suivi est forcément plus simple. S’ensuit un échange avec les participants sur l’immense difficulté à joindre les assistantes sociales de secteur, très souvent en rendez-vous à l’extérieur. Cécile Gessat développe la façon dont la maternité crée du lien avec les services sociaux externes.

Un « staff parentalité » a lieu une fois par mois et réunit des membres de la maternité, pédiatre, obstétricien, service social, psy, sage-femme, le responsable du service social du 19ème et du 20ème et le médecin responsable de la PMI. Chacun apporte son regard sur les situations. Le « staff maternité » (ou tri PMI) est hebdomadaire et regroupe les assistantes sociales et les puéricultrices de secteur, pour discuter des sorties de la semaine.
« Nous avons un problème, pointe Cécile Gessat. Les certificats de maternité sont très mal remplis (le pédiatre ne pense pas que ça va avoir un impact). Or les puéricultrices ont très peu d’éléments sur lesquels se baser pour décider d’une visite à domicile. Nous, nous sommes là pour mettre l’accent sur les situations que nous connaissons
La question du réseau et de la mise en lien revient. Faut-il envoyer des fiches de liaison au-delà de Paris ? Comment interagir avec l’extérieur ? Tenon accueille en son sein des sages-femmes de PMI qui viennent faire des consultations. « On fait un Staff avec elles deux fois par mois, précise Cécile Gessat. Ca permet les regards croisés sur la patiente. » Le lien avec la PMI est donc acté. Le lien avec le service social se fait via le « staff maternité ». Pour les femmes en très grande précarité, très isolées, le réseau SOLIPAM prend le relais avec le 115.

Un maillage qui part aussi des assistantes sociales de secteur

De son côté, à l’extérieur de l’hôpital, au sein du service de secteur, Angélique Emelie n’hésite pas à se mettre en lien avec la PMI face à une situation complexe impliquant une femme enceinte ou un très jeune enfant. En cas de difficulté liée spécifiquement à la protection de l’enfance, un comité « prévention Parents, enfant et Famille » se met en place. Il regroupe l’ASE, une association de protection enfance, des cadres du service social, et la maternité. Il donne des recommandations écrites décidées de façon collégiale. « C’est utile quand il faut trancher et qu’on n’est pas tous d’accord. »
Une instance de consultation et d’orientation a également lieu une fois par mois, en lien très étroit avec la PMI et la maternité. « Pour parler des difficultés qu’on peut rencontrer et savoir si les autres intervenants connaissent la situation ».
Mais que se passe-t-il pour les femmes suivies en ville par une sage-femme ou un médecin généraliste ? A Bichat, assure Nathalie Baunot, 60% des femmes sont suivies en ville. « Les médecins doivent orienter les femmes vers le service social de secteur », répond Angélique Emelie. Seulement voilà, les médecins ont besoin d’une réponse urgente, lorsque la patiente est face à eux. Et pour joindre les assistantes sociales, c’est…compliqué. Reste l’option du renvoi vers la PMI ? Mais c’est ajouter un intermédiaire et donc de la complexité.

La planification familiale au coeur de l’hôpital

Ce sont ensuite deux sages-femmes spécialisées dans l’orthogénie et la planification familiale, ainsi qu’une conseillère conjugale et familiale de Port Royal, à Paris, qui viennent présenter leur travail et leurs missions. Elles rappellent les règles en vigueur au sein d’un centre de planning familial, notamment la gratuité et la confidentialité (à ne pas confondre avec l’anonymat) garanties pour les mineures. Le souci se pose pour les jeunes majeures : elles sont censées payer leur consultation mais sont souvent sous la sécurité sociale de leurs parents et la consultation peut donc apparaître sur le relevé. Les non assurées sociales ont elles aussi accès à la contraception gratuite. Mais, note l’une des intervenantes, « la loi est floue sur ce qu’est une non assurée sociale ». La mairie de Paris procure le matériel nécessaire qui est donc disponible sur place : stérilets, implants, patch, pilule, test de grossesse. Les pharmacies doivent en outre délivrer gratuitement la contraception aux mineures (prise en charge par le département).

L’accès à la contraception, le nerf de la guerre

Nombre des femmes qui viennent au planning familial de Port Royal sont adressées par la PMI. De nombreuses jeunes filles sollicitent aussi le service après une information délivrée au sein de leur établissement scolaire. Le centre reçoit aussi des femmes avec une carte de sécurité sociale mais qui viennent d’arriver à Paris, n’ont pas encore de gynécologue, ne savent pas que la sage-femme et le médecin généraliste peuvent assurer un suivi gynécologique, et certains médecins de ville ne posent pas de stérilets. Les intervenantes pointent également que les centres d’orthogénie sont censés assurer un suivi au niveau de la contraception mais que la plupart d’entre eux restent axés sur l’IVG. A Port Royal, la pose du stérilet est souvent effectué dans la foulée d’une interruption de grossesse chirurgicale.
Le centre de planification, lui, délivre la contraception, fait de la prévention et du dépistage mais n’est pas supposé assuré un suivi gynécologique au long cours. Les infections gynécologiques hors période de grossesse ne peuvent par exemple pas être prises en charge dans ce cadre. Les jeunes filles qui se présentent pour une contraception ne sont pas examinées sauf s i elles le demandant. La sage-femme procède à un entretien fouillé, prend la tension, pèse éventuellement.

Le conseiller conjugal…ne conseille pas

Lors de cette session, Marie-Ange Pierre rappelle en quoi consiste le travail d’une conseillère conjugale et familiale, qui, contrairement à son intitulé, ne délivre pas de conseils. « Nous sommes dans une démarche démarche de prévention, de soutien, de guidance. Nous traitons les relations affectives, sentimentales, la sexualité, la grossesse, les rapports homme-femme. Le conseiller écoute, informe, aide les personnes à prendre leurs propres décision, il délivre une assistance, propose une orientation. Il s’agit de « tenir conseil avec » : réfléchir ensemble, faire réfléchir, aider les personnes ambivalentes à prendre une décision.»
Un temps d’échanges s’installe au cours duquel sont notamment évoquées les maltraitances encore subies par les femmes dans le cadre de l’IVG avec des échographies de datation au cours desquelles l’échographiste fait écouter le cœur du bébé. L’une des sages-femmes précise que l’IVG médicamenteuse est pratiquée jusqu’à huit ou neuf semaines d’aménorrhée au sein de l’hôpital. Au-delà, il faut procéder par aspiration. Méthode qui ne présente plus aucun risque pour la fertilité ultérieure. Une participante demande si l’implant fait grossir. A l’échelle de la population il semble que non. En revanche, la charge hormonale peut augmenter l’appétit. Les femmes qui allaitent ont également plus faim. Quant aux adolescentes, si elles continuent de manger comme lorsqu’elles étaient en phase de croissance alors qu’elles ont cessé de grandir, elles grossissent, mécaniquement. Mais l’implant n’est pas en cause. En revanche, les petites pertes de sang, les « spotting », sont fréquentes. « Il ne faut pas hésiter à leur dire qu’on peut tester une méthode et en changer si elle ne convient pas » explique une des intervenantes.
Frédérique Perrotte en profite pour aborder un thème qui lui est cher et sollicite l’équipe de Port-Royal : « Vous intervenez auprès des scolaires, mais pourriez-vous proposer des sessions d’information auprès des personnes porteuses de handicap ? Il y a vraiment un gouffre pour la sexualité, le dépistage et le suivi gynécologique dans cette population ».

Les TISF, si précieuses et si rares

La dernière intervention porte sur les Techniciennes d’intervention sociale et familiale (TISF), métier qui n’a eu de cesse de se professionnaliser ces quinze dernières années. Barbara Ndadoma présente les caractéristiques de cette activité finalement assez méconnue. La TISF doit « apporter un soutien éducatif, matériel, social et moral, soutenir les parents dans leur fonction parentale, participer aux missions de la protection enfance ». Le travail s’effectue uniquement au domicile, auprès de familles fragilisées de façon ponctuelle ou plus chronique. La TISF ne doit pas être confondue avec l’auxiliaire de vie sociale qui apporte essentiellement une aide ménagère et aux tâches du quotidien.
Quatre associations parisiennes proposent aujourd’hui les services de TISF, dont celle où exerce Barbara, l’Aide aux Mères de Famille (AMF). Elles peuvent être saisies par les familles elles-mêmes ou par différents services sociaux. Une coordinatrice évalue la demande et si elle est acceptée, trois types de financements sont possibles : par la CAF (grossesse, famille nombreuse, soins de courte ou longue dure, rupture familiale, décès d’un enfant), par la PMI (grossesse ou naissance), par l’Aide Sociale à l’Enfance (prévention, soutien éducatif en lien avec une mesure judiciaire et administrative). Dans le premier cas la famille participe financièrement, selon son coefficient familial (pour un montant maximal de 11,88 euros). Lorsqu’une l’intervention est sollicitée par la PMI, elle est totalement gratuite. Certains organismes financent ces services de façon complémentaire : mutuelles, régime particulier, comité d’entreprise, associations caritatives.
Barbara Ndadoma fait remarquer que les interventions effectuées au titre de l’ASE sont en chute libre pour des raisons de financement. Résultat : la charge de travail est reportée sur les éducateurs.

Les TISF interviennent sur des plages horaires de quatre heures. Il s’agit d’un accompagnement de proximité. Une demande fréquente de la part des parents (essentiellement des mères) : que la TISF garde le petit dernier pour que la maman puisse accompagner l’aîné au CMP ou que l’intervenante s’occupe du bébé pour permettre à la maman d’amener les plus grands à l’école. Ces aides sont précieuses pour les femmes en situation irrégulière qui doivent souvent se déplacer pour des démarches administratives.
Barbara Ndadoma précise qu’il existe actuellement de gros problèmes de recrutement. « Le métier intéresse peu ». Il nécessite deux années de formation, qui ne sont pas de trop. « Travailler au domicile est difficile. On peut voir des choses dures. La TISF intervient pour un enfant et bien souvent c’est l’ensemble de la cellule familiale qu’il faut accompagner. Il faut aussi être capable d’évaluer les carences éducatives, notamment dans le cadre d’une AEMO. » Un travailleur social est régulièrement mis dans la boucle.

Au terme de cette journée assez dense, les professionnels présents ont appris à à découvrir d’autres métiers, d’autres approches, d’autres pratiques, qui tous tendent vers un même objectif : être au plus près des besoins des familles, notamment des femmes et des jeunes enfants. La nécessité de travailler en lien, dans une réelle complémentarité, est apparue comme un fort besoin autant qu’une réelle volonté.