Le Haut Conseil de la Famille, de l’Enfance et de l’Age a rendu publics en avril dernier ses travaux sur l’accueil du jeune enfant. Il propose des « repères qui visent plus à ouvrir qu’à normer, plus à soutenir une ambition qu’à prescrire et figer ».

Depuis plus de trois ans une réflexion est menée en profondeur par le HCFEA sous la houlette de sa vice présidente, Sylviane Giampino, afin d’améliorer la qualité de l’accueil des jeunes enfants et d’harmoniser les pratiques des professionnels sur le territoire. Une nouvelle pierre a été apportée à cet édifice fin avril avec la remise d’un rapport de près de 260 pages intitulé « PILOTAGE DE LA QUALITE AFFECTIVE, EDUCATIVE ET SOCIALE DE L’ACCUEIL DU JEUNE ENFANT ». Le document propose « des repères de qualité et des axes pour piloter la montée en qualité des modes d’accueil individuels et collectifs » et il a vocation « à servir de matrice à la campagne de formation continue des professionnels de la petite enfance prévue par la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté ». Le Conseil de l’enfance du HCFEA propose une déclinaison des 10 articles du texte cadre national (publié en novembre 2017) en 24 repères opérationnels, lesquels sont regroupés autour de trois dimensions :
– l’accueil de l’enfant à partir de sa spécificité et de son contexte familial et social
– le contenu des interactions avec les enfants favorable à leur sécurisation affective et relationnelle, à leur développement sensori-moteur, langagier et logique, leur socialité et leur sensibilité culturelle et environnementale ;
– accueillir les enfants par des organisations bientraitantes et ouvertes sur l’extérieur.

Aller vers les familles défavorisées

Ce rapport pose notamment la nécessité « d’aller davantage vers les familles qui n’envisagent pas de proposer à leurs enfants une expérience à temps partiel de socialisation et de découverte dans un mode d’accueil ». « A côté d’un objectif de développement d’accueils pour répondre aux besoins des parents actifs, il paraît alors pertinent de chercher à développer des solutions d’accueils formels plus ponctuels mais réguliers pour faire profiter les enfants de moments d’éveil et de socialisation plus diversifiés lorsqu’ils sont avec leurs parents ». Il est ainsi préconisé de « favoriser la mise en place d’un ou deux ateliers hebdomadaires (par exemple d’une durée 2 heures) dans les EAJE, positionnés comme des ateliers d’éveil et de socialisation ouverts aux jeunes enfants vivant à proximité ou dans des conditions permettant qu’ils viennent accompagnés d’un parent, et en prévoyant la gratuité pour les familles sans ou à bas revenus. »

Le HCFEA va plus loin que le vademecum de l’AMF puisqu’il affirme que « la transparence des attributions de places doit être systématisée ». Et il s’interroge, comme de nombreux acteurs de la petite enfance sur les modalités du « bonus mixité sociale » prévu par le plan Pauvreté, avec des aides accordées aux crèches qui accueillent des enfants défavorisés : « On peut craindre toutefois que ce dispositif ne génère un regroupement des familles pauvres dans certains établissements, ce qui irait à l’encontre de la mixité recherchée. »

Renforcer les connaissances théoriques des professionnels

Le HCFEA semble par ailleurs désireux d’asseoir cette recherche de qualité sur l’actualisation des connaissances des professionnels, tout en restant assez flou sur les références scientifiques et théoriques à privilégier. Le repère 21 préconise ainsi de « renouveler au fil du temps l’intelligence professionnelle collective en facilitant l’accès des professionnels aux connaissances actualisées dans les disciplines clés pour le développement de l’enfant, en organisant des réflexions collectives, et des bilans sur l’évolution de la qualité d’accueil, et en renforçant les liens entre la recherche et les acteurs de terrain.» Le repère 4, lui, pousse à « connaître et observer le développement de chacun des enfants en explicitant dans le projet d’accueil les références théoriques ou les modèles éducatifs, ainsi que les outils, pratiques et méthodes dont il s’inspire.» Le rapport évoque un « débat ouvert sur les techniques standardisées de pédagogie en petite enfance » et semble vouloir ménager les uns et les autres : « Finalement, il ressort que quels que soient les modes d’accueil et d’éducation, certains repères sont nécessaires afin d’assurer les conditions d’un bien-être de l’enfant. »

Prime éducation et approche holistique du développement

On retrouve logiquement dans ce document des notions déjà portées dans le premier document sur le sujet signé par Sylviane Giampino en 2016, dont celle de « prime éducation » et de vision « holistique » du développement. « Les approches « holistiques » de la prime éducation qui font consensus proposent des contenus éducatifs qui ne séparent pas artificiellement les sphères du développement par des segmentations pédagogiques : chez le jeune enfant tout est corps, jeu, langage. Ceci nécessite de développer des connaissances et aptitudes spécifiques chez les professionnels leur permettant de créer et d’adapter à chaque enfant, au groupe, et au moment donné, des propositions, portant sur les dimensions interdépendantes du développement. »

Un nouvel accent sur le développement cognitif

Cette nouvelle édition accorde davantage de place au développement cognitif de l’enfant, tout en continuant de mettre en garde contre la tentation d’une vision purement éducative des modes d’accueil. Il ne s’agit pas de préparer de futurs élèves mais de favoriser le bien-être d’enfants encore très jeunes (pour autant le titre du rapport comporte bien le terme « éducatif »). « Que vise-t-on prioritairement pour les jeunes enfants : développer les compétences cognitives et langagières dans une logique éducative de préparation à l’entrée à l’école maternelle, ou bien offrir à tous les enfants une prime éducation respectueuse visant une harmonisation du développement global, entre les plans cognitifs, affectifs, langagiers, de socialisation, de développement moteur et la mise en place dans les lieux d’accueil d’une prévention prévenante ? » La forme est interrogative mais laisse peu de doute quant à la préférence du HCFEA.

Néanmoins, la dimension cognitive du développement est bien présente :
« Dans les formations des professionnels de la petite enfance les connaissances utiles à comprendre comment l’enfant développe son intelligence « sa cognitivité » sont indispensables, autant que les moyens simples par lesquels ils peuvent offrir aux enfants un cadre d’accueil, et des attitudes d’intelligences professionnelles, à même d’enrichir les occasions pour l’enfant d’exercer son intelligence, de comprendre et d’apprendre. Cette formation doit prendre en compte les données récentes sur la pluralité des intelligences et du fonctionnement cognitif.» Le rapport du HCFEA ne va pas aussi loin que celui publié récemment par la Early Intervention Foundation sur le sujet mais il propose en tous cas un éclairage intéressant sur le développement cognitif précoce.

Développement précoce du langage et lutte contre les inégalités: le HCFEA marche sur des oeufs

La partie consacrée au langage laisse la sensation qu’il a fallu ménager la chèvre et le chou entre les différentes conceptions du développement langagier et de son accompagnement. Le rapport semble d’abord se démarquer nettement du document de 2016 : « A juste titre, la stratégie de lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes considère que l’amélioration de la qualité éducative de l’accueil de la petite enfance constitue une condition indispensable à la prévention des effets de la pauvreté sur le devenir scolaire et donc social des enfants. A l’appui, ce constat, vérifié par plusieurs études internationales, que les écarts de niveau de langage parlé varient entre les milieux sociaux, apparaissent très tôt et peinent à se réduire ensuite.» Mais c’est pour ergoter ensuite sur les constats de ces études et contester le bien-fondé d’une stimulation langagière des enfants des familles défavorisées selon une approche anglo-saxonne. Le rapport explique ainsi que « ce n’est pas la quantité de mots entendus mais la qualité des relations dans lesquelles le bébé est plongé qui permet que le vocabulaire explose dans la deuxième année » (c’est peut-être juste mais les données actuelles ne permettent pas vraiment de prouver cette assertion).

Le HCFEA met en avant « une autre approche qui se veut moins normative, et propose le modèle de la participation culturelle en prenant appui sur les découvertes relatives à la participation active des enfants dès la naissance à l’échange langagier multimodal, et à la dynamique interactionnelle à encourager dans les échanges, ainsi qu’à la place du plaisir et de la créativité qui donnent à l’enfant l’envie de parler ». Cette formulation -un peu absconse- rappelle l’approche privilégiée par exemple par les auteurs du livre récent contre le dispositif Parler Bambin.

Similitude de point de vue qu’on retrouve dans cet autre passage : “ Il apparaît donc que les lieux d’accueil de la petite enfance pourraient adopter un regard non pas déficitaire sur les situations de vulnérabilités mais un regard qui valorise les compétences particulières, les manières d’être, d’agir particulière non pour les normaliser mais pour s’en enrichir. Il s’agit de changer le regard sur la vulnérabilité qu’elle soit individuelle ou groupale en la considérant comme pouvant être source de création, d’idée. Il s’agit alors moins de « compenser » un déficit, de normaliser mais d’apprendre de ces différences. Les enfants bénéficieront tous de ce changement de regard.” Les bienfaits pour les enfants, notamment les plus fragiles,  de ce « changement de regard » – qui doit donc consister à valoriser la vulnérabilité, à voir de « l’autre » dans la pauvreté et non du « moins », comme l’a formulé le sociologue Pierre Moisset- ne sont pour le moment pas prouvés, pour autant qu’ils soient évaluables. Alors qu’on commence à avoir quelques données sur les effets des approches plus « compensatoires » (il est vrai moins poétiques) sur la réduction des inégalités.

In fine, les auteurs ne prennent pas partie : « Nous ne préconisons pas de méthode toute faite qui s’imposerait aux professionnelles, tant le développement de la langue dans la prime éducation ressort d’autres registres que celui de l’apprentissage de type scolaire (on ne parle pas sa langue maternelle comme on apprend une langue étrangère). En revanche dans la base documentaire et l’étayage des connaissances des professionnelles de la petite enfance différentes méthodes qui ont fait l’objet d’évaluations positives pourraient être présentées avec leurs avantages et leurs inconvénients (en particulier : en précisant les conditions et les cas de figure où cette méthode s’avère utile pour certains enfants). Charge ensuite aux professionnelles de s’en inspirer ou non. »
A noter : le rapport évoque les premières compétences mathématiques et le repère 12 propose d’ « aider l’enfant à se repérer spatialement, à observer et organiser mathématiquement et logiquement le monde (classer, sérier, comparer, varier les angles de vue…)» .

Le risque de la sur stimulation

La crainte d’une potentielle « sur stimulation » est toujours bien présente, dès les premières pages du document : « l’enjeu au cours des premières années de la vie est d’abord de ne pas abîmer ou saturer ces aptitudes par des forçages inappropriés ». Inquiétude qui fait écho à celle posée dans le dernier rapport annuel de la Défenseure des Enfants Geneviève Avenard qui écrivait dans son édito : « Ainsi, alors que dès leur naissance, le bébé et le tout jeune enfant sont « investis » affectivement par leurs parents pour lesquels ils représentent souvent un signe de réussite personnelle, les pressions sociales qui leur sont faites, le sur-investissement en termes d’apprentissage et de stimulation cognitive, sont en contradiction avec le respect des rythmes individuels de développement. Avec un effet de stigmatisation voire de « pathologisation » de certains enfants.»

Si on a en tête les effets considérables et durables des négligences, carences, ou abus subis par les tout petits (les moins de six ans sont les plus à risque) ou les alertes venues des professionnels de terrain concernant l’altération du développement de très jeunes enfants laissés des heures durant devant un écran, ou encore les saisissantes différences de destinée scolaire et sociale des individus selon leur origine socio-économique, on se demande si la sur stimulation constitue vraiment le risque majeur pour les très jeunes enfants d’aujourd’hui.

Le HCFEA revient sur nombre de sujets plus ou moins récurrents dans l’actualité de la petite enfance et plaide par exemple pour la continuité éducative des 0-6 ans. La proposition 10 préconise de « développer et mutualiser certaines formations et temps de regroupements relatifs aux conditions d’une continuité éducative durant la petite enfance entre ATSEM, assistants maternels, professionnels des EAJE, enseignants de l’école maternelle, encadrants de RAM et d’EAJE ».
On trouve aussi dans cette publication des réflexions sur la place de l’art et de la culture dans la petite enfance, la lutte contre les stéréotypes sexistes, la laïcité, la mixité professionnelle. Une vision très holistique donc, des jeunes enfants et du système censé les accueillir.