Le rapport américain “Parenting matters” dissèque 50 années de recherche et identifie les dispositifs les plus efficaces pour soutenir les parents en difficulté. Cette approche serait impossible en France dans la mesure où les services proposés dans le cadre de l’accompagnement à la parentalité ne sont jamais évalués.

 

parenting-matters-rapportEn juillet dernier les académies américaines des sciences, de l’ingenierie et de la médecine ont co-signé un rapport de près de 500 pages intitulé « Parenting matters » (la parentalité compte ) pour « identifier les connaissances, attitudes et pratiques parentales associées à un développement positif de l’enfant entre 0 et 8 ans, ainsi que les dispositifs de prévention universels et ciblés qui soutiennent efficacement ces connaissances, attitudes et pratiques. »
Dans un autre article, nous avons synthétisé la première partie de ce rapport, sur les liens entre pratique parentales et développement de l’enfant. Nous vous proposons ici un condensé de la seconde partie sur les dispositifs de soutien à la parentalité mis en œuvre aux Etats-Unis.

Les programmes de soutien « basés sur des preuves », l’antithèse de l’approche française

L’approche américaine est radicalement différente de la philosophie française. Comme il est actuellement beaucoup question dans les réunions internationales de services évalués et « basés sur les preuves », il est intéressant voire important de savoir en quoi consistent exactement ces programmes très protocolisés et en quoi ils sont tellement éloignés de la conception française.

Le Haut Conseil à la Famille le rappelait en octobre dernier dans son propre rapport sur le sujet : « Par rapport aux autres pays, la politique de soutien à la parentalité menée en France fait exception car elle se caractérise par une organisation du secteur autour de chartes et de valeurs partagées et non autour de programmes validés scientifiquement (« evidence-based programs ») . Les Réseaux d’écoute, d’appui et d’accompagnement des parents (REAAP) sont emblématiques puisque la charte ne donne qu’un cadre assez général sur les objectifs et les valeurs qui doivent guider l’action des structures, laissant une grande liberté de mise en œuvre.» Nous avons pu constater en novembre, lors du congrès de l’Association pour la recherche et l’Information en périnatalité (ARIP), à quel point les Lieux d’Accueil Enfants Parents (LAEP), l’une des pierres angulaires du système français d’accompagnement à la parentalité, était encore imprégné du courant psychanalytique. A quel point aussi, dans ces lieux, il s’agissait avant tout de proposer une écoute et surtout pas des conseils, à quel point le mot d’ordre était pour les professionnels présents, de rester en retrait, de ne pas intervenir. Est-ce la bonne approche, est-ce que ça marche ? Dans la mesure où il semble aujourd’hui impossible d’envisager une évaluation de ces dispositifs, personne ne peut le dire.
Les trois académies américaines, elles, ont passé au crible toute la littérature disponible sur les programmes mis en place aux Etats-Unis depuis 50 ans pour identifier ceux qui produisent des effets, sur les parents comme sur les enfants, et envisager de les diffuser à plus grande échelle.

Le soutien à la parentalité universel, en prévention primaire

Le rapport américain revient d’abord sur les interventions universelles préventives. Celles qui sont proposées en soins primaires, notamment dans les centres de santé, qui pourraient correspondre à nos PMI. Les auteurs expliquent qu’il existe une guidance parentale préventive proposée lors des visites médicales pédiatriques de routine, lesquelles doivent par exemple permettre de surveiller la santé de l’enfant, d’évaluer son développement et son comportement et de prodiguer aux parents un accompagnement portant sur la sécurité domestique, la prévention de l’obésité, les techniques de gestion de la discipline, ou la façon de gérer les difficultés comportementales. Les auteurs estiment qu’on n’a pour le moment pas pu montrer l’efficacité des plateformes téléphoniques de soutien, des informations délivrées par DVD ou dans les salles d’attente. De façon générale, ces services universels sont difficiles à évaluer, car très disparates, il n’y a pas de consensus fort sur ce qui est le plus probant. De nombreux médecins plaident néanmoins pour que les pédiatres soient en première ligne pour l’accompagnement à la parentalité, lors des visites de routine (ce que nous racontions dans cet article).
Mais plusieurs limites apparaissent, selon le comité qui a rédigé le rapport pour les trois académies. Tous les parents n’ont pas accès à cette guidance préventive lors des visites de routine. Ces visites sont d’ailleurs trop courtes. L’Académie Américaine de Pédiatrie a calculé qu’il faudrait des consultations de 90 minutes pour respecter l’ensemble de ses recommandations.
ror-articles-perdiatres-us-petiteCertains états ont par ailleurs développé des services plus poussés, des interventions toujours universelles mais plus pointues : la visite du pédiatre peut par exemple se prolonger par un entretien avec un professionnel formé qui propose des visites à domicile et met la famille en lien avec des lignes téléphoniques, des groupes de parents et tous les supports disponibles au sein de la communauté. Le rapport évoque aussi le programme Reach Out and Read (photo ci-contre), axé sur la prévention de l’illettrisme, intégré dans les visites pédiatriques de routine (voir notre article précédent).

Les auteurs concluent qu’on a peu évalué l’effet des visites pédiatriques de routine sur la parentalité. Certaines études, concèdent-ils, suggèrent que la guidance parentale préventive permet quand même d’augmenter les connaissances des parents. On sait notamment que les interventions en soins primaires avec des focus sur la parentalité ont des effets sur l’allaitement, la vaccination, le temps d’exposition aux écrans, la prévention de l’obésité, mais aussi sur le fait d’amener son enfant aux urgences sans motif valable. Le comité poursuit en pointant que la prévention préconceptionnelle et prénatale est par ailleurs très prometteuse.

Les interventions à « large spectre », localisées mais pas ciblées

Les auteurs analysent ensuite les interventions « à large spectre ». Il ne s’agit plus de services généralistes proposés à l’échelle du pays mais de dispositifs plus locaux. Ils restent néanmoins accessibles à l’ensemble de la population sur un territoire donné, sans ciblage de catégories spécifiques. De nombreuses villes proposent ainsi des visites à domicile pour les parents qui en ressentent le besoin. Il est indéniable que les programmes de visites à domiciles produisent des effets sur la parentalité mais il est difficile de faire émerger une catégorie précise d’effets car ils varient d’une étude à l’autre. Il existe par exemple de fortes preuves concernant les interventions à domicile intensives visant à instaurer un climat domestique propice aux apprentissages. Elles ont un réel impact sur les pratiques parentales (sur la « réactivité contingente » des mères, la stimulation verbale, la chaleur maternelle), parmi les mères de milieu défavorisé. Ces interventions ont aussi des effets sur les capacités de langage et les problèmes de comportement des enfants. Les interventions moins intensives, axées sur la lecture dialogique (voire l’autre article sur les pratiques parentales) ont des effets au moins à court terme sur le langage et l’apprentissage de la lecture.

Dans les dispositifs qui proposent à la fois un accueil des enfants dans des services de garde de qualité et de l’accompagnement à la parentalité (tel que le programme « Head Start », qui existe depuis plus 50 ans), il est difficile de savoir à quelle composante sont dus les progrès des enfants, à l’accueil de ces derniers dans des lieux adaptés ou au soutien parental intensif. Le rapport évoque aussi quelques expériences axées sur un partenariat très fort entre les parents et l’école, avec une réelle synchronisation de ce que l’enfant peut vivre à la maison et en dehors. Ces dispositifs, axés sur l’investissement des parents dans la scolarité de l’enfant, sont associés à de nettes améliorations chez l’enfant, notamment dans les compétences langagières et la lecture. Il s’agit par exemple du programme ParentCorp, dont nous avons parlé dans notre dernier Pueriscope

Le soutien aux parents et aux enfants à besoins particuliers ou en difficulté

Le Comité des trois académies présente ensuite les « interventions ciblées vers les parents et enfants à besoins particuliers, affrontant des problèmes spécifiques, et les parents d’enfants faisant l’objet d’une mesure de protection ».

– Le soutien au parents d’enfants porteurs de troubles

Pour les parents d’enfants à besoins particuliers (souffrant de troubles psychiques ou du comportement, de maladie chronique, ou né prématuré), il existe selon les auteurs des  « programmes et ressources efficaces pour soutenir les savoirs, attitudes et pratiques de ces parents ». Ces programmes sont censés enseigner aux parents comment soutenir les apprentissages et le développement de leur enfant, promouvoir des interactions parent-enfant positives, et comment se concentrer sur la réduction des problèmes de comportement. Il existerait des effets secondaires positifs à ces programmes : augmentation de l’optimisme parental, diminution du stress, modification in fine de la parentalité.
Pour les parents d’enfants porteurs de troubles du développement, les interventions visant à réduire le stress des familles en mixant les approches individuelles et collectives fonctionnent bien. Les interventions éducatives qui visent à apprendre aux parents comment développer le langage, les capacités sociales et les habiletés ludiques sont elles aussi efficaces. Avec des supports appropriés, il est prouvé que les parents peuvent aider leur enfant. Concernant les enfants porteurs d’autisme, les interventions éducatives auprès des parents qui leur montrent comment développer les compétences socio-communicationnelles de leur enfant, ont des effets positifs sur le développement cognitif. Mais pour cela elles doivent viser plusieurs besoins de développement et durer suffisamment longtemps (un à deux ans). Les interventions qui impliquent les parents d’enfants autistes sont en tous cas beaucoup plus efficaces que les autres.
Les interventions pour apprendre la lecture dialogique (lecture ponctuée de questions à l’enfant et de pointage du doigt) aux parents ont des effets positifs sur les capacités de lecture des enfants ayant des retards de langage. Autres résultats de la recherche : les interventions qui promeuvent les interactions sociales positives entre les parents et leurs enfants en difficultés, en utilisant le jeu comme support, fonctionnent bien. Les programmes (très connus) qui visent l’obtention de comportements dits « positifs » tels que Triple P et Incredible Years sont associés à une amélioration des relations parents-enfants et une réduction des problèmes de comportement chez les enfants en difficultés.
Les thérapies comportementales, visant à développer les compétences parentales par un programme intensif, à leur enseigner des techniques de gestion des comportement et de discipline plus adaptées, ont aussi un effet bénéfique sur les enfants atteints de troubles psychiques. Ces thérapies ont un impact sur les comportements internalisés et externalisés.
Concernant la prématurité, les interventions destinées à encourager et soutenir les interactions et le contact physique entre les mères et leur bébé améliorent la relation mère-enfant, l’humeur maternelle et réduisent l’anxiété.

– Le soutien aux parents porteurs de troubles mentaux

Le rapport aborde également la question des parents avec troubles mentaux. On manque de données et d’évaluations sur les interventions conduites auprès de ces parents, notamment les plus atteints.
Les auteurs notent que les soignants en psychiatrie ne pensent pas assez à demander à leurs patients s’ils sont parents, et manquent une opportunité de prendre en charge la parentalité. Les auteurs estiment d’ailleurs que c’est le cas en général dans le système de santé. Chaque rencontre avec un professionnel du soin, quel qu’il soit, devrait être l’occasion d’aborder cette problématique.
Il existe tout de même quelques études qui montrent que pour les parents atteints de troubles dépressifs, les prises en charge qui mêlent soins médicaux et support parental sont efficaces, elles améliorent les réponses maternelles. Le comité le rappelle : les soins primaires, notamment pour la période prénatale, sont un bon levier pour détecter et prendre en charge les problèmes de santé mentale. Les preuves commencent à arriver concernant l’efficacité des visites à domicile sur la dépression maternelle mais la plupart des programmes de VAD ne ciblent pas spécifiquement cet item. Il faut donc creuser. On manque de données concernant les interventions auprès de parents très malades sur le plan mental. Des programmes intensifs incluant des visites à domicile, des lectures sur la parentalité, des conseils de cliniciens semblent avoir un effet. Pour les parents avec retard mental, il est possible d’adapter des programmes classiques de soutien parental. C’est ce qui est fait actuellement avec le programme Triple P.

– Le soutien aux parents consommateurs de drogues ou d’alcool

Concernant les parents consommateurs de substances toxiques, les interventions qui visent conjointement à diminuer la consommation et à améliorer la parentalité, la communication au sein de la famille, la gestion de l’enfant, sont efficaces et favorisent l’attachement.

– Le soutien à la parentalité dans un contexte de violences conjugales

Le rapport propose aussi un long focus sur les violences conjugales. Les programmes collectifs pour les mères, couples et enfants exposés à la violence domestique qui visent la parentalité et/ou le développement de l’enfant semblent avoir un impact (ils réduisent les difficultés de comportement des enfants, les problèmes mentaux chez les mères et les enfants, le stress maternel et améliorent la parentalité). Il y a peu de preuves que les conseils prodigués aux hommes pour prévenir des violences ultérieures fonctionnent. Si la violence a cessé, les thérapies comportementales basées sur la théorie de l’attachement et les théories de l’apprentissage social permettent de réduire le conflit familial.

 – Le soutien aux familles dans le cadre de la protection de l’enfance

Les auteurs s’intéressent aussi aux familles suivies en protection de l’enfance. Les programmes évalués positivement pour ces familles prennent racine dans la théorie des apprentissages sociaux. Ils visent à augmenter les comportements parentaux positifs, à apprendre au parents à utiliser efficacement les bons outils avec leurs enfants. L’idée est de créer un cercle vertueux : le changement positif dans le comportement de l’enfant va renforcer les attitudes positives des parents, ainsi que leur confiance en leur enfant et en la possibilité qu’ils peuvent réussir en tant que parents.
Pour les familles avec un passé de maltraitance ou à risque, l’entraînement des compétences à la maison et dans le cadre communautaire, incluant l’observation, un feedback correctif, et une approche multi-partite (cibler le traumatisme mais aussi la détresse psychique, la consommation de drogues…) peut avoir un réel effet sur les relations et sur le développement de l’enfant.

 – Le soutien aux familles en très grandes difficultés

Les auteurs concluent avec « les familles confrontées à des problèmes persistants ». Ils estiment qu’un nombre considérable de familles ont besoin d’un suivi bien plus serré et prolongé que ce qui peut être proposé dans des programmes à court terme. Ces familles se retrouvent souvent dans celles qui font l’objet d’une mesure de protection de l’enfance. Or, ces services, aux USA, ne sont pas modélisés pour répondre aux besoins globaux de ces parents sur le long terme. Et d’autres familles qui auraient besoin d’un soutien pérenne ne sont pas maltraitantes ou négligentes et ne passent pas de toute façon pas par ces services. D’après le comité, ces familles en difficultés prolongées nécessitent que soient coordonnés les multiples services qui interviennent auprès d’elles. Par ailleurs, note le rapport, de nombreux programmes de soutien sont faits pour des familles qui ont un minimum de ressources et pour lesquelles il ne faut intervenir que sur un problème précis. Or, certains enfants cumulent les difficultés et vivent dans des environnements particulièrement chaotiques. Il faut un accompagnement beaucoup plus global et pérenne. Il n’existe actuellement pas de système de repérage de ces familles et de prise en charge sur la durée, déplorent les auteurs. Ce repérage devrait commencer dès la grossesse, pour identifier les parents qui pourraient avoir besoin de services plus intensifs. Même si, comme ils le notent dans une autre partie, il peut exister chez ces parents ou futurs parents confrontés à l’adversité des barrières à l’entrée : le risque de la stigmatisation, l’inquiétude de se voir référer aux services sociaux, la méfiance vis à vis de ces services.

En France quelques équipes développent des programmes de soutien précoce et ciblé avec le souci de les évaluer. C’est le cas par exemple de l’Institut Régional d’Education et de Promotion de la Santé (IREPS) du Limousin, qui propose aux familles une adaptation du programme américain « Strenghtening Families Program », de l’équipe de Thomas Saïas de l’Agence des Nouvelles Interventions Sociales et de Santé (ANISS) avec le dispositif de visites à domicile PANJO, initialement développé au sein de l’INPES, ou encore du programme Parler BAMBIN initié par Michel Zorman à Grenoble et qui fait aujourd’hui l’objet d’une expérimentation à grande échelle. Mais ces expériences ponctuelles restent rares. Elles continuent de susciter une extrême réserve voire une opposition virulente chez un grand nombre de spécialistes, cliniciens ou acteurs du champ social.