1 sage-femme + 1 psy= 2 béquilles pour des mamans sans ailes
Date
1 février, 2019
Catégorie
Périnatalité
Auteur
Gaëlle Guernalec-Levy
Photo/Illustration
Echoline

De la grossesse aux trois ans de l’enfant, chaque famille vulnérable adressée par le réseau est accompagnée par un binôme sage-femme/psychologue: c’est la spécificité du dispositif porté depuis vingt ans par l’association Echoline à Charleroi (Belgique).

A l’occasion de son 20ème anniversaire et de l’organisation de son premier colloque, l’association belge Echoline a demandé à plusieurs mamans accompagnées par ce service innovant de bien vouloir témoigner devant une caméra. Le résultat est saisissant de spontanéité et d’émotion.

A l’image se succèdent plusieurs jeunes femmes. Certaines ont dû composer avec la souffrance du déracinement et de la migration. D’autres semblent porter sur le visage, dans le regard, le poids d’une enfance chaotique et pas si lointaine. Toutes racontent le désarroi, le sentiment d’incompétence, l’espoir, l’estime de soi retrouvée. Des témoignages qui disent le dénuement matériel -« Ils m’ont prêté des choses, un mobile, des jeux, un porte-bébé »-, la souffrance psychique – « Je n’ai pas eu l’amour affectif de ma maman et de mon papa, avec l’enfant je me suis mise sur pause, le lien n’a pas été tout de suite là, je n’arrivais pas à lui parler »-, le réconfort – « quelqu’un qui s’intéresse à ta vie, ça fait du bien, je pouvais tout dire ». Et puis les larmes irrépressibles qui inondent les joues et traduisent la gratitude comme l’angoisse du grand saut : «maintenant que mon enfant a grandi, ça va s’arrêter, je ne sais pas comment je vais faire sans elles. »

Elles. Trois sages-femmes, trois psychologues, une secrétaire et une coordinatrice qui accompagnent des familles vulnérables de la grossesse (ou juste après l’accouchement) jusqu’aux trois ans de l’enfant. Selon un principe simple : chaque maman est suivie par un binôme composé d’une sage-femme et d’une psychologue. Lesquelles assurent des visites à domicile mais accueillent également les familles dans les locaux de l’association, notamment pour des ateliers à thème ou des groupes de discussion selon l’âge des enfants. En fonction de leurs questions, de leurs angoisses, de leurs difficultés, qui évoluent tout au long de la grossesse puis des premiers mois de l’enfant, les femmes se tournent vers l’une ou l’autre des accompagnantes de leur binôme. « Notre travail a essentiellement lieu au domicile, en moyenne une fois tous les quinze jours, précise Emilie Querton, psychologue, coordinatrice. C’est important pour se rendre compte de leur réalité. »

 

 

Comme le rappelle le président d’Echoline, Pierre Rousseau, l’association a été fondée au départ dans le but de prévenir le handicap mental, en donnant accès à des soins pré et post natals à des femmes précaires, avec une équipe volante et pluridisciplinaire.

Vingt ans plus tard, Echoline (financée par le Fonds Charles Albert FRERE, Viva for Life, la ville de Charleroi, et l’ONE), accueille des mères « dans une grosse précarité sociale » dont 71% sont en couple, 83% sont belges, 42% primipares, 30% ont moins de 21 ans, 13% ont moins de 18 ans, et presque toutes se trouvent dans un grand isolement familial et social. « Nous voyons de plus en plus en plus de familles avec handicap mental, constate Emilie Querton. Le cumul de difficultés semble de plus en plus important. On assiste à une chute des ressources familiales. Il y a 15 ans, on pouvait s’appuyer sur la grand mère. Aujourd’hui, on y pense et puis…non, on se dit que ce n’est pas possible. Nous voyons plus de jeunes parents qui ont eux-mêmes un vécu de multiples placements. La reproduction est très forte. » Les plus anciennes de l’équipe se disent qu’elles vont bientôt voir arriver les enfants des premières mères quelles ont accompagnées… La structure est également confrontée à davantage de mères adolescentes, à des jeunes femmes elles mêmes concernées par un service de protection de la jeunesse, qui se retrouvent autonomes, ou plutôt livrées à elles-mêmes, alors qu’elles devraient être protégées. Autre problématique (souvent cumulative) : les parents porteurs d’un trouble psychiatrique. « Les mères ont rarement un psychiatre de référence, elles ne sont pas inscrites dans un parcours de soins, constate la psychologue. Le gynécologue et le psychiatre quand il y en a un ne se positionnent pas toujours sur le traitement pendant la grossesse. En Belgique on a très peu d’unités mère-enfant, plusieurs ont fermé. C’est un problème ».

Emilie Querton le reconnaît : « il peut nous arriver de nous sentir totalement impuissants. Il y a tellement de problématiques à traiter. Parfois nous avons l’impression de passer notre temps à essayer d’initier quelque chose. » Des objectifs sont formalisés sur le papier et les familles s’engagent à les poursuivre en signant. L’équipe est actuellement en plein processus d’auto-évaluation quant à sa façon de travailler. Elle veut mieux évaluer son action, réussir à rendre les parents davantage acteurs, faire avec eux un travail d’élaboration, proposer un soutien plus intensif et plus efficace. Pour cela l’association a engagé un travail d’analyse de ses suivis antérieurs pour comprendre dans quelle situation elle a pu être efficace et avoir un réel impact, afin de mieux cibler la population prise en charge. « Nous avons du mal à refuser les demandes, déplore Emilie. Or nous devons apprendre à dire non, à sélectionner, même si cela suscite de la frustration dans notre réseau. Sinon l’équipe va s’épuiser. »

Les six sages-femmes et psychologues souhaiteraient intensifier leur action auprès de chaque famille, en gardant leur spécificité périnatale. Or, aujourd’hui, 90% du travail est social. « Nous portons beaucoup cette demande sociale alors que nous voudrions rester sur le soutien du lien, le soutien à la parentalité», regrette Emilie.
Un constat en tous cas : les professionnelles d’Echoline parviennent à « bien travailler » quand la maman reconnaît ses limites et ses difficultés. Ce qui n’est pas évident lorsque les familles arrivent sous la contrainte, adressées par les institutions. « Il faut alors plusieurs mois pour créer un lien de confiance, trouver des objectifs communs, amener des parents peu en demande à prendre conscience de leurs besoins, pose Emilie. Or les besoins du bébé, c’est sur du temps court ».

Un travail intense aux enjeux fondamentaux et aux résultats aléatoires. Mais quand la rencontre se fait et que l’investissement porte ses fruits, cela donne des mamans prêtes à raconter devant une caméra le chemin parcouru et le lien noué avec leur bébé.