Ce mercredi 30 mai la Direction Générale de la Cohésion Sociale a donc lancé officiellement la stratégie nationale de soutien à la Parentalité au cours d’une journée dédiée au sujet. Les tables-rondes se sont succédé. Il a été question des pères, du handicap, des attentes des parents, du non recours.  Morceaux choisis de ces échanges.

« Tous parents tous différents », « Prendre soin des parents pour prendre soin des enfants », « Dessine moi un parent » : ce sont les trois intitulés qui sont arrivés en tête ce mercredi après le vote des participants à la journée nationale de soutien à la parentalité. La Ministre des Solidarités et de la Santé tranchera et choisira celui qui lui semble le plus approprié pour la stratégie nationale de soutien à la parentalité. Comme nous vous l’annoncions dans notre précédent article, cette stratégie se décline en huit grands axes : l’accompagnement des parents de jeunes enfants, l’accompagnement des parents d’enfants âgés de 6 à 11 ans, l’accompagnement des parents d’adolescents, le développement du « répit parental », l’amélioration des relations familles-école, l’accompagnement des conflits parentaux, le soutien par les pairs et l’amélioration de l’information transmise aux parents. Elle propose quatre zooms « transversaux » : parentalité et égalité entre femmes-hommes, parentalité et précarité, parentalité et handicap, parentalité en outre-mer.

Des travaux attendus par Agnès Buzyn

David Blin, Chef du bureau des familles et de la parentalité à la Direction Générale de la Cohésion Sociale, rappelle en début de journée la définition de cette stratégie : « une politique de prévention précoce, généraliste, universelle, au carrefour d’autres politiques telles que le décrochage scolaire, la santé, le handicap, la prévention des ruptures, la prévention en matière de protection de l’enfance ».
Jean Philippe Vinquant, Directeur Général de la Cohésion Sociale l’a de son côté assuré en introduction : « Agnès Buzyn attend beaucoup de cette rencontre, elle nous a demandé de lui transmettre les éléments de stratégie qui en sortiront. » Pour la ministre le soutien aux familles constitue un élément majeur dans la politique relative à l’enfance, en matière de prévention et d’investissement social. Jean-Philippe Vinquant met en avant la nécessité « d’un soutien étayé, appuyé sur un certain nombre de savoirs venus des sciences, de la sociologique, de la pédagogie, des sciences cognitives, qui permettent de mieux armer les parents». Mais comment comprendre cette assertion alors que, dans la journée, Guillemette Leneveu de l’UNAF mettra en garde contre le risque « d’imposer ce que serait un bon parent » et que Claude Martin insistera lui aussi sur « les écueils normatifs » ?

Haro (encore) sur le « déterminisme parental »

Le sociologue est l’un des premiers intervenants à s’exprimer le matin. Pour affirmer qu’il faut, selon lui, “privilégier l’amélioration de la condition parentale (faire baisser le sentiment de pression, d’échec, de culpabilité), éviter les écueils normatifs donc (« l’injonction du « bon parent » dont le pendant serait le parent irresponsable »), éviter le déterminisme parental (si les enfants ne vont pas bien c’est de leur faute), mieux comprendre les inquiétudes parentales sur le futur de leurs enfants“.

Des propos qui appellent plusieurs réflexions. D’abord que tous les parents ne sont pas « sous pression » et que certains pourraient même ne pas l’être assez. Pas par malignité, fainéantise, ou désintérêt. Par méconnaissance souvent, par manque de disponibilité psychique, par faible conscientisation de l’importance de leur rôle éducatif, aussi. Il existe peut-être une façon moins simpliste de considérer la question que d’opposer « bon parent » et « parent irresponsable ». Parent suffisamment sensible versus parent pas assez engagé, par exemple ? Quant au « déterminisme parental », là encore, il doit être possible de trouver une façon plus scientifique et moins morale de l’aborder : le développement moteur, psychique, affectif, cognitif du jeune enfant est très corrélé à son environnement, et l’environnement d’un tout-petit, ce sont ses parents en premier lieu. Ce n’est pas un jugement moral que de l’écrire, c’est une donnée scientifique. Isabelle Grimault, sous-directrice de l’enfance et de la famille à la DGCS le posera d’ailleurs dans sa conclusion : « Les parents ne sont pas les seuls éducateurs des enfants. Mais ils est important de les accompagner parce qu’ils en ressentent le besoin et parce que la façon dont les parents exercent la fonction parentale peut avoir un impact sur la vie future des enfants. » Et comme elle le résumera : « il ne s’agit pas de culpabiliser les parents mais de mieux les accompagner, mieux les informer ».

Malaise autour de l’autorité

Le pédopsychiatre Daniel Marcelli apporte un regard complémentaire. Il note qu’en 5-10 ans, « le métier des parents a fondamentalement changé ». «Auparavant, explique-t-il, élever un enfant signifiait lui inculquer des choses.(…) Aujourd’hui il s’agit de stimuler les compétences de l’enfant et faire qu’il s’épanouisse au mieux. La parentalité est perçue comme une compétence pour répondre aux besoins fondamentaux de enfant.» Il poursuit sur l’autorité : « Je n’arrête pas de faire des conférences auprès des travailleurs sociaux (TS) sur la question de l’autorité. La plupart des structures sont débordées sur ces questions. » Pourquoi ? « Parce que jusqu’à présent, raconte-t-il, le parent était celui qui faisait l’enfant, celui qui avait autorité sur la génération qui suit (“je suis l’adulte, tu te tais et fais ce que je demande”). A partir du moment où ont été évoquées les compétences du bébé, l’enfant a fait le parent. Avant, personne ne se posait la question de savoir s’il était “un bon ou un mauvais parent”. C’est la parentalité qui invite le parent à se poser la question de sa fonction. »

Il enchaîne avec l’autorité, sujet de préoccupation majeur. « Avant on utilisait la violence, qui rabaisse un enfant. On a dit qu’il ne fallait surtout pas utiliser la violence, mais on n’a pas dit aux parents que faire à la place. Aucun modèle ne leur a été donné. Tous les professionnels continuent à travailler avec la question de l’autorité du père. (…) Il y a une révolution conceptuelle et épistémologique à mettre en place. Quand le législateur remplace la “puissance paternelle” par “l’autorité parentale conjointe” c’est un trait de plume dans le code civil, mais il n’y a rien de changé sur le fond sur le concept même d’autorité. La parentalité interroge l’autorité. »

Peut-être pourrait-on avancer l’hypothèse que cette focalisation des professionnels sur l’autorité, et notamment sur l’autorité paternelle, est en partie due à une formation encore très imprégnée de psychanalyse. Quant au fait qu’on n’aurait pas dit aux parents ce qu’ils pouvaient faire au lieu de frapper leur enfant ou de lui imposer une discipline de fer, c’est en fait très étrange. La psychologie scientifique a permis la conceptualisation de programmes de psycho-éducation, avec moult techniques et outils, afin de permettre justement de diminuer les violences éducatives (dont on sait aujourd’hui qu’elles sont plutôt contre-productives pour le développement de l’enfant) et de réduire les troubles du comportement de l’enfant. Rien n’empêche sur le papier les professionnels de l’accompagnement à la parentalité issus du secteur social de s’emparer de ces outils plutôt que de les laisser au secteur privé (et donc aux parents qui en ont les moyens). Pour le moment, en France, ces programmes ne sont expérimentés qu’à toute petite échelle (il n’en sera pas question lors de cette journée ni dans le document relatif à la stratégie).

Les besoins, attentes et préférences des parents

Au cours de cette journée d’échanges dédiée à la stratégie nationale, l’accent a également été mis sur l’importance de la transversalité (sortir d’une approche en silos), sur les pères, mais aussi sur le risque du non recours. Bruno Lachesnaie, Directeur du développement sanitaire et social – CCMSA, se félicite d’une «approche beaucoup plus large » mais s’inquiète que cette conception universaliste puisse exclure « les parents un peu en marge ». «  Comment va-t-on faire pour s’adresser à tous ces parents et sur toutes ces problématiques ? », interroge-t-il. En travaillant sur les transitions : les passages de la petite enfance à l’enfance, de l’enfance à l’adolescence avec l’entrée au collège. «Si on veut vraiment mobiliser les parents, il va falloir définir notre offre à partir de moments clé ». « Il faut aller au devant des familles et non pas attendre que les familles viennent vers nous, parce qu’elles ne viendront pas», assure Elisabeth Laithier, en charge de la petite enfance à l’Association des Maires de France. Elle insiste : “Quel que soit le niveau de revenu de ces parents car les problèmes de la parentalité ne se situent pas uniquement dans les familles qui sont en situation de précarité“.

Le sujet est central. D’un côté Guillemette Leneveu de l’UNAf assure qu’il faut partir des attentes des familles. Mais quid de celles qui n’expriment pas d’attentes ? « Comment aller vers les parents qui ne viennent pas ? » interroge Céline Fromonteil d’Accent Petite Enfance. Cette journée est d’ailleurs l’occasion de revenir sur les dernières enquêtes effectuées auprès des familles pour évaluer leurs besoins. D’après l’étude de la CNAF (nous vous en avons parlé dans un autre article), deux parents sur cinq disent trouver difficile l’exercice de la parentalité. Les sujets de préoccupation majeurs sont la scolarité et la santé. Les parents veulent plutôt des entretiens individuels avec un professionnel ou des rencontres entre pairs (toujours avec un professionnel). Jean-Philippe Vallat, Sous-directeur des recherches, études et actions politiques à l’Unaf présente une autre enquête effectuée auprès de 22.000 familles (nous y avions fait référence dans un précédent article). La question des écrans arrive en première position des préoccupations. Mais il faut noter que cette angoisse est beaucoup plus forte chez les parents de milieu aisé. Pour Jean-Philippe Vallat, il y a ainsi « un véritable travail à faire auprès de tous les parents, mais particulièrement auprès des moins diplômés». Un constat que rejoint Daniel Marcelli. «  On doit développer une politique de soutien à la parentalité dans un monde où la technologie se substitue à la qualité des interactions précoces parents-enfants. Toutes les familles aisées savent ça, mais plus les familles sont dans des situations difficiles, de précarité, migration, plus elles pensent que les écrans sont bons pour les enfants. C’est une catastrophe».

Concernant les modes de soutien, l’enquête de l’UNAF comme celle de la CNAF montre une préférence des familles pour les entretiens individuels. Les parents solos semblent préférer l’échange entre pairs. Plus le diplôme est élevé plus on est sensible aux savoirs savants (conférences), et quand le diplôme est plus bas, on veut plutôt « des choses concrètes et des ateliers ».

L’accompagnement du handicap, une priorité

Plusieurs intervenants se sont réjouis de l’attention portée au handicap. Sophie Quériaud, Directrice “Action sociale, famille, insertion” au Conseil départemental de la Corrèze salue l’importance donnée à cette problématique et attire l’attention sur la situation des enfants en situation de handicap pris en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance. Geneviève Laurent, de l’Anecamsp a également livré son point de vue : « Les pères sont très préoccupés par le développement de leur enfant et ont un rôle fondamental mais dans la pratique, ce sont souvent les mères qui sont impactées : au niveau du travail, de leur vie sociale… Cet “investissement inhumain” contribue à la séparation du couple parental, c’est une préoccupation de société très importante. Je veux vraiment tirer le signal d’alarme : le handicap n’est pas si rare que ça“. Céline Poulet, Déléguée nationale Croix-Rouge Française, membre du CNCPH (Conseil national consultatif des personnes handicapées), souligne “des axes extrêmement importants et ambitieux”. Mais elle prévient : “On a des attentes très fortes et on attend une opérationnalité très rapide dans les territoires“.

Le focus mis sur l’impact de la précarité sur la parentalité a semblé en revanche plus dilué. Ne serait-ce que parce que plusieurs intervenants ont insisté sur le fait que « toutes les familles peuvent rencontrer des difficultés », contestant de facto la spécificité de la problématique sociale. Brigitte Alsberge, Responsable du département solidarités familiales au Secours catholique l’assure pourtant: « La précarité génère beaucoup d’isolement et ces liens réduits rendent l’exercice de la parentalité beaucoup plus compliqué ». Vincent Mazauric, directeur général de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), plaidera de son côté pour des « actions proportionnées aux parents comme aux enfants, avec des services pour tous mais un discernement, un supplément, un renforcement pour les situations qui signalent la plus grande fragilité.» Il le garantit : « la branche famille sera sur ces politiques publiques au rendez-vous». A confirmer d’ici quelques jours ou semaines avec l’annonce de la prochaine Convention d’objectif et de gestion.