L’adoption, sujet passionnel s’il en est, a connu ces dernières années des évolutions sensibles avec par exemple la baisse massive des adoptions internationales. La présidente de l’association Enfance et Familles d’Adoption (EFA), Nathalie Parent, décrypte ces changements plus ou moins récents, souligne les limites d’un système plus du tout en phase avec la réalité de l’adoption et formule des propositions afin de revenir au premier objectif de cette procédure : donner à chaque enfant adoptable une famille en capacité de répondre à ses besoins.

Quel est le constat global que vous dressez sur l’évolution récente de l’adoption ?

Nathalie Parent. L’adoption ne va pas très bien. La baisse des adoptions internationale perdure. En 2018 on en a enregistré 615 (contre 3504 en 2010). La France a toujours été le premier pays d’origine des enfants adoptés en proportion mais les chiffres globaux de l’adoption internationale étaient supérieurs. Aujourd’hui ce n’est plus le cas. Nous avions l’espoir d’arriver au moins à une stagnation, avec des projets parentaux qui correspondraient davantage aux demandes des pays d’origine. Cette baisse continue pourrait constituer une bonne nouvelle si elle signifiait que ces pays ont réussi à mettre en place des mesures de protection de l’enfance efficientes (comme au Brésil par exemple). Mais on sait que dans de nombreux de pays, des enfants adoptables ne sont pas adoptés et restent dans des institutions plus ou moins bienveillantes. A Haïti par exemple les enfants peuvent être confiés jeunes avec une adoptabilité vérifiée. Mais les procédures sont beaucoup trop longues (2 ans en moyenne)

Vous pointez également un problème du côté des familles adoptantes avec des agréments qui ne seraient plus adaptés.

N.P. En effet. Les agréments délivrés aujourd’hui ne correspondent plus à la réalité de l’adoption. Les trois quart des enfants adoptés à l’international sont à 70% à besoins spécifiques. Ce sont principalement des enfants âgés de plus de 5 ans, en fratrie, porteurs de handicap ou de pathologie, des enfants avec des histoires difficiles, certains victimes de maltraitances multiples, qui peuvent donc manifester des troubles du comportement massifs. Des enfants au profil similaire, pupilles de l’Etat, attendent des parents en France. Or, les postulants obtiennent majoritairement des agréments pour des enfants entre 0 et 3 ans (voir 5 ans) et en bonne santé (ou avec une pathologie reversible), en inadéquation avec les besoins spécifiques de la plupart des enfants qui attendent en adoption internationale ou nationale. L’agrément reste aujourd’hui une simple évaluation psychologique et sociale de la capacité d’adultes à devenir parents d’un enfant qu’ils n’ont pas conçu. C’est certes indispensable d’avoir des évaluation psychologiques et sociales mais il faudrait une véritable information sur qui sont les enfants adoptables, leur profil, ainsi qu’une sensibilisation à la parentalité adoptive. On ne peut que constater la disparité des informations délivrées dans les réunions selon les Conseils départementaux et l’absence, le plus souvent, d’une préparation spécifique. Dans un certain nombre de départements, ces réunions ne sont qu’une simple information juridico-administrative n’abordant ni la réalité de l’adoption ni la spécificité de la parentalité adoptive.

Du côté des pupilles, peut-on percevoir d’éventuels effets positifs de la loi de 2016 réformant la protection de l’enfance ?

N.P. On a en effet constaté une petite augmentation du nombre de pupilles adoptés (plus 6% en 2017) et cette augmentation est due en grande partie aux enfants qui ont fait l’objet d’une procédure judiciaire de délaissement parental. Les chiffres de 2018 seront certainement encore plus parlants mais nous ne les auront qu’en 2020. Ce sont les premiers effets de la loi de 2016, avec la création des CESSEC (commission pluridisciplinaire et pluri-institutionnelle d’examen de la situation des enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance ) qui contraignent les départements à revoir régulièrement le statut des enfants placés (tous les six mois s’ils ont moins de deux ans). Malheureusement, en 2019, ces commissions n’existent pas dans tous les départements. Or, il faut le dire, il y a bien des enfants délaissés à l’ASE. J’ai vu des dossiers pour lesquels le juge prolongeait la mesure de placement tous les deux ans sans trop se poser de question et lorsque l’enfant acquérait le statut de pupille il était trop âgé pour que son projet de vie soit un projet d’adoption. Que deviennent ces enfants à 18 ans ? Il faudrait aussi revoir le fonctionnement des Conseils de famille. L’absence de formation de la plupart de leurs membres, et parfois même des tuteurs, aboutit à des disparités flagrantes dans l’attention apportée au choix d’un projet de vie pour chaque pupille. Pire, certaines pratiques sont illégales (comme de mettre un âge maximum pour les postulants pour l’accueil d’un enfant né sous le secret), certains critères de sélection inadaptés (tels que l’ancienneté de la demande avec une pratique de “liste d’attente” sans prise en considération des besoins des enfants). On peut déplorer aussi le maintien par endroit d’une pratique d’anonymat des dossiers, anonymat inutile et dangereux : inutile car l’accès au dossier complet rend impossible cet anonymat qui n’apporte rien à la réflexion sur le meilleur apparentement (il ne s’agit pas de distribuer les enfants à des numéros mais de trouver les parents les plus aptes à répondre aux besoins de tel enfant) et dangereux car le PV qui doit rendre compte du vote et des raisons de celui-ci lorsqu’il n’est pas unanime est illégitime s’il ne comporte pas les noms des parents retenus.

Quelle mesure supplémentaire vous semblerait pouvoir améliorer le sort des enfants pupilles de l’Etat ?

N.P. Nous plaidons pour l’établissement obligatoire d’un bilan d’adoptabilité pour tous les enfants pupilles de l’État. Celui-ci servira de socle à la construction d’un projet de vie pour l’enfant, que celui-ci soit, ou non, un projet d’adoption. Si ce n’est pas un projet d’adoption, le bilan devra donner des pistes pour ancrer cet enfant dans une ou des familles qui seront encore présente(s) après sa majorité. S’il s’agit d’un projet d’adoption, ce document devra préciser le profil des parents (à partir des capacités parentales attendues) à même de répondre au mieux aux besoins de cet enfant. Un avis pourra être donné sur la forme d’adoption la plus adaptée au regard de l’histoire de l’enfant et de ce qu’il a pu exprimer. Nous savons néanmoins que certains départements ne sont pas en capacité d’évaluer seuls l’adoptabilité médico-psycho-sociale d’un enfant, de le préparer à son adoption, de l’accompagner et de faire de même avec les candidats pressentis. Par ailleurs, pour répondre à la demande du Conseil de famille, un département doit, s’il ne dispose pas parmi les agréments en cours de validité du profil parental recherché, potentiellement interroger les 100 autres départements français. C’est titanesque. Le travail d’orfèvre nécessaire pour que les adoptions soient réussies ne peut se faire en croisant les données d’un fichier informatique et/ou en se contentant d’une recherche de familles dans les limites de son département. Il devient urgent de créer une coordination nationale composée de professionnels expérimentés en matière d’adoption d’enfants pupilles et/ou à besoins spécifiques, qui piloterait l’adoption nationale.

Qu’en est-il aujourd’hui des consultations et du suivi post adoption des enfants et des familles ?

N.P. On n’en est nulle part ! Ces consultations n’existent qu’au bon vouloir des uns et des autres. Il n’y a rien d’institutionnalisé, de reconnu. Or, quand 70% des enfants adoptés à l’international sont à besoins spécifiques, qu’est-ce que cela veut dire de laisser ces enfants et leurs familles sans lieu ressource où les professionnels sont formés aux spécificités de l’adoption? Ces enfants ont besoin d’une approche et d’un soutien spécifiques. Autre exemple, pour les familles adoptantes, l’obligation de scolarité à trois ans pose problème. Avant d’aller à l’école et de se se confronter aux apprentissages, ces enfants ont besoin de comprendre ce qu’est une famille, d’avoir une base sécure et non de rejoindre la collectivité toute bienveillante soit elle. Nous avons tenté un amendement sur la loi « Ecole de la confiance » et sur la maternelle obligatoire à 3 ans afin de pouvoir y déroger pendant un an suivant l’arrivée de l’enfant. Ce n’est pas passé. Nous essayons maintenant d’obtenir un décret dans ce sens avant la rentrée de septembre car on ne peut laisser cette question au bon vouloir des uns et des autres, les réponses étant déjà souvent négatives pour les enfants de plus de 6 ans.