Le sociologue-démographe Jean-François Mignot publie aux éditions La Découverte un ouvrage concis et néanmoins très complet sur l’adoption, pour en retracer l’histoire et les grandes évolutions. Pour recenser, aussi, les nombreuses questions éthiques.

 

C’est un petit livre sur un grand sujet, l’adoption, mais un petit livre précis, factuel, et très didactique. Jean-François Mignot, sociologue-démographe, chercheur au CNRS, dresse un panorama historique et juridique de l’adoption, propose des comparaisons internationales très instructives, va sur le terrain de l’anthropologie et de la psychologie, analyse aussi les points de dissensus et la façon dont l’intérêt de l’enfant est apparu de plus en plus central. On apprend dans cet ouvrage que l’une des spécificités françaises est notamment de pratiquer en grande majorité des adoptions intrafamiliales de majeurs alors que c’est bien l’adoption extrafamiliale de mineurs qui est au cœur des controverses. Ou encore que les Américains apparaissent comme les champions de l’adoption (nationale et internationale), avec cette problématique très forte de la question raciale. Jean-François Mignot explique ainsi qu’à partir des années 60, aux USA, les nouveaux-nés blancs en bonne santé et adoptables deviennent de plus en plus rares alors que les bébés noirs en attente d’une nouvelle famille sont nombreux. L’adoption de ces bébés par des couples blancs a donc commencé à se développer. Mais en 1972, une association de travailleurs sociaux noirs américains dénonce ces adoptions « au motif qu’elles seraient contraires au bon développement de ces enfants et qu’elles ne leur permettraient pas d’apprendre comment « survivre dans une société raciste » ». Ces adoptions interraciales sont moins découragées aujourd’hui mais les familles blanches préfèrent toujours adopter en priorité des enfants blancs.

Baisse du nombre et évolution des profils des enfants adoptables

L’auteur rappelle le distingo entre adoption simple et adoption plénière et raconte comment l’objectif de l’adoption a évolué, d’un outil de transmission du patrimoine à un individu majeur à une mesure de protection de mineurs, orphelins, abandonnés ou soustraits à des parents défaillants. Entre les années 70 et 2005, l’adoption plénière est peu à peu devenue une adoption de mineurs étrangers à visée éducative. Après 2005, une tendance lourde est à l’oeuvre : le nombre d’enfants adoptables diminue partout dans le monde et les adoptions internationales se réduisent drastiquement pour des raisons démographiques, sociologiques et juridiques. Pour la première fois en 2012 le nombre d’enfants nés par gestation pour autrui dépasse celui des enfants adoptés au niveau international (l’auteur l’avait analysé dans une interview qu’il nous avait accordée).
Autre évolution, celle du profil des enfants adoptés : au niveau national comme international ils sont plus âgés et plus souvent « à besoins spécifiques ». Ce qui peut avoir pour effet de rendre leur intégration au sein d’une famille adoptante plus difficile que par le passé et d’accroître les troubles du développement. La littérature scientifique montre que la qualité de l’attachement d’un enfant est très dépendante de l’âge auquel il est adopté et évidemment de ce qu’il a vécu avant cette adoption. Cette augmentation de l’âge a un autre impact : il est plus difficile de maintenir la fiction d’une seule famille avec une rupture totale des liens avec la famille biologique. L’adoption plénière n’est plus alors une « substitution de parenté » mais davantage une « succession » de parenté avec la possibilité de maintenir un contact.

L’adoption, plus protectrice pour les enfants que le placement

L’auteur relaie également la littérature scientifique (passionnante) sur les effets à long terme des carences vécues dans la toute petite enfance par les enfants adoptés. Il est avéré que ces enfants victimes de négligences ou de maltraitances connaissent en grandissant davantage de difficultés de développement, cognitif, social, émotionnel. Néanmoins l’adoption apparaît comme un facteur de protection qui compense davantage l’impact de ces carences ou mauvais traitements précoces que le placement dans des institutions. Et si la période de l’adolescence peut se révéler plus compliquée pour les jeunes adoptés que pour les autres il semble qu’à l’âge adulte les différences s’estompent. Dans la mesure où l’adoption semble bien mieux répondre aux besoins des enfants que les autres mesures de protection (le placement en foyer ou en famille d’accueil), Jean-François Mignot relaie une interrogation qui rejoint celle portée par de nombreux rapports sur la protection de l’enfance ces dernières années, interrogation qui était au cœur des travaux des sénatrices Michelle Meunier et Miguette Dini et a notamment motivé la loi de mars 2016 : « Chacun peut se réjouir de la baisse du nombre de mineurs abandonnés ou orphelins qui est à l’origine de la baisse du nombre d’adoptions nationales puis internationales en France. Toutefois reste à savoir si dans certains pays étrangers mais aussi en France un plus grand nombre de mineurs délaissés ou maltraités n’auraient pas intérêt à être adoptables et adoptés ».

L’adoption par les couples homosexuels, derrière les polémiques les études empiriques

A la fin de l’ouvrage on trouve également un développement sur l’adoption par les couples homosexuels. D’après l’auteur, depuis la loi légalisant le mariage pour tous (et ouvrant aux couples homosexuels le droit à l’adoption), aucun couple n’aurait bénéficié d’un appariement avec un enfant via l’adoption internationale et un seul couple aurait pu adopter un enfant pupille de l’Etat. En revanche 254 adoptions plénières de l’enfant du conjoint ont été prononcées. Jean-François Mignot pose la question qui fâche (ou qui a beaucoup fâché lors des débats sur le mariage pour tous) : être élevé par un couple homosexuel peut-il être contraire à l’intérêt des enfants adoptables ? Il explique qu’aucune donnée empirique ne vient étayer la thèse des psychanalystes selon laquelle l’homoparentalité générerait des troubles chez les enfants en raison de l’impossibilité pour ces enfants de se représenter la « scène primitive » de leur conception. Il pointe que les nombreuses études empiriques disponibles soulignent au contraire que ces enfants semblent se développer tout à fait normalement. A ce sujet les travaux de Susan Golombok, que nous avons relayé sur GYNGER, sont très éclairants. Jean-François Mignot aborde également la question de l’accès aux origines et évoque la possibilité de mettre fin au secret des origines à la majorité des enfants nés sous X ou des enfants dont au moins une filiation est connue et qui ont bénéficié d’une adoption plénière.
L’adoption est un sujet à « tiroirs », avec des problématiques enchâssées les unes dans les autres et de nombreux fils à tirer. Un sujet sensible et passionnant donc, comme le montre cet ouvrage synthétique qui passe en revue ces nombreux fils et tiroirs.