L’art de la conversation avec des tout-petits, si propice au développement langagier, n’est pas une évidence pour tous les parents. Certains ont besoin d’être accompagnés pour laisser éclater tout leur savoir-faire en la matière. L’association 1001mots propose une approche très innovante pour sensibiliser et soutenir les familles face au défi du langage. 

Loin des débats et des controverses, la réalité du terrain se révèle souvent revigorante. Florent de Bodman en sait quelque chose. Co-auteur des deux rapports de Terra Nova consacrés à l’investissement social en petite enfance, promoteur du dispositif Parler Bambin, il connaît la dimension souvent polémique de la prévention précoce des inégalités. Peut-être parce que l’engagement social est une histoire de famille, cet énarque, ancien administrateur civil à Bercy, n’a pas voulu se contenter de la bataille d’idées et du plaidoyer. Il est passé à l’action, a fondé et dirige aujourd’hui 1001 mots, « start-up associative » dont l’objectif est d’aider les parents à éveiller leur enfant au langage. L’équipe compte des orthophonistes, psychologues, chercheurs.

Miser sur la motivation des parents de jeunes enfants

Le fondement scientifique de ce projet est désormais bien connu (ou devrait l’être). « En France, rappelle le site de l’association, 500 000 enfants de 0 à 3 ans grandissent dans une famille en situation précaire. Leurs parents peuvent avoir un faible niveau d’études, un moindre accès aux ressources éducatives, ou être confrontés à des difficultés du quotidien : l’environnement de ces enfants risque d’être moins favorable à leur éveil langagier. Lorsqu’ils entrent à l’école maternelle, ils maîtrisent en moyenne deux fois moins de mots que les enfants des familles aisées.» Pour Florent de Bodman il était nécessaire d’aller plus loin que le soutien langagier proposé par certaines crèches (avec par exemple Parler Bambin). D’abord parce qu’aujourd’hui une part infime des enfants des familles pauvres intègre les structures, ensuite parce que « les professionnels de crèche ont beau être impliqués, ils auront rarement une motivation aussi viscérale que le parent, notamment celle de la réussite scolaire de l’enfant ».

Une méthode inspirée des technologies digitales

Pourquoi ce terme de « start-up associative » ? « Le concept ne traduit pas un modèle économique, prévient Florent de Bodman. Il signifie d’abord le fait que notre démarche est centrée sur l’utilisateur, le parent. Nous consacrons une grande partie de notre temps et de nos ressources à adapter le service à ses contraintes : par exemple en proposant des activités qui s’intègrent dans les routines quotidiennes (livres en plastique qu’on peut regarder pendant le bain, etc…). Ce terme renvoie ensuite au fait que nous expérimentons à petite échelle pour avoir une validation de terrain avant de passer à un déploiement plus large. Le seul moyen de savoir si les personnes concernées vont utiliser notre outil c’est de leur donner un prototype ».

Un soutien intensif, à distance, personnalisé

Avec le soutien de plusieurs fondations, 1001mots propose des ateliers parents-enfants autour du jeu et du langage, essentiellement dans des bibliothèques et des PMI, cheville ouvrière du dispositif. Le caractère innovant de ce projet réside dans l’offre de conseils en ligne, en dehors des ateliers en présentiel. Plus de 200 familles reçoivent d’ores et déjà des conseils et vidéos via des appels téléphoniques et des SMS. Des livres adaptés à l’âge de leurs enfants leur sont également envoyés par la poste, quatre fois par an. Pour l’équipe fondatrice, ce sont ces contacts fréquents et personnalisés qui doivent conduire à des bénéfices durables et permettre de franchir trois étapes clés dans le changement des pratiques du parent : la prise de conscience du parent, la mise en confiance, l’intégration des nouvelles pratiques dans une routine. Au-delà de la dimension verticale de l’offre (l’apport d’un contenu), une approche horizontale est également défendue : proposer un cadre qui favorise les échanges entre parents, le partage d’idées et l’entraide, la diffusion de « pair à pair » (notamment grâce à des parents ambassadeurs du projet).

Des hypothèses confirmées

Les retours des premières expérimentations sont très positifs. « Les familles comprennent bien que nous partons du principe qu’elles veulent le meilleur pour leur enfant et que nous sommes là pour leur proposer des idées, pas pour faire à leur place note Florent de Bodman. Elles sont nombreuses à dire que les ateliers ou l’envoi des SMS leur donnent confiance en elles. La validation par le terrain est déjà là.» En parallèle, une évaluation scientifique randomisée est menée par le laboratoire J-PAL auprès de 400 familles (200 dans le groupe intervention, 200 dans le groupe contrôle).
L’objectif est d’atteindre 1 500 familles en 2019, 4 000 en 2020 et 12 000 en 2021, notamment grâce au fort potentiel d’essaimage du programme à distance. Une solution prometteuse à la question qui continue de tarauder les acteurs investis dans la prévention précoce, celle de l’« aller vers » les populations les plus fragiles, par définition plus isolées et plus éloignées des offres de soutien.