Voici deux programmes présentés dans le rapport « Early childhood matters » 2017 de la Fondation néerlandaise Bernard Van Leer, tous deux axés sur la santé maternelle et le développement de l’enfant, dans deux pays aussi différents que le Niger et les Pays Bas. Ces deux dispositifs ont en commun de cibler à chaque fois les mères considérées comme les plus fragiles et de tenter une approche « holistique » qui vise à la fois la santé et la dimension psycho-sociale.
Prodiguer de l’aide et des soins aux femmes enceintes les plus vulnérables jusqu’aux deux ans de l’enfant : c’est l’objectif du dispositif « MoR », « Mères de Rotterdam ». Le projet est né du constat d’une augmentation du nombre de femmes enceintes présentant des difficultés psycho-sociales et médicales (absence de domicile, pauvreté, violences conjugales, addictions, abus sexuels, troubles mentaux…) dans la deuxième plus grande ville néerlandaise (qui compte une importante population immigrée). Les restrictions budgétaires qui ont touché les services sociaux néerlandais après la crise de 2008 ont eu pour effet un isolement accru des populations les plus fragiles. En 2014 la municipalité de Rotterdam a mis en place le projet « Mères de Rotterdam », explicité dans cette édition 2017 du « early childhood matters » (la petite enfance compte) par quatre de ses concepteurs (Johanna P.de Graaf, Marijke W.de Groot, Marije van der Hulst, Loes C.M Bertens, Eric A.P.Steegers). Le MoR se décompose en trois phases : résoudre la situation de crise, créer les circonstances favorables à un bon attachement mère-enfant, stimuler les compétences maternelles adaptées au stade de développement de l’enfant (et améliorer l’autonomie sociale de la mère).

Intervenir de façon globale auprès des mères fragiles ou comment impulser un cercle vertueux

Le programme repose sur l’appréhension sociale et médicale des situations. Il s’agit donc, aussi, de promouvoir un mode de vie sain avec des visites régulières à la sage-femme, au médecin-obstétricien et au centre de santé en charge du suivi des enfants. L’intensité de l’intervention est élevée : au départ deux visites à domicile par semaine puis une visite hebdomadaire. Les équipes d’intervention sont notamment constituées d’étudiants, ce qui réduit le coût du dispositif et aide à construire une relation de confiance avec les mères qui peuvent percevoir des étudiants comme moins « menaçants » que des professionnels chevronnés.
Le MoR repose sur une théorie du changement en six points :
– Si on combine la recherche des risques sociaux et médicaux on peut identifier les femmes et les enfants les plus vulnérables
– Si on s’assure d’une étroite collaboration entre les services médicaux et sociaux alors on peut fournir des soins holistiques plus efficaces (voir à ce sujet un de nos précédents articles)
– Si on propose des soins intensifs personnalisés alors on peut réduire le stress, améliorer les compétences parentales et augmenter l’autosuffisance
– En diminuant le stress de la mère et en augmentant sa capacité à subvenir à ses besoins, alors on élève la probabilité pour le bébé d’être en bonne santé, d’avoir un attachement sain et un bon développement
– Si les enfants naissent en bonne santé et se développent de façon optimale alors la probabilité qu’ils mènent un vie heureuse et saine augmente
– Si les femmes subviennent à leurs besoins et qu’on augmente la probabilité d’un développement sain de l’enfant, alors on réduit la dépense gouvernementale et on augmente la recette fiscale

On retrouve donc avec ce dispositif l’idée d’un investissement social avec de fortes retombées socio-économiques à long terme pour l’ensemble d’un pays. Les évaluations de ce dispositif, peut-être pas encore disponibles, n’ont pas été décrites ici par les auteurs.

Au Niger : transferts sociaux et coaching parental

Le deuxième programme relayé dans le rapport de la Fondation Bernard Van Leer et sur lequel nous voulions proposer un focus est le « Projet filets sociaux » (en français dans le texte) mis en place au Niger. Les trois auteurs (Oumar Barry, Ali Mory Maïdoka et Patrick Premand) détaillent ce dispositif qui repose sur la délivrance d’une allocation financière de façon inconditionnelle et sur la promotion en parallèle de pratiques parentales positives. Le Niger affronte des défis assez colossaux. Très pauvre, il affiche l’un des plus faibles indices de développement humain au monde. Les enfants de moins de cinq ans constituent un quart de la population et les femmes ont en moyenne sept enfants. Moins de la moitié des 7-12 ans sont scolarisés. 44% des enfants sont rachitiques, dont la moitié de façon sévère.

Le « projet «filets sociaux » propose d’abord l’octroi de 10.000 francs CFA (environ 15 euros) par mois pendant 24 mois aux familles les plus pauvres. Le programme repose ensuite sur un volet comportemental qui était au départ très axé sur l’aspect médical et hygiénique : promotion de l’allaitement exclusif jusqu’aux six mois de l’enfant, couchage de l’enfant sous des moustiquaires, traitement de la diarrhée avec des solutions orales de réhydratation, lavage des mains et hygiène, recours aux services de santé préventive, visite médicale aux premiers symptômes, et planification familiale.

Pour avoir une approche plus holistique du développement de l’enfant il a été ajouté un volet davantage axé sur la nutrition et le développement des compétences psycho-sociales. De nouveaux modules ont donc été conçus, sur la stimulation du langage, le jeu, la préparation à l’école, le recrutement et l’assiduité, le développement du cerveau, les punitions et la gestion des conflits, l’attachement et le développement socio-émotionnel. Chaque module a fait l’objet d’un manuel détaillé élaboré à partir d’une approche de « déviance positive » : il s’agit d’identifier les exemples existants de bonnes pratiques dans une communauté, de travailler sur cette base et de les disséminer en déclenchant des dynamiques de groupe.

L’intervention portant sur le changement comportemental est censée commencer quelques mois après les premiers versements et durer 18 mois. Chaque famille bénéficiaire est invitée à participer à trois activités par mois. D’abord une assemblée de village est organisée avec l’ensemble des bénéficiaires et les non bénéficiaires. Ensuite a lieu une « causerie » par groupe de 25 personnes puis l’éducateur de la communauté visite chaque bénéficiaire à domicile.

En cinq ans, 3300 éducateurs « communautaires » ont été formés, 1500 villages ont été concernés et 87.000 familles ont perçu les allocations mensuelles. Elles ont été plus de 90% à participer en parallèle au programme de changement comportemental. Environ 130.000 familles qui ne percevaient pas les allocations ont néanmoins été indirectement touchées par la partie comportementale.

Au Niger, des défis majeurs et des résultats mitigés

Plusieurs évaluations ont été programmées. Elles ont montré une excellente participation et un très fort engagement communautaire. Le contenu des sessions de coaching parental, notamment celles portant sur de nouvelles thématiques (les stimulations psycho-sociales) sont apparues comme correspondant à l’intérêt et aux aspirations des foyers pauvres ciblés par ces programmes. Les messages véhiculés ont semblé être bien reçus et compris. Quelques réserves : les éducateurs issus des communautés n’ont pas été suffisamment supervisés. Certains présentaient des compétences trop faibles et n’étaient pas assez performants. Néanmoins, les éducateurs « locaux » se sont révélés parfois meilleurs en matière d’implantation du programme que les personnels des ONG.
Concernant les effets sur les pratiques parentales et le développement de l’enfant, ils ont été mis en évidence pour neuf des 14 domaines testés. L’allaitement exclusif et la supplémentation se sont améliorés, conduisant à une plus grande sécurité alimentaire des enfants. Un moindre recours à la discipline autoritaire a été observé. Les pratiques au sein des villages ont évolué, ce qui montre que même les foyers non bénéficiaires ont été impactés. Des changements en matière de santé préventive sont survenus mais les résultats ont été plus contrastés. Il n’y a eu en revanche aucun impact sur le nombre de naissances et des effets très limités sur les résultats scolaires.

En dépit des changements de pratiques chez les adultes, les résultats ont été assez faibles du côté du développement des enfants sur le court terme. Les améliorations en matière de développement socio-émotionnel et cognitif ont été faibles. De la même façon, malgré les modifications alimentaires et sanitaires, les mesures anthropométriques des enfants n’ont pas évolué. Les auteurs notent que les mesures ont été effectuées à l’issue des 18 mois de l’expérimentation et qu’il est possible que les effets se manifestent à plus long terme. Il est vrai également que les conditions de vie des familles concernées sont extrêmement difficiles, incluant des facteurs de risques multiples (fort illettrisme des adultes, services sociaux de piètre qualité, équipements sanitaires limités).
Pour les auteurs, il faudra relever un défi « systémique » : s’assurer de la qualité de l’implantation du programme avec une supervision efficace des équipes et des « boucles de retroaction »pour respecter le contrat initial, basé sur la performance du dispositif.