De l’art pour nourrir la relation parent-bébé
Date
7 novembre, 2016
Catégorie
Enfance
Auteur
Gaëlle Guernalec-Levy
Photo/Illustration
Mille et une couleurs

L’art au service de la relation parents-enfants, l’art comme stimulus des premières sensations, l’art comme ouverture précoce au monde. C’est un peu tout cela que le Bus des Mille et une couleurs propose une fois par semaine aux familles de Toulouse et de ses environs. Après 20 ans d’existence, l’association vient de recevoir un “laurier départemental” remis par la Fondation de France Sud-Ouest. Sa fondatrice, Laurence Imbert Germain parle musique, peinture, spectacle vivant, et livre son approche de l’accompagnement à la parentalité.

 

Après 20 ans d’existence, l’association Mille et une couleurs récolte
des lauriers, au sens propre de l’expression. La structure vient en effet de se voir décerner un « laurier départemental » par la Fondation de France Sud Ouest pour ses actions en faveur de l’éveil et de l’épanouissement de l’enfant, de l’accompagnement à la parentalité et de l’accès à la culture.

mille-et-une-couelurs-8Une fois par semaine, hors vacances scolaires, le bus de Mille et une Couleurs se déplace dans un quartier de Toulouse ou en zone rurale et propose aux parents accompagnés de leur tout-petit une immersion de deux heures dans l’imaginaire artistique, avec, à chaque rencontre, un duo entre un artiste des arts plastiques et un artiste du spectacle vivant. Musique, chansons, marionnettes, peintures, tous les arts sont les bienvenus à l’arrière du bus pour offrir au duo parent-enfant une parenthèse poétique, drôlatique, onirique, hors du fracas du monde.

Un peu d’art pour nourrir les cinq sens du bébé

Lorsque l’association s’est créée, en 1996, l’ambition de Laurence Imbert Germain était pleinement artistique. « J’avais un grand-père peintre, raconte-t-elle, une famille qui créait des papiers-peints. Je suis tombée dedans quand j’étais petite. Les tableaux, chevalets, tubes de peinture, les couleurs, je baignais dans cet univers. A 12 ans, j’ai eu envie de peindre à mon tour. En revanche j’ai toujours entendu ma mère dire que dans la famille nous n’avions pas l’oreille musicale. La musique était donc un univers qui m’était fermé. C’est plus tard que j’ai pu déconstruire ça.» De cette expérience personnelle lui vient la certitude suivante : quand les cinq sens d’un bébé sont nourris dès la naissance, il va pouvoir les utiliser, il part avec davantage de chances d’accéder plus tard à une forme de bien-être.

 

Dès le départ Laurence Imbert Germain souhaitait donc que soient réunies peinture et musique et que l’échange artistique avec l’enfant, échange essentiellement non-verbal, intègre le parent. « C’est dans les bras de ses parents qu’un bébé est le plus en sécurité, qu’il est le plus à même de faire des découvertes ».
Les artistes sont sélectionnés sur la qualité et l’originalité de leur univers et pas sur leurs connaissances en puériculture ou leur répertoire de comptines. « Ce qui m’importe c’est l’ouverture d’esprit, avance Laurence Imbert Germain. Je préfère quelqu’un qui ne connaît pas la petite enfance plutôt qu’un intervenant plein d’a-priori qui vont l’enfermer. Je préfère quelqu’un qui écrit le livre à partir des enfants qu’il voit plutôt qu’un artiste qui ramène les enfants à ce qui est écrit dans les livres

Accueillir les parents sans étiquette

Mille et Une Couleurs s’inscrit-elle pleinement dans des actions d’accompagnement à la parentalité ? Oui, totalement, même si Laurence Imbert Germain en a pris conscience après coup. « Quand j’ai créée l’association, l’expression n’était pas encore à la mode, on ne verbalisait pas les choses comme ça ». Elle se méfie des expressions consacrées qui parfois peuvent enfermer. « Rompre l’isolement », par exemple.
« Evidemment, quand un bébé arrive, les repères sont chamboulés et si on ne fait pas partie d’un réseau, si la famille est éloignée, ça peut être difficile. Le bus permet de rencontrer d’autres personnes. Nous participons pleinement à la création du lien. Mais je ne passe pas mon temps à chercher des problèmes chez les gens, au contraire, nous cherchons à mettre en avant leurs compétences
Les parents ne viennent pas pour parler de leurs difficultés, ils viennent pour partager un moment hors du temps avec leur bébé. L’équipe sait peu de choses de leur vie, ces voyageurs de l’après-midi ne portent ni bagage ni étiquette.
mille-et-une-couleurs-2« A l’arrière du bus, on peut s’imaginer que tout le monde va bien, les familles vivent un moment d’évasion qui ne les ramène pas à leurs difficultés », explique Laurence Imbert Germaine qui ne se voit clairement pas comme un travailleur social. Sa mission n’est pas là.
« Nous travaillons en toute conscience du monde dans lequel nous vivons et des difficultés que peuvent rencontrer les parents, précise-t-elle. Nous ne posons pas de diagnostic sur les familles que nous accueillons, nous ne leur donnons pas de conseils (mais nous pouvons éventuellement leur donner les coordonnées d’autres lieux s’ils en expriment le besoin). Notre travail est de leur offrir des temps, des espaces, des outils, pour se retrouver, et trouver leurs propres réponses (être créatif, pouvoir poser un regard personnel sur soi, sur son enfant, et sur le monde). Nous avons choisi de mettre la loupe sur ce qui est trop rarement mis en avant, les compétences de chacun, et de participer à les arroser, nourrir, pour qu’elles puissent s’épanouir, pour que chaque parent puisse rester vivant auprès de son enfant. »
En cela finalement, le Bus des Mille et Une couleurs s’inscrit parfaitement dans la philosophie de l’accompagnement à la parentalité à la française, mise en exergue par la plupart des grands acteurs de ce champ, et rappelée dans le récent rapport du Haut Conseil à la Famille ou celui de Sylviane Giampino remis à Laurence Rossignol en juin dernier : cet accompagnement se veut universaliste plutôt que ciblé, offert à toutes les familles quelles que soient leurs conditions de vie, non prescriptif, non dogmatique. La mise en valeur des compétences des parents et leur réassurance est privilégiée plutôt que l’imposition d’une norme qui définirait une « bonne parentalité ».

Les parents changent, ou pas, la magie reste

La fondatrice et responsable de l’association ne se pose pas non plus en sociologue de la parentalité, ne cherche pas les différences entre les parents des villes et des champs, « un parent reste un parent », rechigne à dresser des constats sentencieux. Même si, bien sûr, certains réflexes ont pu la laisser interloquée. Comme ce jour où le parent d’un bébé d’un an et demi a donné son smartphone à l’enfant de peur que celui-ci ne s’ennuie. Pour autant, elle ne saurait dire si les parents d’aujourd’hui ont tellement changé, s’ils sont plus inquiets, plus sous pression.
Ce qu’elle continue de voir, ce sont des parents parfois désarçonnés par l’expérience à laquelle ils participent puis qui se laissent porter. Ce sont les réactions saisissantes, toujours inattendues, des tout-petits. C’est une danseuse et un bébé de deux mois capables d’improviser pendant de longues minutes une « danse des pieds » en miroir, sous le regard subjugué de la mère.

Sur le site de l’association, les très nombreux témoignages disent bien l’émotion et la gratitude. « Merci d’avoir permis à leur petit cerveau, leurs sens, leurs envies, leur corps d’avoir goûté à ces séances créatives, riches en langage non verbal et bourrées de bonne humeur ». « On monte dans le bus, on pénètre l’espace et on oublie tout. On oublie même qu’on est dans un bus! On pénètre un espace-temps clos qui nous happe complètement. Aucune contingence ». « Lorsqu’on franchit la porte du Bus des Mille et Une Couleurs, on sait qu’on n’en reviendra pas indemne… Le rythme effréné de la vie se suspend…et on part pour une expérience sensorielle, un voyage initiatique aux confins de l’instant présent avec son bébé, en compagnie d’artistes bienveillants et généreux.» Avant même d’être récompensé par la Fondation de France, le bus des Mille et une couleurs récoltait déjà de bien jolis lauriers.