Le Conseil National d’Evaluation du Système Scolaire (CNESCO) publie deux rapports sur le décrochage scolaire et l’absentéisme, ainsi que des préconisations, à l’issue notamment d’une conférence de comparaisons internationales. Ces travaux permettent d’identifier des facteurs de risque et rappellent qu’il est indispensable d’agir à la fois en urgence pour les élèves sur le point de basculer et en amont pour ceux qui envoient des signaux d’alerte.

Pour une fois nous ne sommes pas trop mal placés, et en plus nous progressons. En matière de décrochage scolaire la France se situe à la 13ème place sur 29 pays européens avec un taux de 8,8% de jeunes de 18 à 24 ans sans diplôme, taux inférieur à la moyenne européenne (10,7%). Comme pour l’ensemble de nos voisins, cet indicateur a régressé puisqu’en 2007 il était de 12,8%. Bien évidemment, il est possible, il est même fortement souhaité, de faire mieux. Le CNESCO vient de publier un rapport sur ce thème et de proposer une série de préconisations formulées à l’issue d’une conférence de comparaisons internationales.

Sans surprise, la dimension socio-économique prépondérante

Pierre-Yves Bernard, du centre de recherche en éducation de Nantes, auteur de l’un des rapports présentés, rappelle que s’est développée au cours des années “une norme de scolarisation complète”. Sortir du milieu scolaire sans diplôme n’a pas les mêmes conséquences aujourd’hui qu’hier puisque le risque de chômage et d’exclusion s’en trouve aujourd’hui augmenté. Les emplois non qualifiés se sont « tertiarisés » et sont désormais occupés par des jeunes diplômés.
Si le pourcentage de décrocheurs a diminué ces dernières années à l’échelle nationale, il existe néanmoins de fortes inégalités selon les académies. Aix-Marseille, Montpellier, Lille-Amiens, Créteil ont des taux bien supérieurs à la moyenne nationale. Le contexte socio-économique constitue un des éléments cruciaux pour expliquer ces différences de résultats. Certaines académies cumulent les facteurs de risque. Quels sont-ils ? Le statut socio-économique de l’élève, les difficultés scolaires précoces (elles se rencontrent elles-mêmes davantage dans les milieux défavorisés et sont l’un des facteurs les plus prédictifs), des expériences scolaires négatives (forte distance aux savoirs scolaires, découragement, désengagement, orientation contrainte… elles se construisent dès le début de la scolarité), un contexte scolaire défavorable (climat scolaire, non mixité sociale, pratiques pédagogiques peu différenciées, compétition, filières professionnelles peu attractives), contexte territorial difficile (offre locale de formation peu diversifiée, marché local du travail attractif en terme d’emplois peu qualifiés).

Certains profils de décrocheurs sont attendus (problèmes d’apprentissages et de comportement) d’autres passent davantage sous les radars : élèves sérieux et « conformes aux règles scolaires » mais qui obtiennent de piètres résultats, élèves avec des résultats moyens mais qui rejettent l’institution.
Le rapport sur le décrochage piloté par Pierre-Yves Bernard relève que parmi les indicateurs de milieu social c’est le diplôme de la mère (comme souvent) qui apparaît déterminant. Pour une raison évidente : les pratiques éducatives, qui sont très corrélées aux résultats scolaires des enfants sont elles mêmes fortement différenciées selon le milieu social. « Une implication familiale importante, des attentes positives vis à vis de l’école, une réactivité des parents aux difficultés scolaires, une attitude encourageante et valorisante diminuent le risque de décrochage. Or, ce sont précisément ces pratiques qui sont plus fréquentes dans les milieux socialement favorisés et moins répandues dans les milieux populaires. »

Les enfants élevés par un seul parent sont plus souvent en décrochage mais cet effet apparaît faible une fois le statut socio-économique pris en compte. C’est lorsqu’elle est liée à la précarité économique que la monoparentalité constitue un facteur de risque. De la même façon il semble que le fait d’être issu de l’immigration ne s’apparente à un facteur de risque  que dans la mesure où ces familles sont également parmi les plus précaires. A niveau socio-économique égal, les enfants de parents étrangers ne semblent pas plus décrocheurs.
Le genre apparaît comme une caractéristique déterminante du décrochage scolaire (quel que soit le pays). 16% des jeunes hommes sortent du système scolaire sans avoir obtenu de diplôme contre 11% des filles. Le rapport rédigé par Pierre-Yves Bernard relève que cette différence traduit une meilleure réussite scolaire des filles, qui seraient mieux préparées à l’intériorisation des normes de l’école (au sujet des garçons lire aussi cet autre article). L’auteur écrit ainsi : « Si effet de genre il y a c’est à travers de multiples dimensions de cette expérience scolaire : travail scolaire bien sûr, mais également rapports aux pairs, aux enseignants et aux autres adultes de la communauté éducative, rapports aux normes scolaires etc... »

Avant le décrochage, l’absentéisme, surtout chez les jeunes issus de l’immigration

Le CNESCO propose un focus sur l’absentéisme scolaire dans la mesure où cette donnée semble constituer un signal d’alerte. Il existe une forte corrélation entre l’absentéisme et le décrochage.
En France, outre la faible performance scolaire, le statut migratoire est l’un des facteur qui influe le plus sur l’absentéisme des élèves (ce n’est pas le cas pour deux tiers des 26 pays étudiés). Lors de la conférence de presse présentant ces données, un journaliste interroge : peut-on lier ce fort absentéisme des élèves issus de l’immigration à l’injustice ressentie au moment d’une orientation contrainte et donc finalement au regard porté par l’école sur ces élèves ? Pour Nathalie Mons, présidente du CNESCO, ce n’est pas si évident. « Rappelez-vous qu’à niveau scolaire égal, les jeunes issus de l’immigration sont plus orientés en filière générale que les autres ».

Dans son rapport, Pierre-Yvers Bernard note pour sa part que pour expliquer leur décrochage, les garçons vont plus souvent incriminer l’institution scolaire ou le marché du travail et les filles des difficultés d’ordre personnel. Les garçons, plus souvent en difficulté scolaire, plus souvent décrocheurs que les filles ont donc aussi plus tendance à chercher des responsabilités externes. Dans un rapport remis au CNESCO par Christian Monseur et Ariane Baye sur l’absentéisme, ces deux auteurs insistent : oui, ce sentiment d’injustice apparaît comme le facteur le plus prédictif de l’absentéisme lourd, au-delà des performances scolaires. Pour autant, poursuivent-ils, les faibles performances scolaires et le sentiment d’injustice sont très liés. Les élèves qui se sentent moins bien traités sont aussi, en général, des élèves en difficulté sur le plan des apprentissages. Lors d’un débat ici raconté, une jeune enseignante expliquait que contrairement à ce qu’elle avait pu penser avant d’intégrer l’Education Nationale, les jeunes garçons d’origine étrangère n’étaient pas orientés en filière courte parce qu’ils étaient Noirs ou Arabes mais parce qu’ « ils n’ont tout simplement pas le niveau pour aller en filière générale ».

Ne pas confondre la victimisation avec la discrimination

Comme l’a glissé Nathalie Mons, le sujet est « explosif », en témoigne la récente polémique au sujet d’un stage organisé par le syndicat Sud évoquant un « racisme d’état » et les nombreux sociologues ou chercheurs en sciences de l’éducation qui reprennent volontiers, sur la base de déclarations subjectives d’un sentiment d’injustice, cette antienne d’une école qui discriminerait de façon systémique, tombant dans le piège, à notre sens, de la victimisation.
Ce fut le cas avec l’étude « Trajectoires et Origines » menée par l’INED et l’INSEE dans l’introduction de laquelle on pouvait lire, au sujet des élèves issus de l’immigration : “La plus forte déclaration par les garçons de traitements injustes fondés sur l’origine dans l’orientation scolaire, ou dans la façon dont les agents scolaires s’adressent à eux, vient confirmer l’hypothèse selon laquelle leur désavantage persistant relèverait d’un fonctionnement discriminatoire de l’institution scolaire à l’encontre des garçons sur le fondement de leur origine.”

Jean-Louis Auduc, fin connaisseur du système éducatif, a une autre explication, moins victimaire, qu’il a développée dans son livre “La Fracture sexuée” et qu’il résumait ainsi dans un entretien accordé à GYNGER: “dans les cultures traditionnelles, où il existe une répartition très sexuée des rôles, le phénomène [“de moindre réussite des garçons” ndlr] est renforcé. (…) Plus le milieu familial est traditionnel, avec une place spécifique accordée à la fille et au garçon, plus l’école est vécue par le garçon comme le lieu de la contrainte, où on va l’obliger à se corriger. Alors que pour la fille, au contraire, l’école est, par rapport au foyer, le lieu de la valorisation. Dans certains milieux aussi, la lecture est assimilée à une activité de fille, ce n’est pas viril. Entrer dans le champ du savoir revient à être marqué du sceau féminin. Ne pas lire c’est donc résister.”

En France, des élèves très influencés par le groupe et peu attachés à leur établissement

Au-delà des caractéristiques individuelles des élèves, « il y a quelque chose à travailler dans l’établissement », assure Nathalie Mons. En France, « l’effet établissement » joue beaucoup plus qu’ailleurs. Il existe aussi d’importants effets de pairs entre les élèves. Un jeune a 1,5 fois plus de risques de s’absenter dans un établissement où l’absentéisme est élevé. En France, et c’est une spécificité, les élèves développent un faible sentiment d’appartenance à leur établissement et certainement cette donnée entre-t-elle en ligne de compte dans le décrochage. Le fait que les élèves ne s’identifient pas à leur établissement est très associé au risque d’absentéisme lourd. A contrario, les élèves qui déclarent se sentir appartenir à leur établissement s’absentent peu.

Accompagner les élèves en amont, diversifier les offres de remédiation en aval

Concernant les politiques publiques mises en place pour enrayer ces phénomènes elles sont généralement de trois ordres : prévention, intervention, compensation. Cette dernière est la plus prégnante en France sous le vocable de remédiation.

Pour le CNESCO trois axes sont à explorer. D’abord, il faut intervenir en urgence en menant des actions auprès des élèves qui risquent de décrocher, en proposant des outils, des formations, des moyens aux établissements pour identifier les premiers signaux. Un outil de suivi de l’activité de chaque élève dans la classe pourrait être utile tout comme le fait d’informer les établissements sur leur exposition précoce au risque de décrochage (une réflexion sur la construction des indicateurs de risque). Trouver des alternatives aux exclusions, créer des liens avec les familles (ne pas attendre que les situations se dégradent), aborder la santé avec les familles (le sport ou le sommeil, très associés au décrochage) sont des pistes intéressantes.

Deuxième axe pour le CNESCO : sur le long terme, penser à la prévention pour tous les élèves en accompagnant leur parcours, en variant les situations et les contextes d’apprentissage, en redonnant une perspective au choix d’orientation (le décrochage touche surtout les lycées professionnels après une orientation subie). Une priorité également : améliorer le climat scolaire, développer la vie et l’identité de l’établissement , expliciter les règles, développer les compétences psycho-sociales des élèves et le sentiment d’appartenance à l’école ou à l’établissement. Troisième axe : le retour en formation.  Aujourd’hui c’est un problème. Le délai est très important entre la rupture scolaire et le retour dans les formations. Il est donc capital d’identifier les « perdus de vue », de proposer un guichet d’entrée unique, de renforcer et permettre l’accès à une offre diversifiée (moins de 10.000 places au total alors que 100.000 jeunes concernés).

Et puis, enfin, là comme ailleurs,  préconise le CNESCO, « il faut prévoir des programmes d’évaluation ambitieux  pour évaluer l’efficacité et l’efficience des dispositifs de retour en formation ».