Plus d’une femme sur 10 souffrirait d’un épisode dépressif sévère dans la première année suivant la naissance de son enfant. Les effets négatifs de cette détresse maternelle sur l’enfant sont de plus en plus documentés. Dans cette étude publiée dans la revue Child Development, deux chercheuses américaines rappellent qu’il existe des thérapies efficaces et que les interventions ciblant à la fois les symptômes de la dépression et l’amélioration des pratiques parentales ont de réels effets sur le développement de l’enfant. Nous vous proposons une synthèse détaillée de cet article très instructif.

Les auteures de cet article, Sherryl H.Goodman (Département de psychologie de l’Université Emory, Atlanta) et Judy Garber (département de psychologie et du développement humain de l’Université Vanderbilt, Nashville), décrivent les liens entre la dépression maternelle et les troubles du développement du jeune enfant et passent en revue les interventions comportementales auprès des mères qui peuvent atténuer ces effets délétères sur leur progéniture. Elles précisent s’être concentrées sur la toute petite enfance pour plusieurs raisons. La prévalence de la dépression maternelle est élevée sur cette tranche d’âge.

Selon les chiffres (américains) avancés par les auteurs, 13% des femmes souffrent d’un épisode dépressif majeur au cours de la première année de l’enfant et ce taux s’élèverait à 50% chez les mères en grande précarité. D’autres arguments sont avancés pour justifier ce focus spécifique sur les toutes premières années : les mères et les enfants passent beaucoup de temps ensemble durant cette période (surtout dans les pays où le taux d’activité des femmes est faible et les modes d’accueil peu développés), la très forte plasticité cérébrale des très jeunes enfants les rend encore plus vulnérables à la fragilité maternelle, les facteurs de stress liés à la dépression au cours du développement précoce sont associés à un risque accru de pathologies psychiques ultérieures.

Les enfants jeunes et de milieux défavorisés encore plus impactés par la dépression maternelle

Les effets de la dépression maternelle sur le développement de l’enfant sont en effet désormais bien documentés. Le développement cognitif de ces enfants est moins bon, ils manifestent davantage de troubles du comportement et ils sont plus à risque de présenter plus tard des troubles psychopathologiques. Les auteures notent que les effets de la dépression maternelle varient selon différents facteurs :ils sont plus forts si les enfants sont jeunes, s’ils sont de sexe féminin (ce qui est étonnant dans la mesure où dans la littérature ce sont plutôt les garçons qui se révèlent plus sensibles aux difficultés maternelles), dans les milieux défavorisés, dans les minorités ethniques, lorsque les couples ne sont pas mariés.

Sherryl H.Goodman et Judy Garber se sont intéressées à la façon dont on peut réduire le facteur de risque lui-même, c’est à dire la dépression maternelle et ses manifestations cognitives, comportementales et affectives, et à la façon dont on peut en atténuer les conséquences, la première d’entre elles résidant dans un dysfonctionnement parental pathogène pour l’enfant. En d’autres termes, comment limiter l’exposition des enfants à la souffrance maternelle et comment favoriser des pratiques parentales adéquates chez les mères dépressives ?

Réelle efficacité des TCC sur la dépression, mais pas suffisante pour contrer les effets des symptômes sur les enfants

Les deux chercheuses rappellent d’abord qu’il est tout à fait possible de soigner la dépression. Les traitements médicamenteux sont efficaces mais problématiques en cas d’allaitement, notent-elles. Les thérapies comportementales et cognitives fonctionnent elles aussi très bien pour la dépression maternelle. Elles évoquent également les thérapies interpersonnelles, de courte durée, bien évaluées et les thérapies cognitives basées sur la pleine conscience spécifiquement adaptées pour la prévention des rechutes des épisodes dépressifs maternels. Les auteures insistent : il existe vraiment des thérapies basées sur des preuves qui permettent de réduire les symptômes voire d’éliminer la dépression elle-même, y compris chez des populations très défavorisées.

Elles posent ensuite la question suivante : lorsque la mère reçoit un traitement adéquat, les enfants bénéficient-ils des effets de ce traitement ? Une méta analyse montre qu’une bonne thérapie permet de diminuer l’intensité des symptômes chez la mère, ce qui se traduit par une amélioration des interactions mère-enfant et de la santé mentale de l’enfant. Néanmoins, sur ce point précis, les études sont contrastées. Les auteures en concluent donc que du point de vue du développement de l’enfant, la thérapie ciblant uniquement la dépression maternelle ne peut suffire. Elles proposent d’étudier l’approche alternative, c’est à dire des interventions qui visent à réduire les symptômes de la dépression mais qui ciblent également explicitement les pratiques éducatives des mères.

Agir sur les symptômes de la dépression et renforcer les capacités parentales

Pourquoi ? Parce que, assurent les auteures, le risque de développer une dépression est important pour les enfants de mère dépressive bien que l’héritabilité de la dépression soit faible. Ce qui signifie que l’environnement joue un rôle prépondérant. Or, pour un très jeune enfant, l’environnement, c’est essentiellement le comportement parental. C’est ce comportement qui a de très forts effets sur le développement du tout-petit. La parentalité est un mécanisme central à travers lequel la dépression maternelle affecte l’enfant. Agir sur ce mécanisme apparaît donc essentiel.
Les mères dépressives sont moins en capacité de prodiguer des soins adaptés à l’enfant selon son âge, elles ont plus recours à une éducation dure et autoritaire, sont plus enclines à la critique vis à vis de l’enfant, sont plus distantes, davantage dans des positions de retrait. Autant de comportements délétères pour de très jeunes enfants qui ont au contraire besoin de compter sur des adultes bienveillants, sensibles, réceptifs, engagés et positifs. Les interventions axées sur le comportement des parents visent à promouvoir cette parentalité positive. Elles peuvent présenter un intérêt pour les mères dépressives.

Deux exemples d’interventions basées sur les TCC et la parentalité positive

Les auteures ont choisi de développer deux exemples de programmes bien connus et très documentés : le « home visiting Programms» (HPVs, visites à domicile) et le Triple P (programme de parentalité positive), deux dispositifs ayant démontré leur efficacité, la faisabilité de leur implantation à grande échelle et un intérêt économique. Le HPVs est connu pour ses effets positifs en matière de parentalité mais il est moins efficace pour les mères dépressives. Il a donc fait l’objet d’une adaptation spécifique et est devenu le In-Home CBT (le CBT = TCC), consistant en des visites à domicile de la part de thérapeutes spécialisés dans les Thérapies Cognitives et Comportementales. Les mères bénéficiant du programme renforcé IH-CBT ont été beaucoup moins nombreuses à être diagnostiquées pour dépression massive que dans le programme HPVs classique. Dans les deux groupes, lorsque la dépression maternelle est atténuée ou soignée, les pratiques parentales s’améliorent.
Le programme triple P a lui aussi été adapté pour répondre spécifiquement aux besoins des mères dépressives. Comme la dépression maternelle survient souvent dans un contexte de conflit conjugal, un volet destiné aux partenaires a aussi été proposé.
Les évaluations de ce programme amélioré sont très bonnes, tant du côté de l’atténuation des symptômes maternels et de la très nette amélioration des pratiques parentales, beaucoup plus ajustées, que du côté des compétences socio-émotionnelles des enfants et de leur comportement.
Les auteures estiment que ces approches intégrées permettent à la fois aux mères d’apprendre à gérer leurs symptômes dépressifs et à améliorer leurs compétences parentales.

Plaidoyer pour un repérage en routine et un meilleur accès aux interventions efficaces

Comment améliorer encore davantage l’efficacité de ces programmes ? A l’entrée du dispositif, d’abord, les auteures estiment indispensables que toute femme avec une dépression et ayant en charge un enfant soit identifiée à travers un repérage universel et qu’elle se voit proposer un suivi adéquat. Le repérage mais aussi les interventions intégrées doivent être accessibles en routine.

Les auteures insistent aussi sur les facteurs de comorbidité et sur la nécessité de repérer des facteurs de risque supplémentaires nécessitant des interventions plus intensives : addiction, logement et conditions de vie, violences conjugales. Elles souhaitent également que soient réduites les barrière à l’entrée et l’attrition en cours d’intervention. Pour cela il leur semble nécessaire de rendre les interventions adaptables, plus flexibles (entretien par téléphone si la visite à domicile n’est pas possible), en lien avec les services de soins primaires. Il faut aussi persuader les femmes d’accorder la priorité à leur bien-être et à leur parentalité, surmonter les incompréhensions et le scepticisme en proposant des objectifs réalistes et en gagnant la confiance des familles. Les deux chercheuses préconisent aussi d’évaluer en cours d’intervention les progrès dans la réduction des symptômes dépressifs et dans les pratiques parentales afin d’être capable d’identifier en cours de route des facteurs de comorbidité, d’ajuster l’intervention et de prévoir des modules plus spécifiques.

Elles insistent également sur la nécessité de maintenir un contact et un soutien après l’intervention pour éviter les rechutes (contact téléphonique, mise à disposition d’un manuel ou d’un programme en ligne) mais aussi pour délivrer des informations sur les pratiques parentales adaptées en fonction de l’âge de l’enfant et permettre aux mères d’ajuster leur éducation au fur et à mesure du développement de leur enfant.
En conclusion, les deux auteures rappellent que les interventions intégrées visant à réduire les symptômes dépressifs et à améliorer les pratiques parentales ont montré leur efficacité et que cette conclusion était déjà celle de l’Institut National de médecine et de recherche en 2009. Elles déplorent que tant d’années se soient écoulées sans que ce constat scientifique ne se soit traduit aux USA par de nouvelles pratiques en routine. Leur propos est clair : les programmes évalués existent, les preuves existent, le retour sur investissement et donc la pertinence économique ont été démontrés. Il n’y a plus qu’à.