Des bénévoles non pros pour soutenir les parents vulnérables
Date
7 novembre, 2018
Catégorie
Familles
Auteur
Gaëlle Guernalec-Levy
Photo/Illustration
Thibault Grégoire

Cela pourrait ressembler à du parrainage, tel qu’il est pratiqué en France, mais ce n’en est pas. De l’aide éducative en milieu ouvert alors ? Non plus. De la visite à domicile façon PMI ? Encore perdu. Le Petit Vélo Jaune, association belge, c’est tout cela à la fois et en même temps ça n’a rien à voir. Et c’est donc très intriguant.

L’association existe depuis cinq ans en Belgique sur le territoire Bruxellois et dans une partie du Bravant wallon. Elle met en relation des jeunes parents en besoin de soutien et des co-équipiers, tous bénévoles. Chaque co-équipier s’investit pendant une année minimum auprès d’une famille, à raison d’une visite au domicile par semaine, si possible dès la naissance de l’enfant voire dès la grossesse. Le bénévole offre sa présence à un parent en situation d’isolement, son écoute, sa disponibilité. Il fait part de ses propres expériences, ne s’interdit pas de donner des conseils, transmet son propre savoir-faire par les mots ou les gestes. Il a aussi comme attribution de redonner aux parents la confiance qui leur manque dans leurs propres capacités. Ce bénévole gomme la frontière avec l’extérieur, avec la cité. C’est lui qui amène la jeune mère seule à ouvrir de nouveau la porte pour emmener ses enfants jouer à l’extérieur, à se rendre à la médiathèque, à découvrir ou redécouvrir les services disponibles dans son quartier. Il suscite et facilite les interactions entre la mère et son bébé, par le jeu et les petits moments de plaisir partagé. Le co-équipier est un tisseur de liens multiples, au sein de la cellule familiale, entre la famille et l’extérieur.

Des parents isolés, souvent en grande précarité

Les familles, elles, sont constituées de parents d’enfants de moins de trois ans. Ils arrivent seuls jusqu’à l’association ou, le plus souvent, sont adressées par d’autres services (maternités, services sociaux, consultations pré et post natales de l’Office National de l’Enfance). La précarité économique ne constitue pas un critère de sélection en tant que tel mais, de fait, c’est un élément récurrent, qui va de paire avec, ou explique, l’isolement social et les difficultés en lien avec la parentalité. « Lorsqu’on est dans un logement insalubre et que le frigo n’est pas plein c’est difficile de donner un cadre sécurisé et rassurant à son enfant », rappelle Vinciane Gautier, la co-fondatrice avec Isabelle Laurent de la structure. Plus de 65% des parents soutenus sont immigrés et 68% des familles sont monoparentales. La plupart ont souffert enfant au sein de familles déstructurées et carencées. Des critères d’exclusion ont été posés : la maladie psychique non médicalisée, l’addiction, des familles déjà avancées dans les mesures de protection de l’enfance, des situations trop lourdes, des familles SDF.

Le pari risqué de faire appel à des non professionnels

Vinciane Gautier, assistante sociale de formation, connaît bien la protection de l’enfance. Alors qu’elle était elle-même bénévole pour une association, elle a un jour vu arriver une jeune femme de 17 ans avec son bébé. « Je me suis aperçue qu’elle avait pas mal de capacités, l’envie d’y arriver, des projets pour son bébé. Mais elle vivait dans un logement insalubre, sans parents proches. Je me suis demandé quel pari on pouvait faire. Pourquoi on ne pourrait pas avoir quelqu’un qui puisse venir la soutenir, l’écouter, l’accompagner dans ses démarches. J’ai vu des parents qui avaient des compétences qu’on aurait pu mobiliser mais qui ont manqué de points d’appui et pour lesquels la situation a dérapé.» Mais n’est-ce pas là justement le rôle des professionnels, d’empêcher le dérapage ? « On a des professionnels formidables mais qui sont soumis à des attentes de résultats et surtout qui manquent de temps et ont du mal à mener un travail dans la continuité. » Il est vrai aussi que l’adhésion des familles, leur confiance, peut être plus compliquée à obtenir avec des travailleurs sociaux qui interviennent sous mandat. Le pari de Vinciane et de sa co-fondatrice, risqué, a donc été de miser sur l’intérêt présenté par des non professionnels, absolument pas formés au travail social, au soutien à la parentalité ou à la grande précarité. « On déploie une énergie folle à convaincre les services « envoyeurs », reconnaît Vinciane, même si tous nous ont dit que oui, évidemment, il y a un besoin et de la place pour un tel dispositif. » Sur leur chemin les deux initiatrices du projet ont eu la chance (le mérite) de convaincre François Dubois, grande figure belge, référente maltraitance auprès de l’ONE, qui a su à son tour persuader les travailleurs sociaux que, contrairement à eux, les bénévoles pourraient agir en « bons voisins ».

Des citoyens ordinaires, bénévoles, qui viennent « comme ils sont »

Qui sont les 40 bénévoles ? Il est difficile d’établir un profil type. Tous les âges sont représentés, y compris des jeunes femmes sans enfant. Les femmes de 45 ans, qui travaillent à temps partiel, parfois séparées, ou mères d’enfants plus grands, sont nombreuses. Quelques hommes font partie du vivier. Trois ou quatre bénévoles parlent arabe.

Leur formation initiale intéresse peu Vinciane. « Plus ils arrivent avec ce qu’ils sont, mieux c’est. La relation doit être la plus naturelle possible. » La démarche de « recrutement » est néanmoins assez lourde. Le candidat bénévole s’inscrit sur le site, un dossier lui est adressé. Il doit remplir un formulaire un peu engageant dans lequel il parle de lui. Il est ensuite contacté. « Là, on en perd déjà en route ». Une première rencontre est organisée, elle dure une heure à une heure et demie. « C’est essentiellement au feeling, explique Vinciane. En une heure et demie de rencontre on ressent beaucoup de choses dans l’attitude, la façon d’être. Après on demande toujours au candidat de réfléchir et de nous recontacter. Là on en perd aussi. De notre côté nous remplissons une fiche avec nos ressentis immédiats. » Si le candidat revient vers l’association, une deuxième rencontre est organisée. « On signe avec eux une convention de volontariat, un document de confidentialité. Ils font partie de notre réserve, ils peuvent alors participer aux intervisions, aux soirées « partage de vécu ». » Des formations « boîte à outils » sont organisées. Un appariement est ensuite effectué avec une famille selon le besoin mis en évidence. Le parent sait que pendant une année en moyenne il ouvrira sa porte à un citoyen ordinaire, mandaté par aucune institution.

Mesurer son impact…sans pouvoir tout mesurer

Un « référent duo » est nommé pour accompagner ce binôme. Chaque référent supervise 6 à 7 binômes. Il est là pour répondre aux questions, mettre de l’huile dans les rouages. Les référents, également bénévoles, ont en général des compétences dans le secteur, en raison de leur activité professionnelle présente ou passée. Tous les trois mois un entretien individuel avec l’ensemble des acteurs, la famille, le coéquipier, le référent, permet de faire le point et de mesurer les effets de ce nouveau lien. C’est ainsi que l’association, soucieuse de mesurer l’impact de son action, remplit ses indicateurs. Vinciane Gautier revendique autant cette nécessité d’un cadre et de la mesure d’impact que l’importance de l’intuition et de l’informel.

« Ce n’est pas évident d’expliquer sur quoi on agit exactement, de lister des problèmes. Je préfère parler d’ambiance. On ne peut pas se contenter de faire du soutien à la parentalité. Evidemment, nos co-équipiers sont amenés à montrer aux parents, par exemple, l’intérêt du jeu pour les enfants. Les petits s’ennuient dans des environnements peu stimulants. Mais il faut aussi, très souvent, accompagner les familles à des rendez-vous administratifs, les soutenir dans leurs démarches, les aider dans l’intendance du quotidien, y compris le ménage. » Depuis deux ans l’association a listé les besoins les plus recensés. Elle a identifié onze groupes de besoins parmi lesquels le soutien aux démarches administratives, le temps pour soi, parler avec un autre adulte, organiser le quotidien. Vinciane le martèle : « On n’est pas là pour leur dire comment ils doivent faire les choses. Dans chaque parent il y a un héritage, parfois pauvre, mais on peut ouvrir les angles, qu’ils se retrouvent dans un modèle parental qu’ils veulent construire. On les aide à identifier leurs forces et leurs capacités à eux Vinciane constate que le modelage comportemental fonctionne bien. « Certaines mamans disent qu’elles observent leur co-équipier avec leur enfant, sans même que celui-ci s’en rende compte, et qu’elles reproduisent ensuite ce qu’elles ont vu. D’autres trouvent une motivation dans le fait de faire plaisir au bénévole. Une maman avait ainsi rangé sa cuisine de fond en comble et avait dit ensuite à la bénévole. « Tu vas être contente, j’ai tout rangé comme tu m’avais aidé à le faire la dernière fois ». »

Entre 35 et 40 familles sont actuellement accompagnées par un co-équipier du Petit vélo jaune. Une centaine de familles l’ont été depuis la création. Le réservoir de bénévoles se renouvelle sans cesse même si la gestion se fait la plupart du temps à flux tendus. Pour les Belges qui seraient volontaires, les renseignements sont à prendre sur le site. Côté français, l’idée d’une alliance entre professionnels et non professionnels pour soutenir les familles les plus fragiles pourrait, pourquoi pas, faire son chemin.

Photos Thibault Grégoire, à retrouver sur son site