A Londres, les 24, 25, 26 et 27 janvier derniers se déroulait le BETT, rendez-vous international des entreprises et start-ups Edtech (nouvelles technologies de l’éducation). Nous avons arpenté ce salon à la recherche des outils dédiés aux enfants avec des besoins particuliers.

Les « Tech », du numérique à la robotique en passant par les imprimantes 3D, ont apporté à l’ « Ed » de nombreuses innovations pédagogiques, et ce depuis longtemps : la première édition du BETT a eu lieu en 1985. L’adaptabilité et la flexibilité qu’elles permettent les rendent spécifiquement attractives pour les élèves à besoin éducatifs particuliers. Ce terme vague désigne autant les élèves allophones que les dyslexiques ou les élèves souffrant d’un handicap sensori-moteur. Autant de situations scolaires qui exigent des prises en charge spécifiques. Dans ce grand salon professionnel, de nombreux exposants étaient étiquetés comme adressant les “besoins éducatifs particuliers”. De quelle manière ?

Des logiciels qui doivent servir à tous, et éventuellement aux enfants avec des besoins particuliers

Pour la grande majorité, ce sont des outils qui s’adressent d’abord à tous et proposent en plus quelques fonctionnalités utiles pour les “besoins éducatifs particuliers”. Le discours des géants Google et Microsoft, qui donne le ton à celui de la majorité des autres entreprises, reflète bien leur positionnement volontairement hégémonique : dans la classe, un seul outil doit pouvoir servir à tous. Économiquement efficace, c’est une stratégie qui a également l’avantage d’être inclusive. Les suites logicielles pour l’éducation des géants du web proposent donc de nombreuses fonctionnalités en permanente évolution facilitant les apprentissages des mal voyants, mal entendants ou élèves souffrant de troubles dys. Les fonctions de synthèse vocale (qui créent de la parole artificielle à partir de texte ou permettent de décrire des images) ou de reconnaissance vocale sont par exemple de plus en plus performantes et intégrées à un nombre croissant d’applications.

Le programme “Mindview”, de l’entreprise Matchware Ltd,  suit la même logique. Ce programme faisait partie des 8 finalistes dans la catégorie “besoins éducatifs particuliers” des “BETT Awards” 2018, attribués par un jury de divers spécialistes composé de blogueurs, startupers, chefs d’établissement, etc. Matchware Ltd développe depuis 1992 des logiciels permettant de construire des “cartes mentales accessibles à tous”. Cette représentation visuelle de l’information faciliterait la mémorisation pour tout le monde, et en particulier pour personnes souffrant de troubles dys ou du syndrôme d’Asperger (forme d’autisme sans déficience intellectuelle ni retard de langage). Les représentants de l’entreprise sur le salon estiment ainsi que l’intérêt de leur logiciel pour les élèves à besoins éducatifs particuliers repose “à 80% sur la méthode de la carte mentale en elle-même, et à 20% sur toutes les fonctionnalités qui assurent l’accessibilité de l’outil”. Mindview offre par exemple une commande et synthèse vocale intégrées ainsi que des options de réglages des couleurs facilitant la lecture, mais garde délibérément une interface dont l’apparence est similaire à celle des logiciels de traitement de texte traditionnels. Il s’agit de répondre au besoin sans pour autant le rendre visible.

Special I-Apps : l’un des rares outils spécifiques pour les enfants porteurs de handicap

Cette démarche inclusive semble cependant trouver ses limites lorsque l’on s’intéresse à des besoins spécifiques plus importants, tels que les handicaps mentaux et moteurs lourds. D’autant plus si le but n’est pas seulement que l’outil soit utilisable par l’enfant, mais aussi qu’il stimule efficacement le développement de compétences ciblées. Le modèle économique étant vraisemblablement moins porteur, un seul exposant proposait un tel outil au BETT : “Special iApps”, entreprise sociale fondée par un professeur d’université qui ne trouvait pas sur le marché d’application pour tablette adaptée aux besoins de son enfant autiste. Leur application “Special stories” faisait également partie des finalistes des BETT awards dans la catégorie des besoins éducatifs particuliers.

Les « Special iApps » sont composées d’une myriade de paramètres et fonctionnalités qui les rendent utilisables par les enfants handicapés. Par exemple, elles réagissent à des actions beaucoup plus imprécises (si l’enfant touche l’écran à côté de l’image, l’application devinera quand même quelle était son intention). Lorsqu’une seule zone physique est fonctionnelle chez l’enfant, les applications peuvent être utilisées avec un commutateur, ainsi qu’avec un double contrôle comme ceux utilisés par les auto-écoles. Il est ainsi possible pour l’accompagnant de modifier des réglages au cours d’une activité sans retirer la tablette des mains de l’enfant, pour lever un blocage sans provoquer d’énervement.
Les Special iApps recourent également à des logiques psychologiques adaptées. Pas de récompenses négatives ni de sanctions : rien ne se passe lorsque l’enfant “rate” une action.

Mais ces applications ne se contentent pas d’être accessibles aux enfants handicapés : elle visent aussi le développement de leurs compétences motrices, langagières, sociales et numéraires. Chaque application cible une aptitude spécifique.  « Mots spéciaux », par exemple, stimule la motricité fine et facilite le  développement du vocabulaire et du langage. « Histoires spéciales » cible plutôt la communication et les compétences sociales, en permettant à l’enfant de raconter et partager ses expériences à partir de texte et d’images.

Cette entreprise était aussi l’une des rares à accompagner le développement de son produit d’une démarche d’évaluation rigoureuse (bien qu’à petite échelle) ciblant la plus value pédagogique pour l’enfant à besoins particuliers. Ainsi une étude menée en 2012 dans la région de Durham, en Angleterre, a mesuré les effets de l’usage de “Special Words” sur Ipad pour 13 enfants de 6 écoles différentes, enfants présentant des difficultés très variables de langage, communication et littératie. Ces enfants ont utilisé l’application pendant 12 semaines, 10 à 15 minutes par jour. Après usage, 11 des 13 enfants faisaient preuve d’un enrichissement significatif de leur vocabulaire, y compris une petite fille atteinte de trisomie 21 qui ne reconnaissait aucun mot sur l’application avant l’expérimentation, et en reconnaissait 96 après. Des améliorations ont également été observées au niveau de la motricité fine, de la concentration, de la confiance en soi et de la motivation des enfants.

Le représentant de Special iApps reconnaît la singularité de leur démarche d’ “entreprise sociale” et regrette que l’organisation du BETT n’aille pas dans le sens de la facilitation de leur travail. Ainsi, il y a encore quelques années, une partie du salon regroupait toutes les entreprises s’adressant aux besoins éducatifs particuliers. Cette zone n’existe plus et il faut désormais arpenter tout le salon muni d’un plan pour les localiser une à une.