Grâce à une cohorte en population générale, des chercheurs danois s’intéressent aux facteurs de risque et de résilience chez les enfants dont les parents sont porteurs d’un trouble psychiatrique. Ils cherchent notamment à voir si des symptômes qui apparaîtraient de façon précoce s’installent dans le temps.

La problématique des troubles mentaux est omniprésente en protection de l’enfance (voir sur le sujet notre article sur les jeunes « incasables) avec d’une part les effets de la maladie mentale sur la parentalité et le développement de l’enfant et d’autre part les risques génétiques qui expliquent la forte prévalence de troubles du comportement chez les enfants sous mesure de protection. Il s’agit donc d’un lourd problème de santé publique.

Cet article danois*  paru dans Frontiers s’intéresse de près au facteur de risque familial en matière de troubles psychiatriques. Il détaille les recherches présentes et à venir effectuées à partir de l’Etude Danoise du Risque Elevé et de Résilience, cohorte de 522 enfants suivis de 7 à 11 ans, nés de parents schizophrènes (202), bipolaires (120) ou sans aucun trouble (200). C’est donc un article très descriptif et prospectif mais néanmoins passionnant quant aux enjeux et au protocole de travaux de cet envergure.

Les enfants de parents porteurs d’une maladie psychiatrique ont des risques majorés de troubles multiples

On sait par de précédentes recherches que les enfants de parents porteurs d’un trouble mental sévère ont un risque plus élevé de développer les mêmes troubles que leurs parents mais aussi de développer d’autres pathologies. Des études sur les enfants à haut risque familial, avec des parents atteints de troubles sévères, ont mis en exergue des problèmes neuro-intégratifs, des déficiences sociales, déficits de l’attention, des fonctions neuromotrices appauvries, une symptomatologie précoce d’anxiété et de troubles de l’humeur et du sommeil.

La cohorte danoise « Via 7 » sur le haut risque et la résilience confirme ces constats en montrant qu’à l’âge de sept ans les enfants nés de parents diagnostiqués avec une schizophrénie ou un trouble bipolaire présentent eux-mêmes un taux plus élevé de diagnostiques psychiatriques autant que de déficits cognitifs, et des problèmes moteurs. Mais la littérature est éparse sur le fait de savoir si ces anormalités ou retards de développement diminuent à travers le temps ou s’ils empirent. Cet élément est crucial pour mettre au point des stratégies de prévention efficaces et adaptées. La puberté est également une période à risque, très complexe à analyser puisque s’entremêlent les changements physiques, hormonaux, psychologiques et sociaux. C’est une période connue pour l’apparition des troubles psychiatriques mais aussi la survenue de conduites à risque.Le fonctionnement familial est quant à lui fortement perturbé par la maladie mentale des parents.

Les premiers résultats de la cohorte VIA 7 ont montré des associations fortes entre la maladie mentale parentale et plusieurs domaines du fonctionnement de l’enfant, notamment neurocognitif (vitesse de traitement de l’information, mémoire de travail, fonctions visio-spatiales, attention soutenue, mémoire déclarative). Ces enfants ont aussi plus de risques de développer des troubles mentaux, notamment les enfants de parents schizophrènes. Ils sont plus exposés à l’anxiété, au déficit de l’attention, au stress. Ces enfants à haut risque familial vivent plus souvent dans des foyers de faible statut socio-économique et sont confrontés à davantage d’expériences de vie difficiles (données pas encore publiées). Ils sont plus à risque d’être faiblement stimulés.
Pour les auteurs il est capital de mieux connaître les facteurs de risque et de protection pour mieux identifier les groupes d’enfants les plus vulnérables. Et de cerner plus précisément les mécanismes psychologiques et neurobiologiques afin d’élaborer des interventions précoces efficaces.

Distinguer les effets de la génétique et de l’environnement, comprendre l’impact de la maladie sur la parentalité

A travers cette cohorte, les auteurs entendent donc :

1) améliorer la vision d’ensemble des processus précoces de mise en place de la schizophrénie et de la bipolarité dont la formation des symptômes, les déficiences et retards dans la maturation des différents domaines du fonctionnement cognitif dont la cognition sociale, et observer en parallèle les différences de structure cérébrale et de schémas d’activation neuronale par rapport au groupe contrôle.

2) Investiguer le développement à travers le temps (de 7 à 11 ans) des enfants à haut risque familial dans le domaine de la neurocognition, de la psychopathologie, de la cognition sociale, du fonctionnement moteur mais aussi les événements de vie difficiles, et décrire les possibles associations entre le risque familial et les facteurs qui augmente la résilience des enfants.

3) Identifier l’influence de l’exposition génétique et environnementale et leurs interactions

4) Identifier les facteurs de risque précoces modifiables tels qu’un manque de stimulation et de soutien, des événements traumatiques pendant la petite enfance, une parentalité insuffisante, un faible statut socioéconomique, des déficits neurocognitifs et sociaux et les signes précoces et subtiles de la psychopathologie.

5) Améliorer la connaissance au sujet de la santé physique de ces enfants

Pour les auteurs, le fait de recruter les familles via les registres nationaux et non via des cliniques permet de ne pas choisir les patients les plus atteints ou seulement ceux qui bénéficient d’une prise en charge. Avoir des enfants qui ont exactement le même âge est aussi une grand atout puisqu’en matière de psychopathologie neurodéveloppementale l’âge est crucial lorsqu’on veut comparer les résultats aux tests cognitifs, de fonctionnement comportemental et de développement.

Les auteurs expliquent dans le détail pourquoi il est très important d’asseoir le questionnement de la recherche sur des cadres théorique, ils détaillent la façon dont ils ont procédé pour tester les enfants mais aussi pour tenter de fidéliser les familles. Ils évoquent la dimension éthique d’une telle recherche, le souhait des familles de bénéficier d’une communication claire autour des résultats.

*The Danish High Risk and Resilience Study—VIA 11: Study Protocol for the First Follow-Up of the VIA 7 Cohort −522 Children Born to Parents With Schizophrenia Spectrum Disorders or Bipolar Disorder and Controls Being Re-examined for the First Time at Age 11, in Frontiers Psychiatry, 12 December 2018