La guidance interactive avec vidéo feedback commence à se diffuser dans l’hexagone, grâce à des contacts étroits entre certains cliniciens français et la spécialiste suisse, Sandra Rusconi Serpa. Nous vous racontons la naissance et les spécificités de cette thérapie innovante et prometteuse.

C’est l’histoire d’une thérapie née aux Etats-Unis, adoptée par la Suisse et de plus en plus expérimentée en France. A la base du travail de la clinicienne et chercheuse suisse Sandra Rusconi Serpa sur la guidance interactive avec vidéo feedback, on trouve une étude sur les effets des thérapies brèves mère-bébé, thérapies élaborées sur un modèle psychanalytique. Dans le modèle psychodynamique (plutôt psychanalytique donc) des thérapies conjointes parents-enfants, les parents rejouent les conflits personnels dans la relation avec l’enfant. Il s’agit d’identifier le conflit passé et de le différencier de ce qui se passe avec le tout petit. On extrait en quelque sorte l’enfant de la problématique du parent. En 1989, l’objectif du programme initié à Genève par l’Américain Daniel Stern et le Suisse Bertrand Cramer est d’évaluer l’efficacité de cette thérapie sur des troubles psycho-fonctionnels chez des enfants de 0-36 mois (sommeil, alimentation, bébés difficiles à consoler, troubles précoces à expression somatique…). Le protocole initial envisageait de comparer un groupe mère-enfant avec traitement et un groupe mère-enfant sans traitement. Mais c’était impossible pour des raisons éthiques. Un autre protocole a donc été pensé consistant à comparer deux formes de traitement sous tendus par des modèles théoriques différents. L’autre traitement choisi est donc la guidance interactive avec video feedback.

Sandra Rusconi Serpa, alors jeune chercheuse et clinicienne, doit donc à l’époque proposer cette approche thérapeutique aux dyades mère-enfant qui ne sont pas dans le groupe des thérapies brèves selon le modèle psychodynamique. Elle part se former à la guidance interactive avec deux autres collègues psychologues auprès de Susan Mac Donough à Providence (ville dont nous avons déjà parlé dans cet article sur les interventions précoces axées sur le langage). Résultat des courses, et de façon inattendue, l’expérimentation conduite à son terme montrera la même efficacité pour les thérapies brèves de nature psychanalytique et pour la guidance interactive. C’est ce dispositif qui aujourd’hui suscite l’enthousiasme de cliniciens français, parmi lesquels Romain Dugravier que nous avons récemment interviewé.

Laisser de côté le trauma du parent

En quoi consiste donc cette technique qui traverse de plus en plus les frontières ? « On entre dans le « ici et maintenant » de l’interaction observable», résume Sandra Rusconi Serpa. L’histoire du parent, son passé, n’occupe plus la première place. «L’idée est de cibler d’abord les ressources du parent. On identifie ce qui va et qui est en relation possible avec le symptôme et avec la plainte de la mère, en investiguant l’expérience subjective de chacun des partenaires des échanges. »

Un moment partagé entre un parent et un enfant est filmé intégralement puis des extraits sont sélectionnés. « Quand on est formé à l’observation on a vite compris comment le pattern fonctionne, explique Sandra Rusconi Serpa. En quelques minutes on est au cœur de l’échange. » Les extraits sélectionnés sont visionnés dans l’immédiat, avec le parent. Lequel se voit poser plusieurs questions après le moment d’échanges : « Est-ce représentatif  des moments que vous partagez en général avec votre enfant ? Quel moment avez vous préféré, moins aimé ? Qu’est-ce qui vous a surpris ? ». Le thérapeute propose alors des pistes. Il co-construit avec le parent. Il n’enseigne pas. « On essaie de comprendre ensemble, précise-t-elle. Souvent les parents ne savent pas observer. Avec cet exercice ils entrent dans une lecture fine qui leur permet de se regarder faire à la maison. Le fait d’identifier des moments de plaisir partagé est un moteur très puissant. On travaille sur la mentalisation avec des arrêts sur image : « Vous éprouviez quoi à ce moment là ? Et lui, à votre avis ? » Cela aide le parent à réaliser que l’enfant a des choses à l’esprit qui ne sont pas les mêmes que les siennes. » La clinicienne donne un exemple : une maman déprimée est avec son garçon de deux ans très opposant. Ils construisent une tour. Avec jubilation l’enfant balance la tour. La mère se décompose : « tout ce que je fais il le détruit ». Avec la vidéo, il est possible de l’amener à voir que le geste de son enfant n’est pas dirigé contre elle.

Les fabuleux pouvoirs de la vidéo

Pour Romain Dugravier, chef de service du Centre de psychopathologie périnatale Boulevard Brune à Paris, cette thérapie à laquelle il s’est formé a considérablement enrichi sa boîte à outils de clinicien. « Cela mobilise différemment les parents, ils se sentent plus partenaires du soin. On essaie de comprendre côte à côte. On découvre ensemble l’image Il évoque une maman qui a des difficultés relationnelles avec ses enfants, elle pense que son fils ne l’aime pas, qu’il se sert et ne donne rien en retour. « Quand j’essaie de lui dire qu’il se passe autre chose, elle ne l’entend pas. La parole a deux effets : on a du mal à aller au delà du discours et quand elle vient avec l’enfant, il est livré à lui même, elle est envahie par ce qui la préoccupe.» Lors d’une interaction filmée, l’enfant prend un livre, il s’installe sur les genoux de sa mère. Pendant qu’elle lit, il lui caresse le bras. Romain Dugravier le fait remarquer à la patiente qui répond « c’est un hasard ». Le médecin lui montre alors que lorsqu’elle lève la main pour se recoiffer, la main de l’enfant suit son bras. Il n’y a plus de hasard. Elle constate : « Peut être qu’il y a des choses que je n’arrive pas à voir ». Lors d’une séance de jeux la mère se lance seule dans une construction. Au visionnage elle voit qu’elle décide tout, qu’elle veut être dans le contrôle. C’est la première fois qu’elle parle spontanément de ses troubles du comportement alimentaire. Elle fait elle même les liens.

Pour le pédopsychiatre, la vidéo permet « d’augmenter les capacités de fonction réflexive des parents, en leur permettant d’être à distance, de se décentrer ». « C’est une autre façon d’accéder aux émotions et au vécu psychique des parents ». Selon Sandra Rusconi Serpa, la guidance interactive est très indiquée pour des parents qui sont moins à l’aise avec la parole. Elle peut être aussi conseillée lorsque l’enfant présente des troubles du comportement, lesquels sont souvent liés à une difficulté de mentalisation chez le parent.
Mais est-ce si facile pour des familles en difficulté d’accepter d’être filmées ? Sandra Rusconi Serpa sourit : « Les refus sont très rares. Au contraire, les parents trouvent souvent que c’est une excellente idée. » Eux aussi.