Des services saturés pour des troubles psychiques en augmentation ainsi que de fortes inégalités territoriales : les défenseurs des droits européens déplorent le manque de moyens et les nombreux dysfonctionnements de la pédopsychiatrie dans l’ensemble des pays.

Le Réseau des défenseurs des droits européens vient de mettre en ligne un rapport consacré à la santé mentale des enfants et des adolescents. Il pointe notamment « la situation qui tend à se dégrader » dans tous les pays et énumère : « l’absence de coordination des acteurs avec un cloisonnement marqué entre le secteur social et sanitaire, des inégalités territoriales et sociales qui tendent à s’aggraver, un accès difficile aux spécialistes en raison du nombre insuffisant ou de la mauvaise répartition de ces derniers, ou encore des délais d’attente trop longs pour accéder aux services de soins spécialisés ». Dans Le Parisien, La Défenseure des enfants Geneviève Avenard déclare ainsi : «il y a en France une pénurie importante de pédopsychiatres, une profession très touchée par la réduction du numerus clausus. C’est le cas dans les cabinets et surtout à l’hôpital. La densité moyenne n’est que de 15 pédopsychiatres pour 100.000 jeunes de moins de 20 ans avec une grande inégalité territoriale».

En France, selon le rapport, les capacités d’hospitalisation en psychiatrie infanto-juvénile ne représentent que 5 % des capacités d’hospitalisations complètes alors que les enfants et adolescents suivis par ce secteur représentent 26 % de l’ensemble des patients suivis par ce secteur.
Nous avions évoqué cette difficulté en mars dernier à l’occasion des Semaines d’Informations en Santé Mentale (SISM) avec Aude Caria, directrice du Psycom, organisme d’information et de communication qui assure le secrétariat général des SISM, et qui expliquait pour quoi cette édition 2018 était consacrée aux familles et aux enfants: « En raison de nombreux signaux autour de la santé mentale des jeunes et des enfants, de l’émergence dans la presse grand public d’un réel intérêt ces sujets, pour les compétences psycho-sociales à l’école notamment, les programmes d’aide à la parentalité. Mais aussi en raison de signaux plus négatifs, dont les données relatives à la pédopsychiatrie : services débordés et démographie médicale en nette diminution. »

Une fracture sociale dans l’accès aux soins

Le rapport relève pour l’ensemble des pays européens « les inégalités liées à la situation financière des familles ». « Là où l’offre existe, certaines familles n’ont pas de ressources financières suffisantes pour bénéficier d’une consultation auprès de psychologues, de médecins spécialistes ou encore de thérapeutes. En l’absence de prises en charge par l’Assurance maladie, les consultations restent à la charge des familles avec un décalage entre celles qui n’ont d’autre choix que « d’attendre leur tour » et celles qui disposent des moyens et connaissances pour accéder à une prise en charge auprès de spécialistes. »
Autre raison de cet engorgement : une évolution de la demande sociale à l’égard de la psychiatrie, en particulier de la pédopsychiatrie. Certains troubles comme celui de l’hyperactivité ont acquis des statuts cliniques particulier suscitant une prise de conscience de la part du grand public (sur le TDA/H et la psycho-éducation, lire notre récent entretien avec Diane Purper Ouakil)
L’un des intérêts de ce rapport européen est qu’il souligne la difficulté à définir le champ de la Santé mentale. Il note ainsi que « si le rapprochement est fait avec la souffrance psychique, l’approche retenue ne limite pas la santé mentale à la seule prise en charge de la psychopathologie.» « L’approche de la santé mentale telle que retenue par les répondants regroupe les troubles psychiatriques graves et sévères, la détresse psychologique qui correspond aux situations éprouvantes et aux difficultés existentielles et le registre plus récent de la « santé mentale positive » qui attache une attention particulière à l’affirmation de l’épanouissement personnel avec la dimension du bien-être qui doit être égal pour tous

Dys et TSA : des prises en charge trop aléatoires

De quelle façon les troubles du développement et les troubles des apprentissages sont-ils inclus dans ce rapport ? Sont-ils assimilés à des troubles psychiques ? Pas vraiment même si le distingo n’est pas très clair. Les enfants porteurs d’un trouble « dys » sont ainsi considérés comme plus à risque de développer un problème de santé mentale. « Selon le répondant d’Irlande du Nord, il a été estimé que 20 % des enfants et des jeunes souffrant d’un handicap physique, sensoriel ou lié à l’apprentissage souffrent de problèmes de santé mentale à l’âge de 18 ans et sont plus susceptibles d’être en proie à l’anxiété, à la dépression, à l’automutilation et aux idées suicidaires que les autres .» Pour la France il est juste précisé que concernant les enfants atteints de troubles spécifiques du langage et des apprentissages, la Haute autorité de santé (HAS) a publié des recommandations pour améliorer leur parcours de santé et souligné que « la prise en charge de ces troubles doit reposer sur la coopération entre divers professionnels : psychologue, orthophoniste, psychomotricien, ergothérapeute. »

Des réseaux de santé « DYS » ont été créés pour améliorer la prise en charge des enfants et adolescents de 0 à 20 ans qui présentent des troubles du langage et des apprentissages comme les dysphasies, dyslexies-dysorthographies, dyspraxies, trouble du raisonnement, etc. Cependant, ces réseaux qui doivent garantir la cohérence des interventions auprès de ce public ne sont pas présents sur l’ensemble du territoire français. L’autisme est abordé dans la partie « stigmatisation et maladie mentale », dans la sous-partie « les enfants et les adolescents en situation de handicap ». « S’agissant des troubles du spectre de l’autisme (TSA), de nombreuses difficultés sont relevées en France, est-il écrit. Des rapports ont souligné des capacités d’accueil des établissements médico-sociaux limités, qu’il s’agisse du nombre d’enfants avec TSA accueillis en Belgique ou des listes d’attente. Les structures de soins dispensés dans les hôpitaux de jour, les centres médicaux-psychologiques (CMP) ou encore les professionnels libéraux sont en nombre insuffisant et leurs pratiques sont hétérogènes. La formation continue proposée aux professionnels du secteur sanitaire et aux travailleurs sociaux n’est pas toujours en adéquation avec l’état actuel des connaissances en matière d’autisme. »

La santé mentale des mineurs de l’ASE totalement sous-traitée

Le rapport s’intéresse spécifiquement aux jeunes de la protection de l’enfance : « malgré leurs besoins renforcés en matière de santé, ce public n’accède pas toujours aux services de santé mentale. Une prévalence des troubles mentaux est toutefois observée chez les enfants et les adolescents pris en charge au titre de la protection de l’enfance. (…) Leurs besoins en santé mentale sont complexes, or les professionnels de la protection de l’enfance sont peu, voire pas, formés à la dimension de la santé estimant que cela ne relève pas de leur mission. De plus, la population est très mobile en raison des changements de placement et les lieux de vie qui sont transitoires, rendant difficile une prise en charge continue. En France, des travaux de la Défenseure des enfants ont mis en évidence que le recueil d’informations sur les antécédents relatifs à la santé tels que des troubles du développement, une souffrance psychologique ou un handicap ne sont pas systématiques alors même que le mineur nécessiterait une prise en charge spécifique dès le début de la mesure de placement. Les outils mis à la disposition des professionnels de la protection de l’enfance ne sont pas utilisés par faute de temps ou parce qu’ils ne sont pas adaptés aux pratiques professionnelles. Les éducateurs éprouvent des difficultés à prendre en compte le sujet de la santé et plus particulièrement de la santé mentale comme un élément à considérer.» Sur le sujet nous vous invitons à lire ou relire notre interview de Nicole Haccart, spécialiste de la santé mentale des jeunes « incasables ».

Ce document évoque enfin la santé mentale des mineurs isolés. « Une grande majorité des jeunes viennent d’Afrique et ont subi, au cours de leur trajet de graves violences, tant physiques que sexuelles. La symptomatologie des mineurs non accompagnés est ainsi marquée par de nombreux épisodes traumatiques : violence dans le pays d’origine, durant le parcours migratoire, plus particulièrement lors du passage en Lybie, arrivée en Europe, etc. Le trouble psychique le plus fréquent chez ces mineurs est l’état de stress post-traumatique (ESPT). Ce trouble associe des perturbations affectives sévères, des symptômes dissociatifs, des manifestations somatiques, des altérations de la perception de soi (culpabilité, honte, etc), de la relation aux autres (méfiance, re-victimisation, hétéro-agressivité), etc. À ce dernier s’ajoute souvent un degré élevé d’anxiété et de dépression. Le risque de chronicisation de ces troubles en l’absence de prise en charge adaptée est donc important. »