C’était une sorte de préambule au colloque international de l’ARIP qui s’est tenu à Avignon du 17 au 19 novembre : une matinée consacrée à l’accompagnement à la parentalité dans les Lieux d’Accueil  Enfants Parents (LAEP). Animée par Sophie Marinopoulos, fondatrice des « Pâtes au beurre » à Nantes, cette session a rappelé la filiation des LAEP avec les Maisons vertes de Françoise Dolto. Et a fait apparaître le désarroi voire l’amertume des acteurs se revendiquant d’une approche psychanalytique dans le champ de la parentalité.

Lors de cette première conférence, sorte de « off » du congrès de l’ARIP (Association pour la recherche et l'(in)formation en périnatalité) à Avignon, Sophie Marinopoulos présente la genèse de la structure qu’elle a créée à Nantes, en 1999, après avoir exercé dans un CMP et un CAMSP, et le travail qu’elle y mène. La psychologue, psychanalyste, rappelle pourquoi la notion de prévention est centrale.
« Aujourd’hui on a un défi sanitaire à relever, c’est une question de santé. Or la santé c’est aussi un psychisme, une âme, une harmonie, auxquels on doit tenir. Il faut prendre en compte la relation à l’autre, nous sommes des êtres de relation, de parole, nous sommes une espèce très particulière, une espèce fabulatrice, nous ne pouvons pas nous passer de l’autre. Il existe un défi sanitaire qui demande de prendre soin du lien que l’enfant tisse dès la naissance, de faire un trait d’union de ce qui est de l’ordre de la santé et de l’être parent (la capacité à prendre en compte les besoins de l’enfant).”

Les mères dans une boulimie de corps-à-corps

Elle dénonce au passage une société « qui a tendance à normer, une société d’expertise ». « Il y a des experts qui savent mieux que les parents, ces derniers viennent demander comment il faut faire, comment on fait pour être parent. Nous posséderions la recette. Quand on ne tombe pas dans la recette et le conseil, il y a des temps de pause difficilement supportables. » Première petite pique, subliminale pour le moment, aux adeptes de la « communication non violente », aux aficionados d’Isabelle Filliozat ou de Catherine Gueguen. Et première évocation du soutien à la parentalité à la française, dans toute son acception psychanalytique : on ne donne pas de conseil.
Sophie Marinopoulos enchaîne sur la « société de consommation qui nous amène vers une société de saturation, ce qui a des effets directs sur la relation mère-enfant ». Exemple : si on demande aux femmes « qu’est-ce qu’être mère ? », elles répondent « être là tout le temps pour répondre aux besoins immédiats ». Conséquence : « il n’y a plus l’espace qui permet de se décoller, se défusionner et qui permet d’entrer dans l’altérité et d’aller vers le langage ». Sur les troubles du langage les orthophonistes ont d’autres explications. Les mères seraient aussi dans « la boulimie du corps de l’enfant », poursuit Sophie Marinopoulos. « Comme elles travaillent et partent dans un ailleurs, elles en sont très culpabilisées, elles ont le sentiment d’abandonner leur enfant, quand elles sont là, elles sont dans la boulimie du corps à corps. Le tempo du lien est malmené. Les parents en perdent leurs ressources internes. Ils perdent leur sécurité intérieure

Un accueil anonyme, gratuit, sans rendez-vous

Elle évoque ensuite la création en 1999 de son Lieu d’Accueil Enfant Adolescent (elle y tient) Parents. A l’époque l’attente pour être reçu dans un CMPP et un CAMSP était de plusieurs mois. C’était « insupportable ». Les parents arrivaient dans un état de nervosité extrême et ne pouvaient pas attendre. « On perdait de vue toute la dimension préventive ». C’est ainsi que sont nées les Pâtes au beurre, dans la droite ligne des maisons vertes de Dolto, avec pour principe que les parents puissent venir facilement. L’accueil y est gratuit, anonyme (il s’agit de « prévention prévenante », on ne cherche pas à savoir qui vous êtes sur le plan social), sans rendez-vous. Elle choisit d’accueillir les parents dans une cuisine, selon une méthode mise au point par une ancienne assistante sociale américaine devenue psychanalyste. Les parents y viennent avec ou sans leur enfant, sans limite d’âge. 30% des usagers sont des pères, qui viennent parler de leur paternité « dans la discontinuité ».
L’accueil repose sur une posture empathique de tous et sur la prise en compte de la vie psychique et de ses enjeux. En clair : pas de social, pas d’éducatif pur. Les enfants sont souvent laissés seuls dans une pièce sans personne pour les surveiller.

La non intervention, principe cardinal

Sophie Marinopoulos insiste : « c’est une clinique du détail. Les parents arrivent en disant « je n’en eux plus, il n’obéit pas, il ne m’écoute pas ». Nous : « c’est à dire ? » Cette question les énerve. Non seulement nous n’avons pas de recette mais en plus on ne sait pas! Tenir la posture de gens qui ne savent pas, c’est loin d’être évident. Il faut amener le parent à s’apaiser, à se poser. La mise en mots du détail va permettre la mise en pensée. On redémarre la pensée. Dans cette représentation, le parent commence à donner du sens à ce qui s’est passé. Il avance sur ses propres réponses, ses propres solutions. » C’est le principe de l’accompagnement à la parentalité tel qu’il est rappelé dans nombre de rapports, colloques, chartes : valoriser les compétences parentales qui sont là et qui n’attendraient que d’être révélées. Pas besoin de sachant, d’expert, de professionnel, pas d’information à transmettre, pas de connaissances à vulgariser. Quels que soient leur histoire, leur vécu, leur enfance, leur niveau d’éducation, leurs conditions de vie, les parents ont la science infuse mais ils ne le savent pas. Un postulat qu’on peut évidemment discuter.

A côté de Sophie Marinopoulos, deux responsables de LAEP à Avignon témoignent eux aussi de leur pratique. Caroline Garcin, de la Parenthèse, accueille les parents autour d’une collation. Les gâteaux et le thé permettent une « parole libératrice ». « Les parents peuvent faire des activités manuelles avec l’enfant. Il n’y a pas d’ateliers dirigés. On ne fait pas à la place de. » Philippe Martinez, de la Courtéchelle, considère de son côté que les LAPE « ont un rôle essentiel pour faire ressurgir des compétences parentales noyées par trop d’informations ou pas valorisées. » « La société de la théorie éducative ou parentale, ça perd beaucoup de parents. Il y a un grand isolement des familles, les transmissions familiales ne se font plus. Ici chacun peut se rencontrer, échanger, déposer ses expériences. L’essentiel se fait entre parents. (…)L’activité est libre, on n’est pas dans le faire mais dans le laisser faire. Moins on intervient, mieux c’est. Ce sont des concepts très difficiles pour certains parents qui pensent que « faire c’est agir ». On ne propose rien. C’est destabilisant. Quand ils nous disent « Bonjour qu’est ce qui se passe ? », nous répondons « Ben rien ». L’activité peut empêcher d’aborder les vraies difficultés. Nous sommes des accueillants avant d’être professionnels. Nous ne sommes pas des techniciens éducatifs, nous ne sommes pas des Super Nanny. Chaque situation doit avoir sa réponse. »
Sophie Marinopoulos rebondit : « L’accueillant va contenir les échanges, encourager certains parents.(…) Le fait que les parents soient ensemble ça transforme l’intime, ça permet d’approcher l’autre dans son étrangeté, ça permet de vivre ensemble. »
« Quand on ne propose rien ça peut mettre en colère, reconnaît-elle. Il y a des parents en colère et qui nous le disent : « donc vous n’avez rien à dire ». Ils sont colère mais ça tient
La psychanalyste rappelle qu’en 1985, lors de la création des Maisons vertes il n’existait pas de « case » pour ce type de projet et qu’il a fallu ferrailler pour en prouver l’intérêt. Aujourd’hui elle se bat pour faire reconnaître la possibilité d’accueillir des parents sans leurs enfants.
Dans la salle une participante évoque la « question du désir et du plaisir » : « aujourd’hui, être parent c’est avoir un catalogue de techniques. La parentalité heureuse c’est comme si c’était une aberration. »

Débats sidérants sur l’information préoccupante

Une accueillante dans un LAEP belge explique qu’elle se heurte à une certaine réserve de la part d’autres professionnels sur la question de l’accueil anonyme et de la confidentialité. « Ce qui se passe à Parentine reste à Parentine », martèle-t-elle. « Mais vous ne direz rien si vous constatez qu’un enfant est négligé ou a des coups ! » déplorent ses collègues. « Ca ne s’est jamais présenté, assure l’accueillante belge. Par moment j’ai eu lieu de m’inquiéter mais ça ne justifiait pas une intervention. Ca rejoint la société du contrôle, de l’agir.» Dans la salle personne ne semble réagir à cette assertion pour le moins étonnante selon laquelle signaler une inquiétude pour un enfant relèverait du “contrôle”.
« Nous accueillons deux types de familles, explique de son côté Philippe Martinez. Elles viennent de leur propre initiative. Les familles orientées par divers organismes sociaux (PMI, CAMSP) nous le disent souvent d’elles mêmes. Avec elles se met en place un travail de co-éducation avec différents partenaires. La famille est actrice. Il peut y avoir des échanges entre professionnels mais la famille est informée, elle sait qu’il y a un travail en commun. Pour d’autres familles, pour tout ce qui se dit, se passe, l’anonymat est respecté. La PMI essaie de savoir qui on accueille, ce qui se passe. On préserve cette confidentialité. On n’a pas eu affaire à des cas qui pouvaient relever du signalement. Jusqu’où préserver l’anonymat ? En cas de maltraitance avérée doit-on le garder pour nous ? » Il se trouve que la réponse est dans la loi (article 434-3 du code pénal). La non dénonciation de mauvais traitements ou privations infligés à un mineur de quinze ans est passible de trois ans d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende.
« Quand les familles viennent, je fais la visite des lieux, je leur donne la charte de l’accueil où est notifié le bien vivre ensemble et la confidentialité, pose à son tour Caroline Garcin. A mon avis ce n’est pas à un LAEP de faire une information préoccupante. Quand elles viennent au LAEP ces familles ont besoin de se poser. Nous ne sommes pas une administration.» Là aussi cette précision est étonnante. Nul besoin d’être une administration pour signaler un enfant en danger. Ne pas le faire est passible de poursuites.
Sophie Marinopoulos répond d’abord par une pirouette, très optimiste : « Quand on fait un métier avec de l’humain, il faut accepter les risques de la vie. J’ai une confiance énorme en l’humain. Je reste intimement persuadée que l’homme a des ressources profondes très fortes. Créer un LAEP repose sur cette croyance dans les effets de la parole, dans la capacité à l’autre de se dire. Quand on vient dans un LAEP, on vient éprouver quelque chose de soi”. Elle l’assure: “Dans le devenir parent il y a de l’ambivalence, de l’amour et de la haine.”
Puis elle répond plus clairement à la question : « Nous sommes un lieu très ouvert. On partage avec les professionnels qui viennent nous voir. Il faut continuer à penser ensemble aux places que nous occupons.” Aux Pâtes au Beurre il s’agit de travailler en partenariat et en confiance avec les organismes sociaux.  “Les autres professionnels n’ont plus besoin de nous demander « mais est-ce que madame untel est venue ? »”. Elle assure avoir « orienté plusieurs fois les parents vers les juges pour enfant ».
« Il faut savoir recevoir la haine, conclut-elle. C’est la difficulté avec la communication non violente. Les parents pensent qu’il faut tout aseptiser. » Certains enfants reçoivent tellement bien la haine non aseptisée de leur mère, de leur père ou de leur beau-père, qu’ils en meurent. Pour certains enfants, le risque de la vie, c’est la torture et le cimetière. La psychanalyste, experte auprès des tribunaux dans plusieurs affaires d’infanticide, en sait pourtant quelque chose.

Le comportementalisme, ennemi public numéro un

Un temps d’échange s’amorce ensuite. Au cours duquel il est rappelé que dans ces structures qui revendiquent leur filiation avec les maisons vertes, « on n’est pas dans le comportementalisme, on ne cherche pas à faire taire le symptôme, on est dans le cheminement, on remonte à l’origine de la difficulté ». Ce qui semble réjouir une participante : « Merci d’entendre qu’il y a encore du mouvement qui s’exprime, qui innoveUne autre rebondit : « Notre génération a vécu au sein de la psychanalyse des moments très intenses qu’on a perdus. Qu’est-ce qu’on n’a pas su transmettre par rapport à nos pères ? » Pour Sophie Marinopoulos, « la psychanalyse n’a pas su être dans la cité. » « La psychanalyse très orthodoxe ne supporte par trop de sortir de ses murs. Nous sommes nos propres ennemis. C’est dommage car nous portons l’humanisation. Ca a laissé une place. On n’est pas en bonne posture. On a intérêt à se serrer les coudes. »

Intervenir le moins possible, laisser advenir la parole, rechercher la source du symptôme plutôt que le faire taire. Lutter contre le comportementalisme, les approches éducatives, les « recettes », les « projets gadgets ». Sentir que le vent tourne, s’estimer malmené et lutter de toutes ses forces contre une perte d’influence. C’est ce qui s’est exprimé au cours de cette matinée baignée de psychanalyse. Toute ressemblance avec des débats existant ou ayant existé, dans la prise en charge de l’autisme par exemple, ne serait pas du tout fortuite.