Deux articles qui viennent de paraître dans les revues Nature et Plos One mettent en relation le statut socio-économique de la famille, notamment la situation de pauvreté, et le fonctionnement cérébral de l’enfant.

Dans le premier article, publié par Nature, intitulé “Socioeconomic disparity in prefrontal development during early childhood“* , les chercheurs, japonais, s’intéressent à l’activité du cortex préfrontal chez les jeunes enfants au cours de tests requérant une bonne flexibilité mentale.

Milieu social et fonctions exécutives

Les auteurs le posent en introduction : plusieurs études récentes ont montré que le statut socio-économique a un impact sur le développement cognitif, social mais aussi neuronal des enfants. Les jeunes des milieux les moins aisés manifestent des performances plus faibles pour les tâches relevant des fonctions exécutives (inhibition, planification, attention, flexibilité, mémoire de travail, soit ce qui permet à un individu de s’adapter à une situation nouvelle, de résoudre un problème). Une faible maîtrise de ces fonctions pendant la petite enfance est un facteur de risque pour les performances académiques et les compétences sociales ultérieures.

Peu d’études sur l’impact du statut social sur le fonctionnement cérébral des enfants très jeunes

Quelles sont les questions soulevées par cet article ? Les auteurs rappellent ce qui est aujourd’hui prouvé : la pauvreté a un impact sur le développement cognitif, notamment pour des raisons environnementales. Une parentalité de moins bonne qualité, moins de stimulation, le stress, expliquent notamment cet impact. Mais il semblerait également que la pauvreté ait un effet direct sur le cerveau. Chez les adultes, le cortex préfrontal est différent selon que l’individu ait fait l’expérience ou pas de mauvaises conditions de vie pendant l’enfance (l’influence de la génétique n’est ici pas explorée). Des études montrent également des schémas d’activation de la zone préfrontale non similaires selon l’origine sociale des enfants de plus de 5 ans. Mais qu’en est-il chez les enfants plus jeunes ? Il existe peu d’études analysant l’activité préfrontale des tout petits selon leur milieu familial.
Les auteurs ont donc mené une expérience avec 93 enfants japonais âgés de 3,5 ans à 6,5 ans (âge moyen : 5 ans) qu’ils ont soumis à une tâche faisant appel à la flexibilité mentale (ils ont opté pour cette fonction exécutive spécifique pour des raisons précises détaillées dans l’article). L’objectif était de savoir si les résultats des enfants seraient corrélés à leur statut économique et social (SES), si l’activation de la zone préfrontale serait elle aussi dépendante du SES et si les modalités éducatives des parents entraient en ligne de compte. Leur hypothèse : les enfants des catégories les plus populaires présentent une activation plus faible de la zone préfrontale. Et l’impact du SES est plus fort pour cette donnée neuronale que pour les résultats aux tests strictement comportementaux. Les chercheurs pensent en effet que l’activation préfrontale est plus sensible au SES que le comportement.

L’effet dormant de la pauvreté

Les chercheurs ont confirmé une grande partie de leurs hypothèses. Au niveau de la réalisation des tâches demandées, peu de différences sont apparues entre les enfants des différents milieux socio-économiques. Pour les auteurs c’est notamment dû au fait que les tâches relevant de la flexibilité mentale sont moins corrélées au SES que d’autres fonctions exécutives. En revanche, l’activité préfrontale des enfants des catégories sociales les plus basses est apparue beaucoup moins significative que celle des autres enfants. Les auteurs insistent : il existe un gradient concernant les effets du SES sur la santé et le développement du cerveau mais l’effet est vraiment beaucoup plus marqué pour les catégories les plus pauvres. Quant à l’effet de la parentalité, il n’est pas prouvé ici. Les parents les plus pauvres ont tendance à être à la fois moins chaleureux et moins cadrants mais cette donnée n’affecte pas les résultats.

En conclusion, l’impact de la défaveur sociale peut ne pas se manifester en terme comportemental. L’enfant effectue bien les taches qui lui sont demandées. Néanmoins, le fonctionnement cérébral, lui, est atteint, et les effets de la pauvreté, dormants, risquent de se manifester plus tard, notamment à l’école.
Les auteurs formulent donc cette préconisation : mesurer l’impact des programmes de prévention précoce non pas avec des tests comportementaux mais avec une mesure de l’activité neuronale.

Impact du niveau de diplôme du père sur les compétences en lecture

Le second article, publié très récemment par la revue Plos One**, s’intéresse quant à lui aux liens entre le niveau de diplôme du père, les compétences en lecture de l’enfant et son développement neuronal (par analyse de la structure de la matière blanche). L’article rappelle que contrairement au langage, qui se développe de façon quasi naturelle à travers les interactions du quotidien, l’apprentissage de la lecture ne relève pas d’une pré-programmation du cerveau. Celui ci doit se réorganiser pendant la petite enfance, en activant des processus langagiers, visuels et auditifs, pour devenir compétent en littératie. Apprendre à lire est donc une activité complexe qui relève de plusieurs facteurs, les gènes, la neurobiologie, les compétences cognitives, l’influence de l’environnement. On sait peu de choses de la façon dont l’influence environnementale peut se traduire au niveau neuronal.
Les chercheurs ont recruté parmi une cohorte de naissance 34 adolescents néerlandais de 13 et 14 ans (15 garçons et 19 filles), dont sept dyslexiques. 18 participants présentaient un risque familial de dyslexie élevé et sur les sept adolescents diagnostiqués, six appartenaient à une famille à haut risque. Deux participants présentaient un TDAH, un un trouble de l’attention sans hyperactivité, un autre un trouble du spectre de l’autisme.

Le statut socio économique (SES) a été défini par le niveau d’éducation parental (donnée la plus corrélée à la lecture et plus stable que le revenu ou l’activité professionnelle). Parce que les niveaux d’éducation des pères étaient mieux distribués sur l’échelle retenue (4 niveaux) et mieux renseignés que ceux des mères (sur représentées dans les ultra diplômées, et 4 mères n’ont pas répondu), parce que davantage de pères présentaient eux-même une dyslexie, les chercheurs ont pris les pères comme référence (une fois n’est pas coutume).

Le niveau d’éducation du père influe sur la matière blanche du cerveau

En ce qui concerne la lecture de mots, la corrélation entre les compétences des enfants et le SES paternel est bien présente. Une corrélation a également été trouvée entre les compétences en lecture et certaines structures de la matière blanche dans le cerveau. De la même façon une relation significative a pu être mise en évidence entre la structure de la matière blanche liée aux compétences en littératie et le niveau d’éducation paternel. Cette triple association entre le niveau d’étude paternel, les compétences en lecture de mots de l’enfant et la structure de la matière blanche de son cerveau n’est pas modifiée par le risque familial de dyslexie. Les chercheurs n’ont pas non plus trouvé de lien entre la maîtrise du vocabulaire de l’enfant, le niveau d’éducation du père et la structure de la matière blanche. Cette triple association apparaît spécifique à la lecture. Il reste encore à comprendre précisément la façon dont le niveau d’éducation du parent vient modeler les zones du cerveau sollicitées dans l’apprentissage de la lecture. Vaste programme.

*Socioeconomic disparity in prefrontal development during early childhood, Yusuke Moriguchi & Ikuko Shinohara, Nature

**The interplay of socio-economic status represented by paternal educational level, white matter structure and reading, Jolijn Vanderauwera, Ellie R. H. van Setten, Natasha M. Maurits, Ben A. M. Maassen, Plos One