Le violon à l’école contre les inégalités
Date
9 octobre, 2018
Catégorie
Education
Auteur
Gaëlle Guernalec-Levy
Photo/Illustration
Fondation Vareille

La Fondation Vareille importe en France un dispositif de lutte contre les inégalités qu’elle teste actuellement en Suisse. L’idée est d’améliorer sur la durée les résultats scolaires d’enfants de milieu défavorisé en les initiant très tôt, en maternelle, au violon. 

Sur la scène de la salle « Visages du monde » de Cergy Le Haut (95) les enfants de l’école du Chat Perché, ont revêtu leurs habits du dimanche, costume en lamé violet ou chemisier blanc à jabot, et portent des violons qui semblent presque aussi grands qu’eux. Ce n’est pas étonnant puisque les futurs apprentis ne sont qu’en maternelle, certains en moyenne section. Ce lundi 8 octobre, les très jeunes écoliers se voyaient donc remettre officiellement l’instrument qui va les accompagner pendant quatre ans, sous le regard de leurs parents, de l’équipe pédagogique, des politiques présents, et d’Hélène et Pierre Vareille. Le couple, avec la Fondation Vareille, est à l’origine du projet « un violon dans mon école » initié en Suisse en 2014. Le dispositif repose sur le principe suivant : l’enseignement intensif du violon de 4 à 8 ans accélère le développement des capacités d’apprentissage et permet de compenser les retards accumulés avant l’entrée à l’école. Il s’agit donc d’initier de jeunes enfants de milieu défavorisé à cet instrument exigeant dans le but d’améliorer leur développement cognitif et leurs compétences socio-émotionnelles.

Ce programme s’inspire, très librement, d’une expérience londonienne qui cherchait à repérer les artistes du futur parmi les enfants les moins aisés. Hélène Vareille est allée sur place. « En discutant avec les enseignants j’ai été frappée par leur enthousiasme et par le fait qu’ils évoquaient les répercussions positives des cours de musique sur le niveau scolaire des enfants. Nous nous sommes dit qu’il y avait peut-être un moyen de faire d’une pierre deux coups. Permettre à ces enfants de découvrir un univers qui ne leur est pas familier et compenser les inégalités scolaires. Nous avons fait des recherches et nous avons découvert qu’il existait de nombreuses données sur le sujet ». Le dossier de presse affirme ainsi que « de nombreuses publications scientifiques démontrent les relations entre l’apprentissage de la musique et le développement des capacités cognitives ».

Une preuve scientifique pour le moment modérée

Il existe en effet plusieurs études sur le sujet, néanmoins leur niveau de preuve reste assez faible.
L’Endowement Education Foundation, le What works center anglais dédié à l’éducation, l’une des références en matière de compilation de données scientifiques dans le domaine scolaire, a demandé à l’Université de Durham, en 2015, une revue de littérature sur l’impact de l’éducation artistique sur les performances cognitives et non cognitives des enfants. Le rapport conclut qu’en dépit de pistes prometteuses, pour le moment il n’y a tout simplement pas de preuves robustes permettant de démontrer un lien de causalité entre l’éducation artistique (tous arts confondus) et les résultats académiques. Mais l’impossibilité d’apporter des preuves de niveau élevé ne signifie pas l’absence d’effet. La revue de littérature pointe surtout les problèmes de validité scientifique des 199 études recensées : échantillonnages trop faibles, absence de randomisation, ou encore biais dans les évaluations. Les auteurs constatent que « prises toutes ensemble les études concluent à des effets positifs, ce qui suggère que ce domaine présente un potentiel à creuser. » Surtout c’est l’apprentissage musical qui semble le plus prometteur. Pour les enfants d’âge pré-scolaires (avant six ans), apprendre à jouer d’un instrument de musique aurait un impact sur plusieurs domaines : la créativité, les compétences spatio-temporelles, le quotient intellectuel, la lecture et le langage.
Malheureusement les études sur cette tranche d’âge sont trop rares pour aboutir à un résultat tranché. Pour les enfants du primaire, l’intégration de cours de musique dans la classe et le fait de jouer d’un instrument aurait des effets favorables sur les apprentissages des enfants, en particulier sur les capacités cognitives, et dans une certaine mesure, sur l’estime de soi et le comportement social. Le rapport de la EEF pose d’ailleurs que trois méthodes d’apprentissage musical ont vraiment montré des effets positifs sur le développement cognitif des enfants : Kindemusik, Orff et Kodaly.

En Juillet 2018 une autre étude, néerlandaise, très encourageante, a été publiée dans la prestigieuse revue Frontiers. Comparant les performances cognitives d’enfants âgés en moyenne de 6 ans au moment du recrutement et suivis pendant deux ans et demi, les chercheurs montrent de façon assez nette que les enfants qui bénéficient de cours de musique dans le cadre scolaire, à raison d’une à deux heures par semaine, avec un enseignement théorique, historique mais aussi la pratique active d’un instrument, du chant et de l’improvisation, obtiennent de meilleurs résultats aux tests que les enfants qui ne reçoivent pas cet enseignement.  Ils sont meilleurs pour la planification, le contrôle de l’inhibition  et l’intelligence verbale. Pour les chercheurs il est tout à fait possible que l’enseignement de la musique améliorent les fonctions exécutives, ce qui a ensuite un impact sur les résultats scolaires.

Si les données scientifiques sont encore d’une portée limitée, on voit qu’elles sont donc loin d’être absentes.
L’évaluation est en tous cas bien présente dès la genèse du programme « un violon dans mon école ». Les 400 enfants actuellement concernés en Suisse vont être suivis jusqu’à leur entrée à l’Université, notamment par la Haute Ecole Pédagogique du Valais et leurs résultats seront comparés à ceux d’un groupe témoin. Pour la France une évaluation par la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance du Ministère est l’option privilégiée. « Nous avons envie de montrer que ça marche, martèle Hélène Vareille, et que le coût n’est pas exorbitant. Car cette dimension économique est primordiale

Des enseignants enthousiastes

C’est bien ce côté « scientifiquement fondé », expérimental, sur la durée, qui a incité l’Education nationale française à relever le défi, dans quatre écoles du Val d’Oise. « Le projet est fondé sur des éléments scientifiques, ce n’est pas une lubie, estime Marie-Ange Tomi, directrice des services de l’Education Nationale du 95. Il a le mérite de nous être proposé clé en main, nous n’avons pas tout à créer et en même temps il est possible de l’adapter au terrain. » Elle l’assure : les enseignants ont tout de suite adhéré au projet. Or, s’engager dans le dispositif ne peut pas se faire à la légère car la logistique qu’il nécessite est complexe. Les cours de violon ont lieu sur le temps de classe. La première année, les enfants sont pris en demi groupe pendant 45 minutes, une fois par semaine. Mais dès la deuxième année, trois cours leur sont dispensés, dont deux cours de 30 minutes par groupes de 4 ou 6 enfants. Trois jeunes professeurs de musique, violonistes, vont participer à l’aventure.

« Au début, ça va grincer »

Sur la scène ce lundi soir, Hélène Vareille explique aux parents : « La période 4-8 ans est capitale dans le développement de l’enfant, à cet âge beaucoup de choses se mettent en place. Jouer du violon est très difficile sur le plan physique puisque cela demande une coordination très fine des gestes, il faut écouter avec beaucoup d’attention, être précis. C’est difficile sur le plan intellectuel car vos enfants vont apprendre à lire des notes et des rythmes mais la musique apporte aussi beaucoup sur le plan émotionnel. Tout le cerveau est sollicité, des milliers de connexions vont se créer.(…) Jouer du violon les aidera dans leurs résultats scolaires. Il faudra les encourager. Au début ça va grincer et puis progressivement ça ira de mieux en mieux. » Marie-Ange Tomi fait part de l’envie des équipes de « leur donner les meilleures chances dans la vie ». « Cela va marquer leur scolarité. » Arnaud Bazin, sénateur du Val d’Oise entend lui aussi rassurer les parents, si besoin en était : « Nous menons l’expérience depuis un an à Persan et tout se passe très bien. Soyez heureux, soyez fiers, soyez contents. C’est quelque chose de beau et de grand pour vos enfants. »