France Stratégie a publié à la mi janvier un rapport qui nuance les bénéfices d’une entrée en maternelle avant trois ans. Plus étonnant encore, cette scolarisation précoce pourrait même avoir des effets négatifs sur les compétences langagières et les enfants de milieu défavorisé.

C’est devenu un tel mantra ces dernières années qu’on a fini par en oublier l’absence de consensus scientifique et de données robustes sur le sujet : la scolarisation précoce serait sans l’ombre d’un doute un atout pour les enfants, encore plus pour ceux issus de familles défavorisées.

Le plan pluriannuel 2015-2017 de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale avait assuré que la scolarisation précoce était un moyen efficace « pour lutter contre la reproduction des inégalités, favoriser la réussite scolaire ». L’objectif état alors de scolariser 30% des enfants de moins de 3 ans dans les zones défavorisées et 50% des enfants de moins de trois ans scolarisés en REP+ (réseaux d’éducation prioritaire renforcés). Seulement voilà, il serait très illusoire de vouloir asseoir cette volonté politique sur des données scientifiques probantes. C’est ce qu’illustre un rapport récent de France Stratégie intitulé « Quand la scolarisation à 2 ans n’a pas les effets attendus : des évaluations sur données françaises ». Quel serait le message clé de ce document ? La scolarisation à 2 ans n’a au mieux pas d’effet sur les performances des élèves au collège, indépendamment de l’origine sociale des élèves.

Le premier intérêt de cette analyse est de se livrer à une revue de littérature internationale même si les données issues de ces recherches peuvent se révéler d’un intérêt limité pour la France, le seul pays au monde, avec la Belgique, à scolariser les enfants à partir de deux ans. Ailleurs les travaux portent généralement sur des petits de 4-5 ans. Ils aboutissent en tous cas à des résultats assez divergents et mitigés suivant les contextes. Avant d’entrer dans le détail des données françaises, il faut rappeler comme le fait Arthur Heim, l’auteur, les limites de cette analyse : les élèves étudiés sont nés en 1995-1996 principalement, et ont été scolarisés entre 1998 et 2000. Depuis, les choses ont changé. Seuls 10% d’enfants sont aujourd’hui scolarisés à 2 ans (contre près de 30% à l’époque), ce ne sont plus les mêmes, ils ne sont plus accueillis dans les mêmes conditions.

Fortes inégalités liées au mois de naissance: les enfants de janvier plus avantagés que les enfants de décembre

Deux méthodes ont été utilisées. La première, dite de « régression de discontinuité » consiste à comparer les performances scolaires au collège d’enfants scolarisés à deux ans ou trois ans, selon leur date de naissance. Cette méthode est détaillée dans le rapport : « En France, un enfant doit être accueilli en maternelle l’année de ses 3 ans mais peut l’être l’année de ses 2 ans à condition d’avoir 2 ans révolus à la rentrée, c’est-à-dire être né plutôt au début de l’année. L’accès précoce en maternelle est donc partiellement déterminé par la date de naissance, au moins en théorie. On peut du coup tenter d’exploiter cette expérience naturelle. Ainsi, en comparant des élèves de part et d’autre du 31 décembre de leur année de naissance, on doit pouvoir identifier l’effet d’être entré à 2 ans sur les performances scolaires. »
Avec cette méthode, les résultats rejoignent les conclusions déjà obtenues dans la littérature française. Les enfants dont la date de naissance permet une scolarisation plus précoce et plus longue bénéficient largement de cette possibilité et ces effets semblent durer au moins jusqu’au collège.

Seulement voilà, ces données sont à manier avec beaucoup de prudence. Le gros de l’affaire c’est que cette méthode de régression de discontinuité, ne permet pas de démêler l’effet de l’âge à l’entrée en maternelle (être scolarisé à 2 ans ou à 3 ans change-t-il quelque chose en soi?), de l’effet de la durée de la scolarisation (faire 4 ans de maternelle plutôt que 3 a-t-il un effet en soi?) et l’effet du mois de naissance (le fait d’être né en début d’année et d’être plus âgé dans une classe donnée a-t-il un effet en soi?). « Ces modèles comparent des enfants qui entrent à l’école pratiquement au même âge, explique le rapport, mais où ceux de janvier restent plus longtemps en maternelle et donc arrivent à l’école primaire plus âgés que les élèves nés en décembre, tout en ayant passé plus de temps à l’école maternelle. Les effets mesurés ici cumulent l’âge au test et la durée de scolarité, deux paramètres qu’il est difficile de dissocier. » Ces effets résultent de deux impacts, maturité et durée de scolarité. Les enfants nés en début d’année ont déjà un avantage fort sur ceux nés en fin d’année du fait de leur âge plus avancé en moyenne, cet avantage est encore renforcé lorsqu’ils rentrent en maternelle à 2 ans.  Or la part des élèves de 6eme nés au mois de décembre et entrés en maternelle à 2 ans est d’environ 20 %; celle des enfants nés en janvier de 40%.

Ce que rappelle donc ce passionnant document, et que l’on a souvent tendance à oublier, c’est que les inégalités liées à la date de naissance sont très fortes et durables sur les trajectoires scolaires. Les enfants de début d’année, plus âgés donc que leurs coreligionnaires, ont de meilleurs résultats académiques. Il semble que le fait pour ces enfants de début d’année d’entrer plus tôt à l’école et de bénéficier de quatre années de maternelle, ait tendance à renforcer ces inégalités. Mais c’est bien le fait qu’ils soient plus âgés, et donc plus mûrs, que les autres enfants avec qui on les compare au moment du test, qui semble jouer en leur faveur.

Avec une autre méthode, des résultats nuls voir négatifs pour la scolarisation précoce

Pour atténuer ce biais lié au mois de naissance, une autre méthode a été utilisée : les enfants de deux départements distincts, où la probabilité d’être scolarisés à deux ans était différente, ont été comparés. La méthode est ainsi expliquée dans le rapport : « L’identification peut être comprise de la façon suivante : on compare des enfants très semblables mais nés dans des départements où il se trouve que, tendanciellement, il est plus ou moins facile d’entrer en maternelle à 2 ans. On observe alors que les enfants nés dans des départements où, dix ans plus tard, le taux de scolarisation à 2 ans est élevé ont une probabilité plus forte d’être restés quatre ans en maternelle. Si la scolarisation précoce a un effet positif sur les performances des élèves, alors on devrait observer que les enfants nés dans les départements où le taux de scolarisation à 2 ans est plus fort, ont de meilleurs résultats. »
Avec cette seconde méthode, l’effet positif de la scolarité précoce disparaît et c’est même un impact négatif qui se dessine. « Bien que la plupart des estimations n’atteignent pas la significativité, les résultats semblent indiquer que si un effet existe, il serait plutôt négatif, et plus fort dans les dimensions liées au langage ». Un comble dans la mesure où depuis plus de 20 ans la mission prioritaire de l’école maternelle est justement de favoriser le compétences verbales des enfants, a fortiori celles des moins favorisés.

Or, justement, concernant le facteur socio-économique, à l’issue de cette deuxième grille d’analyse, le rapport est là aussi très prudent : «Les résultats indiquent que les élèves défavorisés ne bénéficient pas en moyenne d’une scolarisation maternelle plus précoce et plus longue. Au contraire, s’il y a un effet différencié, il semble être plutôt en leur défaveur, même si ces estimations ne permettent pas de conclure à une différence significative. »  Ces résultats constituent une douche froide pour ceux qui ont beaucoup misé sur la maternelle comme outil de lutte contre les inégalités.

Repenser l’accueil des très jeunes en maternelle pour en faire une expérience réellement bénéfique

« Pour comprendre et interpréter ce résultat qui va plutôt à l’encontre de la littérature en France sur le sujet, pointe le rapport, il faut sérieusement se demander ce qui constitue une alternative à la scolarisation à 2 ans. Que serait-il arrivé à ces élèves s’ils étaient entrés à l’école un an plus tard ? Une partie d’entre eux aurait été gardée en crèche, en garderie – dans d’autres modes d’accueil collectifs ; d’autres auraient eu une nounou, une assistante maternelle, auraient été gardés par leurs grands-parents. D’autres encore auraient passé plus de temps avec leurs parents et en particulier leur mère etc. En quelles proportions ? Nos données ne nous permettent pas d’y répondre mais seulement de dire que le mélange de toutes ces solutions alternatives apparaît profiter davantage aux élèves que la maternelle à 2 ans, notamment dans les compétences liées au langage. » La balle semble bien dans le camp des militants de la prévention précoce qui plaident pour la qualité éducative dans le champ des modes d’accueil.

« Le présent travail ne prône certainement pas de rejeter en bloc l’accueil des élèves à 2 ans, avertit en conclusion Arthur Heim dans son rapport. Il invite plutôt à penser les actions à mener et les spécificités à prendre en compte pour que l’expérience à l’école soit plus enrichissante que ses alternatives, si, du moins, on a fait le choix de poursuivre une politique d’accueil des jeunes enfants.» Il incite aussi et surtout à la plus extrême prudence sur un sujet devenu de plus en plus consensuel après avoir suscité des positions très clivées, et à l’élaboration d’outils d’analyse fins et exigeants afin de permettre aux pouvoirs publics d’appuyer leurs orientations sur des données robustes, et actualisées. Le sujet, et le rapport, doivent en tous cas fortement intéresser Boris Cyrulnik, chargé par Jean-Michel Blanquer, d’organiser les prochaines Assises consacrées en mars à l’école maternelle.