Dans un récent rapport, la Education Endowment Foundation, organisme anglais, propose une recension des pratiques les plus validées pour améliorer les compétences psycho-sociales en contexte scolaire.

Pourquoi les compétences socio-émotionnelles des enfants devraient-elles faire partie intégrante des programmes scolaires ? Parce que, selon Sir Kevin Collins, Directeur exécutif de la « Education Endowment Foundation », « de telles habiletés permettent d’accroître les comportements positifs des élèves, la santé mentale et le bien-être, et les performances académiques ». « C’est d’autant plus important pour les enfants de milieu défavorisé et de groupes vulnérables puisqu’ils présentent en moyenne des compétences sociales et émotionnelles plus faibles que leurs pairs. »

Définition des Compétences psycho-sociales

Ce rapport de la EEF recense les données les plus solides sur les programmes axés sur le développement et le renforcement des compétences psycho-sociales, notamment en contexte scolaire. Il formule six séries de recommandations à partir de la littérature. Et commence par définir le sujet. Que sont les apprentissages sociaux et émotionnels ? Ils renvoient au processus à travers lequel les enfants apprennent à comprendre et gérer leurs émotions, à définir et atteindre des objectifs gratifiants, à ressentir et manifester de l’empathie pour les autres, à établir et maintenir des relations positives et prendre des décisions responsables. Dans les écoles l’accent mis sur cette dimension peut se manifester sous différentes formes : travail sur la santé mentale et le bien-être, sur la résilience, prévention du harcèlement, gestion du comportement, développement personnel…

La définition des SEL (sociol and emotional learning) retenue par les auteurs du rapport de la EEF contient cinq dimensions : conscience de soi, auto-régulation, conscience sociale, compétences relationnelles, prise de décision responsable.
– La conscience de soi est la capacité à reconnaître ses propres émotions, pensées et valeurs et comprendre comment elles influencent le comportement. Elle nécessite donc une bonne connaissance de soi, de ses forces, de la confiance en soi et un sentiment d’efficacité.
– L’auto régulation est la capacité à réguler ses émotions, pensées et comportements dans différentes situations, à contrôler le stress, les impulsions et à se motiver soi-même, à se fixer des objectifs académiques personnels et à se donner les moyens de les atteindre.
– La conscience sociale est la capacité à prendre en compte les autres et à manifester de l’empathie, à comprendre des normes sociales et éthiques, à identifier les ressources familiales, scolaires et communautaires.
– Les compétences relationnelles renvoient à la capacité à établir et maintenir des relations saines avec d’autres individus et des groupes, à communiquer clairement, à écouter, à coopérer avec les autres, à résister à une pression sociale inappropriée, à négocier de façon constructive en cas de conflit, à rechercher et offrir de l’aide en cas de besoin.
– La prise de décision responsable est la capacité à faire des choix constructifs au sujet de ses propres comportements et de ses interactions sociales, à évaluer de façon réaliste les conséquences de ses actes et à avoir de la considération pour son propre bien-être et celui des autres.

Des recherches longitudinales ont montré que des bonnes compétences socio-émotionnelles développées avant l’âge de 10 ans constituaient un bon prédicteur d’une série d’indicateurs à l’âge adulte, tels que le bien-être, la réussite professionnelle et un bon état de santé général. D’autres recherches montrent que les SEL peuvent être développés en contexte scolaire avec des résultats positifs à long terme dans plusieurs domaines : performances académiques, amélioration des attitudes, comportements et relations avec les pairs, réduction du stress émotionnel, baisse des niveaux de harcèlement, baisse des troubles des conduites, meilleure connexion à l’école.

Quelles sont les six grandes recommandations du rapport de la EEF ?

1) Enseigner explicitement les SEL

Utiliser des stratégies pour enseigner les compétences clés, à la fois dans des temps dédiés et au cours des enseignements quotidiens
– Conscience de soi : étendre le vocabulaire des émotions des enfants et les inciter à s’exprimer sur le sujet. Les enseignants peuvent par exemple utiliser un disque des émotions qui permet de décliner les différentes émotions (heureux= satisfait, content, gai, comblé… excité = plein d’énergie, nerveux, impatient…). Les auteurs proposent d’inciter les enfants à lier l’expression d’une émotion avec une explication. « Je me sens… parce que… »

– Auto régulation : apprendre aux enfants à utiliser des stratégies leur permettant de se calmer et leur apprendre comment avoir un dialogue intérieur qui les aide à gérer les émotions intenses. Les enseignants peuvent montrer aux enfants comment respirer profondément, compter jusqu’à dix, s’éloigner, exprimer son ressenti à voix haute, demander de l’aide, reconnaître les indices corporels d’une émotion forte en train de monter. Les auteurs recommandent d’utilier des métaphores parlantes pour des enfants (tempête, volcan…). Ils évoquent la « stratégie de la tortue » ou comment apprendre aux enfants à rentrer dans leur coquille lorsque l’émotion est trop forte, puis, à l’abri de cette carapace imaginaire, à faire redescendre la pression par la respiration et les paroles adressées à soi-même.

– Conscience sociale : utiliser des histoires pour échanger autour des émotions des autres, notamment des scenari lié au contexte scolaire. « Paul a oublié son goûter, comment cet oubli l’amène à se sentir ? ». Les auteurs proposent d’utiliser des livres, poèmes, films qui mettent en scène des personnages différents, solitaires, fragilisés pour faire partager cette expérience. Amener les enfants à se demander « qu’aurais-je fait dans cette situation ? » et à réfléchir à la notion d’ « allié ». Que signifie être un allié pour quelqu’un ?

– Compétences relationnelles : utiliser des jeux de rôle mettant en œuvre la capacité à écouter et à communiquer. L’enseignant peut aussi mettre en relief des situations de « pauvreté relationnelle » dans l’échange: ne pas regarder l’autre dans les yeux, donner l’impression de ne pas écouter, crier, interrompre l’autre, rouler des yeux, grommeler, hausser les épaules…Montrer ensuite par contraste les techniques d’un bon échange, notamment dans le langage corporel : « contact visuel approprié, signes ostensibles d’écoute, poser des questions, attendre que l’autre ait fini avant de donner son opinion, résumer ce que l’autre a dit

– Prise de décision responsable : enseigner des stratégies de résolution de problèmes. Apprendre aux enfants à identifier le problème, à chercher des solutions et à envisager les conséquences positives et négatives des solutions qu’ils ont envisagées. Il est préférable de travailler cette recherche de solution dans les moments de calme, pas au plus fort de la crise.

2) Intégrer les apprentissages socio-émotionnels dans l’enseignement quotidien

C’est une règle de base en pédagogie: les enfants apprennent par mimétisme, en regardant faire les autres, notamment les adultes. Ils vont donc s’imprégner de la façon dont l’enseignant gère les conflits, la frustration, applique les règles, fait régner la discipline, dont les adultes se partlent entre eux. Il est donc capital de proposer un bon modèle de relations. Les enseignants peuvent aussi porter une attention spécifique, avec un renforcement positif axé sur les SEL pendant les temps de classe habituels. « J’ai remarqué que tu as fait un gros effort pour te calmer seul, bravo ! ». Verbaliser explicitement la stratégie mise en œuvre par l’enfant pour y parvenir est aussi recommandé. Les auteurs appellent également à opter pour la prévention, en évoquant les stratégies utiles avant que les moments de tension ne surviennent.
Intégrer ces compétences dans les apprentissages académiques classiques est plus efficace que de leur consacrer des temps dédiés. Les auteurs proposent de mettre en place des travaux en petits groupes mais aussi de structurer les temps de discussion en classe entière avec des règles claires. Par exemple inciter les enfants à nommer au autre élève dans sa contribution en faisant référence aux propos de cet élève.

3) Bien planifier l’adoption d’un programme de promotion des compétences socio-émotionnelles

Cette partie du rapport s’interroge sur les les avantages et inconvénients de deux options : mettre en œuvre un programme estampillé et payant (avec manuel et outils) ou élaborer son propre programme. En France la question se pose encore assez peu car les transpositions de programmes existants, quasiment tous anglo-saxons et donc en anglais demeurent encore assez rares. Les auteurs invitent les écoles intéressées par ce sujet à se poser toute une série de questions sur leurs besoins, objectifs et priorités. Puis à bien quantifier le temps qu’il faudra consacrer à ces apprentissages, à vérifier l’engagement de l’ensemble de l’équipe éducative. Les établissements doivent ajuster le programme à leurs spécificités mais aussi respecter les éléments clés de ces programmes (les 5 dimensions citées plus haut).

4) Utiliser un programme séquencé, actif, spécifique et explicite

– Séquencé signifie progressif. Il faut avancer pas à pas en enseignant des compétences de plus en plus élaborées année après année. On n’enseigne pas les mêmes SEL, de la même façon aux élèves de CP et aux élèves de CM1
– Des formes actives d’apprentissage : recourir à des jeux de rôle et exercices pratiques répétés, simulations, travaux en petits groupes
– Des temps dédiés passés à ces apprentissages : il faut allouer suffisamment de temps à ces apprentissages et à l’entraînement. Une heure par semaine semble une bonne fréquence, qui peut être fragmentée en quarts d’heure quotidien. La régularité est gage de succès. Mieux vaut prévoir des programmes sur du long terme, au moins une année même si certaines études montrent des résultats positifs pour des sessions sur 8 à 10 semaines pour des compétences très spécifiques et/ou des groupes d’élèves particuliers. C’est l’enthousiasme et la qualité pédagogique de l’enseignant qui a un effet plus que la quantité de temps dédié à ces apprentissages.
– Avoir des objectifs explicites : il est nécessaire d’être très précis par rapport aux compétences enseignées plutôt que d’avoir une approche et un discours très généraux. Mieux vaut cibler la capacité des enfants à identifier et nommer leurs émotions plutôt que « la promotion du bien-être ». Les élèves doivent en tous cas savoir ce qu’on attend d’eux très exactement.

5) Renforcer les compétences socio-émotionnelles à travers la philosophie et les activités de toute l’école

Les interventions qui ont lieu en classe ont d’autant plus d’effet que ce sont les règles régissant l’établissement dans son ensemble qui sont imprégnées des valeurs inhérentes aux SEL. La promotion des compétences socio-émotionnelles doit dépasser les murs de classe pour concerner l’ensemble du personnel ainsi que les relations de ce personnel avec les personnes extérieures à l’école, dont les parents. Il ne s’agit pas seulement de coller des affiches dans la classe ou dans les couloirs mais que l’ensemble des acteurs de l’école définissent les règles, les comprennent et les fassent vivre. Les routines qui ponctuent la vie d’un établissement scolaire constituent de bonnes opportunités pour travailler cette cohésion. Des systèmes de bons points, de représentativité par les pairs, de certificats envoyés à domicile valorisent les bons comportements.
S’assurer que ce qui est appris à l’école est renforcé au domicile est un gage de réussite. Il peut être intéressant d’informer les parents de la faon dont ce sujet est abordé à l’école et de leur expliquer les stratégies mises en place, ne pas hésiter à évoquer avec les parents les apprentissages socio-émotionnels de l’enfant aussi bien que ses apprentissages académiques.

6) Planifier, soutenir et évaluer l’implantation d’un programme dédié aux SEL

Il est capital que les responsables des établissements s’assurent que leur vision des compétences socio-émotionnelles est partagée par tous les acteurs de al communauté éducative. Une équipe doit être en charge de l’impulsion et de la supervision du projet, revoir le règlement et le projet d’établissement pour qu’ils soient compatibles, dédier des temps de réflexion pris sur d’autres activités considérées comme moins rentables, inclure l’ensemble des personnels et les parents, s’assurer que les SEL sont en cohérence et non en compétition avec les autres aspects du programme scolaire. Les effets sont d’autant plus positifs que les enseignants intègrent ces apprentissages à leur pratique quotidienne et qu’ils bénéficient d’une formation et d’un soutien pour ça.