La proposition de loi déposée il y a 18 mois par la Sénatrice Michelle Meunier permettant d’améliorer la loi du 5 mars 2007 sur la protection de l’enfance vient enfin d’être votée définitivement après trois lectures et d’âpres débats. Elle contient des articles novateurs. Retour sur un marathon parlementaire.  

Il y a presque un an et demi, le 11 septembre 2014, les sénatrices Muguette Dini (qui n’a plus de mandat) et Michelle Meunier déposaient leur proposition de Loi sur la protection de l’enfance. Après trois navettes et un échec en commission mixte paritaire, le (très long) processus législatif a pris fin le 1er mars dernier avec le vote définitif de l’Assemblée nationale. Cette difficulté à trouver un consensus souligne à quel point le sujet est, depuis longtemps, aussi sensible que clivant. Pourtant, le rapport préparatoire à cette proposition de loi réalisé par Michelle Meunier et Muguette Dini avait été adopté à l’unanimité par les parlementaires. Nous faisons ici le point sur les objectifs de ce texte, les avancées rapidement votées et celles qui ont été obtenues aux forceps.

Stabiliser et sécuriser le parcours des enfants protégés

Cette proposition de loi est censée améliorer la mise en œuvre de la loi réformant la Protection de l’enfance adoptée le 5 mars 2007. Les deux sénatrices sont parties du constat que cette loi affirmait le principe du maintien du lien biologique mais que cette prééminence du biologique recelait des effets pervers : les enfants qui font l’objet d’une mesure de protection administrative ou judiciaire et se retrouvent physiquement éloignés de leurs parents sans en être juridiquement détachés, sont soumis à des parcours chaotiques, pâtissent d’un manque d’anticipation et de ruptures. Privés de leurs parents et privés de la possibilité d’être adoptés, ils grandissent dans les structures de l’Aide sociale à l’Enfance, parfois sans visibilité et sans projection aucune. Ce constat a alimenté moult rapports ces dernières années (comme nous le rappelons dans cet autre article sur les ressorts de la loi Meunier). Cette nouvelle proposition de loi vise à remettre le focus sur l’intérêt de l’enfant.

La fin de l’article 350

Michelle Meunier, qui a donc défendu ce texte devant le Sénat, a notamment tenu à faire voter un article permettant de supprimer l’article 350 pour remplacer la notion de de désintérêt parental par celle de délaissement. L’article 350 est le texte qui permet à un juge de déclarer un enfant abandonné. Il s’agit de la première marche vers le statut de pupille de l’état et vers la possibilité pour cet enfant d’être considéré comme adoptable. Pour le dire autrement, il s’agit d’une chance donnée à l’enfant de grandir dans une famille. Mais cette « chance » a un revers de taille : elle annule les liens de l’enfant avec sa famille biologique. Pour déclarer l’abandon en vertu de l’article 350, un juge doit établir que les parents se sont « manifestement désintéressés » de leur enfant pendant au moins une année. Cet article 350 fait l’objet de nombreux débats depuis des années car dans les faits, les juges sont très peu saisis par les services de l’ASE pour des déclarations d’abandon.
Notamment parce que prouver le « désintérêt manifeste » des parents est parfois difficile et que la notion présuppose une intention. La proposition de loi Meunier remplace le terme « désintérêt » par l’idée de « délaissement parental», qui ne suppose pas d’intention de la part des parents et met le curseur du côté de l’enfant. Il est plus facile de démontrer une situation d’enfant objectivement délaissé qu’un désintérêt parental, plus subjectif. Le but est donc de permettre à davantage de très jeunes enfants, dont on sait qu’ils ne pourront pas retourner dans leur famille (cette simple assertion pourrait en elle-même faire l’objet d’un développement sur dix pages) d’être déclarés plus rapidement abandonnés et de se voir éventuellement adoptés.
Le Sénat comme l’Assemblée Nationale ont voté la suppression de l’article 350 et l’introduction de la notion de délaissement parental. Ca n’a pas été simple (nous l’avons raconté dans notre précédent article, qui synthétisait l’historique de ces débats).

Le Projet pour l’enfant, une absolue nécessité

Autre avancée du texte de Michelle Meunier, votée par les deux Assemblées : l’accent remis sur le projet pour l’enfant. Ce document, déjà prévu par la loi de 2007, suit l’enfant tout au long de son parcours. Selon l’article 5 de la nouvelle proposition de loi, le projet pour l’enfant doit « garantir son développement physique, psychique, affectif, intellectuel et social ». L’article 5 précise aussi que « dans une approche pluridisciplinaire, ce document détermine la nature et les objectifs des interventions menées en direction du mineur, de ses parents et de son environnement, leur délai de mise en oeuvre, leur durée, le rôle du ou des parents et, le cas échéant, des tiers intervenant auprès du mineur ; il mentionne, en outre, l’identité du référent du mineur. » Et : « Le projet pour l’enfant prend en compte les relations personnelles entre les frères et soeurs, lorsqu’elles existent, afin d’éviter les séparations, sauf si cela n’est pas possible ou si l’intérêt de l’enfant commande une autre solution. »

Un référentiel approuvé par décret définit le contenu de ce projet. Ces précisions étaient nécessaires dans la mesure où ce document fait l’objet d’un intérêt et d’une mise en oeuvre très disparates d’un département à l’autre. « Le projet pour l’enfant, bien qu’obligatoire, n’est souvent jamais élaboré, ou est perçu par certains services départementaux non comme un outil d’une meilleure prise en charge, mais comme une formalité administrative supplémentaire », déplorait Michelle Meunier devant la commission mixte paritaire d’octobre 2015. Or c’est aussi ce document qui doit permettre de stabiliser le parcours des enfants placés.
Les deux Assemblées ont également voté le fait que le rapport qui fait le point sur la situation de l’enfant (différent du projet pour l’enfant) soit actualisé deux fois par an pour les enfants de deux ans et non une fois par an comme c’est le cas actuellement. C’est en effet pour ces très jeunes enfants que la question du maintien du lien et de l’adoptabilité se pose avec le plus d’acuité.

Faciliter les signalements en cas de danger grave et immédiat

Les parlementaires ont par ailleurs adopté la possibilité de confier un mineur à un « tiers de confiance » plutôt qu’à une famille d’accueil ou une structure de l’ASE. Jusqu’à présent cette possibilité était peu utilisée car ses bases légales étaient floues. Autre point de consensus entre sénateurs et députés : la modification de la saisine du procureur de la République en cas de maltraitance. Il est stipulé avec ce nouvel article que le président du conseil départemental est tenu d’aviser sans délai le procureur de la République en cas de « situations de danger grave et immédiat, notamment les situations de maltraitance, dès lors que le développement physique, affectif, intellectuel et social de l’enfant est gravement compromis ». Cet ajout a été fait à la demande du gouvernement et c’est une précision importante. Adopté par l’Assemblée nationale, il a dans un premier temps été retoqué par la commission des affaires sociales du Sénat. Cette commission a en effet estimé que cet article était inutile dans la mesure où le code de l’action sociale et des familles prévoyait déjà cette disposition et cette obligation de signalement faite au département.
Ce n’est qu’en partie vrai et c’est dans les détails que se niche le diable. Il ne suffit pas que la gravité de la situation soit avérée pour pouvoir saisir l’autorité judiciaire. Il faut en plus pouvoir prouver un des trois éléments suivants : la mesure administrative a échoué, la famille refuse de collaborer, l’évaluation est impossible. Il arrive par exemple que les services sociaux s’épuisent à prouver l’absence de collaboration de la famille afin que le président du conseil départemental puisse saisir l’autorité judiciaire. Le Sénat a donc adopté lui aussi cet article additionnel contre l’avis de sa commission aux affaires sociales.

Protéger les enfants nés sous X et restitués aux parents biologiques

Autre article voté conjointement : « Lorsqu’un enfant né sous le secret est restitué à l’un de ses parents, le président du conseil départemental propose un accompagnement médical, psychologique, éducatif et social du parent et de l’enfant pendant les trois années suivant cette restitution, afin de garantir l’établissement des relations nécessaires au développement physique et psychologique de l’enfant ainsi que sa stabilité affective. » C’est l’affaire de la petite Marina Sabatier, décédée en 2009 sous les coups de ses parents après un calvaire sans nom,  qui a conduit à cet article. L’enfant était en effet née sous X mais sa mère avait changé d’avis et avait finalement reconnu la petite fille. Ce qui n’avait pas particulièrement éveillé la vigilance de l’ASE. Il s’agit pourtant de situations potentiellement à risques.

L’inceste dans le code pénal

Députés et Sénateurs ont également voté l’introduction de la qualification aggravante d’inceste. Les deux assemblées ont été d’accord pour faire entrer sous cette incrimination les agressions sexuelles et viols commis sur un mineur par « un ascendant », « un frère, une sœur, neveu, nièce si cette personne si cette personne a sur le mineur une autorité de droit ou de fait », « le conjoint ou l’ancien conjoint, le concubin ou l’ancien concubin d’une des personnes mentionnées précédemment ou le partenaire ou l’ancien partenaire lié par un pacte civil de solidarité avec l’une des personnes mentionnées précédemment, s’il a sur le mineur une autorité de droit ou de fait.»

Un meilleur encadrement des tests osseux pour les mineurs isolés

A la demande des députés, et avec l’accord du Sénat, un encadrement du recours aux tests osseux pour les mineurs isolés a également été intégré à cette proposition de loi :
« Les examens radiologiques osseux aux fins de détermination de l’âge, en l’absence de documents d’identité valables et lorsque l’âge allégué n’est pas vraisemblable, ne peuvent être réalisés que sur décision de l’autorité judiciaire et après recueil de l’accord de l’intéressé. Les conclusions de ces examens, qui doivent préciser la marge d’erreur, ne peuvent à elles seules permettre de déterminer si l’intéressé est mineur. Le doute profite à l’intéressé. En cas de doute sur la minorité de l’intéressé, il ne peut être procédé à une évaluation de son âge à partir d’un examen du développement pubertaire des caractères sexuels primaires et secondaires. »

Apre bataille autour de la création d’un conseil national

De nombreux articles de la proposition de loi ont donc pu être votés, plus ou moins rapidement par les deux assemblées. Des points de vue irréconciliables sont cependant apparus concernant d’autres éléments de ce texte, au premier rang desquels le premier article de la proposition de loi Meunier. « Il est institué auprès du Premier ministre un Conseil national de la protection de l’enfance, chargé de proposer au Gouvernement les orientations nationales de la politique de protection de l’enfance, de formuler des avis sur toute question s’y rattachant et d’en évaluer la mise en œuvre. Ce conseil promeut la convergence des politiques menées au niveau local, dans le respect de la libre administration des collectivités territoriales. Ses missions, sa composition et ses modalités de fonctionnement sont définies par décret. » Pour Michelle Meunier, qui en a fait sa proposition phare, il est nécessaire d’améliorer la gouvernance en matière de protection de l’enfance et de réduire la disparité des pratiques sur le territoire. L’Assemblée nationale, ainsi que Laurence Rossignol, l’ont suivie sur ce terrain. Le Sénat, lui, s’est opposé à la création de ce Conseil. Il l’estime en contradiction avec l’approche décentralisée qui prévaut en la matière et redondant avec l’actuel Observatoire de l’enfance en danger (ONED). Mais le 1er mars dernier, les Députés ont définitivement adopté la création d’une telle instance.  Il y aura bien un Conseil National de la protection de l’enfance.

Une commission pluri-disciplinaire pour les enfants placés depuis plus d’un an

De la même façon, l’Assemblée nationale a voté définitivement la création d’une « commission pluridisciplinaire et pluri-institutionnelle chargée d’examiner, sur la base des rapports prévus à l’article L. 223-5, la situation des enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance depuis plus d’un an lorsqu’il existe un risque de délaissement parental ou lorsque le statut juridique de l’enfant paraît inadapté à ses besoins. » Il est précisé également que « La commission examine tous les six mois la situation des enfants de moins de deux ans. » Il s’agit là encore d’une proposition initiale de Michelle Meunier pour stabiliser les parcours des enfants placés et leur permettre de sortir du dispositif dès lors qu’il apparaît évident que le lien avec les parents est maintenu artificiellement. Ces commissions existent dans certains départements. Pour la rapporteure, il n’est pas inutile que la loi consacre ces bonnes pratiques et en fasse une obligation pour l’ensemble des départements.

Cette commission pluridisciplinaire ne concernera pas tous les enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance, mais seulement deux catégories d’entre eux : les enfants de moins de deux ans confiés à l’ASE et les enfants confiés depuis plus d’un an à l’ASE pour lesquels on a identifié un risque de délaissement parental. Laurence Rossignol est venue elle aussi défendre cet article, estimant que pour les enfants placés depuis longtemps et pour les très jeunes, il est important de poser la question de leur statut et de leur avenir et il est préférable de le faire en amont et à plusieurs, plutôt que trop tard et tout seul. Les sénateurs y étaient opposés, arguant que cette commission entraînerait une surcharge de travail voire une asphyxie pour des départements dont certains sont déjà au bord de la faillite.

Un autre article a encore suscité une vive opposition de points de vue entre sénateurs et députés. Laurence Rossignol a proposé un amendement permettant de mettre sous séquestre le versement de l’allocation de rentrée scolaire et de restituer cette somme au jeune lui-même à sa majorité. Cette allocation est aujourd’hui versée à la famille, même lorsque l’enfant est placé. L’Assemblée nationale a suivi Laurence Rossignol et a adopté cette proposition. Le Sénat lui, souhaitait que cette allocation soit bien retirée aux familles mais pour être versée aux services en charge de l’enfant. Les députés estimaient utile de permettre au jeune de se constituer un petit pécule pour accéder à l’autonomie. Les Sénateurs répondaient « oui, mais ce n’est pas le rôle de l’ARS ».
Arrivé à ce stade du processus législatif, l’Assemblée nationale a eu le dernier mot sur ce point précis, comme sur les autres.

Cette nouvelle loi devrait donc permettre de sécuriser et stabiliser le parcours des enfants accueillis par les services de l’Aide sociale à l’enfance.