L’édition 2018 du rapport annuel de la Défenseure des enfants met en avant les jeunes enfants et passe en revue la façon dont leurs droits peuvent être renforcés dans la famille, dans les lieux d’accueil, en protection de l’enfance, dans les services publics. Dans la cité en général.

La France compte environ 5,2 millions de petits de moins de 7 ans. C’est à ces très jeunes enfants qu’est consacré le rapport annuel publié par les services de la Défenseure des enfants, Geneviève Avenard, à l’occasion de la journée internationale des Droits de l’enfant.

Pourquoi ce focus sur les six premières années de la vie ? Parce que la petite enfance est une période cruciale pour le développement. Le rapport met en exergue l’importance de la fenêtre dite des 1000 jours pour la formation du cerveau et assure qu’ «un manque d’étayage pendant cette période, une négligence physique, alimentaire ou affective peut altérer la construction du jeune être humain ». Dans l’éditorial qui ouvre ce rapport, c’est néanmoins sur une autre situation qu’insiste Geneviève Avenard. « Ainsi, alors que dès leur naissance, le bébé et le tout jeune enfant sont « investis » affectivement par leurs parents pour lesquels ils représentent souvent un signe de réussite personnelle, les pressions sociales qui leur sont faites, le sur-investissement en termes d’apprentissage et de stimulation cognitive, sont en contradiction avec le respect des rythmes individuels de développement. Avec un effet de stigmatisation voire de « pathologisation » de certains enfants.» Le risque de sur-stimulation, évoqué dès l’introduction, serait donc une problématique majeure en 2018 pour les petits Français de moins de six ans.

Rendre obligatoire l’entretien prénatal précoce, augmenter le taux d’encadrement en maternelle

Le rapport se veut transversal et balaie plusieurs problématiques ainsi que plusieurs champs d’intervention. Il propose par exemple quelques pistes concernant la prévention précoce. La recommandation 25 préconise ainsi de rendre l’entretien prénatal précoce obligatoire, idée avancée à demi mots par Agnès Buzyn lors de la conférence de presse qui avait suivi l’annonce de la Stratégie Pauvreté. La recommandation 26 incite à garantir que la PMI reste “un service public fréquenté par toutes les familles dans un parcours classique de sortie de maternité“. En matière de scolarisation, les auteurs notent que si la majeure partie des enfants de 3 ans sont accueillis en école maternelle, le taux d’encadrement est l’un des plus faibles des pays de l’OCDE. Dans la recommandation n°2 il est posé que le taux d’encadrement des élèves doit être « augmenté significativement ». « Les enseignants et les agents territoriaux intervenant au sein des écoles maternelles devraient pas railleurs être formés à la connaissance des stades de développement et sensibilisés aux droits de l’enfant. »

D’autres recommandations concernent cet accueil des enfants de moins de six ans. La n°8 propose « une meilleure coordination nationale et locale entre les programmes éducatifs de la toute petite enfance à la fin de l’école maternelle, articulée autour d’un curriculum commun de formations conjointes des professionnels.» Cette idée avait déjà émergé lors des Assises de la maternelle et a également été reprise dans la Stratégie Pauvreté. La recommandation n°9 invite à multiplier les « dispositifs « passerelles » permettant une transition plus fluide vers l’école maternelle ». La Recommandation 10 propose que « la poursuite de la politique de scolarisation à deux ans tienne compte du développement de l’enfant et s’accompagne d’une adaptation des écoles maternelles aux plus petits ». La recommandation 11 plaide pour « une réelle politique d’inclusion des élèves handicapés au-delà de la compensation de leur handicap, qui implique un changement de paradigme et une mobilisation des pouvoirs publics et des professionnels à tous les niveaux.» La recommandation suivante invite à « renforcer la formation, initiale et continue, des professionnels intervenant dans le domaine de la petite enfance sur la prise en charge des jeunes enfants en situation de handicap ».

Mieux dépister et signaler les enfants en danger

Le Défenseur des droits et son adjointe aux Droits des enfants sont particulièrement sensibilisés à la question des familles placées en centre de rétention administrative. La recommandation 5 appelle à « proscrire dans toutes circonstances » de tels placements lorsqu’il y a des enfants. Parce que « l’enfermement, même pour une brève période, entraîne chez les tout petits enfants des troubles anxieux et dépressifs, des troubles du sommeil, des troubles du langage et du développement, tels qu’ils peuvent se manifester lors d’un état de stress post-traumatique.» Mais alors quid des enfants de moins de 18 mois accueillis auprès de leur mère incarcérée en maison d’arrêt ? Pour les services de la Défenseure des enfants, l’approche doit se faire au cas par cas, en fonction des situations.

Le rapport met l’accent à plusieurs reprises sur les enfants et les familles faisant l’objet d’une mesure de protection. Geneviève Avenard rappelle d’ailleurs en conférence de presse qu’un quart des saisines totales concerne des situations d’enfant relevant de l’Aide sociale à l’enfance. Elle déplore par exemple que le droit de visite des parents en pouponnière auprès de leur bébé placé, lorsque ce droit est octroyé par le juge des enfants, ne puisse pas toujours s’exercer en raison d’un manque de personnel ou de problèmes d’organisation. Le rapport plaide de façon générale pour un meilleur dépistage des situations problématiques. La Recommandation 6 demande aux Conseils départementaux et aux établissements hospitaliers de désigner « dans les meilleurs délais » un médecin référent en protection de l’enfance, comme le leur impose désormais la loi.

En 2017, la Défenseure des enfants avait publié une décision dite de « La Courneuve » après la prise en charge tardive de plusieurs enfants d’une même fratrie, victimes de graves négligences. Cette décision recommandait notamment de transmettre systématiquement les extraits d’acte de naissance à la PMI, de contrôler la transmission des trois certificats médicaux obligatoires à la PMI, d’identifier les familles multipliant les demandes d’aides financières et de déclencher une évaluation globale de la situation familiale. Lors de la conférence préalable à la publication du rapport, Geneviève Avenard relate une réunion récente avec une association exerçant dans le champ de la protection de l’enfance en Seine Saint Denis. Les interlocuteurs présents ont fait état d’un délai d’une année pour mener une évaluation après une information préoccupante. Un constat qui fait écho au cri d’alarme des magistrats du tribunal de Bobigny. Jacques Toubon estime que « la loi de 2016 a permis des avancées mais n’a pas apporté suffisamment de solutions ». A ses côtés Geneviève Avenard précise : « c’est la question de l’effectivité de la loi qui se pose aujourd’hui. »

Cette édition 2018 s’aventure également du côté de la problématique « écrans ». Le rapport prend acte de l’absence de consensus et appelle à « diligenter des recherches pour mieux appréhender les risques de l’usage des appareils numériques par le tout jeune public ». La recommandation n°15 plaide pour un « strict principe de précaution », soit « interdire l’exposition des enfants de moins de trois ans aux écrans dans tous les lieux les accueillant et ne permettre cette exposition pour les plus de trois ans que de manière accompagnée et limitée, et dans le cadre d’un projet éducatif

Soutien à la parentalité : universel, généraliste, non prescriptif… comme d’habitude

Jacques Toubon et Geneviève Avenard mettent enfin en avant l’intérêt qu’ils portent à l’accompagnement à la parentalité. Dans sa recommandation n°3, la Défenseure des enfants se prononce pour une inscription dans la loi de la prohibition des châtiments corporels. Elle préconise également de « sensibiliser le public à une éducation bienveillante et positive ainsi qu’aux conséquences des violences de tous ordres sur les enfants ». Dans le rapport il est par ailleurs indiqué que « prendre en considération l’intérêt supérieur de l’enfant et répondre de manière adéquate à ses besoins ne constitue pas une évidence pour tous». « Certains parents, écrivent les auteurs, ont besoin d’être accompagnés et soutenus dans leur fonction parentale. C’est l’objectif même des dispositifs de soutien à la parentalité.» Il n’est pas précisé qui seraient ces parents qui auraient des besoins plus importants. Plus loin les auteurs évoquent « un frein à l’accès à ces structures ou dispositifs concernant les familles en situation de précarité ou de pauvreté. » « Celles-ci expriment se sentir parfois jugées par les professionnels auxquels elles sont confrontées et, dès lors, ne pas oser aller demander des conseils ou de l’aide. Les parents se sentent parfois dépossédés de leur rôle face aux préconisations qui leur sont faites quant à, par exemple, l’attitude à adopter face à leur enfant, les soins à prodiguer, les gestes à reproduire. Il convient dès lors de les accompagner dans leur parentalité dans une posture d’écoute et d’accompagnement et avec un esprit bienveillant, d’autant plus important que les enfants sont extrêmement sensibles à l’attitude des professionnels envers leurs parents. » D’où la recommandation 23 qui propose d’ « insister sur la formation des professionnels à l’interaction bienveillante et non prescriptrice avec les parents.»

En résumé, d’un côté il serait nécessaire de sensibiliser les familles à une éducation positive et bienveillante, en rappelant les effets délétères des violences éducatives, mais de l’autre il ne faudrait surtout pas être prescripteur. On retrouve dans ce document le fil conducteur de précédents travaux (par exemple le rapport de Sylviane Giampino sur l’accueil du jeune enfant) avec les mêmes éléments de langage : oui à l’universalité, à l’approche généraliste, à la diversité éducative, au relativisme, non aux discours normatifs, formatés, dogmatiques, prescriptifs. Mais comment sensibiliser sur l’éducation « bienveillante et positive », c’est à dire privilégier certaines pratiques à d’autres, sans être un minimum normatif ? Il s’agit là d’une injonction paradoxale qui rend les objectifs poursuivis parfois contradictoires. Et que signifie cette insistance sur la bienveillance avec les familles en situation de précarité ou de pauvreté ? Qu’elles ne pourraient pas entendre des messages de sensibilisation ? Nous l’avons écrit à plusieurs reprises : La frontière est très mince entre le refus de la prescription, la frilosité envers la guidance ou le conseil (parce qu’il faudrait d’abord et essentiellement valoriser des compétences innées ou parce qu’il ne faudrait pas stigmatiser), et la rétention d’information. Entre la bienveillance et la condescendance. La bienveillance et la non prescription semblent être devenues depuis quelques années l’alpha et l’omega du soutien à la parentalité. Mais ces deux concepts ne disent rien de la façon dont on peut concrètement transmettre des informations sur les besoins fondamentaux d’un enfant à des familles qui n’en ont, pour de multiples raisons, que de très vagues notions.