C’est une donnée nouvelle : le fait d’avoir des parents séparés, faiblement éduqués ou au chômage augmente désormais le risque de devenir auteur ou victime de harcèlement scolaire. Ces résultats ont été obtenus à partir d’une cohorte finlandaise.

D’après des chiffres de l’OMS recueillis auprès de 40 pays, 26% des jeunes affirment avoir été impliqués dans du harcèlement (côté victimes ou auteurs). C’est ce que rappellent les auteurs de cette étude* sur le harcèlement scolaire menée à partir d’une cohorte finlandaise parue elle aussi dans la revue Child Abuse and Neglect. Le harcèlement scolaire est une cause significative de souffrance psychologique, physique et sociale et un risque majeur de troubles mentaux (dépression, anxiété, addictions). Le fait d’être un harceleur est également prédictif d’un comportement criminel à l’adolescence. Des facteurs de risque ont été identifiés. Les garçons sont plus souvent concernés (comme victimes ou auteurs). Le mode de harcèlement évolue avec l’âge (plus physique chez les plus jeunes, verbal plus tard). Le faible niveau d’éducation parentale est aussi associé dans la littérature au harcèlement, ainsi que la monoparentalité ou le chômage. Mais les études n’aboutissent pas aux mêmes conclusions concernant ce lien entre le harcèlement et le statut socio-économique (SES). Les preuves sont plus probantes pour l’association entre SES et le fait d’être victime que pour le SES et le fait d’être auteur. Le lien varie selon la façon dont le SES est mesuré.

En Finlande aussi, un accroissement des inégalités sociales de santé, notamment chez les adolescents

La société finlandaise n’a pas échappé à l’accroissement des inégalités, phénomène mondial. Le taux de pauvreté infantile a triplé entre 1995 et 2008. Les chercheurs notent par ailleurs que les inégalités de santé à l’adolescence se sont elles aussi accrues (obésité, consommation d’alcool, dépression…). Ils se sont donc interrogés sur une possible augmentation des inégalités socio-économiques face au harcèlement et ont analysé les données pour la période 2000-2015. Sur les 15 dernières années, le harcèlement scolaire est-il corrélé à des facteurs socio-économiques et si oui cette tendance s’est-elle accélérée ? 761.278 adolescents entre 14 et 16 ans au total ont répondu aux questions posées dans le cadre d’une étude nationale menée tous les deux ans en milieu scolaire. 5,9% des filles et 8,6% des garçons, au total, sur les 15 années, ont rapporté avoir été victimes de harcèlement. 2,8% des filles et 9,4% des garçons ont avoué harceler fréquemment des camarades. Le taux global de harcèlement a peu évolué depuis 2000. La part d’adolescents vivant avec un seul parent a augmenté alors que la proportion de parents au chômage ou de faible niveau d’éducation est resté stable.

Nouveau phénomène : les enfants de milieux défavorisés plus concernés par le harcèlement, qu’ils soient victimes ou auteurs

Etre victime ou auteur de harcèlement est associé au fait de ne pas vivre avec ses deux parents, au chômage des parents, au faible niveau d’éducation parentale. L’impact des facteurs de risque cumulatifs socio-économiques sur la prévalence du harcèlement scolaire s’est considérablement accru au cours de la période étudiée, pour les filles comme pour les garçons, pour les auteurs comme pour les victimes. Les écarts entre les adolescents face au risque d’être victime ou auteur se sont creusés en fonction du statut marital, du niveau d’éducation et de l’activité de leurs parents. Etant donné que la prévalence globale du harcèlement est restée stable, les auteurs en concluent qu’elle a fortement augmenté parmi les enfants les plus vulnérables sur le plan socio-économique. Et c’est la grande nouveauté mise en lumière par cette étude.

Les auteurs passent au crible les différents facteurs de vulnérabilité. Concernant la monoparentalité ils rapportent les données de la littérature qui montre que les troubles des conduites sont plus élevés parmi les enfants de parents séparés ou vivant dans des familles recomposées. Or, le harcèlement peut être le symptôme d’un trouble externalisé ou la manifestation d’un trouble des conduites. D’un autre côté les troubles internalisés et externalisés sont des prédicteurs quant au risque d’être victime de harcèlement. D’où, peut-être, ce lien renforcé avec la monoparentalité. La plus forte implication des adolescents ayant des parents avec un faible niveau d’éducation est un résultat déjà obtenu dans des études précédentes. Le niveau d’éducation parentale reflète les ressources financières, l’accès à l’information, les valeurs, les normes et la capacité de la famille à résoudre les problèmes. Quant au chômage, il induit des difficultés économiques, du stress parental, des difficultés psycho sociales chez l’enfant qui constituent autant de facteurs de risque face au harcèlement.

C’est la première fois qu’une étude montre un accroissement sur la durée des différences face au risque de harcèlement selon le statut socio-économique. Un tel différentiel a été observé en Finlande concernant la dépression et la consommation d’alcool. Pour les auteurs ces différences reflètent un phénomène plus répandu dans la société: le niveau général de santé et de bien-être a régulièrement augmenté, mais cette augmentation n’a pas été répartie équitablement dans la population.

Les disparités socioéconomiques entre les adolescents en matière de santé ont également augmenté dans de nombreux autres pays d’Europe et d’Amérique du Nord. Pour les chercheurs, les causes de cet accroissement des inégalités sont multidimensionnelles et encore peu connues. L’association entre le SES et la santé est liée aux comportements relatifs à la santé, aux conditions de vie, à la consommation de services de santé. En plus d’induire des souffrances individuelles, les disparités de santé constituent un fardeau majeur pour l’économie et la santé publiques. Les décisions socio-politiques sont essentielles pour répondre à cet enjeu majeur des disparités sociales de santé, notamment celle du harcèlement scolaire. Pour les auteurs, les facteurs de risque socio-économiques devraient en tous cas être pris en compte dans la prévention du harcèlement scolaire.