Les pédiatres américains sont de plus en plus nombreux à considérer qu’ils doivent transmettre aux parents des conseils avisés et concrets pour leur permettre d’accompagner au mieux le développement émotionnel et cognitif de leur enfant. Ces médecins estiment avoir un rôle à jouer dans la prévention des troubles du comportement et de l’échec scolaire. L’Académie Américaine de Pédiatrie vient de son côté de publier des recommandations appelant ces spécialistes à s’inscrire dans des missions de prévention primaire des risques psycho-sociaux et scolaires.

L’illustration provient du site Reach Out and Read, association américaine qui lutte contre les inégalités en promouvant l’introduction et l’utilisation des livres dans les soins pédiatriques. Merci à Reach Out and Read pour la cession des droits de cette image.

 

A en croire de très récentes publications dans des revues scientifiques, les pédiatres américains estiment qu’ils doivent assumer un rôle de premier plan dans la prévention des troubles du comportement, des maladies mentales au sens large, et de l’échec scolaire. Et que ce travail de prévention primaire passe par le dépistage de troubles ou retards éventuels lors des examens de routine mais aussi et surtout par une guidance parentale active. Comme le rappelle l’Académie Américaine de Pédiatrie (AAP) dans des recommandations publiées ce mois-ci, les pédiatres sont les garants de la santé, du bon développement physique et psycho-moteur des enfants mais « ils sont aussi bien positionnés pour se faire les avocats d’une prime éducation de très haute qualité, sur la base d’outils scientifiquement validés, offrant les fondations pour des capacités d’apprentissage optimum ».

Ne pas sous-estimer les risques d’une parentalité mal ajustée

Ces recommandations (que nous détaillerons ci-dessous) satisferont les spécialistes qui ont publié cet été dans le Journal of American Medical Association (JAMA) plusieurs textes invitant leur corporation à devenir le premier acteur de la prévention précoce des risques sociaux, et plus seulement strictement médicaux. Dimitri A.Christakis, par exemple. Ce médecin de l’institut de recherche pédiatrique de Seattle estime urgent pour les pédiatres de transmettre aux parents des conseils basés sur des preuves scientifiques pour leur permettre d’accompagner de façon optimale le développement de leur enfant.
Notamment parce que les enfants qui ne bénéficient pas de réponses parentales adaptées pendant la toute petite enfance sont moins aptes aux apprentissages scolaires lorsqu’ils entrent à l’école primaire. Le médecin estime ainsi que de nombreux parents n’ont pas conscience de l’impact de leurs postures et de leurs règles éducatives sur le cerveau, et donc sur le devenir, de leur enfant. Une parentalité mal ajustée, faite d’interactions trop pauvres, de réponses inadaptées aux besoins de l’enfant, d’incapacité parentale à accompagner ses émotions, constitue autant de petits traumatismes très préjudiciables. Dimitri A.Christakis estime donc que les pédiatres doivent guider les parents.

Préparer les enfants aux apprentissages scolaires, le rôle des pédiatres

L’Académie Américaine de Pédiatrie est sur la même longueur d’ondes. Elle publie ce mois ci de nouvelles recommandations intitulées « le rôle des pédiatres dans l’optimisation de la préparation à l’école ». Par “préparation à l’école”, l’AAP entend préparation à l’équivalent de notre CP, à l’apprentissage de la lecture et de la numération. Pour justifier sa prise de position, l’AAP revient sur les découvertes récentes : « La préparation à l’école n’inclut pas seulement les compétences académiques précoces des enfants mais aussi leur santé physique, leurs capacités langagières, leur développement social et émotionnel, leur motivation à apprendre, leur créativité et leur culture générale. Les familles et les services de proximité jouent un rôle critique dans tous ces domaines et donc dans la préparation à l’école. (…) Les recherches sur le développement précoce du cerveau ont mis en exergue les effets des expériences, relations et émotions précoces sur la création et le renforcement des connexions neuronales qui sont la base de l’apprentissage. »

L’académie développe la notion de plasticité cérébrale, expliquant qu’un environnement instable et des stress répétés nuisent au développement du cerveau des tout-petits mais qu’à l’inverse, des parents attentionnés, sécurisants et stimulants parviennent à atténuer les effets neuronaux de ce stress toxique. Les postures parentales sont donc déterminantes pour l’épanouissement de l’enfant et le développement de ses capacités cognitives.

Se soucier du développement socio-émotionnel autant que des vaccins

Les pédiatres, par leurs relations privilégiées avec les familles, peuvent eux aussi influencer de façon significative le devenir d’un enfant, et notamment son aptitude à entrer dans les apprentissages scolaires. « Ils peuvent promouvoir et surveiller le développement socio-émotionnel de l’enfant en prodiguant de façon anticipée des conseils sur le développement et le comportement, en encourageant des pratiques parentales positives, en modélisant une communication faite de respect et de réciprocité entre enfants et adultes, en identifiant et prenant en compte des facteurs de risque psycho-sociaux et en proposant des outils et référents de proximité en cas de nécessité. » L’AAP estime que pour favoriser le développement des compétences cognitives et langagières des enfants mais aussi pour prévenir les troubles du comportement, les pédiatres doivent notamment expliquer aux parents en quoi consiste une prime éducation saine, sécurisante et stimulante. Ils doivent rappeler aux familles la nécessité de respecter les rythmes de l’enfant, d’adopter des horaires fixes pour les repas et le coucher. Ils doivent expliquer ce que sont des interactions nourrissantes. Ils doivent inciter les parents à valoriser leur enfant, à le féliciter, à renforcer l’estime de soi, à faire appel à des stratégies punitives proportionnées et graduées, à éviter les châtiments corporels. Les médecins sont aussi encouragés à partager auprès des familles « la très instructive information sur le développement précoce du cerveau qui montre le rôle crucial des parents sur les capacités d’apprentissage des enfants ». Ils peuvent expliquer en quoi le toucher, le mouvement et la gestuelle sont importants dans les apprentissages.

Préparer le terrain pour la lecture

Toujours selon l’AAP, les pédiatres ont aussi pour rôle de promouvoir une préparation précoce à la lecture en rappelant la nécessité d’activités telles que la lecture à voix haute, les histoires racontées, et le jeu.  Elle donne des indications précises. Les pédiatres doivent ainsi insister auprès des parents sur l’importance du langage oral, sur l’intérêt de travailler sur les rimes avec des comptines, sur l’apport des imagiers et de l’identification dans des livres des couleurs, formes, objets, chiffres et de certains mots. En France, cette préparation aux apprentissages scolaires est en grande partie assurée par l’école maternelle. Pour autant, le fait que les parents soient sensibilisés à ces questions par les médecins n’apparaît pas inutile dans la mesure où les trois années de maternelle ne semblent pas parvenir à réduire, notamment, les différences de niveau de langage entre les enfants de milieux défavorisés et les autres. Et qu’à l’entrée en CP il existe déjà des inégalités contre lesquelles il sera encore plus difficile de lutter par la suite.

Pour un accès universel aux programmes de soutien à la parentalité

Au-delà de ces conseils qui devraient être prodigués aux parents par les pédiatres lors des visites de routine, certains spécialistes américains souhaitent que soient proposés à toutes les familles qui en auraient besoin ou le souhaiteraient, à travers des services universels, des programmes de soutien à la parentalité. Ces programmes de soutien intensifs (Triple P, Incredible Years par exemple) sont assez éloignés de la conception française car ils sont beaucoup plus protocolisés, dirigistes, voire normatifs (pour des Français). Ils sont développés depuis une quarantaine d’années aux Etats-Unis à destination des populations vulnérables et sont perçus comme des outils de lutte contre les inégalités.

Dans un texte intitulé « Parenting as primary prevention » (la parentalité comme prévention primaire) publié en juillet, Ellen C. Perrin, Laurel K. Leslie, et Thomas Boat plaident pour un accès universel, et non plus ciblé, à ces programmes. Ils rappellent tout d’abord que les troubles du comportement qui constituent un facteur de risque important pour la santé et pour la qualité de vie apparaissent souvent dans l’enfance. Ces troubles peuvent être jugulés par des interventions précoces reposant essentiellement sur un accompagnement actif des parents. « Tout comme l’immunisation est prodiguée en soins primaires à travers un calendrier vaccinal pour prévenir les maladies infectieuses, nous pensons que les rendez-vous médicaux de routine présentent une remarquable opportunité pour la prévention primaire de nombreux troubles physiques et mentaux de l’enfant et de l’adulte. »

Des programmes aux effets limités car trop ciblés

Les trois pédiatres notent que les programmes de soutien parental développés depuis de nombreuses années aux Etats-Unis ont fait leur preuve. Mais ces programmes ne font pas aujourd’hui partie des services universels de prise en charge courante, ils sont proposés via des dispositifs spécifiques, à des populations ciblées car considérées comme à risque psycho-social. Il est donc parfois difficile de convaincre les parents d’y adhérer car ils peuvent se sentir étiquetés et stigmatisés par une telle prise en charge. Le risque du ciblage est aussi de passer à côté de familles qui ne correspondant pas aux critères de risques trop étroitement définis et qui pourtant pourraient avoir besoin de ces services, ou d’opposer un refus à des parents désireux d’en bénéficier mais ne remplissant pas les conditions, notamment sociales. Les trois médecins estiment qu’il est désormais pertinent et même urgent de proposer ces programmes efficaces de façon universelle, en routine, via les pédiatres et les maisons de santé, et pas seulement auprès de parents considérés comme vulnérables.

Pour la première fois une méta analyse sur la généralisation de ces programmes

Il se trouve qu’une méta analyse réalisée par une équipe de chercheurs de Chicago et supervisée par le Dr Reshma Shah, publiée en mai dernier dans la revue Pediatrics, s’est justement intéressée aux répercussions des programmes de soutien parental proposés en prévention primaire. C’est la première méta analyse consacrée à l’impact de tels programmes lorsqu’ils sont accessibles via des services universels.
Les présupposés de ce travail de recherche sont très clairement exposés et sont instructifs:
1) les attitudes parentales adaptées sont capitales pour le développement harmonieux d’un enfant.

2) Deux aspects du comportement parental sont particulièrement déterminants pour le développement de l’enfant : la participation précoce à des activités de stimulation cognitive (comme la lecture à l’enfant et le jeu), des interactions parents-enfants de qualité.

3) Un environnement stimulant, sécurisant et bienveillant est très prédicteur des capacités langagières, socio-émotionnelles et cognitives d’un enfant ainsi que de sa future réussite scolaire.

4) Les neurosciences et l’épigénétique ont montré que des interactions et stimulations parentales inadéquates pouvaient conduire à la production d’hormones du stress et influer sur des zones critiques du cerveau.

5) De nombreux programmes de soutien parental ont montré des effets positifs mais leur coût empêche de les implanter à grande échelle et des taux élevés d’abandon en cours de route limitent leurs effets. Procéder à ce soutien parental actif au cours de visites de routine et donc en accès universel permettrait d’atteindre plus de parents et de ne pas effrayer des familles craignant d’être stigmatisées. Reste la problématique financière.

Des résultats en faveur d’un accès universel

Les chercheurs de Chicago ont donc recensé les études effectuées sur les interventions réalisées par des structures de prévention primaire (dont l’équivalent pourrait être chez nous les PMI et les centres médicaux), ayant pour objectif la qualité des interactions précoces parents-enfants et l’implication des parents dans des activités stimulantes sur le plan cognitif (lecture et jeux). Les enfants devaient être âgés de moins de trois ans et les professionnels impliqués pouvaient être au choix des pédiatres ou des professionnels de la parentalité ou du travail social. L’équipe de Chicago a retenu 13 études correspondant à ces critères.

Résultats : pour les auteurs, il n’y a pas de doute qu’une guidance parentale active proposée en prévention primaire a un impact, modeste mais réel, sur les attitudes parentales en jeu dans le développement des enfants, et que les services pédiatriques universels constituent « une plate-forme innovante pour disséminer l’accompagnement à la parentalité », notamment auprès des populations les plus vulnérables. Ils estiment qu’il est maintenant nécessaire d’évaluer précisément les effets de chaque programme afin que les professionnels et les organisations de santé puissent opérer un choix éclairé. Concernant le coût engendré par une telle extension de ces dispositifs, les auteurs conseillent de mettre dans la balance les économies que de telles mesures de prévention permettraient d’effectuer pour la société, en évitant aux enfants les plus pauvres de connaître à leur tour la précarité de leurs parents.

La lecture de ces articles et recommandations officielles poussant les pédiatres américains et les services de santé universels à finalement« éduquer » les parents et à faire de cette éducation un axe fort de la prévention primaire, rappelle à quel point l’accompagnement à la parentalité repose sur des philosophies très éloignées d’un continent à l’autre. Qu’entend-on souvent dans les colloques français, associatifs ou institutionnels, sur le sujet ? Qu’il n’existe pas de bonne ou de mauvaise parentalité, qu’il faut accompagner les parents sans les juger, les valoriser, les rassurer, sans être, dixit le rapport remis par Sylviane Giampino en juin dernier à la Ministre des Familles, «  dogmatiques, normatifs, prédictifs, prescriptifs ». Dogmatiques, normatifs, prédictifs, on ne sait pas. Mais prescriptifs, oui, les pédiatres américains sont incités à l’être. Fortement.