La Ministre des Familles vient de lancer le premier plan interministériel de lutte contre les violences faites aux enfants. Ce plan se double d’une campagne choc pour inciter les témoins de ces violences à appeler le 119. Le slogan « Enfants en danger en cas de doute, agissez », est sans équivoque : donner l’alerte n’a rien à voir avec la délation.

campagne 119 2« Salle de jeux ou salle de crime ? » La question claque sur une affiche représentant un salon élégant jonché de jouets d’enfant. En bas à droite, le logo du 119 avec cette injonction : « Enfants en danger : dans le doute agissez ! » Ce visuel fait partie de la campagne qui vient d’être lancée par le numéro vert dédié à la protection de l’enfance et qui sera relayée sur le site du Ministère de la Famille jusqu’au 5 mars (puis du 13 au 19 mars). Des vidéo relayant les témoignages d’anciennes victimes de violences (dont Flavie Flament) sont également diffusés sur le site Dailymotion du Ministère. Cette campagne est concomitante avec le lancement du premier plan interministériel de lutte contre les violences faites aux enfants. Sur le sujet Laurence Rossignol s’est montrée très active depuis sa prise de fonction il y a trois ans. Son discours se révèle sans fioriture, très volontariste. L’objectif de ce plan est de « sensibiliser, responsabiliser et mobiliser chaque citoyen en matière de prévention et de repérage des violences ».
Elle rappelle à juste titre que « la famille est le premier lieu dans lequel s’exercent les violences » et que « ces violences sont tues sous prétexte, trop souvent encore, que les événements qui adviennent au sein de la cellule familiale relèvent de la liberté éducative ou de l’intimité à laquelle chacun a droit ». « La persistance des violences s’explique notamment du fait de leur invisibilité »

Un plan concrêt en quatre axes

campagne 119 3Ce plan préconise dans un premier axe de mieux recenser le nombre d’enfants morts à la suite de violences intrafamiliales. Ces décès ne sont pas centralisés de la même façon au sein des Ministères de la Justice et de l’Intérieur. Depuis les travaux d’Anne Tursz, médecin épidémiologiste qui lutte sans relâche depuis 20 ans pour faire connaître l’étendue du phénomène, on sait que les décès d’enfant de moins de un an sont certainement sous-estimés. Il est donc proposé de systématiser les examens post-mortem en cas de mort inattendue du nourrisson (sujet que nous avons abordé dans cet article). Le deuxième axe concerne la prévention et la sensibilisation et met en avant la promotion d’une éducation « bienveillante ». C’est un des chevaux de bataille de la Ministre : réduire la tolérance sociale quant aux châtiments corporels. Elle a redit sa stupéfaction après que des sénateurs de l’opposition sont montés au créneau et ont obtenu la censure de l’article 222 de la loi Egalité et Citoyenneté qui interdisait les violences physiques contre les enfants. Le plan insiste sur la nécessité de soutenir les familles dans l’exercice de leur parentalité.

Troisième axe : « former pour mieux repérer ». Il s’agit de faire en sorte que les signaux d’alerte des enfants en souffrance, pas toujours explicites, soient mieux détectés par les professionnels au contact des enfants. Ce plan pose ainsi la mise en place dans tous les hôpitaux de médecins référents sur les violences faites aux enfants. L’accent est également mis sur les enfants témoins de violences conjugales. On connaît aujourd’hui l’impact de ces violences sur les enfants et de plus en plus un lien apparaît entre la violence à l’égard de la femme et la violence à l’égard de l’enfant. En clair, un conjoint violent est aussi, souvent, un père maltraitant. Il est donc préconisé un rapprochement entre les services du 119 et ceux du 3919 (numéro vert pour les femmes victimes de violences conjugales). Le dernier axe porte sur l’accompagnement des enfants victimes.

Une culture du doute qui ne fait pas l’unanimité

Ce plan est salué comme une avancée, d’abord parce que la violence à l’encontre des enfants n’avait pas fait fait l’objet d’une telle mobilisation depuis longtemps. Ensuite parce qu’il appelle à la vigilance de tous, professionnels et citoyens. Il reste des questions. Le 119 est-il aujourd’hui en capacité de répondre à la vague d’appels que pourrait susciter cette campagne choc ? Une fois les informations préoccupantes transmises, les conseils départementaux ont-ils les moyens de protéger tous les enfants considérés comme en danger (sur le sujet voir notre article sur la Seine-Saint-Denis) ? Sur le terrain, les professionnels en lien avec les familles seront-ils réceptifs à cette culture du doute, d’une part, et à la promotion de la parentalité bienveillante d’autre part? Le doute, en l’occurrence, est permis. Au mois de novembre dernier, lors d’une conférence donnée dans le cadre du très instructif congrès de l’ARIP consacré à l’attention en périnatalité, des responsables de Lieux d’accueil Enfant Parents ont estimé, pour expliquer qu’ils ne pouvaient pas déroger à la règle de l’accueil anonyme, que la transmission d’une information préoccupante ne relevait pas de leur mission. Sans que qui que ce soit ne réagisse dans la salle.

Un peu plus tard, le fondateur du site d’information belge Yapaka, très prisé des professionnels du champ psycho-social, a parlé de délation en évoquant le 119 (pour être précis, en présentant une slide de son powerpoint qui indiquait le numéro du 119 et un numéro de la gendarmerie, il a proposé d’être dans une « société de la bienveillance plutôt qu’une une société de la délation »). Il y a quelques années, nous avions de même assisté à un colloque de l’ACEPP dans lequel un médecin de PMI fustigeait les affiches du 119 qui venaient d’investir les murs du métro avec ce slogan : « Enfants en danger ? Parents en difficulté ? Le mieux c’est d’en parler ». La raison de son exaspération : les parents étaient selon elle, une fois de plus, mis en accusation. Comme si la maltraitance à enfants n’était pas le fait, avant tout, de leurs parents. Autre exemple récent : notre interview de Daniel Coum, psychologue psychanalyste, responsable de l’association Parentel, acteur ancien de l’accompagnement à la parentalité. Dans cet entretien, le spécialiste raconte le contexte dans lequel a été créé l’association et dit : « C’est en tous cas le pari que nous avons fait, à une époque où régnait le soupçon, cette idée que si un enfant était maltraité, il l’était par ses parents. » Si un enfant peut être violenté par un individu extérieur à la famille (voir les témoignages vidéo relayés par le Ministère), statistiquement il a malheureusement plus de risque de l’être au sein de celle-ci.

Maltraitance : rattraper dix années d’invisibilité

Enfin, il faut rappeler que cette invisibilité de la maltraitance dénoncée à juste titre par Laurence Rossignol, trouve peut-être en partie son origine dans la loi du 7 mars 2007 réformant la protection de l’enfance. Dans un rapport assez stupéfiant publié en 2013 sur le site de l’ONPE, les auteurs (Nadège Séverac, Rachelle Le Duff, Eliane Corbet) posent en introduction que cette loi a  « introduit la notion d’ « enfance en danger » et remplace les notions d’« enfants victimes de mauvais traitements » ou « d’enfants maltraités » par celles d’ « enfants en danger ou en risque de l’être ». » Elles enchaînent : « Il y a lieu de s’interroger sur cette évolution sémantique : ne risque-t-elle pas de faire perdre de sa visibilité à la maltraitance dans les discours et les pratiques des professionnels ? » Leur rapport conclut que ce fut le cas. La notion de « maltraitance » est réapparue dans la loi du 16 mars 2016, venue remettre le curseur du côté de l’enfant. Pendant dix ans, le terme « maltraitance » a donc disparu des textes encadrant la protection de l’enfance. Tout un symbole.

Quant à transmettre la règle de l’éducation sans violence, une des antiennes de la Ministre, l’idée est belle mais comment la mettre en pratique quand toute la philosophie de l’accompagnement à la parentalité français repose sur un refus de la norme et du conseil, sur une relativisation de ce que seraient des bonnes pratiques, sur l’unique valorisation des compétences parentales et la contestation que parfois celles-ci sont inexistantes ? Il y a là une contradiction, une de plus, qui ne va pas être facile à surmonter.