Le sujet a fait l’objet de nombreuses études qui ne concordent pas toutes. Une conclusion semble néanmoins émerger de la littérature scientifique: ce n’est pas la monoparentalité en tant que telle qui est facteur de risque pour un enfant mais le fait qu’elle est associée à davantage de précarité et concerne principalement les milieux modestes.

« Nous sommes les héritiers de représentations stéréotypées, il faut lutter contre la persistance de ces stéréotypes». Grâce au réseau « Parents solo et compagnie », la Ministre Laurence Rossignol entend s’attaquer, notamment, à la stigmatisation dont les familles monoparentales sont l’objet, à cette « présomption de plus grandes difficultés éducatives ». « Les enfants ne sont ni mieux ni moins bien élevés, il n’y a pas plus de carences d’éducation », assure-t-elle.

L’affirmation est forte. Mais est-elle juste ? Car elle peut sembler a priori contre-intuitive. Si l’accent est mis depuis plusieurs années sur les mamans solos, notamment via des prestations particulières, c’est bien parce que les pouvoirs publics et les acteurs de terrain considèrent qu’elles sont plus vulnérables et qu’elles ont besoin d’aide. Elles seraient donc plus vulnérables sans que cela ait un impact sur l’éducation et le développement des enfants… C’est là que le sujet se révèle passionnant et que la Ministre n’a pas vraiment tort (mais pas totalement raison non plus). Les enfants de familles monoparentales manifestent statistiquement davantage de difficultés que les autres, sur le plan comportemental ou scolaire. Mais il est aujourd’hui très difficile de prouver que c’est la monoparentalité en tant que telle qui constitue un facteur de risque pour un enfant.

S’il est aussi ardu d’analyser l’impact de cette seule variable c’est d’une part parce que la monoparentalité contemporaine est très souvent associée à une autre dimension dont on connaît bien les effets négatifs sur le devenir des enfants : la précarité. Et d’autre part parce qu’il n’est pas aisé de distinguer l’impact sur l’enfant de la monoparentalité seule de celui du traumatisme généré par le conflit parental et la séparation.

Les milieux modestes beaucoup plus concernés

Tous les rapports récents, en France comme chez nos voisins, soulignent que la monoparentalité va de paire avec la précarité. La plupart du temps, ils montrent que la séparation induit une considérable perte de revenus pour les femmes qui connaissent alors de fortes difficultés économiques. Ce basculement dans la précarité d’une grande partie des mères isolées s’explique par une sur-représentation de la monoparentalité dans les catégories populaires, peu diplômées, et les populations immigrées. Le risque de la paupérisation préexiste souvent à la séparation.

Dans une publication de juin 2015, la DREES, note : « Alors qu’en 1990, la monoparentalité était peu différenciée (autour de 9 %) selon le niveau de diplôme, elle varie désormais du simple au double selon le niveau de diplôme atteint par la mère: de 11 % pour les mères diplômées du supérieur à 24 % pour celles qui n’ont pas de diplôme ou le brevet des collèges. » Un rapport du Sénat de 2006 pointait que les mères seules constituaient 30% des familles en zones sensibles (contre 17% pour la moyenne nationale). « Le niveau de diplôme, la situation professionnelle du père et son revenu jouent de concert sur la probabilité pour un enfant de ne pas voir son père, expliquait une étude de l’INED de 2012. Celle-ci est d’autant plus élevée que le père est peu diplômé ou occupe une position professionnelle peu stable (contrat à durée déterminée, chômage, invalidité) ».  Après une séparation, ce sont principalement les enfants de milieu modeste qui sont privés de l’un de leurs deux parents, et en général du père.

Concernant les familles immigrées, le sociologue Hugues Lagrange propose une analyse détaillée des phénomènes de monoparentalité. Elle est ainsi assez fréquente parmi les migrants originaires des pays du nord et du sud de l’Europe ­ Espagne, Italie, Grèce (35 %) ­ à l’exception des Portugais, mais plus rare parmi les Marocains et Tunisiens, les Turcs et les Asiatiques (8 à 14 %). Les migrants d’origine Algérienne ont un taux de monoparentalité nettement plus élevé que les Marocains. Toujours selon le sociologue, les proportions de familles monoparentales sont extrêmement faibles parmi les migrants du Sahel mais très élevées dans les familles noires venues des autres régions d’Afrique et parmi les Antillais.

De moins bons résultats scolaires

En raison de ces données socio-économiques (notamment le faible niveau de diplôme de la mère), il semble logique que les enfants de familles monoparentales présentent une moindre réussite à l’école. C’est en tous cas ce qu’a souligné en décembre 2012, le Bureau des Etudes statistiques sur les élèves, au sein de l’Education Nationale.

Cette étude montre que les enfants de familles monoparentales réussissent moins que les enfants dont la famille est recomposée et beaucoup moins que les enfants vivant en résidence alternée. Mais comme ces configurations familiales sont très connotées socialement (la résidence alternée est adoptée par les catégories aisées), il existe un biais d’analyse qui ne permet pas d’incriminer la monoparentalité. « En relation avec le plus faible niveau de diplômes et de ressources de leur parent, les enfants de familles monoparentales évoluent souvent dans un environnement familial qui offre moins de ressources culturelles que celui des autres élèves. Ainsi, près d’un quart des élèves vivant avec leurs deux parents ont plus de 200 livres chez eux, ce qui n’est le cas que d’un dixième des enfants vivant en famille monoparentale ».

Toujours selon cette étude, même lorsqu’on a lissé les facteurs économiques et sociaux, l’écart semble se creuser entre les enfants au collège : « À niveau de vie, activité professionnelle de la mère et niveau scolaire comparables, un enfant de famille monoparentale a une probabilité moins forte de recevoir de l’aide régulière dans son travail scolaire à la maison ou d’avoir des conversations fréquentes sur sa scolarité avec ses parents qu’un enfant vivant avec ses deux parents. Il a aussi une chance plus faible d’être inscrit dans une bibliothèque.» Mais l’étude ne permet pas de trancher l’autre question lancinante rattachée à cette problématique : comment être certain que c’est bien la monoparentalité qui altère les chances de réussite scolaire ou l’implication parentale et non les conséquences d’une séparation souvent violente et traumatisante ?

Hugues Lagrange parvient en tous cas à une conclusion sensiblement différente en ce qui concerne les populations immigrées. Dans son livre (très controversé et pourtant passionnant) « le déni des cultures », il pointe que la monoparentalité a peu d’impact, en France, sur la scolarité des enfants élevés par une mère seule d’origine étrangère. Il s’appuie notamment sur les résultats du brevet des collèges. Et de citer également une étude de la banque mondiale concernant 7 pays d’Afrique selon laquelle les enfants ont des taux de scolarité et d’achèvement plus élevés dans des ménages dirigés par les femmes.

L’impact sur la délinquance, selon l’origine ethnique

Le socioloque estime en revanche que la monoparentalité, croisée avec l’origine ethnique, a un impact sur la prévalence de la délinquance. Mais il montre dans le même temps à quel point cette analyse nécessite de la précision. Il écrit : « la monoparentalité est plus préjudiciable aux enfants d’origine européenne, maghrébine, noire non sahélienne et antillaise, avec de fortes modulations selon le type de quartier. » Il isole deux groupes pour lesquels la monoparentalité n’a aucune incidence sur le risque « d’inconduites »: les familles du Sahel et la Turquie. Pour Hugues Lagrange, il est impossible de généraliser et de « penser les dérives des adolescents comme une conséquence de l’augmentation de la monoparentalité ». Il écrit même : « Les situations de monoparentalité dans les familles du Sahel traduisent au contraire la pugnacité des femmes. »

Les mères seules par choix: leurs enfants vont bien

Dans le livre qu’elle a publié en 2015 et qui passe au crible la littérature scientifique internationale sur la famille, Susan Golombock, une spécialiste mondialement reconnue, consacre quelques pages aux mères célibataires par choix. C’est à dire ces femmes qui, la quarantaine approchant (ou dépassée), décident de faire un enfant « toute seule ». La dimension morale n’est pas son propos, ce qui l’intéresse, c’est le développement de l’enfant. Susan Golombock explique que ces femmes sont extrêmement mal jugées à l’aune de ce que l’on croit savoir sur la monoparentalité et de ses conséquences supposées désastreuses pour les enfants.

Or, assure la chercheuse, ce n’est pas la monoparentalité qui a un impact négatif. Ce sont les conditions de vie de ces familles. Oui, les études internationales montrent un taux plus élevé d’échec scolaire, de troubles du comportement, de grossesses adolescentes, chez les enfants élevés par une mère seule. Mais la recherche souligne aussi que ces difficultés sont largement associées aux conflits parentaux, aux problèmes économiques, à la dépression maternelle et au manque de soutien social. Les quelques études menées sur des mères seules par choix (plus éduquées, insérées socialement et économiquement) n’ont pas permis de mettre en exergue des différences dans le développement psychologique, affectif et cognitif des enfants. Une toute récente étude rapportée par le site santelog confirme que le développement des enfants élevés par des mères seules par choix ne présentent pas de différences sur le plan de leur développement.

On le voit bien, la monoparentalité seule, expurgée du contexte économique, social et culturel, et dissociée des effets de la séparation en elle-même, ne peut être tenue pour responsable, de façon absolue et définitive, des difficultés plus fréquentes des enfants qui vivent avec un seul parent. Difficultés réelles mais potentiellement attribuables à d’autres causes (qui nécessitent bien, elles, d’être clairement identifiées). C’est pourquoi le thérapeute Jean-François Le Goff plaide notamment pour qu’on cesse de voir les parents solos comme des familles « incomplètes » ou amputées. D’autres que lui s’exaspèrent aussi de faux débats sur l’autorité qui ne pourrait être incarnée par une mère seule.

Les mamans solos peuvent donc être rassurées. Elles ne sont pas, par essence, moins à mêmes que les couples à élever correctement un enfant (il est important de le noter au moment où l’accès de la PMa aux femmes seules est de nouveau évoqué). Il n’est en revanche pas possible de nier que la monoparentalité couplée à la précarité, constitue bien un facteur de vulnérabilité pour une femme et son enfant. Constater le réel n’empêche pas d’agir dessus. Au contraire.