A partir du panel DEPP d’enfants entrés en sixième en 2007, Yaël Brinbaum (LISE, CEET et CNAM) analyse les parcours scolaires enfants selon leur origine migratoire et leur genre. Elle avait déjà produits des résultats dans le cadre de travaux menés pour le CNESCO. Les données* sont ici affinées et très instructives. Nous vous proposons quelques extraits.

Les garçons (surtout issus d’Afrique sub-saharienne) décrochent, les filles (surtout issue d’Asie) brillent

«  Les écarts de performance sont élevés pour ceux qui cumulent les facteurs défavorables à la réussite scolaire (origines modestes, redoublements nombreux en primaire, ségrégation scolaire), tels que les enfants d’immigrés d’Afrique subsaharienne. Les inégalités des enfants d’immigrés sont précoces dès l’école primaire et contrastent avec la sur-réussite des enfants d’origine asiatique, marquée chez les filles, dès ce niveau. »

« En comparaison des garçons de la population majoritaire, la détention du baccalauréat est moins fréquente parmi les garçons descendants d’immigrés portugais (OR = 0,9), de Turquie (0,6), du Maghreb (0,6) ou d’Afrique subsaharienne (0,5) ; seuls les garçons d’origine asiatique ont deux fois plus de chances (OR = 2,3) d’avoir le sésame (M1). Les filles, quelle que soit l’origine, obtiennent davantage le baccalauréat que les garçons, celles d’origine asiatique près de quatre fois plus (OR = 3,8 ; OR = 1,8 pour les Françaises d’origine) ».

Des difficultés précoces qui s’installent sur la durée

« Ces résultats pointent à la fois les inégalités précoces dont les effets perdurent (en sixième et en troisième), le rôle des origines sociales et familiales et du contexte scolaire. Les caractéristiques socio-culturelles des parents expliquent une grande partie des écarts de réussite, mais des inégalités d’origine pour les garçons d’origine maghrébine et d’Afrique subsaharienne subsistent. La sur-réussite des filles est également observée à ce niveau. »

« À passé scolaire comparable, les écarts de réussite sont réduits pour certains et augmentent pour d’autres : la probabilité plus faible d’accéder au Bac, des descendantes et descendantes d’Afrique subsaharienne et de Turquie et des descendants du Maghreb est liée à leur niveau scolaire initial ».

« Les caractéristiques socio-culturelles jouent un rôle prédominant tout au long du parcours, jusqu’au baccalauréat. De même, des difficultés scolaires précoces et un plus faible niveau en sixième pèsent sur l’ensemble du parcours. »

De très fortes aspirations des familles issues de l’immigration

« Les différences d’aspiration selon le sexe se cristallisent sur le type de baccalauréat envisagé : le Bac général, le plus souhaité, l’est davantage pour les filles que pour les garçons (avec des écarts variant de 12 points dans les familles subsahariennes, comme dans les familles françaises d’origine, à 19 points dans les familles turques, où les choix genrés sont encore plus marqués). Le Bac professionnel est le plus cité pour les garçons d’origine portugaise et d’Afrique subsaharienne, et dans une moindre mesure pour ceux d’origine maghrébine − fait nouveau −, bien que l’aspiration au baccalauréat général domine. Les familles asiatiques se démarquent de tous les autres groupes par leur préférence pour un baccalauréat général, en particulier scientifique, pour les filles et pour les garçons. »

« La prise en compte du niveau scolaire en sixième puis en troisième accentue les différences entre groupes : à même niveau initial, les aspirations s’amplifient pour les garçons d’origine maghrébine et les enfants d’immigrés turcs et africains des deux sexes, alors qu’elles diminuent pour les autres groupes (tout en restant supérieures à la référence). Le contrôle du niveau scolaire en troisième fait encore s’accroître l’aspiration au Bac, tout particulièrement pour les garçons d’origine maghrébine et d’Afrique subsaharienne. Ainsi, pour ces groupes, à même niveau scolaire, les aspirations familiales dépassent de loin celles des familles françaises d’origine de même environnement socio-familial, comme si les familles dans l’expression de leurs aspirations ne tenaient pas compte du niveau scolaire de leurs enfants, en moyenne plus faible chez les garçons, à moins que la perception du niveau soit décalée [Brinbaum et Kieffer, 2005]. À l’inverse, l’aspiration au Bac diminue pour les enfants d’origine d’asiatique (OR = 0,92), comme si les familles, plus sensibles au verdict scolaire, réajustaient leurs aspirations. »

“En moyenne, les familles favorisées aspirent davantage au baccalauréat, alors que les familles ouvrières et employées expriment moins cette aspiration. Les aspirations baissent sensiblement (OR = 0,3) lorsque les élèves ont un niveau initial faible en sixième et à l’inverse, augmentent pour les meilleurs élèves (OR = 1,9). Or ces effets s’inversent pour les familles immigrées, confirmant les études antérieures en France et à l’étranger sur leur optimisme [cf. par exemple, Kao et Tienda, 1995]. On retrouve ici la force des aspirations des familles immigrées »

Des orientations plus favorables aux enfants d’origine étrangère

« À niveau scolaire contrôlé, les enfants d’immigrés ont plus de chances d’être orientés vers les filières Générale et Technologique, avec des probabilités très élevées pour certains groupes (les Maghrébines et Maghrébins, les filles deux fois plus que les garçons, et les filles originaires d’Afrique subsaharienne). Ces résultats vont plutôt dans le sens d’orientations plus favorables des enfants d’immigrés vers les secondes GT.(…) Ces résultats ont été expliqués par les aspirations scolaires très élevées des familles immigrées, que nous retrouvons ici. Ces aspirations contribuent aux réussites scolaires des descendants d’immigrés  ; leur effet positif est fort sur l’orientation en seconde GT à environnement socioéconomique et résultats scolaires comparables. Autre piste évoquée : des pratiques institutionnelles plus indulgentes envers les élèves issus de l’immigration qui s’accompagnent de préjugés favorables envers les filles maghrébines [Perroton, 2000 ; Guénif-Souilamas, 2010], et plus généralement à l’égard des filles issues de l’immigration par rapport aux garçons ; des « biais ethno-genrés » peuvent conduire à une « discrimination systémique institutionnelle » [Lorcerie, 2011]. L’analyse de nos données à l’échelle nationale n’indique pas de discrimination institutionnelle à l’entrée en seconde ; toutefois, une orientation plus favorable des filles par rapport aux garçons. »

“Les familles n’ont pas toujours les ressources et les moyens de réaliser leurs ambitions. Ces décalages sont davantage marqués pour les garçons descendants d’immigrés d’Afrique subsaharienne et du Maghreb, qui rencontrent plus d’échecs scolaires. (…) Dans la lignée d’hypothèses émises par des études antérieures, ces résultats pourraient être la conséquence des modes de socialisation différentiels des garçons et des filles : socialisation des filles, en conformité avec les attentes et normes de l’école, distance plus grande des garçons à l’institution scolaire, différences d’attitudes et d’engagement scolaire, ou encore volonté d’émancipation sociale [cf. Baudelot et Establet, 1992, 2007 ; DiPrete et Buchmann, 2013, Fournier et Lefresne, 2018], a fortiori pour les filles issues de l’immigration [Gaspard, 1996 ; Guénif-Souilamas, 2000 ; Beaud, 2018]. Quoiqu’il en soit, ces trajectoires scolaires genrées et différenciées selon l’origine auront un impact sur la poursuite des études, l’entrée sur le marché du travail et la mobilité sociale des filles et des garçons issus de l’immigration.”

L’échec des ZEP devenues REP

“Les conditions de scolarisation sont notamment en lien avec la ségrégation urbaine. « Toutes choses égales par ailleurs  », la scolarisation en éducation prioritaire, loin de corriger les inégalités sociales, diminue le niveau scolaire. Elle augmente également les orientations dans les filières professionnelles [confirmant Stéfanou, 2017], la sortie sans diplôme et réduit les chances d’obtenir un baccalauréat. Les politiques successives d’éducation prioritaire, mises en place pour limiter voire corriger les injustices liées à ces phénomènes, n’ont pas les effets escomptés, voire augmentent les inégalités sociales. Les moins bonnes conditions d’enseignement, l’envoi d’enseignants moins expérimentés et le niveau plus faible ne permettent pas d’améliorer les résultats, sans compter les effets de la stigmatisation de ces établissements. Une politique effective d’éducation dès les premières années demeure plus que jamais une priorité, avec des moyens, mieux ciblés et un accompagnement scolaire des enfants très tôt en échec, et plus de mixité sociale.”

*Trajectoires scolaires es enfants d’immigrés jusqu’au baccalauréat: rôle de l’origine et du genre, Yaël Brinbaum, Education et Formations, numéro 100, Décembre 2019