Avec son système de protection maternelle et infantile, la France dispose d’un formidable outil de prévention précoce peut-être sous-utilisé. Le dispositif PANJO a pour objectif de renforcer la capacité des professionnels de PMI à accompagner des mères plus vulnérables que d’autres, à travers des visites à domicile mais aussi une réflexion pointue sur l’attachement et la relation d’aide. Explications.

Promouvoir la santé et l’attachement des nouveaux-nés et de leurs parents à travers les services de la Protection Maternelle et Infantile: c’est l’objectif du dispositif PANJO. Cette recherche-action initiée par l’INPES et désormais portée par l’Agence des Nouvelles Interventions Sociales et de Santé (ANISS), avec un financement de Santé Publique France, est conçue comme un outil de prévention précoce. Elle repose sur le principe de six visites à domicile proposées à des femmes enceintes de leur premier enfant et se déclarant en situation d’isolement social. Ces six visites s’échelonnent du 7ème mois de grossesse jusqu’aux six mois de l’enfant.

Inciter l’ensemble du personnel à partager un vocabulaire commun

La formation constitue un axe fort de ce dispositif qui concerne aujourd’hui onze départements. Elle s’effectue en deux temps et vise à augmenter collectivement les capacités préventives de l’ensemble du personnel. Quand un territoire se porte candidat, tout le service de la zone concernée (secrétaires, puéricultrices, médecins, cadres…) est dans un premier temps mobilisé pendant deux jours pour des échanges autour de l’attachement. « Etre dans le même lieu en même temps permet de créer un temps zéro et de développer un vocabulaire commun, explique Thomas Saïas, chercheur aujourd’hui rattaché à l’Université du Québec à Montréal et concepteur du dispositif. C’est quoi l’attachement ? Comment soutient-on cette notion en PMI ? On développe l’idée de la poupée russe : si en tant que professionnel, qu’institution, j’offre quelque chose de contenant, le parent pourra contenir à son tout. »

Ensuite, seuls sont réunis les professionnels concernés par les visites à domicile (VAD), pour approfondir des notions complexes. Comment aborder l’attachement et la relation d’aide ? Comment être empathique ? Comment travailler sur l’attachement, comment le promouvoir, et si les éléments de base manquent, comment les susciter ? Ce sont donc à la fois les théories de Carl Rogers sur la relation d’aide et celles de Bowlby sur l’attachement qui sont convoquées. « Les personnels pensent savoir de quoi il retourne mais les jeux de rôle montrent que ces notions ne sont pas si évidentes», assure Thomas Saïas qui a conçu un support sous forme de jeu de cartes avec des pictogrammes pour permettre aux professionnels une entrée en matière plus simple avec les familles et faciliter la co-construction des relations. « Ce qui est novateur avec PANJO c’est d’annoncer qu’on va venir six fois, on contractualise. C’est important en terme d’alliance de travail, en matière de relation d’aide. Car qu’est-ce que la relation d’aide quand on va chez quelqu’un qui ne nous a rien demandé ? »

Prouver le rapide retour sur investissement du dispositif

Reprenons. Prévention précoce, promotion de l’attachement, interrogations sur la relation d’aide, utilisation et valorisation des savoirs-faire en PMI… n’en jetez plus. A priori, sur le papier, ça doit plaire. Il faut pourtant convaincre, encore et toujours. « Tout le monde sait que la visite à domicile est intéressante, mais l’intensité de l’effet produit apparaît très coûteux, analyse Thomas Saïas. Beaucoup de départements ont donc tendance à dire « vous arrêtez, on se concentre sur les consultations dans les centres »Avec ce dispositif le chercheur s’est donc fixé trois objectifs : montrer que le programme n’est pas iatrogène, prouver qu’il a des effets intermédiaires qui viennent confirmer les tendances retrouvées dans la littérature, mettre en avant les économies effectuées (moins de passage aux urgences, moins de visites chez le pédiatre, notamment).
« Au 6ème mois de l’enfant on ne peut pas voir des choses qui révolutionnent le cours de la vie, prévient-il. Mais il y a un vrai argument économique. On doit pouvoir montrer que non seulement les familles sont plus soutenues mais qu’en plus, quand vous mettez un euro, vous l’avez récupéré au sixième mois. Si ça se transformait en 1,1 ou 1,2 alors on aurait un argument très fort pour investir dans la PMI auprès des agences régionales de santé, des conseils départementaux. Aujourd’hui il existe un vrai doute sur la pertinence du travail à domicile dans la mesure où il est estimé que sur le même temps on peut recevoir beaucoup plus de monde sur place. L’idée c’est de pouvoir dire : « On comprend vos préoccupations du coût de la VAD versus consultation en centre mais au moins sachez que ce service est un bon investissement ». »

Ces services universels peu accessibles à ceux qui en ont le plus besoin

Thomas Saïas en est persuadé, se focaliser sur l’accueil dans les centres au détriment des VAD constitue un facteur massif d’inégalité. « A force de réserver les services de droits communs à ceux qui ont les moyens de s’en saisir on va créer des inégalités pour les personnes les plus vulnérables, assure-t-il. C’est bien documenté. Pour se déplacer jusqu’au centre, les familles doivent surmonter des obstacles, notamment en milieu rural. » Il évoque les documents imprimés peu lisibles, peu accessibles aux parents analphabètes et qui constituent pourtant le plus souvent le point d’entrée dans le système. « Informer les gens de cette façon et penser que ça va les faire venir dans le service, ça ne fonctionne pas et les puéricultrices elles-mêmes le savent. C’est pourquoi, à mesure qu’on rapatrie les services vers les centres, on crée des inégalités. »

Pour le chercheur, la PMI est un outil précieux mais sous-utilisé. « La PMI, c’est vraiment un fleuron de la santé publique ». La question qui fâche, en tous cas celle qui suscite des débats à répétition, c’est le rapport à l’universalité. Dans les textes, dans les principes, la PMI relève du service universel. Cet accès universel est revendiqué haut et fort, pour permettre à chaque famille de trouver du soutien et éviter la stigmatisation des plus fragiles. Dans les faits, parce que les finances publiques sont limitées et que certaines populations manifestent plus de besoins que d’autres, les interventions sont de plus en plus ciblées. L’ANISS a mené une enquête auprès d’une soixantaine de PMI afin de mieux appréhender les réalités de terrain et de comprendre la façon dont les familles étaient atteintes (ou pas). Pas un seul des départements ayant répondu ne propose des VAD de façon universelle. Pour Thomas Saïas, il faut cesser de se retrancher derrière ce slogan, cesser de répéter comme un mantra que l’accès aux services est universel. « Alors on pourra aborder la question « c’est quoi être vulnérable, c’est quoi prioriser ». Voilà de vrais enjeux de santé publique, plutôt que de dire « il faut préserver le côté universel de la VAD ». »

Universalisme proportionné… ou différencié

Le ciblage sur des critères le plus souvent psycho-sociaux suscite de perpétuelles levées de bouclier. Soupir de Thomas Saïas : « En ne nommant pas la question sociale, on fait abstraction d’une réalité qui est celle des familles. D’un point de vue éthique, c’est très questionnable.» La notion d’ « universalisme proportionné » pourrait mettre tout le monde d’accord : proposer un accès universel en première intention et moduler en intensité selon les besoins et les publics. En France l’approche défendue récemment dans le rapport de Sylviane Giampino sur l’accueil des 0-3 ans est plus portée sur le saucissonnage des besoins (offrir des services différenciés selon la problématique rencontrée -séparation, deuil, arrivée d’un nouvel enfant-) que sur la modulation de l’intensité (proposer une aide plus soutenue aux familles plus fragiles). Il n’est pas tant question dans cette conception de « proportion » que de « différenciation ». Et le facteur social en est là aussi totalement évincé.

Avec PANJO et le travail de recherche mené par l’ANISS autour du dispositif, ce sont à la fois des questionnements éthiques profonds et des interrogations pratiques qui émergent. « L’objectif est de basculer de la santé au relationnel, pose Thomas Saïas. La formation change des choses au-delà de la visite à domicile. La réflexivité sur les pratiques se met en place. Les professionnels s’interrogent aussi sur ce qui se passe dans les centres. Sur la façon dont ils peuvent profiter des moments en salle d’attente pour observer, ou comment le fait de ralentir la pesée des bébés permet là-aussi de prendre du temps pour l’observation. » De prochaines études vont permettre de mieux cerner la notion de vulnérabilité mais aussi l’impact du dispositif sur les pratiques des professionnels. La PMI est une vieille dame qui n’a décidément pas dit son dernier mot.