Une large partie des enfants placés dans des structures de l’Aide Sociale à l’Enfance sont issus de familles en grande précarité et les difficultés parentales sont souvent liées aux conditions de vie difficiles de ces familles. Pour autant, les enfants de milieux défavorisés sont-ils sur-représentés parmi les enfants victimes de maltraitances? 

Lors de la première journée du séminaire consacré par la Société Française de Santé Publique à la parentalité et aux inégalités sociales de santé, le pédopsychiatre Didier Houzel a affirmé que selon les études épidémiologiques la maltraitance physique et sexuelle se retrouvait dans tous les milieux, répercutant un discours récurrent parmi les travailleurs sociaux, et parmi les médias. Or, sur le plan scientifique, le sujet n’est absolument pas tranché.

Placement, séparation, précarité et maltraitance

Si la prévalence des bébés secoués semble bien être également répartie dans toutes les catégories sociales, on manque de chiffres pour les violences sexuelles. Pour les violences physiques et négligences graves, en revanche, l’état actuel des recherches penche plutôt (de façon il est vrai modérée), pour une surreprésentation dans les familles précaires. Dans un rapport de 2000 produit par l’Observatoire de la maltraitance, intitulé « Prévalence et caractéristiques de la maltraitance parmi les enfants placés en Foyer de l’enfance » (DAYAN J., SELLENET C., BAPT-CAZALETS N., CREVEUIL C., CHANTELOUP J.), on peut lire : « Ainsi l’hypothèse de départ est globalement validée qui stipulait que nous comparions l’occurrence de la maltraitance dans une population ayant en commun non seulement le placement et la séparation mais aussi la précarité. Celle-ci s’accompagne comme de nombreuses études l’ont démontré plus fréquemment de sentiment d’insécurité et de stress chez les parents, de plus de difficultés cognitives, d’hyperactivité ainsi que d’autres troubles parmi les enfants. La question posée était fondamentalement celle-ci : existe-t-il au sein d’une population d’enfants marqués par la précarité des marqueurs particuliers de la maltraitance ? La réponse est positive pour une série d’items.»

Peu de liens entre violences sexuelles et milieu social, peu d’études pour les violences psychologiques

En 2011, dans la revue Cairn, Gillonne Desquesnes se livre à une revue de littérature. « Au total, que peut-on conclure de cet ensemble de recherches sur le lien entre maltraitance et milieu social ? D’emblée, il convient de préciser le type de maltraitance dont on parle. Dans le cas de cette revue de littérature, c’est souvent de la maltraitance physique et de la négligence. À notre connaissance, il n’y a pas ou peu d’études abordant le lien entre cruauté mentale (ou maltraitance psychologique) et milieu social. Quant aux recherches sur l’abus sexuel, elles n’ont pas réussi à démontrer de lien avec le niveau socio-économique des familles. Il y aurait un « consensus modéré », pour reprendre l’expression de Brown et al., sur la prévalence de la maltraitance (au sens générique du terme) dans les familles de bas niveau socio-économique. La pauvreté est corrélée avec la maltraitance en général mais le processus demeure peu clair et partiellement compris. Selon Trickett et ses collaborateurs, on ne sait pas comment un bas statut socio-économique médiatise les effets de la maltraitance. »

L’auteur précise que pour certains chercheurs, « plus le niveau socio-économique est bas, plus il est difficile de séparer les effets du type de milieu de ceux de l’abus. » Plus loin : « Finalement, l’hypothèse la plus courante pour expliquer le lien entre maltraitance et milieu social défavorisé est celle des stress cumulés, hypothèse qui revient au modèle behavioriste de Dollard sur la frustration qui engendre l’agression. »

Le biais de la surveillance accrue des plus pauvres, un mythe?

La corrélation entre la maltraitance (notamment la maltraitance physique et les négligences graves) et le milieu social est souvent expliquée par le fait que les familles les plus pauvres sont davantage contrôlées par les services sociaux. Il y aurait donc une maltraitance « invisible » chez les familles aisées qui seraient beaucoup moins repérées. Ce que dément l’un des auteurs repris par l’article de Cairn, Leroy Pelton, lequel parle d’un « mythe »: « L’argument de la surveillance ne peut expliquer la relation, cela pour diverses raisons : malgré la promulgation de lois de protection de l’enfance et une attention accrue au phénomène, on constate une augmentation des signalements dont le profil socio-économique des familles n’a pas sensiblement évolué. Ensuite, parmi les cas signalés, les plus graves se passent dans les familles les plus pauvres. Il en est de même pour les décès d’enfants à l’hôpital. »

En octobre 2014, la Haute Autorité de Santé publie un document, « Maltraitance chez l’enfant : repérage et conduite à tenir », dans lequel elle relaie les tergiversations des chercheurs sur le sujet :
« L’analyse de la littérature internationale montre que le rôle des facteurs socio-économiques dans la survenue de la maltraitance est diversement apprécié, même si pour la majorité des auteurs les mauvais traitements surviennent électivement dans les familles pauvres

Le niveau de preuve qui permet d’établir un lien entre précarité et maltraitances semble encore faible. Mais en l’état actuel des connaissances, il est impossible d’affirmer que ce lien n’existe pas.