Le 12 février dernier, l’institut petite enfance (IPE) de Boris Cyrulnik organisait une journée de conférence dans le cadre de sa formation continue dispensée aux professionnels sur le thème « les pratiques pédagogiques des crèches à l’appui de la recherche ». L’objectif était de montrer de quelle façon il est possible de s’appuyer sur les découvertes scientifiques récentes pour mettre en œuvre un accompagnement et une pédagogie au plus près des besoins du jeune enfant. Laurence Rameau, puéricultrice et formatrice, collaboratrice de Boris Cyrulnik, et Josette Serres, docteure en psychologie du développement, chercheuse au CNRS et formatrice, ont animé cette journée en alternance.

Ce que dit la recherche sur le cerveau du tout petit

Présentation de Josette Serres :

« Aujourd’hui on pense qu’il y a besoin d’un environnement adulte pour le développement de l’enfant. Celui-ci naît très prématuré, même à 9 mois. On a une grosse difficulté à maintenir un embryon à terme à cause de l’étroitesse du bassin. Si on était une espèce mammifère, on accoucherait d’un bébé qui sait marcher. On devrait attendre encore un an avant d’accoucher pour qu’il ne soit pas prématuré. D’où cette dépendance vitale à l’adulte. Le bébé vérifie toujours que l’adulte est là. Et ça dure longtemps.

Le cerveau, en naissant immature, laisse la place à des connexions qui vont se faire à l’air libre. Il va se câbler à toute vitesse à l’extérieur. Dans les autres espèces, tout est quasiment câblé à la naissance. « On apprend toujours deux fois, d’abord avec un adulte ensuite tout seul » disait Vygotsky. Il y a des étapes où enfant sait quand il est prêt. L’adulte observe et s’adapte. Par exemple, manger à la cuillère, marcher, s’habiller, lire, écrire, conduire. On fournit une pédagogie éducative parce que le jeune enfant ne peut pas se débrouiller seul. Il y a des compétences qui s’apprennent et des compétences qui ne s’apprennent pas.

Faisons un tour du côté de la psychologie du développement. C’est quoi un enfant qui se développe ? On s’arrange tous avec nos explications, on peut élever des enfants sans connaissances mais ça vaut le coup de regarder un peu ce que sait la recherche.

1) Pour Piaget le développement de l’enfant était continu et en paliers. C’est faux.
Il y a des régressions, une nouvelle compétence peut en inhiber une autre. Il y a des boucles de rétropédalage. Ce n’est pas un mille-feuilles. C’est un système dynamique

2) On a souvent l’idée que le développement nous amène quelque par. L’enfant est vu comme un adulte futur. On a longtemps considéré l’enfance comme à part. L’adulte serait la norme de comparaison, donc la perfection. On a revisité cette notion de directionnalité.
En fait, il n’y a pas de vitesse à attraper, pas de manque à combler, l’enfant doit passer par toutes les étapes, les différences individuelles nous renseignent sur la diversité des trajectoires. Les réseaux se fabriquent au fur et à mesure des rencontres. Chaque rencontre crée des individus différents qui progressent à leur rythme. Le cerveau a des compétences selon les moments de la vie. Il est immature, il faut attendre. La notion d’individualité prend toute son ampleur avec l’accueil collectif. Dans les classes on fait de la pédagogie valable pour quelques enfants. Dans les crèches on a aussi ce problème. Dans un même groupe d’âge tous les enfants n’ont pas les mêmes compétences au même moment.

3) Comment l’enfant acquiert-il ces connaissances ? Aujourd’hui on abandonne l’idée du tout inné ou tout acquis. On préfère la notion d’héritabilité. Beaucoup de parents cherchent la part de l’innée et la part de l’acquis. L’environnement et le biologique : les parents se baladent entre les deux. Cette opposition n’a aucune raison d’être. Ca ne veut rie dire. Notre organisme est constitué de programmes génétiques dès le départ. Et toutes nos cellules sont soumises à des modifications par l’environnement.

Le cerveau du bébé fait des probabilités en permanence et aime la redondance. Le cerveau humain permet à l’enfant, dès qu’il arrive au monde, de se poser une question : c’est quoi ce bazar ? Il va devoir comprendre ce qui se passe autour de lui. Il a son cerveau bien préparé, tous ses sens sont en éveil. Le cerveau reçoit plein d’infos. Il commence à mettre de l’ordre dans tout ce qui lui arrive en vrac. L’enfant commence à raisonner sur les choses. On a un cerveau qui nous permet de faire de la prédiction sur ce qui se passe. Nous adultes, on fait ça tout le temps. On fait des calculs de probabilité, on cherche des relations de cause à effet. On sait que quand des choses arrivent régulièrement on peut anticiper. L’anticipation permet de développer l’intelligence avec un sentiment de confort, le sentiment qu’on contrôle la situation. Si on ne sait pas ce qui va se passer l’instant d’après, c’est très angoissant.
Le bébé arrive dans monde inconnu, il va devoir mettre de l’ordre et comprendre avec les rencontres ce qui est fréquent et ce qui ne l’est pas. C’est un statisticien, il fait des calculs de probabilité en permanence. Il fait des hypothèses. Dès les premières heures de vie, il essaie de comprendre ce qui va se passer. Il fait des hypothèses, des prédictions par rapport à sa vie à lui. Il a la capacité à inférer (ndlr inférer=déduire) ce qui va se passer après. Le cerveau adore se sentir dans situation connue.

Quand le cerveau enregistre un signal d’erreur, il se dit « je n’ai pas bien estimé la situation ». A cet âge là (et c’est ce qu’on devrait garder) il essaie de comprendre pourquoi et corrige. On perd cette notion d’erreur positive à l’école puisqu’il y a la sanction par la mauvaise note. D’un point de vue cérébral, l’erreur est très positive. Le cerveau fonctionne en inférences et en probabilité. Nous avons une gare de triage dans cerveau. C’est pourquoi les rituels en crèche sont importants : le bébé a besoin de fabriquer de la redondance dans son signal pour comprendre où il va et ce qui va se passer plus tard.

La théorie de l’inhibition:

Elle montre que quand on prend une décision, deux systèmes cohabitent : un système rapide et un système lent. Entre « je vais faire quelque chose intuitivement » et « je réfléchis », il faut qu’il y ait la possibilité entre les deux de faire un switch, de bloquer pour passer du système rapide à un système lent.
Le bébé est capable de faire quelque chose vite, de réfléchir mais il n’est pas capable de passer de l’un à l’autre, il n’a pas de système inhibiteur. Il ne peut pas bloquer. Beaucoup d’enfants sont dans le système 1, le rapide. Le lobe préfrontal (où se trouve le système inhibiteur) a une maturation très lente. Jusqu’à 3 ans il est difficile d’inhiber une action, de la stopper.
Se développer, c’est construire et activer des stratégies cognitives mais aussi apprendre à inhiber des stratégies qui entrent en compétition.

Entre 0 et 3 ans qu’apprend-on ?

Ce qu’on apprend? Les moyens de communication pour interagir les uns avec les autres, les moyens non verbaux, essayer de comprendre ses semblables, utiliser les compétences motrices. Le moteur ne sert pas qu’à bouger, il sert à apprendre. Il faut éviter de contraindre les enfants dans des positions assises, et essayer de faire appel à leurs compétences inhibitrices (savoir attendre, changer d’action).

En revanche, on n’apprend pas à se socialiser. On a les compétences pour interagir, on est pré-câblé pour ça. La crèche nous met juste en situation. L’être humain est biologiquement préparé au développement moral. Les jeunes enfants ne sont pas amoraux, ils ne portent pas tous les vices en eux. Le Développement moral se fait très tôt. C’est l’exemple des marionnettes et du bébé qui préfère la marionnette gentille.
Le sens de l’équité se développe dès deux ans. Il est important d’aider l’enfant à admettre le partage, à être juste. Vers deux ans ils sont sensibles à ça. La vie en collectivité demande de l’équité sinon le groupe ne peut pas survivre.

Entre 0 et 3 ans, comment apprend-t-on ?

On aide l’enfant dans ses apprentissages. La place de l’adulte est pédagogique. Il faut montrer le but à l’enfant, lui donner envie de le faire. Essayer les petits groupes, pour apprendre la collaboration et l’entraide, leur donner des choses à leur portée, donner des informations par le langage : le langage d’accompagnement, le langage qui commente ce qu’il fait (qui permet l’association entre l’action que je fais et les mots de l’adulte portés dessus). Il faut aussi gérer la distraction, favoriser l’attention. Evaluer les productions positivement avec des compliments, ce qui permet un renforcement positif.
Les sanctions comme apprentissage des normes morales provoquent une soumission, sans généralisation possible. L’enfant associe la sanction à un contexte particulier, il ne généralise pas et ne peut donc pas transposer la leçon à une autre situation. Mieux vaut expliquer. »

Après Josette Serres, Laurence Rameau reprend la parole sur l’adaptation progressive : « tous les jours sont différents au niveau de ce qui se passe dans la crèche et des horaires, donc il est compliqué pour le bébé de comprendre ce qui se passe. L’adaptation progressive (premier jour une heure, deuxième jour, deux heures etc…) ne sert à rien au regard de ce qu’il peut comprendre. On s’est souvent demandé pourquoi les enfants qui arrivaient du jour au lendemain s’en sortaient mieux. Hypothèse à l’époque : il comprend très bien qu’il n’a pas le choix. Autre hypothèse : ses journées sont les mêmes, c’est sécurisant. »

Une question dans la salle : « Mais alors qu’est-ce qu’on propose ? Quelle progression ? »

Laurence Rameau : « je ne pense pas qu’il faille une progression particulière. La seule chose qu’on peut dire : ce bébé a besoin de régularité. Peut-être faut-il être moins omnipotent vis à vis des parents. »

Autre question : « comment le cerveau conçoit-il le temps ? Une journée entière pour un bébé c’est long ».
Josette Serres : “il a besoin de choses répétitives. Après, il n’a aucune notion de temps. Les bébés n’ont pas la notion qu’ils ont passé 6 ou 7 heures à la crèche. Ils ont la même impression s’ils ont passé une heure ou plusieurs heures à la crèche. Le découpage du temps commence à être perçu au CP. »

Nouvelle question : «  Je suis ass mat. Vous dites qu’avant deux ans, la socialisation n’est pas possible. J’ai du mal à leur apprendre le partage d’objet, « je ne te l’arrache pas », « je ne te tape pas ». »

Josette Serres : « j’ai dit on ne le socialise pas, tous les enfants sont sociaux. La question c’est la conscience de l’autre, ça se construit. A deux ans ce n’est pas encore fait. »

Question : « Dans Montessori on dit qu’il faut leur apprendre à être fiers d’eux mêmes par eux mêmes. Je suis perdue, s’ils sont tout le temps en train de chercher mon regard, vont-ils être capables de se dire tout seuls que c’est bien ? »

Josette Serre : « les deux se construisent parallèlement. L’enfant a absolument besoin de l’approbation de l’adulte. C’est le soutien de cet adulte qui va lui permettre d’avoir confiance en lui plus tard. Des études finlandaises montrent que c’est l’empathie qui fait l’apprentissage. »

Question : « n’est-il pas préférable de commenter le dessin plutôt que de dire « c’est super » ce qui est un jugement ? »                                                 Laurence Rameau: « L’idée n’est pas d’être dans le jugement. Dire « tu as fait un beau dessin » laisse supposer que ça aurait pu être moche. Le donner à papa et maman le soir c’est pire que tout. Il ne fait pas des dessins pour les donner, il teste quelque chose. Manifester un intérêt pour ce qu’il fait, plus que lui dire je suis fière de toi.»

Ensuite, petite digression sur le « regroupement chanson ». « A quoi ça correspond, pourquoi ça perdure autant ? » Laurence Rameau: « il y a beaucoup d’enfants que ça ennuie ! Les arrêter dans un jeu pour aller faire le « rituel » qui ne les intéresse pas, ça n’a pas de sens. Le rituel de lavage de mains qui interrompt l’activité a du sens. Le rituel chansons de groupe pour interrompre une activité qui lui plaît n’a pas de sens. »

Elle en profite aussi pour pousser un coup de gueule : « Il y a un scandale autour des projets pédagogiques. C’est une carte de visite pas respectée. Or c’est essentiel. Certains les prennent directement sur internet. Je pense qu’il faut un contrôle des projets. Le malaise des pros est lié à ce dysfonctionnement. Depuis 2010 il y a le mot éducatif. Beaucoup de professionnels souffrent de l’inadéquation des formations, des projets et la pratique sur le terrain. On se retrouve face à des parents qui ont une forte exigence éducative mais quand vous avez des demandes très différentes la seule chose qui tient c’est le projet pédagogique. Que fait-on comme choix ? Sur quelle théorie s’appuie-t-on ? Si ce projet est fait par le gestionnaire, qu’il soit public ou privé, c’est fichu. »

Le développement moteur

Laurence Rameau introduit cette partie :

« Le développement moteur, on l’a beaucoup travaillé dans les crèches. Les pros sont assez au point là dessus. Mais ce qui m’étonne c’est ce discours : « moi je travaille sur motricité libre ». C’est étrange, comme si elle pouvait ne pas être libre !  Qu’est-ce qu’on lit dans les projets : il faut du matériel pour leur développement, on parle motricité fine, on parle d’« utiliser, découvrir s’approprier son corps ». On se retrouve avec l’idée de salles de psychomotricité. Elles sont ultra réglementées. On y va de 8h à 10h. Il y a des parcours prévus par des adultes. Les enfants font la queue, et une fois sur le parcours, évidemment, ils restent dessus. Il est étrange de voir marquer liberté motrice et voir en même temps des salles ou parcours codifiés par des adultes. Ou encore des enfants à table avec les pieds qui ne touchent pas le sol. On aborde la motricité comme un soin. Avec l’idée qu’il faut faire intervenir une psychomotricienne pendant la séance motricité. Aujourd’hui on ne peut plus dire « ils ont bien joué ». C’est pris comme un soin. On encadre de plus en plus pour des raisons de sécurité. Les enfants ne doivent plus prendre de risque. On se méfie des exercices moteurs car ils font du bruit. On entend des pros qui se demandent si c’est normal de courir tout le temps. »

Josette Serre apporte un éclairage scientifique:

« Le Développement moteur n’est pas une question de muscles mais de câblage cérébral. Presque tout est moteur. Enfant câble son cerveau pour qu’il enregistre toutes les informations qui viennent en même temps (proprioceptives, vestibulaires, visuelles).
Quand l’enfant se met debout il doit refaire tous les câblages par rapport à la position assise puisque les paramètres ont changé. Tout est à refaire en permanence. Tout est mouvement. Notre cerveau est fait pour produire des mouvements. Les informations sensorielles et le moteur sont préprogrammés à la naissance et en lien les uns avec les autres. La vision et le moteur communiquent, c’est un pré-câblage cérébral. On a mis en évidence une boucle dans le cerveau « perception/action ». Dès qu’une information visuelle est reçue, il y a aura un ordre d’action. C’est efficace dès la naissance.

Mais il y a la loi de la pesanteur. L’enfant a un tel poids sur les épaules et la tête. Il commence à saisir à 4 mois car il s’affranchit de la loi de la gravité. Quand il perçoit quelque chose, un ordre lui est envoyé : « agis dessus ». Il explore le monde grâce à cette injonction d’agir sur l’objet. C’est une boucle fantastique. Je vois donc j’agis.

Autre chose se greffe là-dessus : le concept d’affordance. Chaque objet envoie une information sur le type d’exploration qu’il mérite, en fonction de sa taille et de sa forme. L’enfant va agir sur les objets avec certains schèmes spécifiques. Il tape un objet dur, il frotte un objet mou.
Si l’objet est gros, il utilise ses deux mains pour l’attraper. S’il est vraiment gros, tout le corps prend possession de l’objet. Ils ont envie de monter dessus. Tout objet qui comporte une plateforme envoie comme information: cet objet est fait pour monter dessus. L’information visuelle se traduit par une action. L’action c’est la base de la connaissance.

Quelle conclusion en tirer pour la motricité :
-Avoir des objets en nombre suffisants.
– Attention aux structures qui ne sont que des passages. Elles prennent moins de place. C’est bien qu’elles aient des plateformes, plusieurs possibilité de monter ou de descente, pouvoir emmener des objets dessus.
– Les chaises sont faites pour monter dessus, faire des trains, des séries. Soit on les supprime, soit on laisse les enfants jouer avec.

Laurence Rameau ajoute:
« Les laisser courir pieds nus ! Pour qu’ils sentent le sol avec la voûte plantaire. Les enfants n’ont pas froid aux pieds comme nous. »

Le développement du langage

Laurence Rameau :
« Est-ce une priorité éducative ?
Pas à la mode pendant longtemps alors que la motricité l’était. On l’a passé sous silence. On trouve très peu de choses dans les projets pédagogiques à se sujet. On trouve qu’il faut parler à l’enfant pour lui expliquer ce qu’on fait ou ce qu’on va lui faire. La nouvelle mode : la langue des signes. Ca impacte beaucoup les crèches et les ass mat. L’idée est que ça va les aider à entrer dans communication et être moins dans les pleurs. On a bien l’idée qu’il faut favoriser le langage oral et qu’il faut lire des livres. Mais on voit beaucoup de lectures très stéréotypées avec un adulte qui lit, tourne le livre vers l’enfant et montre ce qui se passe. »

Josette Serres :
« L’enfant comprend-t-il tout ce qu’on lui dit ? Certainement pas. Que se passe t il quand on lui parle sans s’adresser à lui ? Quand on utilise le on, qu’on s’adresse au groupe ? C’est du bruit. Doit on choisir le vocabulaire ?  Pas de second degré, peu de formulation négative.

Les choses ne sont pas forcément claires dans la tête des gens. Tous les enfants finissent par parler, sauf exception. Ca se fait sans problème. Ca a l’air de se faire tout seul. Or, c’est très compliqué. Notre cerveau est fait pour ça. L’enfant doit comprendre que les mots sont arbitraires. Il le comprend. Après on passe à l’abstrait lié au sens. On lui parle de son ours mais on lui explique que ça désigne aussi les autres ours. Il comprend qu’un mot peut recouvrer plein d’objets différents ou qu’un même objet peut avoir plein de mots différents.

La structure du langage est en arbre. Toute cette suite de sons se décompose en phonème. On regroupe les phonèmes, ça fait des syllabes. Ces syllabes vont faire des mots. Les enfant comprennent la structure grammaticale. Vers 18 mois ils sont capables de comprendre une phrase. Il y a d’énormes possibilités de combinaisons. Le cerveau se débrouille très bien. Il fait du traitement de probabilités. Il va entendre les parents lui parler beaucoup, il baigne dans un flot de paroles, de mélodie. Dans cette musique il y a des sons. A force de les entendre, certains sont plus fréquents que d’autres. A 5 mois il se rend compte que son prénom revient souvent. Le cerveau stocke les sons.

Le début de la catégorisation se fait sur la forme de l’objet. On est loin de la fonction. Le nom ne fait pas la fonction. On voudrait livrer à l’enfant le nom et la fonction. On lui dit la chaise est faite pour s’asseoir. Mais il n’a pas besoin de la fonction. Il va explorer l’objet, le détourner. Pareil avec la dînette. Ca ne sert pas seulement à faire semblant, à imiter. Quand on découvre les objets, on se fiche de la fonction. Est-ce que ça vole une assiette ? On peut la mettre sur la tête pour faire un chapeau ? Deux assiettes par terre avec les pieds dessus, ça fait des patins. Intéressant de voir comment il détourne les objets. Il n’est pas intéressé par la fonction mais par ce que son corps va faire sur l’objet.

Les enfants apprennent tous à parler avec facilités, ça va très vite. On aurait un dispositif inné dans le cerveau pour extraire les sons. On a une structure cérébrale pré-câblée pour les fonctions du langage. Elle se met en œuvre quand il entend du langage et quand son cerveau récupère les sons. Cette aptitude est inscrite dans la circuiterie mentale. Il existe en fait de très rares pathologies de la parole.

Le bébé reconnaît la voix de sa mère, ainsi que la langue maternelle. In utero les zones de langage ont traité ces sons là. Le cerveau temporal gauche est une circuiterie infernale qui travaille tout le temps. A la naissance l’enfant entend la langue de son environnement. Son cerveau traite tous les sons car il est ouvert à tout. Jusqu’à six mois il est capable de reconnaître d’autres langues. Il perd cette capacité après. Comme si son cerveau se donnait six mois pour faire des choix. Au bout de six mois la circuiterie du cerveau fait des éliminations et se spécialise dans les sons entendus au quotidien. On garde ce qui est utile. Au bout de 12 mois, il est plus difficile d’apprendre de nouveaux sons. Il y a des fenêtres de temps et après la fenêtre se ferme.

Le langage est interactif. C’est universel et ça marche pour tous les pays. La seule chose indispensable est d’avoir un interlocuteur qui nous parle. D’où l’importance de la présence physique en réel, que le bébé voit la bouche et les yeux de son locuteur. La présence humaine réelle est importante. Il adore la synchronisation entre le son et la mouvement des lèvres. Les premiers sons qu’il peut reproduire sont les plus visibles (d’où les papas mamans dada baba). Les enfants ne font pas des « cr » dès le départ.

Bilinguisme : il n’est pas si fréquent chez nous. Alors qu’il est très répandu ailleurs. Il existe plein de cas de figure. Si on entend depuis la naissance deux langues, c’est une seule bibliothèque dans laquelle on stocke les sons des deux langues. Une famille où un des deux parents parle juste un peu sa langue ne suffit pas. Il faut de la quantité. Plus c’est tôt mieux c’est. Dès la naissance il faut parler les deux langues. La quantité de langue est importants. C’est un travail pédagogique pour les parents, ça se pense à l’avance, il faut s’obliger à le faire. Un petit exemplaire de la langue de temps en temps n’est pas suffisant. Il faut une interaction physique. Toutes les recherches montrent qu’il n’y a aucun retard à cause du bilinguisme. Si retard il y a, c’est dû à autre chose. Il y a toujours une langue qui domine mais ça change selon circonstances. Les enfants s’adaptent. L’erreur serait de tester la langage d’un enfant dans une seule langue. A deux ans et demi l’enfant bilingue peut avoir du vocabulaire dans son autre langue. Il n’y a pas forcément d’équivalence.

Une fois que les sons sont stockés, le langage vient tout seul, sans souci. Il faut conseiller aux parents de parler dans leur langue maternelle et d’inscrire cette langue dans un réseau social. On va rencontrer des amis, on lui fait son environnement social avec sa culture et sa langue.

Crèches bilingues : une heure d’anglais par semaine, ça ne sert à rien. Dans une crèche multilangue il faut décider d’avoir une langue véhiculaire pour tous les enfants qui parlent chacun une langue étrangère. »

Une intervention dans la salle :
« J’ai fait partie de la crèche expérimentale PARLER Bambin à Grenoble. C’était passionnant comme expérimentation. Cette expérience a prouvé à quel point les interactions étaient essentielles. Pour moi, au niveau de la formation, il est intéressant de faire comprendre aux professionnels que le langage est aussi important que le développement psychomoteur.» (au sujet de PARLER Bambin, voir notre article Parler Bambin : ils en ont parlé toute une journée )

Laurence Rameau, dubitative :
« Le risque c’est la stigmatisation. Diagnostiquer un enfant comme un petit parleur ça pose problème. Les enfants à la crèche, en quelque sorte, ils sont sauvés, ils vont apprendre.
Les enfants qui ont le plus gros risque de difficulté langagière n’y sont pas. Donc ça ne sert à rien. »

L’intervenante insiste :
« Dans certaines crèches on parle peu aux enfants ».
Réponse de Laurence Rameau :
«Ce n’est pas la peine de cibler petits parleurs. C’est juste un décalage de langage. C’est stigmatisant. Les études sur lesquelles se base Parler Bambin datent d’il y a 40 ans.» (sur cette polémique, véritable schisme depuis dix ans entre les adeptes d’une prévention précoce et ciblée et les tenants d’un modèle plus universaliste, voir notre article “prévenir les inégalités dès la crèche, l’impossible consensus“). Ce n’est pas le langage qu’on apprend aux enfants, c’est le plaisir à communiquer. Il y a une grande variablité individuelle. Il faut encourager communication par les gestes qui accompagnent, ne pas faire d’exercice de répétition. S’il prononce mal, on reprend le mot dans une phrase. Il faut poser des questions ouvertes, augmenter notre vocabulaire. Quant au livre et aux activités langagières, ce sont des moments de partage. Elles servent à écouter la mélodie de l’esprit, à découvrir de nouveaux mots, à manipuler les pages. »

Laurence Rameau poursuit sur certaines incohérences dans l’organisation de l’espace:
« On voit des enfants conditionnés, il faut faire tout tous ensembles, se déplacer tous ensembles. Il faut un espace bébé, ils sont derrière une barrière, on les a mis de côté. Les bébés sont parqués, isolés, pour leur propre protection. Il y a l’espace dînette, l’enfant ne doit pas partir avec les jouets de l’espace dînette. Les noms de jeux contraignent l’usage, il faut faire comme les adultes ont prévu. Les jeux d’encastrement doivent servir à l’encastrement et ne pas être lancés, ne pas être empilés. Doit-on laisser le choix des jeux ou le choix des actions ?

Josette serre rebondit :
« Pour le coin calme par exemple, l’affordance d’un coussin c’est de… sauter dessus ! »

Laurence Rameau appelle à « reconsidérer nos pratiques » : « Les enfants peuvent jouer avec des objets neutres. Plus les objets seront neutres, plus on les laissera en faire ce qu’ils veulent en faire, combiner, inventer, explorer : carton, sable, objets du quotidien… Attention aussi à la surcharge visuelle: avoir des beaux tableaux, oui. Ne pas abuser des barrières. Seules les barrières de protection ont un sens. Prévoir des contenants et des contenus avec des pièges, fabriquer des contenants avec des fermetures complexes. »

La prochaine conférence de l’IPE aura lieu le 25 mars prochain sur le hème « Eduquer, c’est tout sauf facile ! ». L’ensemble de la formation, 70 heures sur une année (10 journées de conférences), et la réalisation d’un mémoire donne lieu à la délivrance d’une attestation.