A l’occasion de son dixième anniversaire, l’Unité Père-Mère Bébé de Besançon a organisé une journée consacrée à la clinique du holding. Ces tables-rondes ont permis de rappeler en quoi consiste cette approche inspirée de Winnicott mais aussi de mettre en exergue sa dimension préventive et pluridisciplinaire.  Notre synthèse des échanges.

Pour être en capacité de soutenir ceux qui viennent jusqu’à eux, les professionnels de santé ont eux aussi besoin de se sentir parfois, un peu portés. C’est aussi à cela que servent les séminaires, colloques, événements anniversaires. A faire une pause dans la pratique, la décrire, l’analyser l’interroger, et, en passant, s’en féliciter. Mardi 3 octobre, l’Unité Père-Mère Bébé de Besançon fêtait ses dix ans autour d’une journée consacrée à la clinique du « holding » et avait convié pour l’occasion les professionnels de santé de la région.

Soutien et maillage institutionnels, condition sine qua non

Jean-Xavier Blanc, Directeur du centre hospitalier de Novillars, le pose en introduction : « L’Unité Père Mère Bébé est hautement spécialisée. C’est une clinique des plus exigeantes et bienveillantes. Rien ne prépare un homme et une femme à devenir père et mère. Aucune situation sociale, professionnelle familiale ne protège. » Il évoque une « clinique à haute valeur ajoutée ». Et s’adresse aux agences régionales de santé (l’ARS est partenaire de l’événement) : « Il faut rappeler aux ARS qu’elles sont les garantes de l’organisation des soins publics. Nos projets cliniques ne sont possibles que par les dotations qu’elles nous octroient. La santé publique est en crise. Winter is coming. Nous voyons des coups de rabot successifs, des attaques systématiques du cadre de travail. Le coût caché pour la société est grand. »
Laetitia Brun-Barassi, Chef du Pôle de psychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent à l’hôpital de Novillars, raconte la genèse de cette unité qui accueille sans rendez-vous les femmes enceintes, les parents et leur bébé jusqu’aux  24 mois de l’enfant et qui a pour objectif de « soutenir le holding du holding » puisque « prendre soin des parents permet de prendre soin de leur bébé ». L’arrivée d’un nouveau pédopsychiatre avait conduit dès le début des années 2000 à imaginer un dispositif regroupant des professionnels de la pédopsychiatrie et de la maternité. C’est à un maillage institutionnel rare et donc assez étonnant que l’unité doit sa création : hôpitaux publics de la ville, polyclinique de Franche-Comté, département, ville, réseau de périnatalité… le dispositif a ensuite pu être pérennisé par l’ARS. Mais, insiste Laetitia Brun-Barassi, c’est bien «l’implication des professionnels de terrain qui a permis de donner corps à ce projet ».

Pré et post partum, périodes à haut risque

Julie Mathieu, interne, synthétise les données épidémiologiques qui appuient la pertinence d’une prévention précoce.
La périnatalité constitue une période à risque de vulnérabilité psychique pour la régulation des émotions et des affects. Il existe un potentiel impact de ces troubles sur l’enfant avec des problèmes de santé publique très spécifiques. Les troubles psychiatriques sont fréquents en période périnatale. 15 à 20% des femmes enceintes auraient des troubles mentaux. La dépression du post partum a une prévalence de 15% avec des épisodes qui débutent en général pendant la grossesse. Malheureusement, elle reste souvent non diagnostiquée. Les troubles anxieux sont eux aussi très fréquents. La psychose puerpérale touche 2 femmes sur 1000 grossesses. Le risque de récidive est compris entre 51 et 69%, avec une forte probabilité d’évolution vers des troubles bipolaires de l’humeur. Le suicide constitue la première cause de mortalité dans la période de post partum et deux tiers des femmes qui se sont suicidées en période périnatale avaient une pathologie psychiatrique sévère. On considère aujourd’hui qu’une grande partie de ces décès pourraient être évités. L’OMS recommande de classer le suicide en mort maternelle directe lorsqu’il survient pendant la grossesse ou jusqu’au 42ème jour après l’accouchement. Une femme hospitalisée en psychiatrie en périnatalité a 70 fois plus de risque de se suicider. Les tentatives de suicide dans le post partum sont évaluées à 43,9 pour 100.000 naissances.

La prévention des troubles en périnatalité, une question de santé publique

Deux populations se révèlent particulièrement à risque : les femmes déprimées et les femmes des pays en voie de développement. Le premier trimestre, les premier et deuxième mois en post partum ainsi que le douzième mois sont considérés comme des périodes critiques.

Il est indispensable d’identifier les facteurs de risque le plus précocement possible, de repérer les femmes à risque sur le plan psychique et social. Il existe des vulnérabilités psychiques : les antécédents de troubles psychiques, les conduites addictives en pré conceptuel ou pendant la grossesse. Côté facteurs gynécologiques on peut pointer l’âge extrême, la primiparité, la grossesse avec complications, la malformation foetale, la grossesse non désirée, l’accouchement compliqué. Les facteurs environnementaux : mère célibataire, précarité, isolement socio affectif, abus pendant l’enfance, femmes migrantes.
La littérature fait bien évidemment état de l’impact sur le bébé exposé avec des effets prénatals et postnatals. Pendant la grossesse il existe un risque de transmission de la pathologie psychique, un effet négatif du stress maternel. A noter: l’importance du traitement psychotrope (le risque pour le fœtus est plus important si le trouble n’est pas traité). En postnatal, on évoque un risque de carences et de maltraitances (incapacité des parents à répondre aux besoins de l’enfant), plus de risque de mort inattendue du nourrisson ou de décès non naturel, un risque de trouble du développement (à cause de l’altération des processus interactionnels).

Chez les pères, il apparaît que 10% souffrent de dépression du post partum. Facteur de risque : la dépression maternelle. 50% des conjoints de femme hospitalisée présentent des symptômes de troubles psychiques.
Au Royaume-Uni, rappelle Julie Mathieu, cette fragilité et les risques qui lui sont inhérents sont considérés comme un problème de santé publique (le pédopsychiatre Michel Dugnat le rappelle régulièrement dans ses interventions, comme ici lors d’un séminaire sur les inégalités sociales de santé ou ici lors d’un colloque sur la prévention pré-conceptionnelle).
Le coût en terme de santé publique dû à ces difficultés périnatales est essentiellement attribué aux troubles du développement de l’enfant. Julie Mathieu conclut en insistant sur le travail de réseau, l’approche pluridisciplinaire et le travail sur l’alliance thérapeutique.

Accompagner le décalage entre le vécu réel et la grossesse idéalisée

Une fois posé ces données épidémiologiques, pour certaines saisissantes, la nécessité de la prévention et de la prise en charge des troubles du pré et post partum apparaissent comme fondamentales. L’Unité Père-Mère-Bébé (UPMB) de Besançon se compose de psychologues, pédopsychiatres (deux), infirmières, sage-femme. C’est la sage-femme de l’unité, Angélique Roy, qui prend la parole.
«L’Unité s’adresse au parent en simple questionnement ou en difficultés psychique face à un petit être qu’ils apprennent à connaître ou qui arrive sans mode d’emploi. » Elle évoque le temps d’accueil dédié aux femmes enceintes et cette « grossesse idéalisée par la société mais qui comporte une dimension de folie nécessaire ». Une fois par semaine pendant une heure un groupe de parole réunit des femmes enceintes et permet d’apporter un « contenant à leur angoisse ».

En présence de la sage-femme, les futures mères peuvent évoquer les différents symptômes qu’elles rencontrent. La banalisation ne suffit pas à rassurer. La rencontre avec la sage-femme en dehors du cadre médical leur permet d’être en contact avec ce professionnel sans qu’il touche ou palpe le corps.  « Les femmes abordent ce qui rend pour elles la grossesse plus difficile que ce qui leur avait été promis par l’idéal sociétal, sans se sentir jugées ». Le corps peut être le théâtre de malaise, les femmes peuvent être déprimées sans comprendre pourquoi, ou traverser des difficultés.
« Une femme peut ressentir de la discordance entre le discours social et la réalité du vécu, entre ce qu’elle imaginait vivre et ce qu’elle ressent, estime Angélique Roy. Elle peut éprouver de l’ambivalence ou être en retrait et s’en sentir culpabilisée. Cette part négative doit pouvoir être entendue. Soutenir la fonction maternelle en devenir est une réelle prévention. »

Martine Courtot Condamine, l’une des psychologues de l’unité, prend la suite pour rappeler que le concept de holding a été élaboré par Winnicott. Il s’agit de la « protection que la mère apporte à son bébé lors des soins quotidiens et face à des situations qui peuvent être insécurisantes pour lui. » Ces capacités sont aléatoires selon l’histoire de chacune. La psychologue livre ensuite une vignette clinique qui montre à quel point le regard des autres mères et la présence des accueillantes « invitent chaque femme enceinte à dire selon son tempo ». « Elles tissent des liens humains féconds au sein d’un groupe bienveillant. Ils s’agit d’un tissage, d’un tressage enveloppant. » Pour Martine Courtot Condamine il faut « accompagner pour freiner, amortir, accueillir la chute. Que la femme se relève, se porte elle même pour porter son enfant. »Elle évoque une « crise douce ou bruyante ». Et cite René Char : « Comment vivre sans inconnu devant soi ? »

Accueillir les pères, pas toujours présents, pas forcément absents

Elisabeth Pflieger, psychomotricienne et psychologue, parle des pères. En 2016, la structure a vu passer 165 mères pour 45 pères et a mené 360 entretiens de mères contre 33 entretiens de pères.
Le décalage est flagrant, ils sont parfois mal à l’aise. Or, leur présence et leur prise de parole sont indispensables pour dépasser les difficultés. Elle expose le cas d’un papa très angoissé qui s’est rendu sur une longue période à l’unité. Ce père avait pris un congé parental. Il est obnubilé par les soins du quotidien, « tout est noté, évalué, rien n’est laissé au hasard, tout est inscrit de manière obsessionnelle dans un carnet au cas où ». Ce père pose des questions très pratiques et trouve en face de lui un groupe de mamans amusées mais bienveillantes. « Au fur et à mesure, Mr M s’adresse plus à son fils, note Elisabeth Pflieger. Il ne le voit plus comme un réceptacle. Baptiste joue seul, papillonne d’un jouet à l’autre. Au fur et à mesure il s’ouvre à nos sollicitations, désigne du doigt.
Baptiste est allé à la garderie. L’UPMB a permis à ce père de dire ses craintes et ses angoisses tout en se questionnant sur ce qu’est être père pour lui. »

Passerelle et transmission, parties prenantes du holding

Florence Gallet, psychologue, développe une autre vignette clinique qui permet d’illustrer la passerelle entre l’UPMB et l’unité d’hospitalisation de jour. Les deux structures occupent les mêmes locaux avec les mêmes personnels. Ce tuilage et ces liens sont primordiaux. C’est l’effort conjugué de l’hôpital de jour, de l’UPMB et de la psychothérapie qui a permis à cette mère très fragile, en prise avec des antécédents de violences et d’abus, d’être contenue après une première naissance et au cours de la grossesse suivante. « Il faut parfois être à plusieurs pour que le holding du holding maternel soit praticable», conclut la psychologue. Pendant le temps d’échanges avec la salle, Antoine Burguet, pédiatre au CHRU de Dijon, renvoie aux intervenants de cette première session qu’ils « apportent des espaces de temps différent ». « Vous apportez un temps d’échange autour d’un café, c’est important. Les gens peuvent se poser. C’est un message pour les gynécologues et réanimateurs pédiatres : modifiez les rapports à l’hyperactivité et au temps. Mon temps d’examen ce sont des papiers à remplir. Je ne peux plus faire de Brazelton. »

Un autre médecin s’interroge sur les transmissions faites autour des parents reçus : le médecin traitant est-il informé ? Laetitia Brun-Barassi répond : « L’UPMB c’est sans rendez-vous, la transmission n’est pas simple. Si les parents sont adressés, on fait un retour. Parfois les gens vont et viennent, la transmission n’est pas aisée. » Florence Gallet note que le lien se fait par les patients eux-mêmes. Isabelle Chaveneau, pédopsychiatre, note que « certaines familles ne tiennent pas à ce lien ». « Le maillage peut être perçu comme une persécution. C’est toute la question du secret partagé. Mais oui, la transmission fait partie du holding de façon générale. Parfois les mailles sautent. »

Relaxation et musicothérapie pour aider une mère à rêver son bébé et leur avenir commun

Lors d’une deuxième table-ronde, l’équipe de la consultation Père-Mère-Bébé de l’hôpital de la Chartreuse présente son approche elle aussi pluridisciplinaire puisque la musique et l’éducation physique entrent dans la danse. C’est autour du cas de Mme C, 43 ans, seule, enceinte de cinq mois et demi après plusieurs FIV, plusieurs fausses couches tardives, et finalement un don d’embryon à l’étranger, que le dispositif est décliné. Cette femme, très isolée, ne parvient pas à se projeter dans la naissance à venir.
Meryl Bierry, enseignante en activité physique adaptée, explique mener un « travail corporel pour favoriser l’estime de soi de la femme, l’aider à connaître son corps, à trouver une notion de bien être ». La finalité poursuivie: instaurer un lien positif avec le bébé. Le travail repose sur la pratique de la relaxation. Il faut « apporter une bulle apaisante pour Mme C ». Les premières séances sont à visée corporelle, les suivantes cherchent à créer du lien avec le bébé grâce à un travail sur l’imaginaire. Au fur et à mesure, « Mme C est de plus en plus sereine, elle est capable de se projeter ».
Stéphanie Leclerq, pédopsychiatre explique que l’accouchement physiologique a été bien vécu par cette patiente. Mais les soins au bébé sont peu intuitifs et peu ludiques. Mme C cherche à exceller. Elle culpabilise de ne pas donner de père à cet enfant. Elle surveille sa respiration la nuit. Le bébé est calme, détendu, très discret. Il a peu d’occasion de pleurer. Sébastien Abel, musicothérapeute, a lui aussi accompagné Mme C. Il se dit attentif au discours, au volume de la voix, à la prosodie, aux silences. Si le bébé est en phase d’éveil, il est vigilant à l’accordage affectif. Sébastien Abel pose des questions sur le vécu musical (« Chantez vous ? Avez vous pratiqué musique? »). Lors de la première séance avec Mme C, il observe qu’elle ne parle pas à son bébé, elle garde son visage calme et souriant. « Ces deux là s’observent, se découvrent encore, ils semblent en attente l’un de l’autre. Mme C se dit impressionnée voire gênée par le regard insistant de son enfant. Elle n’initie jamais de communication verbale mais peut lui répondre. » Pour le musicothérapeute, « il faut permettre à la maman de développer de la spontanéité dans les interactions ».

Lors d’une autre séance, Mme C choisit de chanter « la non demande en mariage » de Brassens. « Elle chante les paroles qu’elle connaît, raconte Sébastien Abel, remarque l’intérêt de son fils qui la regarde et babille. Plus le volume de la voix de mme C s’amplifie, plus elle s’adresse à son bébé. Les deux ne me regardent pas. Le temps est suspendu. Elle dit que son fils est content et excité comme jamais. » Au terme de cinq séances, Mme C semble plus sûre d’elle, les relations avec son fils sont plus harmonieuses et spontanées. L’espace sonore est devenu un espace de rencontre et de partage. Stéphanie Leclerq, la pédopsychiatre, note que mère et bébé vont bien. Mme C se projette dans l’avenir, a repris le travail, l’enfant va à la crèche. Mme C parle pour la première fois du don d’embryon qui a permis la conception de son fils.

L’AMP et son impact sur le devenir des enfants

Emilie Phan, elle aussi pédopsychiatre, conclut cette présentation avec un focus sur l’assistance médicale à la procréation. Elle rappelle que l’infertilité concerne un couple sur dix. La littérature médicale psychiatrique est pauvre concernant l’accueil d’embryon. Les couples redoutent l’unique consultation psychologique, imposée, et n’expriment pas leurs ambivalences ou leurs angoisses.
« Quel que que soit le type d’AMP, et surtout s’il y a rupture de filiation, il existe un point d’accroche psychique plus ou moins dangereux, estime Emilie Phan. Mais il y a aussi beaucoup de fantasmes chez les professionnels. Il ne faut pas confondre les enfants avec les circonstances de leur procréation. » Stéphanie Leclerq rebondit : «L’ AMP est un facteur de risque. Il y a peu de données sur le devenir pedopsychiatrique de ces enfants. Faut il révéler ou non ? Comment accompagner au mieux ces formes de parentalité ? »

Notons ici qu’il existe en fait de très nombreuses études sur le devenir des enfants, essentiellement anglo-saxonnes, moins fournies il est vrai lorsque la technique de procréation utilisée est plus récente. En 2015, la chercheuse Susan Golombok a publié une remarquable revue de littérature sur le sujet. Son livre n’est pas traduit mais nous vous en proposons une synthèse en français.

La grossesse, une occasion en or pour la prévention des troubles psychiques

Emilie Bolopion et Christelle Meugnot présentent ensuite l’unité de pédopsychiatrie de liaison de l’hôpital de Besançon dont les équipes pratiquent « hors les murs de la psychiatrie mais dans les murs de la somatique ». Il s’agit d’une activité de consultation, d’évaluation, de liaison auprès des équipes qui les sollicitent. C’est en général à l’occasion du suivi de grossesse que l’unité est saisie.
« Pendant la grossesse se produit la mise en place de processus intérieurs liés à un retour sur soi qui pèseront sur bébé, pose Emilie Bolopion, pédopsychiatre. Les futurs parents traversent une crise maturative propice au changement. »

Elle évoque la réactualisation de conflits infantiles et de conflits archaïques. Certains parents sont capables de narrer ces remémorations, d’autres les mettent en acte, d’autres sont envahis par des angoisses destructrices. L’enfant hérite de cette histoire psychique consciente ou inconsciente. Il existe un risque de répétition de l’histoire et des traumatismes. Mais il faut prendre en compte, insiste le médecin, le potentiel créatif de chaque bébé. Les enjeux de suivi pendant la grossesse sont en tous cas majeurs, que ce soit pour soigner des troubles psychiques ou prévenir des dysfonctionnements éventuels des interactions. Emilie Bolopion parle d’une « réelle opportunité, du potentiel de prévention et de soins pendant la grossesse ».

« La vulnérabilité physique et psychique des femmes enceintes font qu’elles sont en attente. Elles espèrent le mieux pour leur bébé, elles sont prêtes à rencontrer le psy pour lui. Elles ont de multiples rendez-vous. » Le travail de prévention est possible si certains pré-requis sont présents : chacun des acteurs de première ligne doit se sentir concerné par la santé psychique et sensible à la qualité du développement de l’enfant à venir. « Le versant émotionnel ne doit pas être l’affaire du seul psy. » Pour Emilie Bolopion, les acteurs doivent pouvoir repérer les signes de souffrance psychique. La rencontre avec le psychiatre doit être proposée avec bienveillance au moment opportun en acceptant l’idée du refus. La relation entre le somaticien et le psychiatre doivent être de bonne qualité. Quels sont les symptômes facteurs d’alerte ? L’anxiété, la dépression, les angoisses exacerbées, le vécu difficile des transformations liées à grossesse. Certaines situations familiales ou conjugales difficiles ou la désinsertion sociale doivent éveiller la vigilance.

« Après la première ligne, notre équipe est le réceptacle des éléments bruts non élaborés, poursuit le médecin. Il faut être attentif à ce qui se passe dans le présent des parents et à leur histoire, à leur vécu psychique. » Elle fait référence à l’espace contenant des consultations qui s’appuie sur l’espace contenant d’une équipe plus élargie. « Il faut que les parents bénéficient de la rêverie à plusieurs mise en œuvre pour les soutenir. » « Le travail de prévention balaie d’un revers de la main l’idée de répétition fataliste. Mais on ne peut pas attendre de ces interventions qu’elles évitent toute distorsion. Tout ne peut pas se jouer à ce moment là. Le travail de prévention se poursuit en suite de couche, en HAD, dans les services de PMI, à l’UPMB. »

Le théâtre, pour permettre aux mères de renouer avec la « créativité primaire »

L’après-midi l’équipe de l’accueil de jour Parents-bébé, relié à l’Unité Père-Mère-Bébé, de l’hôpital de Novillars raconte l’expérience menée depuis 2013 avec la compagnie théâtrale Un château en Espagne. Cette pratique théâtrale repose sur trois temps : un moment partagé entre les mères et leur enfant de moins de trois ans, un temps dédié aux mères en compagnie des soignants et d’une comédienne, un échange entre les mères, la comédienne et les soignants. « Ce n’est pas de l’art thérapie, prévient Dominique Pluche Galmiche, psychologue. On a préservé les potentialités et l’altérité de nos champs respectifs. L’équipe ne joue pas comme les mères et les bébés mais avec eux selon des modalités amenées par la comédienne. Le soignant, tout en jouant, se montre attentif, soutenant, inventif. »

Dans un premier temps, l’expression de soi est favorisée. Il s’agit de découvrir l’espace proche, la limite de son corps et de l’autre, par exemple par de légers massages. L’objectif, pose Carole Balchot, psychomotricienne, est d’amener la possibilité de jeu entre la mère et l’enfant, de réintroduire du plaisir, de la spontanéité, du lâcher prise. « Les séances ne sont pas toujours fructueuses. Parfois aucune proposition ne prend. Les enfants se dispersent, veulent sortir.
Les mères parlent du plaisir à jouer, de la gêne, du manque d’idée. Au début elles parlaient peu du temps passé avec l’enfant. Elles disent qu’ils sont fatigués, qu’ils ont faim, qu’ils s’ennuient. »

Or il est difficile pour des enfants de s’impliquer si les mères sont passives. C’est parce que la comédienne, Gaëlle Mairet, met un jour, doucement, « les pieds dans le plat », que les mères réalisent à quel point leur implication est essentielle pour que le jeu se développe chez l’enfant. C’est l’implication de la mère dans un espace transitionnel partagé qui permet la séparation.

« Notre implication auprès des mères joue un rôle pour les guider, complète Sandra Perreux, infirmière. Souvent les mères sont fatiguées, envahies par les soucis et les angoisses. Elles ont une faible disponibilité psychique. On leur dit qu’elles peuvent sortir et arrêter quand elles veulent. Mais en fait c’est assez rare. Elles ressortent en général à la fin, dynamisées. Elles ont beaucoup appréhendé ce temps, ont eu peur du regard de l’autre, de ne pas savoir faire ou de mal faire. Puis la dynamique de groupe s’est instaurée. Au fil des séances elles se font confiance, osent plus. Elles abandonnent leurs réserves et inhibitions. Quand elles se prennent au jeu, elles font appel à leur créativité, elles trouvent du plaisir à jouer comme un tout petit qui découvre ça. »

« La créativité primaire est une capacité qu’un enfant développe si son environnement est favorable, rappelle Dominique Pluche Galmiche. Il est important que ces mères aient accès à cette créativité pour s’adapter à celle de leur enfant. Cette expérience constitue une base qui permet à l’enfant d’agir, c’est à dire d’oeuvrer. Il pourra ainsi conserver tout au long de la vie la capacité de créer le monde. » Et de citer Winnicott : « Cette créativité propre à l’expérience du bébé donne le sentiment que la vie vaut la peine d’être vécue tout au long de l’existence ». Pour la psychologue, ils s’agit de « permettre aux femmes de retrouver cette force créatrice ».
Dans un très joli film réalisé à partir de ces séances, l’une des mamans dit ainsi «j’ai confiance en moi, je suis prête à m’envoler ».

Bercer le bébé au-delà des bras de sa mère

L’unité Tintinnabule Père/Mère/Enfant de l’hôpital Sevrey présente de son côté le « holding sonore » à base de berceuses proposé aux mamans accueillies en hôpital de jour. « Les berceuses ont pour fonction ancestrale d’apaiser l’angoisse du noir, pose Isabelle Chaveneau, pédopsychiatre qui vient de quitter le service. Elles permettent le passage du jour à la nuit, à la séparation. Elles se transmettent oralement, signent une histoire, une époque, une culture, enveloppent dans l’obscurité mère et enfant. Elles portent mère et bébé. » Le duo de musiciens mobilise la capacité de rêverie des mères. Il s’agit d’un « holding transgénérationnel, populaire, universel ». Ce précieux patrimoine des berceuses retrouve vie grâce aux musiciens concertistes.
Le musicien n’est pas thérapeute, il s’ajuste à ce qu’il perçoit, comme un accordage. Cet ajustement fait partie du holding. C’est un « éveilleur des sens, des émotions, de notre humanité ».

Parents et bébés se sentent en sécurité. L’équipe de Tintinnabule explique que ces mamans ne sont en général jamais allées au concert, « l’univers sonore c’est souvent la télévision ». En osant chanter, en créant leur propre berceuse, elles découvrent un espace de plaisir, d’apprivoisement des mots adressés au bébé.
Il s’agit donc, aussi, de mettre en mots des émotions pour des mamans qui n’ont pas un rapport au langage aisé. Elles n’ont pas été « instruites » par les berceuses, assure l’équipe, paraphrasant Winnicott, mais ont vécu l’expérience de holding. « La berceuse berce la mère, elle berce le bébé au- delà des bras de sa mère. » Emmanuelle de Tommaso, psychologue, raconte que des mères « qui n’avaient pas eu l’expérience de berceuse pouvaient désormais chanter, transmettre à leurs puînés. » « Nous assistons à un miroir sonore à multiples facettes entre la mère et son bébé ».
Pour Isabelle Chaveneau, ce dispositif « a permis de réinitier un lien défaillant entre la mère et l’enfant ». « C’est une pierre de plus dans nos arsenaux thérapeutiques. Cela permet aux mères d’utiliser leur voix, elles qui sont si souvent sans voix et sans mot. Les mères renouent avec leur propre enfance. Nous parions qu’il reste une trace mnésique de cette expérience et qu’elles construisent la base d’un attachement et d’une sécurité remobilisable dans le futur. »

Répondant à une question, la pédopsychiatre assure que « pendant deux heures, personne ne bouge ». « Aucune mère ne va à un change, ne prend un biberon. Alors qu’en hôpital de jour elles bougent, évitent le face à face avec le bébé. Pendant deux heures elles sont contenues. »
Dans la salle, Antoine Burguet évoque son impression « qu’on est dans un rôle où on montre aux parents comment apaiser un bébé ». « Il faut pouvoir montrer aux parents les compétences du bébé, poursuit-il. On sent parfois à la maternité une tension. On laisse partir les gens, on les perd
La Compagnie Un château en Espagne conclut la journée avec son spectacle « Pluie » destiné aux enfants à partir de deux ans, et à tout adulte sensible à la poésie, à la musique et au travail sur l’imaginaire.