Quels sont les facteurs de la petite enfance les plus pertinents pour détecter la survenue quasi certaine de troubles ultérieurs et adresser précocement les enfants les plus à risque aux services les plus adaptés ? Une équipe anglaise a utilisé la cohorte Millenium pour élaborer trois modèles de “prédiction” à partir des données périnatales et des éléments recueillis aux 2-3 ans des enfants.

La période qui va de la grossesse aux 3 ans de l’enfant est aujourd’hui considérée comme cruciale. A l’âge de 3 ans de nombreux problèmes physiques, cognitifs ou émotionnels peuvent déjà être présents mais il est encore possible d’intervenir efficacement. Pour de nombreux scientifiques, praticiens, acteurs de terrains et politiques, il devient de plus en plus capital de pouvoir identifier le plus tôt possible les enfants les plus à risque afin de les adresser aux services les plus appropriés (principe qui ne fait néanmoins pas l’unanimité, notamment en France). Une façon de rendre l’universalisme proportionné encore plus opérationnel en utilisant des rendez-vous proposés en routine à toute la population pour détecter les fragilités découlant sur un risque majeur.  La Grande-Bretagne vient de se doter de nouveaux outils pour collecter des données plus précises sur les enfants à la naissance et au cours de leur troisième année de vie. Pour les auteurs de l’article que nous relayons ici (Viviane S Straatmann, Anna Pearce, Steven Hope, Benjamin Barr,Margaret Whitehead, Catherine Law, David Taylor-Robinson), paru dans le Journal of Epidemiology and Community Health, l’un des défis est aujourd’hui de pouvoir tirer de ces informations des modèles prédictifs qui permettront d’identifier les enfants les plus à risque afin de trouver la meilleure combinaison entre des services universels et ciblés.

Trois modèles prédictifs testés

Les chercheurs ont essayé de comprendre comment les caractéristiques précoces de la petite enfance pouvaient prédire les évolutions des enfants dans trois domaines : les troubles du langage, le surpoids et l’obésité, les problèmes socio-émotionnels et comportementaux à 11 ans. Trois modèles ont été définis. Le premier s’appuie sur les données collectées en routine à la naissance (15 items dont le poids de naissance, l’origine ethnique de la mère, l’âge maternel, les symptômes de dépression, l’allaitement, la langue parlée au domicile, l’activité des parents…). Le second ajoute les informations recueillies à 2-3 ans (30 items dont le développement personnel et socio-émotionnel, la communication et le langage, la santé physique, le développement cognitif et physique) et un troisième modèle ajoute d’autres facteurs de risque collectés dans la cohorte Millenium (30 items). C’est cette cohorte qui a permis de fournir l’ensemble des données analysées, certaines étant recueillies lors des examens de routine, d’autres faisant l’objet d’évaluations spécifiques dans le cadre de cette étude longitudinale. Millenium présente l’avantage de sur-représenter les enfants vivant dans des quartiers défavorisés et concentrant les minorités ethniques. Les analyses ont porté sur 18.296 enfants dont les caractéristiques ont été relevées à 9 mois, 3 ans et 11 ans.

Les enfants en difficultés à 11 ans l’étaient déjà à 3 ans

A 11 ans 6,7% des enfants présentaient des troubles du langage, 26,9% étaient en surpoids ou obèses, 8,2% avaient des problèmes socioémotionnels ou de comportements. Le modèle 2 comporte une portée prédictive nettement plus forte que le modèle 1. L’amélioration apportée par le modèle 3 est plus faible mais reste significative. Le deuxième modèle est le plus précis pour les 3 domaines de développement. Si on prend ce deuxième modèle, les facteurs de risque les plus significatifs pour les problèmes de comportements ou socioémotionnels à 11 ans sont les mêmes problèmes déjà identifiés à 3 ans (persistance des troubles), la tabagie pendant la grossesse, l’inquiétude parentale concernant le langage de l’enfant à 3 ans, aucun parent en activité. Pour les troubles du langage à 11 ans, les facteurs de risque saillants sont les difficultés en langage d’expression à 3 ans, aucun parent en activité, les inquiétudes parentales concernant la compréhension de la parole de l’enfant à 3 ans et les problèmes comportementaux et socioémotionnels à 3 ans. Pour l’obésité, les signes d’alerte les plus prédictifs sont : le surpoids à 3 ans, l’obésité maternelle anténatale, la tabagie pendant la grossesse, et le haut niveau de défaveur du quartier d’habitation.

L’accumulation des facteurs de risque à prendre en compte

Pour les auteurs, preuve est faite que les données collectées en maternité complétées des informations recueillies lors de l’examen de routine des 2-3 ans permettent une prédiction assez fine. L’ajout d’un spectre plus large de données périnatales et environnementales n’altère pas la qualité prédictive mais n’apporte pas d’amélioration flagrante. Les auteurs posent que la concentration de mauvais indicateurs de développement est plus fréquente chez les populations défavorisées mais il existe peu de travaux systématiques qui permettent de mesurer à quel point c’est cette accumulation qui est prédictive du développement de l’individu sur le long terme. Ils citent une étude précédente qui avaient ainsi tenté de cerner l’impact de l’âge maternel sur le devenir des enfants. Le caractère prédictif de cet indicateur s’est révélé faible. Si l’on prend comme critère de ciblage l’âge maternel uniquement on risque donc de passer à côté de la majorité des enfants à risques. Un autre modèle avec six caractéristiques périnatales s’est montré faiblement prédictif pour les garçons et modérément prédictif pour les filles. Or, rien qu’avec ces six caractéristiques, c’est déjà 10% des familles qui seraient concernées. Il est donc capital de parvenir à des modèles précis dont les mailles ne soient ni trop serrées ni trop lâches.

Affiner les modèles… et la réflexion sur leur utilité

Les facteurs socio-économiques (données collectées facilement en routine) et les résultats des enfants à 3 ans (enfants testés dans le cadre de la cohorte longitudinale Millenium) sont apparus, pris ensemble, comme étant les critères les plus prédictifs du développement des enfants à 11 ans. Mais lorsque les chercheurs ont retiré de l’analyse les évaluations des enfants à 3 ans, le modèle est demeuré très prédictif. Il est donc difficile de savoir quels sont les éléments réellement déterminants. Les auteurs s’interrogent sur la transposabilité de leurs modèles à la population générale : les mesures effectuées dans le cadre de la cohorte Millenium peuvent-elles l’être en routine (le niveau de dépression maternelle par exemple) ? Ils ignorent également si les enfants de la cohorte bénéficiaient de suivi spécialisé, ce qui atténuerait les associations constatées.

D’autres recherches sont donc nécessaires pour comprendre de quelle façon on peut augmenter la capacité prédictive de ces modèles mais aussi pour évaluer leur utilité et leur impact à partir d’examens de santé de routine. D’autres questions se posent : avec de tels modèles quelle serait la proportion d’enfants qui seraient concernés par des interventions spécialisées, quelle serait la proportion qui en tirerait des bénéfices et quelle serait l’étendue de ces bénéfices ? Sans compter les questions éthiques relatives à l’étiquetage et au risque de stigmatisation. La prudence doit donc conduire à s’assurer que les familles sont conseillées et soutenues de la façon la plus appropriée qui soit.