La Défenseure des Enfants, Geneviève Avenard leur a consacré son dernier rapport annuel en novembre dernier. Deux ans après la publication d’une revue de littérature problématisée également dédiée aux moins de six ans, mais cette fois ci en protection de l’enfance, l’ONPE remet à l’honneur les 0-6 ans dans un autre document, publié en mars, que nous n’avions pas encore eu le temps de relayer : « Penser petit : des politiques et des pratiques au services des enfants de moins de six ans confiés »*. En voici les grandes lignes.

Le rapport de l’Observatoire National de la Protection de l’Enfance livre tout d’abord quelques chiffres. Rapporté à l’ensemble des enfants confiés, les enfants de moins de 6 ans représentent 14,3 % des 143 300 mineurs et jeunes majeurs confiés à l’ASE au 31 décembre 2015 sur la France métropolitaine. « Les enfants jeunes, de moins de 6 ans notamment, sont sous-représentés parmi les enfants confiés à l’ASE », écrivent leurs auteures. Ces enfants sont, dans près de 70% des cas, confiés à des familles d’accueil. Les dangers les plus fréquemment évoqués chez les enfants de moins de 6 ans dont les retours d’information préoccupante indiquent un placement sont les négligences lourdes. Sur la période 2014-2016, elles représentent 35,4 % des dangers évoqués. Derrière les négligences lourdes, viennent les violences psychologiques, qui représentent 33 % des dangers évoqués pour la population des moins de 6 ans bénéficiant d’un placement. Le fait que les négligences lourdes soient très fréquemment évoquées dans les appels reçus par le SNATED (le numéro vert « 119 ») qui donnent lieu à un placement « pourrait traduire la prise en compte des enjeux développementaux des premières années de vie et de la vulnérabilité particulière du jeune enfant ».

De plus en plus de placements à la naissance

Ce document pointe l’absolue nécessité pour le magistrat qui devra se prononcer sur le placement de pouvoir s’appuyer sur une objectivation claire des compétences parentales, des réponses apportées au quotidien aux besoins de l’enfant. Ces éléments ne sont pas toujours présents. A noter aussi, une recrudescence des placements à la naissance. Là encore, les auteures rappellent l’existence de l’entretien prénatal précoce, malheureusement sous-utilisé. Tout au long de leur synthèse, elles mettent en exergue des « bonnes pratiques ». En matière de prévention précoce en période périnatale, elles citent un service hospitalier : « Dans une dimension éthique qui nous tient particulièrement à cœur, nous avons pour habitude d’aborder avec les parents la question de la protection de leur enfant à naître le plus rapidement possible, même si cela est difficile. Nous partons du principe qu’ils doivent connaître la réalité de nos inquiétudes et que nous devons être en capacité de les expliquer avec clarté et bienveillance. Nous sommes convaincus que c’est le seul moyen de les respecter et de les rendre acteurs du devenir de leur enfant. C’est aussi leur reconnaître une part de responsabilité, celle d’être parents, et de ne pas les traiter comme des incapables. Et nous sommes ravis de constater qu’avec cette approche, dans une dimension humaine et bienveillante, les personnes ne fuient pas la prise en charge mais au contraire, se sentent respectées ».

Différencier l’incompétence de l’incapacité parentale

Les travaux de la conférence de consensus sur les besoins fondamentaux de l’enfant protégé sont abondamment cités, avec un rappel sur le besoin de sécurité défini « comme méta-besoin » et un résumé de la théorie de l’attachement. Côté parents, les auteures reprennent le distingo très pertinent développé par E.Bonneville-Baruchel qui propose de différencier l’incompétence de l’incapacité parentale. « La situation d’incompétence parentale concerne des parents démunis en matière de compétences éducatives et de technicité des soins à apporter, ou encore pour ce qui est de la compréhension du vécu et des expressions de leur enfant. Il s’agit de parents qui ne souffrent pas de troubles psychiques personnels, ayant une structuration psychique et une organisation de la personnalité saines et stables. Les difficultés se situent dans l’expression et la réalisation des fonctions parentales, le plus souvent par ignorance ou par manque d’un environnement soutenant. Les personnes concernées ont besoin d’apprendre et de comprendre et sont ensuite capables de reproduire les éléments acquis de façon autonome et adéquate. L’indication d’aide éducative est adaptée et donne souvent d’excellents résultats. » Alors que l’incapacité psychique des parents à agir en adéquation avec les besoins exprimés par leur enfant relève d’une autre problématique, et peut être momentanée ou chronique. « Du fait des effets délétères de cette situation sur le développement de l’enfant, il est nécessaire d’élaborer un projet de substitution des fonctions parentales auprès de l’enfant pendant la période où le parent est entravé, projet qui pourra être limité dans le temps si le parent se rétablit. » Le rapport pose que « l’évaluation des parents et de leurs interactions avec l’enfant pour savoir si la problématique renvoie au registre des compétences ou à celui des capacités doit être préalable au choix d’un mode d’intervention social ou thérapeutique ». Auditionnée, la vice-présidente du CNPE, Michèle Creoff, abonde : « Il faut aussi accepter qu’en protection de l’enfance la question de la mise en danger n’est pas la question de l’intentionnalité, de la faute du parent, mais celle de la capacité. Il y a des parents que l’on peut rendre meurtriers en ne le reconnaissant pas. »

Développer la sensibilité des professionnels aux éprouvés du bébé

Concernant le cadre théorique et les pratiques, le rapport relaie les données de la recherche : « Les approches développementales, les théories sur les liens interpersonnels, l’éclairage par les neurosciences des besoins de l’enfant et de l’impact des traumatismes relationnels précoces, et enfin les signes de souffrance des jeunes enfants constituent donc quatre registres de connaissance nécessaires aux professionnels impliqués dans la prise en charge d’enfants de moins de 6 ans confiés en protection de l’enfance.» Ou encore : « La satisfaction primordiale des besoins « vitaux » et corporels des bébés et petits enfants passe par les pratiques de maternage, de nourrissage, de change et de toilette, de portage. Mais ces besoins ne peuvent être pleinement satisfaits que si les soins ont lieu dans le cadre d’une relation sécurisante : il est nécessaire que les donneurs de soins qui suppléent les parents auprès des enfants confiés soient fiables, prévisibles, cohérents, assurent une continuité relationnelle et présentent une sensibilité aux éprouvés du bébé. »
Les auteurs le notent : « un des enjeux majeurs pour les jeunes enfants confiés en protection de l’enfance est de pouvoir grandir en bénéficiant de réponses à leur méta-besoin de sécurité, à travers notamment des soins de maternage délivrés avec sensibilité, continuité et cohérence ».

Le placement à domicile : à utiliser avec parcimonie avec les tout petits

Un long développement est consacré au placement à domicile, qui ne semble pas le dispositif le plus adapté à cette tranche d’âge. Des acteurs locaux de la protection de l’enfance auditionnés par les auteures ont constaté la nécessité de réorienter une proportion non négligeable de jeunes enfants initialement placés à domicile vers des placements pérennes « classiques ». Certains responsables de structures intervenant en aval d’interventions de placement « à domicile » se sont alarmés d’avoir dû accueillir des enfants passés par ce dispositif qui selon eux auraient eu besoin d’un accompagnement plus adapté, plus soutenu et plus « protecteur ».
D’où cette préconisation formulée par le rapport qui appelle à «conserver une prudence dans l’éventuelle mise en place de dispositifs de placement éducatif à domicile pour des enfants de moins de 6  ans. » « Ces dispositifs doivent fournir des garanties en termes de réponse au besoin de sécurité du jeune enfant pris en charge, reposer sur des indications étayées par des évaluations précises excluant les situations d’incapacité parentale. La prise en charge de ces accueils doit être faite par des personnes spécifiquement formées aux besoins spécifiques des jeunes enfants confiés et aux signes de souffrance du jeune enfant. L’adaptation de cette réponse aux besoins des petits n’ayant pas encore de capacités langagières doit être systématiquement questionnée du fait qu’elle ne semble pas a priori convenir à ces enfants. »
Les auteures pointent néanmoins plusieurs dispositifs d’accueil de jour « qui accompagnent des jeunes enfants confiés et leurs parents de manière particulièrement intéressante ». « Tous les services évoqués mobilisent beaucoup de compétences, d’attention et de capacité d’adaptation pour soutenir la relation enfant-parent, mais en restant très soucieux d’évaluer dans quelle mesure et jusqu’à quel point elle profite à l’enfant. Les moyens déployés permettent d’ailleurs une évaluation fine pour le repérage d’incapacités parentales pérennes et/ou de la souffrance de l’enfant. Ces services, le cas échéant, formulent des préconisations de séparation et de mise à l’abri de l’enfant. Très étayées, celles-ci sont généralement prises en compte par les magistrats et décideurs locaux. »

Pour des professionnels formés et soutenus

Les auteures insistent aussi, à plusieurs reprises et à travers plusieurs recommandations, sur la formation des professionnels. La préconisation 9 propose de « garantir des formations au corpus des connaissances nécessaires à la prise en charge des jeunes enfants confiés (besoins fondamentaux spécifiques et développement des enfants, sensibilité parentale au sens des approches fondées sur l’attachement, interactions parents-enfants, compétence/incapacité parentale, clinique du traumatisme, signes de souffrance du jeune enfant) pour tous les professionnels concernés, des personnels d’encadrement aux personnes responsables des enfants au quotidien. » La préconisation 12 incite à « soutenir, par des actions de formation accompagnée, le développement de la sensibilité – au sens des approches fondées sur l’attachement – des assistants familiaux accueillant des enfants de moins de 6 ans ».

Le rapport rappelle enfin à quel point les professionnels doivent être soutenus. « Pour maintenir la capacité de ces professionnels à répondre aux besoins des enfants avec sensibilité sans tomber dans la routine, l’épuisement ou l’agressivité, à assurer leur continuité de présence malgré les risques de rupture des prises en charge, à penser à la cohérence de vie de l’enfant, il est nécessaire, comme le formulent les approches fondées sur l’attachement, de « prendre soin de celui qui prend soin ». Prendre soin des personnes « qui ont les jeunes enfants dans les bras » est donc un impératif du penser petit. »

*Rapport d’étude coordonné par Anne Oui, chargée de mission,Émilie Cole et Louise Genest,chargées d’études