Le programme de développement précoce du langage Parler Bambin, notamment utilisé dans les crèches de Lille, Courcouronnes ou de nombreuses villes d’Ile-et-Villaine a été retenu par le dispositif présidentiel “La France s’engage”. Son déploiement national a fait l’objet d’une présentation le 1er février dernier. 

Le programme, né d’une co-construction entre des chercheurs et des professionnels de terrain, porté par Michel Zorman, médecin grenoblois, décédé en 2012, bénéficie désormais du soutien de l’Agence Nouvelle des Solidarités Actives (ANSA) via « La France s’engage ». L’objectif pour l’ANSA est de voir Parler Bambin se déployer sur l’ensemble du territoire avec une offre de formation étoffée. En parallèle de ce déploiement dans les structures d’accueil des 0-6 ans, un programme de recherche sera mené par le J-Pal (école d’économie de Paris) et le laboratoire dynamique du langage (CNRS Lyon) pour mesurer les effets du dispositif. L’ANSA incite donc toutes les crèches qui le souhaitent à s’emparer du programme, à se former…et à accueillir les chercheurs.

Cette journée avait pour but d’informer les professionnels de la petite enfance sur la nature de Parler Bambin, sur les étapes de son déploiement national  et sur le déroulement du programme de recherche qui lui est désormais associé.

Voici le compte-rendu des présentations et des échanges.

En quoi consiste Parler Bambin

Olivier Noblecourt, conseiller municipal de Grenoble, co-fondateur du programme Parler Bambin

Ma légitimité est empirique. Nous avons un problème avec la situation que nous affrontons par rapport à la langue française: Difficultés d’apprentissage, de maîtrise de la langue et développement de l’illettrisme à l’âge adulte. Dans la période tourmentée que nous traversons on sait à quel point le langage est essentiel à l’exercice d’une citoyenneté éclairée. Le langage est le cœur de ce que doit être une politique publique éducative et une politique sociale. Il y a des inégalités criantes insupportables. 20% de jeunes qui sortent en difficulté du système scolaire. On les trouve d’abord dans les familles les moins aisées. Il y a des liens directs. C’est le terreau des difficultés sociales.

L’éducation nationale a du mal à rattraper ces inégalités de langage et à les réduire. Elles se construisent très tôt à un âge stratégique. En raison des écarts de stimulation et de pratique langagière au sein de la famille. A 4 ans un enfant de milieu social défavorisé a entendu 30 millions de mots de moins qu’un enfant de milieu favorisé. Il y a mille heures d’écart de pratique de langage entre des enfants de milieux opposés à 4 ans et jusqu’à 1000 mots d’écart de langage entre enfants au CP.

Il est indispensable d’agir là où se forme le langage. Michel Zorman a travaillé sur la conscience phonologique. Parler Bambin est le produit d’une co construction entre des scientifiques de renom et des professionnels de terrain.

Il y a bien sûr les ateliers pour enfants petits parleurs ou parleurs tardifs qui nécessitent un travail de formation. Mais il s’agit aussi de faire en sorte que le langage soit constitutif du travail au quotidien de la crèche. Eviter par exemple d’aggraver les inégalités en stimulant ceux qui parlent déjà mieux que les autres.

Le langage est fonction de la fréquence et de la nature des interactions langagières. Ce n’est pas un programme de sur stimulation. On favorise le développement et l’émancipation. Il faut être capable de repérer les difficultés.

Ce qu’on a constaté à Grenoble : des progrès considérables des enfants bénéficiaires. Ca a changé le rapport aux parents. Ils se sont impliqués. Cela a créé d’autres relations, grâce au prêt d’imagiers par exemple. Une relation de confiance se noue entre parents et professionnels. Longtemps, le discours a été « pas besoin de diplôme pour changer les couches ». C’est une stratégie de garderie à bas coût. Les crèches ne sont pas vues comme un lieu d’épanouissement. Nous avons vu des Professionnels qui retrouvaient le sens de leur mission, notamment avec l’aide aux familles.

Ce n’est pas une solution miracle, pas un marmiton de la politique sociale. Ca suppose de l’implication et de l’application. Je récuse les inquiétudes sur la normalisation ou le formatage. Il s’agit d’une co-formation entre professionnels, un rapport de transmission de compétences. L’investissement pour une collectivité est limité en coût mais l’intérêt social est maximal.

Il y a deux conditions à la réussite : rien ne se fait sans l’adhésion et la formation des pros. Ce qui compte c’est que l’intention soit claire et explicite. Que les pros soient associés dès le départ. A Grenoble on avait deux principes : que tous les agents soient formés et former « grand angle ». Il fallait accepter et gérer la diversité sociale et culturelle. Il faut des enfants en situation de difficultés sociales dans les crèches.

La politique familiale française s’est construite pour développer la bi-activité donc 70% d’attribution des places en crèche répondent à la bi-activité. Il y avait une inégalités d’accès aux crèches. Il faut une politique volontariste sur le territoire et ce n’est pas facile pour des élus. On constitue un réseau d’acteurs.

Sophie KERN, Directrice du Laboratoire Dynamique du Langage

La question qu’on me pose souvent c’est « Pourquoi tu travailles sur l’acquisition du langage chez l’enfant ? Ils apprennent tous à parler ! » Oui mais certains développent des troubles du langage de façon très précoce, et on voit de fortes différences entre les enfants. Il y a un lien très fort entre le degré de littératie et les conditions socio-économiques. On sait aussi que les personnes illettrées ont plus de problèmes de santé. C’est une question de santé publique. Le langage est un facteur d’intégration sociale.

Les troubles sont déjà importants chez les petits. 6% des enfants de 7 ans présentent des troubles du langage. Conséquences à long terme : ils ont des problèmes de comportements, d’échec scolaire, moins de qualification, un emploi moins bien rémunéré, une moins bonne santé, une durée de vie plus restreinte.

La recherche a beaucoup progressé: on analyse bien les étapes du développement et les différences interindividuelles et on comprend bien la continuité entre les capacités langagières acquises précocement et les autres capacité langagières (l’impact du niveau de langage oral sur l’apprentissage de la lecture par exemple). Le nombre de mots qu’un enfant comprend à 2 ans prédit son niveau de vocabulaire à 3, 4, 5 ans. Le développement du langage oral prédit le développement du langage écrit. La conscience phonologique et la compréhension du vocabulaire à 4 ans prédit la capacité de lecture à 6 ans.

Le développement du langage se fait de façon optimale si l’enfant est baigné dans des interactions de qualité et en quantité. Il lui faut des interactions, il a besoin d’être considéré comme un interlocuteur à part entière. Plus l’enfant entend du langage plus son vocabulaire est important. S’il entend un vocabulaire plus diversifié, il aura un vocabulaire diversifié, plus il entendra une grammaire complexe, plus vite il disposera d’une grammaire complexe. Les différences d’exposition sont très liées au niveau d’éducation des mères.

Selon une étude américaine réalisée sur 42 familles, on constate un lien très fort entre ce que produisent les parents et la production des enfants, en quantité et en qualité. Les hauts statuts économiques ont plus de variété dans le vocabulaire. Les premières étapes sont importantes. Tout le monde n’est pas à la même enseigne. Il existe des différences entre les enfants et il faut rectifier le tir aussi vite que possible.

Michel Zorman est parti du constat que les enfants présentaient beaucoup de différences, qu’il y avait déjà des retards chez les enfants entre 24 et 30 mois. Il a proposé ce programme de réduction des inégalités. Il s’est inspiré d’autres programmes canadiens ou américains qui avaient tous pour ambition de fournir des situations idéales d’apprentissage de la langue. Lieu d’intervention : à la crèche ou en école maternelle. Les interventions étaient directes ou indirectes (formations aux parents et aux pros). L’objectif : accompagner le développement langagier et cognitif, créer de bonnes conditions d’acquisition, parler avec l’enfant plutôt que parler à l’enfant.

Deux évaluations ont été réalisées avec deux cohortes suivies à Grenoble. Un groupe expérimental et un groupe contrôle. Les enfants avaient entre 18 et 30 mois. Ils ont été évalués avant et après au niveau du quotient intellectuel, de la motricité, du langage.

Pour le groupe expérimental, l’augmentation était très claire. Le groupe n’a pas évolué dans tous les indices mais globalement on note une amélioration. Les enfants qui ont bénéficié le plus du programme sont ceux qui en avaient le plus besoin. Il y a eu une sensibilisation des praticiens et des parents qui avaient des postures éducatives différentes. Parler Bambin a ensuite essaimé dans d’autres villes.

Une étude à été réalisée à Rennes. Virginie Dardier a évalué les pratiques professionnelles pré et post programme. Avec des entretiens semi directifs avant et après. Les questions portaient sur les étapes du langage, les situations de communication, les relations avec les parents, les apports de la formation. On remarque une évolution des pratiques. L’adulte modifie beaucoup son comportement, ajuste, donne plus de temps de réponse à l’enfant, formule plus de questions ouvertes, il y a une création d’échanges individualisés, une création de moments propices d’échanges, de réflexion en équipe sur le langage au quotidien, une volonté d’homogénéiser les pratiques professionnelles.

On a vu un bénéfice également dans la relation avec les parents. On ne se bornait plus à dire ce que l’enfant a mangé mais ce qu’il a dit et dans quelles circonstances. Pour que ça marche : il faut une supervision de l’utilisation du programme par une personne extérieure.

Nathalie Encinas, Directrice petite enfance à Courcouronnes

A quoi sert la crèche ? On veille au développement et à l’éveil de l’enfant, on favorise l’accès aux familles connaissant des difficultés particulières, on doit aussi lutter contre les inégalités, on travaille avec les parents. Et bien Parler Bambin répond à tout ça.

L’enfant doit toujours être acteur de son développement. On n’est pas là pour le bousculer mais pour lui donner les conditions adéquates. Les équipes ont fait évoluer leurs pratiques au quotidien.

Trois axes : le quotidien/les parents/les ateliers

Le travail au quotidien est aussi important que les ateliers. Il faut de la coopération, sensibiliser les parents à l’importance de parler à l’enfant même bébé. A Courcouronnes, on a beaucoup d’enfants bilingues. C’est une richesse et pas un handicap. Le langage est abordé dès les premières rencontres avec les parents. Enfin, les ateliers : c’est un petit coup de pouce. On propose aux parents ces ateliers, on fait régulièrement le point avec eux. Ce que ce n’est pas : de la stigmatisation, de la sur stimulation, apprendre à parler aux enfants. La question c’est : Est-ce égalitaire de proposer la même chose à tous les enfants ?

Parler Bambin ne s’improvise pas, il faut un projet éducatif centré sur l’enfant. Ca doit être porté par la direction et par les élus. Il faut une formation, s’organiser en équipes. Parmi les avantages collatéraux : l’évolution des pratiques professionnelles. Parler Bambin complète tout ce qu’on a mis en place. On porte un regard pointu sur le développement langagier, même chez bébés.

Nous faisons un travail sur le contenu des transmissions, nous développons des observations. Les échanges avec les parents se sont enrichis. Pour les enfants, il y a la confiance en soi, l’estime de soi, le lien privilégié avec l’adulte, le plaisir partagé. Ca bénéficie à tous les enfants. »

Premier temps d’échange avec la salle

Une EJE : « Comment les parents réagissent-ils quand vous proposez des ateliers ? »

Nathalie Encinas : « Dès l’entrée à la crèche, un temps important est dédié au langage dans la présentation de la structure. Après le travail de l’équipe, c’est la référente qui en parle, elle a des liens privilégiés avec les parents. Je n’ai jamais rencontré de parents opposés au fait qu’on aide leur enfant. Ils sont plutôt favorables. Les parents sont touchés du regard qu’on porte sur leur enfant . »

Deuxième question : « l’évaluation scientifique sur des enfants très jeunes ça me semble compliqué. »

Nathalie Encinas : « On travaille main dans la main avec les chercheurs pour que l’évaluation ne perturbe pas trop la vie de la crèche. On affine. En France on est très peu habitués à voir l’évaluation scientifique. Or l’évaluation, c’est une chance à deux titres : pour prouver que Parler Bambin a du sens. Et on va enfin parler de la petite enfance autrement qu’en terme de places créées. C’est bien le nombre de places, c’est un besoin, mais c’est important de mettre la petite enfance au centre d’une recherche qui montre autre chose, qu’on a besoin de personnel qualifié. C’est vrai que l’évaluation scientifique perturbe notre manière de penser. Comment les enfants vont réagir, comment présenter ça aux parents. C’est un challenge. Nous on sait que ça fonctionne, on a envie d’en parler mais c’est notre vécu. Ca parle moins aux élus, aux décideurs. Il faut prouver efficacité de Parler Bambin.

Retours d’expérience sur la mise en oeuvre de Parler Bambin

La journée se poursuit avec une table-ronde permettant les regards croisés des professionnels qui pratiquent Parler Bambin au sein de leur structure ou ont participé à sa mise en oeuvre.

Anne Ramat, EJE formatrice de Grenoble

« J’ai rencontré Michel Zorman qu’il travaillait dans une école de mon quartier. Il faisait le programme PARLER. Il constatait que l’évaluation en CE1 était très bonne. Il s’est dit qu’il faudrait intervenir en crèche. Il est venu nous voir. Il nous a dit : « Quand vous faites des temps de chanson avec 20 enfants ça ne sert à rien pour le langage ». On s’est interrogée sur nos pratiques, on avait beaucoup d’enfants qui parlaient peu, qui bougeaient beaucoup. Nous parlons beaucoup avec le « on ». Il faut mettre de l’individuel dans le collectif, c’est le plus important. L’important, pour nous c’est vraiment le quotidien. On se met à leur hauteur, on capte le regard. Pour la relation avec les parents c’est une grande réussite. Quand on prend le temps de parler aux familles dès le début, ils acceptent les retours qu’on fait. Notre attitude avec l’enfant a changé, par exemple sur la table de change, on lui parle davantage, c’est un petit plus. »

Anne Viossat, puéricultrice, responsable de crèche, formatrice à Grenoble

« Ca a fait tilt. Quelque chose qui manquait dans ma pratique. Le langage m’intéresse depuis toujours. J’avais l’impression de parler aux enfants mais je faisais les questions et les réponses. Je posais beaucoup de questions fermées. J’ai appris à poser des questions ouvertes, même aux bébés, à beaucoup commenter ce qu’on fait dans la journée. Dans les milieux précaires, il y a très peu de commentaires sur ce qui va se passer. Or, ça sécurise les enfants d’expliquer. Les ateliers (deux enfants) c’est bien, mais surtout c’est dans ma pratique quotidienne que ça a changé des choses.

Avant le rangement  c’était juste« on va ranger ». J’ai pris beaucoup plus de temps pour individualiser ce moment et en faire un élément de langage : « tu peux aller chercher la petite voiture rouge là bas ? » Tous les moments de la journée peuvent être saisis. On essaie de sortir des notions hygiénistes, de la naturalisation des activités. « Il a fait peinture, il a fait pâte à modeler ». Ca ne veut rien dire. On fait des observations fines du langage dans le cadre des ateliers.

Claude Haubold, directeur petite enfance de Lille

C’était une volonté de notre maire dès 2011. Il y a eu adhésion de nos équipes. Nous avons 12 EAJE formés, 1000 enfants qui en bénéficient au quotidien. En 2011 on avait 15 ateliers organisés par semaine, aujourd’hui on en a 3. Pourquoi ? Parce que le Parler Bambin c’est avant tout du quotidien. Du coup, 54% de nos enfants sortent du dispositif à l’issue d’un trimestre.

Les freins : il y en a eu les deux premières années. Le problème des valeurs, de l’évaluation. Comment faire cohabiter des projets pédagogiques, des projets sociaux avec Parler Bambin ? Faire cohabiter Loczy et Parler Bambin ? Ca ne se pose plus du tout. Les conditions de réussite : une démarche pédagogique à avoir auprès des structures pour expliquer les méthodes. Pour le coût : on est sur une mise en œuvre à moyen constant. On a un équivalent temps plein pour l’ensemble des structures. Les premiers bénéficiaires sont les enfants.

Françoise Bonamy, pédiatre libéral, ancien pédiatre de PMI

« Je ne pratique pas Parler Bambin. J’ai terminé ma carrière professionnelle comme pédiatre libéral mais j’ai été très longtemps pédiatre en PMI, j’ai travaillé avec Michel Zorman. J’ai beaucoup échangé avec lui. Ca m’a initiée moi sur les échanges parents-enfants. J’ai observé comment les parents parlent aux enfants, j’ai développé une guidance parentale. Les Parents croient parler à leurs enfants alors qu’ils leur parlent peu. Plus le milieu est défavorisé plus les échanges sont très généralistes, non individualisés, avec peu de diversification dans le vocabulaire, peu de description de ce qui se fait. Mais les parents s’interrogent, ça permet de faire de la guidance parentale. Il ne faut pas différencier l’apprentissage du langage et les interactions. Le fait de dire aux parents de se mettre au niveau physique de l’enfant ça leur fait permet de s’apercevoir qu’ils se mettent à l’écoute de leur enfant. On arrive à une qualité d’échanges et d’interaction, qui fait tout le secret de Parler Bambin. »

Deuxième temps d’échange avec la salle

Une question dans la salle, d’une puéricultrice conseillère technique en Gironde : « Par rapport à un des freins. Vous avez évoqué les difficultés d’associer Loczy et Parler Bambin. Loczy c’est l’individualité et le dialogue donc je ne vois pas comment ça peut être contradictoire ? »

Claude Haubold : « C’était un questionnement de certains professionnels. En fait ils sont surtout ennuyés par l’évaluation. C’est leur inquiétude. C’est quoi cette évaluation, vous allez les classer, leur mettre des étiquettes. Non, évidemment, c’est plutôt un regard privilégié sur les enfants. »

Anne Ramat : « Il faut voir ça comme une formation continue. Il faut qu’on soit dans une attitude de réflexion sur le langage. C’est une évolution de nos pratiques. Si vous demandez aux personnels les grandes étapes du développement psycho moteur, grosso modo ils savent. Demandez leur les étapes du développement du langage, il va y avoir des manques. »

Autre question dans la salle: « Quand un nouvel agent arrive comment le formez vous ? Les équipes se renouvellent régulièrement. »

Claude Haubold : « Oui, c’est une tâche qui incombe au fil de l eau. »

Autre question (ndlr celle de l’auteur de ce compte-rendu) : « Vous évoquez la formation continue. On pourrait même se poser la question de la formation initiale. Avez-vous par exemple été auditionné par la mission conduite actuellement par Sylviane Giampino qui porte notamment sur la formation des professionnels ? »

Guillemette Pouget, médecin-chercheur et formatrice : « On a fait partie d’un groupe de travail. Mais c’est une toute petite participation ».

Denis Gallotti, le monsieur loyal de la journée, anciennement responsable de la petite enfance au CCAS de Grenoble apporte depuis l’estrade une précision : «Pour rebondir sur la question de la formation initiale, il a été impossible d’organiser des débats dans l’institut de formation grenoblois, là où a pourtant commencé Parler Bambin.»

ndlr : le programme Parler Bambin suscite de très fortes réserves dans le milieu de la petite enfance, en tous cas chez les professionnels d’obédience psychanalytique, comme en témoigne cette tribune publiée par le collectif Pas de zéro de conduite sur Mediapart ou ce texte de Caroline Eliacheff sur le Huffington Post (les deux textes ont été mis en ligne à deux jours d’intervalle). Nous avons relaté ces dissensions dans cet autre article.

Les échanges portent ensuite sur le fait que malheureusement trop peu d’enfants ont accès à des Etablissements d’accueil du jeune enfant (EAJE).

Quid, dès lors, des ass mat ? « A Grenoble les assistantes maternelles des RAM et des crèches familiales sont formées».

Claude Haubold : « A Lille on en a conscience. On réfléchit à deux axes: l’école et les familles qui n’ont pas accès à l’institution. »

Anne Viossat :  « le parler BAMBIN c’est du solfège, après on joue la musique qu’on veut ».

Une participante dans la salle : « Je sais que ce programme requestionne les pratiques professionnelles. Nous, nous avons un turn- over, des burn out, des pros qui se retrouvent seuls avec de nombreux enfants. De par cette pratique, avez vous eu plus de stabilité dans les équipes ? »

Anne Ramat : « Quand il y a un projet porté, il y a plus de stabilité. Avec Parler bambin, les pros sont présents et ne veulent pas bouger. Avoir de la reflexivité sur sa pratique ça donne du sens, ça soutient la motivation. »

Une dernière question : « Les enfants naissent sont-ils tous égaux au regard du langage en dehors des pathologies ? Quand il y a un retard, on prend en charge l’enfant à la crèche, ce retard se rattrape-t-il ultérieurement ou après est-ce trop tard ?

Françoise Bonamy : « non les enfants ne naissent pas tous égaux. Mais la plupart des troubles se récupèrent quand ils ne sont qu’un retard. C’est pourquoi Parler Bambin n’est pas une stigmatisation, c’est une précaution, une prévention. Je me suis beaucoup battue contre les abus de télévision. Des enfants de 9 mois qui passent des heures devant l’écran. Je demande aux parents « prendriez-vous une nounou qui se comporterait comme la TV ? ». Il s’agit là aussi de faire de la prévention sur le langage. Nous n’avons pas d’études de suivi des enfants du parler bambin à l’école. Il y a deux endroits où on pourrait le développer : les salles d’attente des PMI. Il y aurait toute sa place pour toucher le public défavorisé. Et ça permettrait de faire des évaluations longitudinales. Et ATD Quart Monde a des programmes pré-scolaires, on pourrait travailler avec eux.»

Les modalités et le calendrier du déploiement

Vanessa Ly, responsable de projets à l’ANSA

« Trois phases sont prévues : analyser et observer Parler Bambin dans les pratiques professionnelles, analyser les effet sur les enfants, analyser l’implication des parents. Le programme va se poursuivre sur 4 ans. Il faudra une sensibilisation des équipes en amont. L’ANSA peut venir présenter le projet auprès des équipes. La phase de formation initiale est constituée de 7 modules pendant six mois. »

Le programme de recherche adossé à Parler Bambin

Marc Gurgand, directeur du J-Pal et de l’Ecole d’économie de Paris:

«Ce que l’on sait :  Le langage détermine le destin scolaire des enfants. C’est un enjeu très important, avec des incidences de très long terme.Un sujet pour les inégalités puisque les acquisitions du langage oral font partie des étapes qui construisent les inégalités. C’est déterminé par les stimulations extérieures.

Dans l’étude américaine Hart et Risley, il y a des constats effrayants. Des expériences spectaculaires ont été menées aux USA dans les années 70. Il est possible pour les politiques publiques d’intervenir pour limiter les effets. Je ne suis pas certain que les politiques soient conscients de l’importance d’agir dans la petite enfance. Dans ce dispositif de recherche on s’intéresse aux parents, aux pros, aux enfants. On veut observer et documenter ces différents aspects : les habitudes langagières des parents, les pratiques des pros, le développement des enfants.

Les instruments que nous utilisons : on va comparer des établissements déjà entrés dans le dispositif et des établissements pas encore entrés. Il faut qu’ils soient en moyenne très comparables.

Première phase : nous faisons des mesures pré test et post test puis il y a un tirage au sort des crèches engagées dans le test. Il y aura des questionnaire aux professionnels (40 minutes) et des enregistrement audio d’interactions. (5 à 15 minutes). Des questionnaire auprès des parents également (25 à 45 minutes). Après six mois, de nouveau des questionnaires. Tout ça a déjà été testé. Nous distribuons des lettres d’information, nous demandons de pouvoir accéder aux données administratives détenues par la crèche (les refus sont assez rares).

On constitue ensuite des cohortes car il n’est pas possible de suivre tous les enfants. On demande aux parents concernés s’ils sont d’accord. Il y a une enquête auprès des parents en crèche ou à leur domicile.

Deuxième phase : elle commence six mois après le tirage au sort. On a quatre groupes d’enfants, on ajoute des flux d’enfants entrants et on fait la mesure du développement des enfants. Ce qui signifie qu’il faut venir dans la crèche une fois par mois pour interroger l’enfant à une date anniversaire. On inscrit la relation dans la durée. Il ne faut pas cacher que c’est une contrainte. On a travaillé pour trouver des façons de faire qui soient respectueuses. On a procédé comme ça à Courcouronnes et à Lille. Le taux d’acceptation a été très élevé.”

Troisième temps d’échange avec la salle :

« Comment se pratiquent les évaluations avec l’enfant ? »

Sophie Kern répond : « Il y a un test de langage, sur tablette. On teste la compréhension et le niveau de production. Le test est standardisé, étalonné en France et en Belgique. On dispose des normes. Nous avons d’autres tests pour la praxie, des temps d’observation générale. Tous ces outils sont étalonnés, validés en littérature, utilisés par des orthophonistes. »

Guillemette Pouget : « Dans la pratique c’est le professionnel qui connaît l’enfant qu’il accompagne. Si un enfant ne veut pas faire le test, on laisse tomber, le chercheur revient. Pour l’enfant c’est dans une continuité de vie quotidienne, de jeux. »

« Comment le dispositif de recherche est-il présenté aux parents ? »

Marc Gurgand : Un courrier est transmis par la crèche. Quand on prend RV avec les parents, il y a des documents de consentement express et les enquêteurs répondent aux parents. Les Parents se tournent vers les responsables des structures pour en savoir plus. Il y a une internalisation du protocole. C’est un équilibre très subtil. Il faut être honnête, précis et en même temps ne pas bluffer les gens, ne pas les embrouiller. Il faut trouver un équilibre.»

« Si nous on partage le projet, comment le porter habilement et en transparence ?

Nathalie Encinas : « Il faut que ça se fasse par la personne qui connaît bien les parents. L’équipe de chercheurs est très à l’écoute de ce qu’on peut leur dire de nos valeurs, de nos convictions, de nos contraintes. Le taux de réponse est important. Il faut construire ça avec chercheurs. »

« Avez vous envisagé de faire cette recherche sur la durée ? »

Marc Gurgand : « On l’a envisagé, c’est notre objectif. »

« Que faire avec un enfant de milieu aisé qui a un problème de dyslexie ?Un enfant se développe de façon subjective. Comment avez vous inclus qu’un enfant développe autre chose à côté, la motricité, il est plus concentré, il se développe à son rythme ? »

Sophie Kern : »Il n’y a pas de dyslexie chez des enfants si jeunes. On ne met pas d’étiquettes. On sait qu’il y a des différences interindividuelles qui font partie du développement. L’acquisition du langage est une interaction de facteurs. Sauf quand il y a un problème syndromique. A deux ans on ne peut pas dire qu’un enfant a un trouble ou pas. »

Des ateliers pour répondre aux questions théoriques et pratiques

La dernière partie de la journée a été consacrée à des discussions en petits groupes pour que les promoteurs du projet puissent répondre plus précisément aux questions. Voilà ce qui est remonté de ces ateliers :

  • Des interrogations sur ce qu’est une famille défavorisée, ou vulnérable, ou fragile. (ndlr : c’est une question fréquente, voire une suspicion récurrente. La prévention ciblée serait une stigmatisation des plus pauvres, un étiquetage, un déterminisme. Ce débat colle à la peau de Parler Bambin depuis ses débuts. Vous en trouverez également une illustration avec l’article initialement publié le blog)
  • Certains professionnels s’interrogent sur la portée à long terme. L’énergie dépensée en vaut-elle la peine ?
  • La porte d’entrée est réductrice : d’abord les budgets ont déjà été votés, la présentation arrive trop tard, il faut plutôt des grosses structures, des enfants petits et surtout des enfants qui fréquentent assidûment les structures. Or ces enfants sont essentiellement ceux des couples bi-actifs, donc pas les plus ciblés par le programme.
  • Se pose aussi la question du portage du projet en raison du turn-over des équipes
  • Comment considérer la langue maternelle de l’enfant ?
  • Exclusion d’office des crèches en milieu rural s’il faut absolument des réseaux de crèches, c’est dommage. Il y a des besoins dans ces structures aussi.
  • Des professionnels passés de la réserve à l’adhésion à l’instar de cette salariée d’un EAJE à Evry a raconté : “au début ma position c’était « on n’est pas l’école, notre rôle n’est pas de leur apprendre à parler. Mais on fait bien des ateliers pour développer la motricité, pourquoi pas pour le langage ? »
  • Une problématique ancienne, comme le rappelle cette psychologue clinicienne à la ville de Paris : « Même dans mes études, qui remontent, on parlaient déjà du lien entre milieu social, langage et réussite scolaire. On sait que dans les familles en grande précarité parler à son enfant ne vient pas naturellement. Dans la chambre d’hôtel il n’y a pas grand chose d’autre à dire que « fais pas ci ». Aline Chevit, de l’équipe Parler Bambin rebondit : «Oui, du coup on se dit  « ils ont déjà tellement de problème, on ne va pas en rajouter ». Mais ce n’est pas en rajouter. »
  • La valorisation permise par l’évaluation, selon Denis Gallotti : « Pour les professionnels c’est une chance extraordinaire de travailler avec des chercheurs qui vont qualifier le travail. C’est une opportunité d’avoir une qualification supplémentaire, une expertise sur le langage. Ca valorise le métier. »

Le directeur de l’ANSA, Jean-Marc Altwegg, a conclu la journée :

« C’est une belle aventure et une aventure raisonnée. Un pari qu’on gagne à tous les coups, avec trois beaux objectifs : le développement de la petite enfance, la lutte contre les inégalités et la pauvreté, un engagement vertueux pour les finances publiques. Nous avons des ambitions scientifiques, nous voulons apporter la preuve que ça marche.»