Le Réseau de Santé Périnatal Parisien a organisé en décembre dernier un groupe de travail à l’Institut Mutualiste Montsouris consacré à la sexualité et à la parentalité des personnes en situation de déficience intellectuelle. Gynécologues-obstétriciens, sages-femmes, pédiatres, intervenants du champ social ou de la protection de l’enfance, représentants d’associations, juristes: il fallait bien cette pluralité des fonctions et des points de vue pour embrasser une problématique aussi complexe et aussi sensible. Il est notamment difficile d’échapper à la question des droits des personnes porteuses de handicap versus l’intérêt de l’enfant. Nous vous présentons un compte-rendu circonstancié de ces échanges en tous points passionnants. 

 

Pourquoi la tenue de ce groupe de travail sur un tel sujet ? « Parce que plusieurs d’entre nous sont en en difficulté avec la grossesse chez les couples présentant une déficience intellectuelle, nous sommes désarmés, explique en introduction de cette journée Marc Dommergues, Professeur de gynécologie-obstétrique à La Pitié Salpêtrière. Nous nous attelons depuis des années à la question de la parentalité et du handicap. Henri Cohen (ndlr : chef du service de gynécologie-obstétrique au sein de l’Institut Montsouris), moi et d’autres, nous avons avancé sur le plan des déficiences motrices et sensorielles. On a l’impression d’apporter ce que la loi nous demande d’apporter : une compensation du handicap dans la fonction de la parentalité. Mais quand arrivent des personnes avec des déficiences intellectuelles, nous sommes embarrassés. Chacun d’entre nous a une vision parcellaire de la question. Il faut développer une approche multi professionnelle. »
Pour Frédérique Perrotte, du Réseau de Santé périnatal Parisien (RSPP), c’est l’étude Handigynéco à laquelle elle participe qui l’a amenée à découvrir la problématique du dépistage et l’intérêt du travail en réseau.

Déceler la déficience intellectuelle chez la femme enceinte, pas si évident

C’est un échange très dense qui s’amorce où chacun fait part de son expérience, de sa découverte du sujet, de sa façon de l’appréhender, de ses difficultés, de ses dilemmes. Marc Dommergues estime qu’en tant que gynécologue-obstétricien son travail n’est pas de chercher à comprendre pourquoi cette grossesse survient. La grossesse est une donnée de départ. Se pose en revanche la problématique du dépistage de la déficience intellectuelle de la patiente. Pour certaines, la déficience est manifeste. Mais pas toujours. Il donne un exemple récent. Une jeune femme avec une insuffisance rénale. Elle semble très timide, explique qu’elle travaille, qu’elle est animatrice pour jeunes enfants. Elle présente des difficultés d’élocution mais paraît aussi « maligne », et connaît bien sa maladie. « Quelque chose me tracasse, raconte le gynécologue. Pourquoi cette difficulté d’élocution ? Je l’envoie voir le psy. Et là, je suis ridiculisé. Il y a une déficience intellectuelle substantielle. Son poste est un emploi en milieu protégé. Elle comprenait sa maladie comme un enfant mais avait de grandes difficultés à se projeter dans le fait de devenir mère. Le dépistage a été très tardif. Ce peu être le co parent qui ne va pas très bien, on ne le voit pas, on le découvre à la sortie de la maternité. »

Le médecin énumère d’autres sujets essentiels : quid de la transmission génétique, des atteintes associées? Quid de la prise en charge de l’enfant ? Il met le doigt sur ce qui constitue certainement le cœur éthique du débat (et qui sera plusieurs fois abordé au cours de la journée): Comment respecter à la fois l’autonomie de la personnes, son intérêt, ses souhaits et l’intérêt de l’enfant ? Il évoque une « forme de parentalité palliative qui ne s’exercera pas de façon directe ». Dans l’idéal, lance-t-il, il faudrait se préoccuper de ce qui se passe avant. « Mais où ? A quel âge ? Quel accès à la contraception ? Faut-il un parcours fléché ? »

Troubles psychiques, déficience intellectuelle : deux nosographies distinctes qui parfois se recoupent

Valérie Ledour, adjointe du médecin chef de la PMI à Paris également en charge d’une activité de planification familiale dans le quartier de la Goutte d’or à Paris, se souvient de son côté d’avoir été bouleversée, alors qu’elle était interne, par une jeune fille de 17 ans terrorisée avant une ligature des trompes qui lui était imposée. Son chef de service avait voulu l’apaiser, elle, future médecin, en lui disant « ne t’inquiète pas, c’est pour son bien ». « Mais je crois que l’enfer est pavé de bonnes intentions», lâche-t-elle.
Elle raconte qu’au Planning familial où elle exerce, il y a beaucoup de réfugiés, beaucoup de femmes prostituées, un public hétéroclite exposé à pas mal de violences. La salle d’attente est donc « assez explosive ». Le médecin livre deux vignettes cliniques. Un jour, l’une des employées lui signale qu’il faut « changer l’ordre de prise en charge car une dame est très agitée ». Il s’agit de Salomé 42 ans, bien habillée, belle prestance, et en effet, agitée. Elle vient parce qu’elle a un désir de grossesse, elle veut retirer son implant. Elle a déjà trois enfants (18, 16, 14 ans), et six IVG derrière elle. Son nouveau compagnon de 47 ans n’a pas d’enfant et en veut. La sérologie est très floue. Tout à coup, la femme lâche : « Je suis Marie, mère de Jésus ». Valérie Ledour interroge « Mais Jésus, c’est lequel de vos enfants ? ». Avant de comprendre. Elle cherche à savoir quel médicament prend cette femme, qui lui répond : « Ils me disent que je suis psy mais moi je suis mystique, ils n’ont rien compris. » Les trois enfants ont en fait tous été placés.

Salomé refuse de dire où elle est suivie. Valérie Ledour lui proposera une visite pré-conceptionnelle et un frottis, arguant qu’à son âge, une grossesse se prépare.
Ce premier exemple montre qu’il est difficile de circonscrire le sujet et qu’il peut exister une frontière floue ou une confusion, y compris pour les professionnels, entre la maladie mentale et la déficience intellectuelle. Un peu plus tard Nathalie Gam, sage-femme libérale, racontera être intervenue au domicile d’une femme enceinte qui présentait les signes d’un délire de persécution. Est-il judicieux d’évoquer les pathologies mentales dans un groupe de travail sur la déficience intellectuelle ? Faut-il une délimitation stricte de ces deux terrains, ne serait-ce que du point de vue de l’impact sur l’enfant ? Romain Dugravier, pédopsychiatre à Sainte-Anne, reconnaît être à l’aise avec la pathologie mentale, beaucoup moins avec la déficience intellectuelle. Edeline Delanaud, responsable du Service d’accompagnement à la vie sociale (SAVS) de Stains explique de son côté accompagner à la fois des adultes avec des troubles psychiques et des adultes porteurs d’une déficience. Elle établit une différence très claire dans ces 2 publics. Le handicap mental entraîne un défaut d’apprentissage alors que dans le handicap psychique l’intelligence est normale. Parfois néanmoins, prévient-elle, ces deux problématiques se croisent.

Solitude et toute puissance du médecin

Valérie Ledour rapporte ensuite l’exemple de Rose, 23 ans qui s’inscrit pleinement, cette fois, dans le sujet de la déficience. La jeune femme a fréquenté très tôt le centre de planification. Elle a une déficience intellectuelle majeure, est sous curatelle, à la limite de la désinsertion sociale. La jeune femme se retrouve parfois à la rue. Elle a subi des violences physiques et psychiques par son père, un viol à l’adolescence. Elle manifeste une grande vulnérabilité et une grande immaturité affective. Rose prend des neuroleptiques et est suivie depuis l’âge de 3 ans. Elle vient plus de 10 fois par an au centre de planification et procède à des tests de grossesse itératifs, prend une contraception mais de façon épisodique. Elle enchaîne les relations violentes. « A chaque fois qu’elle est amoureuse, elle veut faire un bébé, constate Valérie Ledour. Ca va finir par arriver. » Elle évoque le « grand sentiment de solitude qu’ont les professionnels » et ce qui lui semble constituer un grand risque : « la toute puissance du médecin qui autorise ou interdit ». « L’évaluation est soumise au bon vouloir de la patiente et de ce qu’elle nous livre. Parfois c’est très compliqué de partager les informations avec les services de psychiatrie. Il faudrait qu’on se voie. J’essaie de ne pas avoir de posture normative. On est dans la nécessité de ne pas brusquer. Nous essayons d’être dans l’écoute et la bienveillance. Nous acceptons les ambivalence, les aller-retours. »

Evaluer sans juger

Pia de Rancourt, pédiatre en maternité, prend ensuite la parole. « On est nous mêmes déficients par rapport à la déficience. Je me pose évidemment des problèmes éthiques. On peut être appelés en PMA. Que fait-on dans ces cas là ? Avec le diagnostic anténatal, ce sont souvent les généticiens et les neuropédiatres qui interviennent. On va faire comme en maternité quand on est face à un diagnostic de handicap de l’enfant. Qu’est ce qui s’est fait avant ? Quelle est l’histoire de la patiente et du conjoint ? Si la femme est multipare, où sont les enfants précédents ? Comment fait-elle à la maternité ? Comment fait-elle avec son bébé ? Où va t-elle aller ensuite ? » Elle estime qu’il faut « instituer cette mère et ce père dans leur parentalité au moins sous certains aspects ».

Elle rejoint Valérie Ledour dans son souci de bienveillance. « Il faut réussir à évaluer sans juger. Il y a beaucoup de progrès à faire car la stigmatisation est très rapide. » La pédiatre insiste sur la nécessité de réduire le stress parental. « Dans les maternités, il y a beaucoup de soins inutiles qui stressent les mères même celles qui sont sans difficulté. » Autre impératif : être le plus transparent possible, ne pas parler dans le dos des parents, « dire à la femme qui on va contacter ».
« Parfois on va parler de l’information préoccupante, en lien avec les autres professionnels ». Elle rapporte que dans le Nord, il existe neuf centres d’accompagnement pour parents déficients. « Mais ce sont des parents déficients légers, précise-t-elle. Parfois dix jours en maternité ne sont pas suffisants pour évaluer les compétences parentales. Faut-il concevoir des lieux de vie par petites unités ? Beaucoup d’enfants sont placés. Peut-on mettre en place quelqu’un qui va pouvoir seconder ce couple dans sa parentalité ? » Nathalie Gam se demande par qui sont suivies ces femmes en général et quelle peut être la place de la sage-femme libérale. Au-delà du suivi gynécologique lambda (prévention, suivi de grossesse, accompagnement à la parentalité en individuel), il lui apparaît utile de poursuivre en postnatal avec des visites à domicile. « Cela permet de voir la femme dans son contexte, de voir le couple, précise-t-elle. Il y a plusieurs situations à évaluer : le nouveau-né, la mère, le père. La mère repère-t-elle les besoins de l’enfant, sait-elle y répondre de façon adéquate ? Prend-elle soin de son corps ? Sait-elle repérer les problèmes psychiques ? Les cris du bébé sont-ils supportables ? Comment intervient le conjoint ? Quelle est la relation de couple ? »

Pour Romain Dugravier, il faut s’atteler à la question des définitions.  « Dire qu’il est rare de ne pas savoir qu’une personne est déficiente est-il si exact ? Savoir est-il un facteur de protection ou d’inquiétude ? » Il estime qu’il existe « une forme de frein, de réticence à considérer que ce sont des grossesses à risque. » Il évoque la nécessité de construire un réseau, d’en finir avec les non-dits.

Parents déficients intellectuels: des situations de plus en plus fréquentes

Edeline Delanaud, responsable du SAVS « les 3 rivières » à Stains, évoque les 10% de personnes accompagnées dans son service qui pensent à la parentalité ou sont déjà parents.
Comment se positionnent alors les intervenants auprès de ces couples ? Le travail général du SAVS consiste à être auprès de la personne dans son lien avec les institutions, d’articuler les relations avec les différents professionnels. Il s’agit d’évaluer les capacités de la personne à faire seule. « Notre action éducative vient compenser le handicap, pose-t-elle. Parfois quelqu’un doit faire à la place de. » Elle évoque trois situations de couples avec un vécu institutionnel, un handicap mental depuis l’enfance, des passages dans des circuits spécialisés (IME, Impro), qui accèdent finalement à un appartement. « Dans cette volonté d’autonomie, il y a l’envie du permis, du chien, des enfants. Les enfants ils y arrivent tout seuls. On a peu le temps de réfléchir avec eux sur le désir d’enfant. On voudrait, mais ils ne nous attendent pas. Ils sont très réceptifs aux aides apportées. Malgré ça on ne trouve pas réponses idéales. Notre volonté : leur permettre d’avoir une parentalité qui leur corresponde en s’assurant de la sécurité de l’enfant et de son bon développement. »
Or, estime Edeline Delanaud, ce travail est rendu compliqué à cause du « placement qui pèse systématiquement sur leur tête ». « Pour tout le monde, des parents handicapés mentaux avec des enfants c’est nouveau. C’est nouveau pour les ESAT qui ont du mal à aménager leur temps de travail. Ce qui a été développé précédemment l’a été autour du handicap psychique, quand on s’inquiète du développement affectif de l’enfant. Il n’y a pas de relais sur la déficience intellectuelle. » Elle assure que ces parents sont bienveillants, qu’ils aiment leur enfant. Le problème, pour elle, n’est pas là.

Quand ASE et MDPH se renvoient la balle

Edeline Delanaud insiste aussi sur le fait que ces personnes sont en couple. « Ce couple a d’autant plus de sens. Ils se complètent, ils se sont assez bien trouvés. » Mais lorsque les séjours en maternité sont longs, les pères, souvent, restent dehors. Elle raconte aussi la façon dont l’Aide sociale à l’enfance qui est très axée sur le développement affectif et propose des aides éducatives trop ponctuelles ne sait pas répondre à ces besoins, et peut prendre des décisions rapides alors qu’il faut « le temps de faire avec ». De l’autre côté les Maisons Départementales des Personnes Handicapées n’ont pas pour rôle de compenser en matière de parentalité. Ce champ ne fait pas partie des aides à domicile proposées. En résumé, « l’ASE nous renvoie vers la MDPH qui nous renvoie vers l’ASE ».

Edeline Delanaud précise que le SAVS suit actuellement trois situations où les enfants grandissent plus ou moins avec leurs parents. « On sait que ce n’est pas forcément adapté, qu’il peut y avoir des risques. Déjà pour doser le biberon, c’est compliqué. Quand on arrive à la purée c’est encore plus compliqué. Lors de toutes leurs rencontres avec les professionnels, les parents sentent qu’il ne sont pas capables, que la menace de séparation pèse. Ca les limite dans leur temps psychique. C’est une relation empreinte de menaces. Dès la grossesse la femme comprend bien que c’est risqué pour elle, qu’elle n’aura pas forcément les moyens d’être mère. On est dans la lutte. Chez eux c’est le défilé. Ils n’ont pas la liberté d’accepter ou pas la présence des ces intervenants, sinon c’est le placement. La protection de l’enfance doit être un critère prioritaire. Pour autant la santé psychique des parents ça ne serait pas du luxe. Quelle serait la situation idéale : un lieu de vie ? Une petite unité où on pourrait mutualiser l’aide humaine ? »

Laisser une chance : mais à qui ?

Cette intervention permet d’arriver au cœur du sujet et des questionnements éthiques majeurs en protection de l’enfance : l’intérêt de l’enfant, l’intérêt des parents, et ce temps qui malheureusement n’est pas le même pour les uns et les autres. Les parents fragiles ont besoin de plus de temps que les autres. Mais pour leurs enfants, trop de temps passé dans un environnement pas apte à répondre à leurs besoins fondamentaux peut avoir de lourdes conséquences sur leur développement ultérieur.
Romain Dugravier, qui connaît bien ces questions, rebondit sur l’intervention d’Edeline Delanaud. Il reconnaît d’abord être bien plus démuni face à la déficience intellectuelle qu’avec le handicap psychique. « « Aimer les enfants : les malades psychiques eux aussi aiment leurs enfants, rappelle-t-il. Mais ce n’est pas qu’une question de compensation. Au delà du désir d’enfant, quelle est leur capacité à penser à l’enfant ? C’est ce point là qui est commun au handicap psychique et au handicap mental. Le trouble psychique n’est pas un empêchement à mener une parentalité mais c’est une parentalité particulière qu’il faut anticiper. »
Edeline Delanaud l’assure :  « La relation est bonne ». « Qu’est ce qu’une relation bonne ? » interroge le pédopsychiatre. Henri Cohen intervient : « Ces parents sont bienveillants, non violents, non traumatisants ». « C’est plus complexe, nuance Edeline. Un parent peut être capable de casser le bras de l’enfant sans s’en rendre compte. » Valérie Ledour lâche de son côté : « Je suis dans l’obsession de la sécurité de l’enfant. Mais on n’accepte pas de prendre le risque et de laisser une chance ».

Mais laisser une chance à qui exactement ? Car qu’on le veuille ou non, même si nombre de professionnels en protection de l’enfance clament qu’il faut cesser d’opposer intérêt de l’enfant et intérêt des parents, on en revient quand même toujours à cette question. Prendre un risque, laisser du temps, laisser une chance : avec quelles conséquences pour un très jeune enfant dont on sait que les premières années sont cruciales (pas irréversibles, mais cruciales) ? Marc Dommergues le pointe : « Qu’est ce que ça veut dire pour un enfant d’être élevé par des parents déficients ? La sécurité est un vrai enjeu. »
Dans la salle, un médecin interroge : « Peut-on envisager une transmission des informations avec l’accord du parent ? Avoir un retour des services psy auxquels on adresse les patients c’est capital. »
« C’est très dépendant de la personnalité du psychiatre, répond Marc Dommergues. Certains opposent un « Nous ne dirons rien ». »

Virginie Capitaine, médecin auprès de l’ASE de Paris, rappelle dans un premier temps les textes de loi. Notamment les obligations parentales dans le cadre de l’autorité parentale : protéger l’enfant en matière de santé, de sécurité, et de moralité et permettre son développement dans le respect dû à sa personne. « Nous intervenons dans des cas précis. Nous sommes là pour faire de l’assistance éducative. Par définition, c’est temporaire. » Le médecin rappelle l’obligation légale de « prendre en compte les besoins fondamentaux de l’enfant» et d’en faire un critère de décision. « Les parents sont vus comme une ressource mobilisable, ils ont des responsabilités et des ressources éducatives. »
Elle précise également qu’une information préoccupante ne revient pas à « déclencher une guerre atomique ». L’évaluation doit permettre d’apprécier le risque de danger ou le danger et de chercher les « capacités des titulaires de l’autorité parentale et les aides et soutiens mobilisables ».
Elle constate recevoir beaucoup plus de dossiers psychiatriques que de déficience intellectuelle.

Où, comment, et sur quel laps de temps évaluer les compétences parentales ?

Nelly Korchi-Valentin, psychologue au sein du service de gynécologie-obstétrique de la Pitié Salpêtrière propose de « prendre la personne et le couple dans sa globalité » et insiste sur l’évaluation et le repérage de ces couples en maternité. « Il faut qu’on soit en toute transparence. Il faudrait cibler que pour tel couple, telle famille il y a besoin de telle action. » Tâche rendue délicate par le fait que ces femmes « peuvent passer inaperçues, ont peur, sont très parasitées l’idée qu’on va leur prendre leur bébé. » Elle estime que de toute façon « on n’a pas grand chose à leur proposer ».
« On doit penser en terme de famille, poursuit-elle. On a des parents qui aiment leurs enfants, qui s’en occupent relativement bien. A un moment donné, c’est l’accident. Il faut essayer de compenser. C’est ça qui est compliqué. »
Romain Dugravier estime qu’« on donne trop de valeurs à la question de l’évaluation en suite de couche.» «Il est illusoire de croire qu’on va mesurer l’aptitude des personnes à s’occuper d’un enfant en post partum. Ca doit commencer en prénatal. »
Henri Cohen se demande quel peut être le rôle des grands parents. « Ils ne sont pas forcément aidants », répond Edeline Delanaud. Pour Pia de Rancourt, « il y a des grands parents qui peuvent être délétères, d’autres soutenants. L’enfant, lui, peut très vite devenir plus apte que ses parents, peut être perçu comme l’enfant persécuteur. »
Nelly Korchia-Valentin propose de « travailler avec chaque famille, voir les points d’appui possibles ». « Parfois il y a déjà des conflits entre la mère et ses propres parents. Et le diagnostic ne doit pas s’arrêter à « elle est bien, elle aime son enfant, elle a voulu son enfant ».

Edith Thoueille, fondatrice du premier Service d’accompagnement à la parentalité pour les personnes en situation de handicap (SAPPH), estime de son côté que la maternité ne doit pas être le seul lieu d’évaluation. Il existe d’autres lieux en amont. « Ces parents ne gèrent pas le temps comme nous, précise-t-elle. Si on évalue en regardant comment ils changent la couche ça ne va pas aller. Il n’y a pas qu’une façon de faire de la puériculture. Il existe plusieurs techniques. » (Lire aussi notre article sur l’intervention d’Edith Thoueille et de Nathalie Gam lors d’un atelier de sensibilisation auprès de jeunes femmes malvoyantes) Elle insiste : « On ne vend pas que du rêve. Depuis 1987 on a renvoyé des parents chez eux sans signalement, sans information préoccupante, les enfants devenus adultes vont bien. La notion du temps est importante. S’il faut 4 heures pour montrer comment on donne le bain, on prend 4 heures. » Elle précise :
« On a eu une maman très déficiente. On a pu travailler la séparation. Je suis attachementiste. On a évité le passage direct par pouponnière. L’enfant est allé dans une famille d’accueil. »

Témoignage d’une militante associative, mère d’une fille adulte handicapée

Danielle Depaux, Présidente de l’UNAPEI-IDF, administratrice de l’union nationale, présidente de la commission vie sociale et mère d’une jeune femme handicapée aujourd’hui décédée, prend ensuite la parole. « Pour nous parents ce qui compte c’est l’épanouissement de notre enfant. Laisser à la personne de plus en plus d’autonomie, de libre arbitre, l’associer aux décisions qui la concernent en s’adaptant à son degré de handicap. L’accompagnement de nos enfants dure toute la vie. La compensation passe par tout un tas de dispositifs juridiques, financiers mais c’est avant tout humain. La prothèse, c’est tenir la main de la personne et lui parler. Ca peut aller jusqu’à l’assistance sexuelle. » Elle le dit sans ambages : « Nous aimerions que la parentalité ne leur soit pas confisquée. » Et de poursuivre : « Il y a 20 ans nous ne nous serions pas concertés sur la question. On acceptait les femmes en institution qu’à condition qu’elles soient stériles, les parents étaient d’accord. La Convention des Nations Unies nous a un peu secoués. » Après ces propos introductifs, elle s’adresse plus précisément aux professionnels présents : « Même si vous avez des difficultés entre acteurs, vous êtes prêts à communiquer entre vous. Il faut réévaluer les nomenclatures pour les actes médicaux qui prennent plus de temps avec une personne handicapée mentale. Je n’aime pas le terme « déficience intellectuelle ». Je préfère « déficience cognitive ». Pour certains malades psychiques la maladie est tellement invalidante que ça freine leur intelligence. L’accompagnement passe par une formation à la compréhension de la personne. Il existe des petites ficelles. Si vous produisez des supports d’information, des sites d’information, utilisez le « facile à lire et à comprendre ». Avec le handicap cognitif il faut éviter d’avoir un langage hermétique. »

Danielle Depaux poursuit en livrant un témoignage plus personnel. Elle parle de sa fille, Armelle, « un très beau bébé désiré ». A 6 mois un virus s’est fixé sur le cervelet. D’où le handicap mental survenu par la suite. « Si elle était née dans un village africain, elle se serait mariée et aurait eu des enfants, assure Danielle Depaux. Mais en France, elle est en situation de handicap mental. »
Armelle avait un petit ami autiste. Elle était amoureuse. A 25 ans elle a eu un désir d’enfant. Mais y a renoncé. « Ma fille s’est auto interdit la parentalité. Elle s’est dit : « Je veux un bébé mais je ne pourrais pas. S’il est malade je ne pourrais pas comprendre ce que dit le médecin. » Nous sommes tellement dans l’écrit, la lecture. Du coup, on se dit que « si on ne sait pas lire, on ne peut pas avoir en charge un enfant». Elle a fait une grave dépression. A 30 ans, elle a fait un arrêt cardiaque dans son sommeil. A ce moment là il n’y avait pas des gens comme vous pour dire « il faudrait des petites unités ». »

Des situations parfois très difficiles à vivre pour les équipes

Isabelle Marey, généticienne à La Pitié salpêtrière et à l’Institut Jérôme Lejeune, propose ensuite une définition de la déficience intellectuelle à partir de trois critères :
– Limitation significative du fonctionnement intellectuel (moins de 70) : raisonnement, mémoire de travail, vitesse de traitement, langage
– Limitation dans au moins deux domaines du fonctionnement adaptatif (communication, soins personnels, compétences domestiques, habiletés sociales, autonomie, santé et sécurité, loisir et travail…)
– Age d’apparition avant 18 ans

Isabelle Marey explique « faire du diagnostic et du suivi ». Elle s’occupe d’adolescents, de jeunes adultes et adultes. La parentalité est une question « très fréquente ». Elle évoque un cas rencontré. Une femme de 35 ans, porteuse d’une maladie génétique compliquée, avec une déficience intellectuelle légère, une épilepsie, d’origine algérienne, mariée à un homme jamais vu par la généticiennce. Comment expliquer à cette femme le risque de transmission, sachant qu’avec la même anomalie, les pathologies qui apparaîtront peuvent être très graves ou pas. Pour éviter le risque de transmission, il faut passer par le diagnostic prénatal ou préimplantatoire. A ce stade des explications, Isabelle Marey explique avoir « perdu » la patiente. « Pour les examens de génétique il faut un consentement. C’est la femme enceinte qui signe. Mais qui signe quand la femme est sous tutelle ? Vers qui l’orienter ? On regarde les éléments facilitateurs, les facteurs environnementaux, les facteurs personnels. » Elle insiste : dans cette histoire, elle n’a jamais vu le père. Mais elle a reçu les parents de cette femme. Lesquels expliquent : « nous on est algériens, notre fille doit avoir des enfants. Ce n’est pas elle qui les élèvera, c’est nous. » Un suivi médical dans une équipe pluridisciplinaire est mis en place. Mais la famille refuse la prise en charge psychologique. La patiente doit être hospitalisée à deux reprises à cause de l’arrêt de la depakine. L’équipe finit par estimer que le projet d’enfant est déraisonnable et explique à la famille ne pas soutenir le projet. S’ensuit alors une rupture de suivi. « La patiente n’a pas compris. Notre suivi n’a pas été satisfaisant. »

Isabelle Marey propose une deuxième illustration. Madame B a une déficience intellectuelle légère et un problème de marche qui nécessitera rapidement un fauteuil roulant. La maladie est bien connue. Madame B est enceinte, elle est très inquiète du risque de transmission à l’enfant. L’équipe ne partage pas cette inquiétude. En revanche, la déficience intellectuelle se révèle beaucoup plus sévère que ce qu’avait estimé l’équipe initialement. Une consultation avec le pédiatre de la neonatologie est mise en place. Mais a patiente vient à un rendez-vous sur deux. Le suivi de grossesse est chaotique. Madame B ne parle plus à sa famille, elle vit seule dans son appartement.
L’équipe propose une hospitalisation à domicile, un suivi par la PMI et l’aide sociale à l’enfance, une assistante maternelle. Lorsque le bébé a quatre mois, Madame B appelle le service. Elle explique que l’enfant convulse depuis 2 jours. On lui répond d’aller immédiatement aux urgences. Elle ne s’y rendra pas, ne va pas au rendez-vous fixé par l’équipe. Mais elle verra le pédiatre de la PMI. Le bébé ne convulsait pas, il avait un reflux. Heureusement. Mais évidemment, les réactions inadaptées face à une urgence supposée et la non présentation aux rendez-vous fixés inquiètent l’équipe. Une information préoccupante est effectuée, l’enquête est en cours et le placement de l’enfant est en discussion.

Dernier exemple : madame J. Il s’agit d’une jeune fille de 19 ans avec des troubles du comportement, une déshinibition et une déficience intellectuelle. Elle est enceinte mais le père demande une IVG qu’elle refuse. Finalement elle n’aura pas cet enfant. Isabelle Marey livre son malaise face à ces situations : « Pour moi il existe un gros décalage entre le fait de pousser une personne déficiente dans son autonomie et le fait que la définition de la déficience inclut une difficulté dans la communication. On veut les aider, mais il y a des limitations. Ces situations sont parfois violentes, difficiles. La grossesse, la parentalité, ça se travaille bien avant. Nous sommes toujours dans l’ambivalence. OK, ils travaillent, c’est super, ils sont en couple, c’est super. Et puis pouf, la parentalité arrive et on se dit « c’est compliqué » ».
Pour Romain Dugravier, il faut se mettre d’accord sur la définition de l’autonomie. « L’autonomie, ce n’est pas l’indépendance, ce n’est pas tout faire tout seul. »

Ce que dit le droit

Nathalie Rouquette, juriste, revient sur la tension entre « le droit reconnu aux personnes handicapées et le droit reconnu à l’enfant ». Y-a-t-il conflit, conciliation possible ? Ce sont des situations de plus en plus fréquentes assure-t-elle. Les texte de 1975 puis de 2002 rénovent l’action sociale et medico-sociale pour promouvoir les droits des personnes handicapées considérées comme des usagers. La loi du 5 mars 2007 propose une protection juridique des majeures. La personne sous curatelle n’est plus un incapable majeur mais une personne protégée. La loi du 11 février 2005 permet la reconnaissance individuelle. En parallèle de ces processus législatifs la désinstitutionnalisation s’est accentuée. Les personnes handicapées adoptent les normes dominantes de vie de cette société. Quel est donc leur droit à la vie amoureuse et sexuelle ? Il ne s’agit pas d’un droit expressément reconnu dans le droit français mais il est évoqué dans le droit européen. En France il existe une protection du domicile, de la correspondance, de l’image. Des textes spécifiques garantissent le respect de la vie privée pour les personnes accompagnées dans les institutions. Au-delà du droit il y a les libertés.

La liberté individuelle et le libre consentement deviennent les seuls déterminants. La parentalité s’inscrit dans le droit de donner la vie comme une composante du droit à la vie privée. Nathalie Rouquette pose qu’il existe « une situation de mise en tension des différentes règles de droit. » « La situation de vulnérabilité de la personne handicapée nous amène à nous interroger sur le respect de l’intérêt de chacun. Quand l’exercice de la parentalité est altéré se pose la question de la garde de l’enfant. Dans la majorité des cas on maintient l’autorité parentale, et une réponse graduée est proposée quand le juge intervient. Il ne s’agit pas d’une impasse mais de tensions. Nous sommes dans des excès, soit de protection, soit d’accès au droit. L’exercice du droit à la parentalité débouche sur des situations complexes qui nécessitent la construction d’un accompagnement pluridisciplinaire. »

Agir le plus en amont possible pour ne pas avoir à répondre dans l’urgence

Dans le public une question fuse : Concernant l’évaluation du danger, du risque, quelle représentation a-t-on quand on est professionnel de l’ASE ?  Virginie Capitaine répond : « On est sur une loi qui définit des besoins fondamentaux. La subjectivité, on est au cœur de ça. Je me mets du côté du droit de la personne handicapée ou du côté du droit de l’enfant ? Là, il faut en effet des équipes pluridisciplinaires. Si on n’a que des travailleurs sociaux, on manque une dimension, si on n’a que des médicaux, on manque une dimension. Mais à un moment, on fait un choix. Nous avons a eu une intervention pour récupérer un bébé de un mois au domicile car le père était très violent. Le bébé était déjà en grande souffrance. Il y a avait déjà une information préoccupante au lendemain de la sortie de maternité. »
Pour Romain Dugravier, «Il y a des éléments objectifs qu’on peut recueillir et il faut quand même que quelqu’un soit dans le registre de l’étiquette. »

Autre réaction dans la salle : « Il faut mobiliser les capacités d’auto évaluation de la personne elle-même : « je me sens compétente en ça », « pas compétente en ça ». Le droit de l’enfant n’est pas forcément la mise en accusation du parent. » Isabelle Marey réagit : « Mais verbaliser ses compétences c’est compliqué pour ces patients. Surtout qu’ils subissent une dévalorisation quotidienne depuis l’enfance. Bien sûr qu’on les associe, sauf qu’en pratique c’est très compliqué. Ce sont des terrains tellement fragiles. »
Un autre participant rebondit : « On ne peut pas éviter cette souffrance, mais on peut accompagner la personne vers le renoncement. Elle aura peut-être à en faire le deuil, elle voudra juste exprimer le désir. Il y a un travail à faire avant. L’auto évaluation se travaille avant la grossesse. »
C’est vrai, mais comme l’observe Isabelle Marey, « nous on est dans des situations de bout de course, catastrophiques, qui se passent assez mal. » « Le facteur temps, nous, on ne l’a pas. »
« Le manque de temps fait partie de l’évaluation, remarque Romain Dugravier. Si on n’a pas le temps alors c’est qu’on est dans le dialogue avec l’ASE. On travaille l’accueil provisoire. Laisser l’enfant partir en pouponnière peut être une chance laissée aux adultes ».
Virginie Capitaine plaide pour l’entretien prénatal précoce  car « plus on anticipe moins on doit agir dans l’urgence ». Elle remarque aussi que malheureusement il existe très peu de centres parentaux pouvant accueillir père et mère. Normal, pointe Romain Dugravier, « on ne s’intéresse aux pères que quand on est inquiet avec la mère ».
Pour Edith Thoueille, « si on travaille sur le projet de vie, qu’on ne l’évacue pas, on peut accompagner vers le renoncement ». « Il ne faut pas parler d’un droit de créance mais plutôt de l’idée de mener une étude de faisabilité, estime Nathalie Rouquette. Ne pas interdire par principe mais ne pas autoriser par principe. »

Une aide spécifique à la parentalité des personnes handicapées : l’expérience de l’Ille et Vilaine

La juriste fait référence à un rapport de l’IGAS produit à la demande du Ministère affaires sociales, qui préconisait d’étudier une aide à la parentalité pour les handicapés. Le Département d’ille et Vilaine est évoqué dans ce rapport parce qu’il a mis en place un dispositif de ce type. Le rapport de l’IGAS propose de se calquer sur ce département. Seul souci : en l’état actuel, seules les personnes éligibles à la Prestation de Compensation du Handicap peuvent bénéficier de ce service. Or, précise Nathalie Rouquette, dans le cadre de la déficience intellectuelle, ce n’est pas si simple : la moitié de cette population n’a pas accès à la PCH. En tous cas, lorsque les parents peuvent rentrer dans ce dispositif proposé par l’Ille et Vilaine, voici à quoi ils ont droit : pour les 0-3 ans, 5 heures par jour et pour les 3-7 ans, 2 heures par jour. Ce qui induit inévitablement une interrogation sur le maintien de l’aide après les 7 ans de l’enfant. « L’IGAS recommande de privilégier la petite enfance pour des raisons de coût, explique Nathalie Rouquette. Pour la déficience intellectuelle il faudrait continuer au-delà. Il devrait exister une possibilité de modularité selon le type de handicap. »

Pour les intervenants à domicile, le rapport préconise de recruter des éducateurs spécialisés, ce qui est moins coûteux qu’une Technicienne de l’intervention sociale et familiale. Autre préconisation : une clarification des rôles et des statuts des SAVS et SAPPH. Et que l’aide à la parentalité ne vienne pas se substituer à ce qui a été mis en place.

L’alliance de la psychiatrie adulte et infantile pour mieux accompagner les femmes enceintes : l’exemple de la CICO à Sainte-Anne

Romain Dugravier et Marie-Noëlle Vacheron, psychiatre pour adultes à Sainte-Anne, se livrent à une présentation conjointe de la Consultation d’Information, de Conseils et d’Orientation (CICO) proposée à l’hôpital Sainte-Anne aux femmes suivies pour troubles psychiques, enceintes ou présentant un désir d’enfant. Ces patientes sont adressées par les gynécologues, psychologues, les PMI. Il s’agit de « construire un réseau autour de ces femmes et/ou du couple » et de faire travailler
les psychiatres pour adulte et les pédopsychiatres. Pourquoi cette complémentarité est-elle nécessaire ? « Quand on reçoit une maman avec des troubles psychiques, on est très angoissés par l’enfant, les patientes s’en rendent compte, ou alors on est très directifs, pose Marie-Noëlle Vacheron. Soit on pense que la femme va être sauvée par enfant. Là le psy adulte se focalise sur l’adulte et le pedopsy voit le bébé. »
Les deux médecins partent des réalités du terrain : de plus en plus de patientes ont un désir d’enfant. La maladie psychique est source de handicap. On ne peut pas nier que la parentalité sera complexe et à risque. « On a eu beaucoup d’échec, de placements, notent-ils. On a réfléchi à la réponse la plus adaptée possible. Il faut rassurer les partenaires autour de ces femmes car elles inquiètent tout le monde. Or, peut être que c’est la façon d’être avec cette personne qui peut diminuer les difficultés. »
Pour Romain Dugravier « la prise en charge est très aléatoire, elle dépend du niveau de connaissance des professionnels. » « Parfois les choix délétères sont très délétères (espacement des consultations, changement de traitement) ».
Le CICO a débuté en 2008 avec une à trois consultations en prénatal et post natal. L’idée est notamment de réfléchir avec la femme à ce que représente ce désir d’enfant. Ce qui peut éventuellement permettre à la femme de différer le projet. « Mais nous ne sommes pas là pour dire oui ou non, assure Marie-Noëlle Vacheron. Plutôt pour l’amener à réfléchir sur la façon dont elle se voit en mère. On préconise un suivi en anténatal avec le pédopsychiatre. »
Pour Romain Dugravier, il s’agit de trouver des ressources et d’éviter d’être dans l’après-coup. Deux tiers des femmes viennent avec un projet d’enfant, un tiers sont enceintes.

Les consultations durent une heure et demi. Les patientes ont d’abord un rendez-vous téléphonique avec une infirmière en psychiatrie adulte. Lorsqu’elles sont reçues, leur pathologie est évaluée, ainsi que leu connaissance de la maladie, leur traitement, où elles en sont dans leur parcours biographique. Peu à peu l’échange s’achemine vers le projet de grossesse. Il s’agit d’une consultation semi directive, le clinicien laisse la personne s’exprimer de façon souple. Il arrive qu’elles se soient auto-inséminées avec du sperme acheté sur internet. « Nous faisons des métiers différents et être à deux est important, explique Romain Dugravier. Ca tranquillise. Je suis libéré des questions que je ne connais pas. Il est rare que les psychiatres d’adultes se préoccupent de la parentalité de leurs patients. On n’a pas toujours le même point de vue. Je peux assumer des situations que je n’aurais pas assumées avant. » Des soins de liaison sont effectués au chevet des patientes en crise aiguë à l’hôpital. L’accent est mis auprès de la patiente sur le suivi psychiatrique, la PMI, le choix de la maternité. Les comptes-rendus sont rédigés à deux.

Dans le service de soins en périnatalité de l’hôpital du Vésinet, 10 patientes déficientes intellectuelles chaque année

Micheline Blazy, gynécologue-obstétricien, présente ensuite le service polyvalent de soins en périnatalité qu’elle dirige à l’hôpital du Vésinet. « Nous ne sommes pas une maternité, pas un centre maternel, pas une unité psychiatrique mère bébé mais bien un service polyvalent dans un hôpital public » précise-t-elle. L’équipe est pluridisciplinaire avec un secteur en prénatal et un secteur postnatal, pour un travail interdisciplinaire (sanitaire, social et psy, en réseau). Le service répond au plan périnatalité et à la circulaire Molénat. L’attention est portée sur les facteurs de vulnérabilité pouvant retentir sur les relations précoces mère-enfant. La déficience mentale concerne 10 patientes par an et un tiers des pathologies sont psychiatriques. La maladie somatique et le handicap maternel représentent 33% des situations. La pathologie ou le handicap du nouveau né 20%. Il y a souvent un cumul entre la pathologie psychiatrique et l’addiction. 8 à 10 séparations mère/enfant sont effectuées chaque année. La déficience mentale est parfois associée à un handicap moteur ou sensoriel, et/ou à une dysharmonie d’évolution.

Le médecin énumère les autres facteurs de stress : migration, isolement affectif, troubles de l’attachement, grande pauvreté, grossesses non désirées, déniées, délai d’IVG dépassé. Elle liste les facteurs de bon pronostic : l’étayage familial, le conjoint complémentaire dans la parentalité, l’existence d’un logement, l’existence d’une préoccupation maternelle primaire, un bébé sans signe de souffrance majeure, une bonne compliance, une bonne alliance. L’objectif est multiple : soutenir et soigner la mère, le bébé, la relation mère-bébé, inclure le père quand il est présent (mais c’est rare), évaluer le risque ultérieur de maltraitance ou de négligence grave. Les outils sont variés : le repérage très précoce (pas facile), un traitement adapté à la grossesse, une préparation à la naissance et à la contraception, un accompagnement psychique orienté vers la parentalité, un soutien bienveillant des soignants, l’observation du nouveau-né (Loczy, Esther Bick), l’enregistrement vidéo des interactions mère-enfant.

Micheline Blazy livre deux exemples. Le premier est celui de Salima, 27 ans, déficience intellectuelle, avec une cataracte congénitale. La jeune femme a été placée à 12 ans car la maman était « déficitaire ».
Le papa du bébé est présent et volontaire mais le couple n’existe pas vraiment, l’homme est impulsif, colérique, il n’a pas accepté le placement. A noter aussi, une absence de logement. Le bébé est tout à fait dans la relation mais se met en arc de cercle et tète sa langue. La maman est « époustouflée » d’avoir fabriqué un aussi beau bébé mais se révèle en désarroi total dès qu’il pleure, ou alors hausse le ton en le grondant. Les soins ont été de moins en moins fréquents. Le placement a été facile à travailler. Une famille d’accueil a été trouvée à côté de l’Esat. Un hôtel social a également été trouvé dans le même secteur. Une possibilité souple de visite est mise en place.

Deuxième illustration : Suzanne, 28 ans, attend un premier bébé désiré avec un homme de 52 ans.
Les deux parents sont déficients intellectuels. La mère a caché sa grossesse jusqu’à terme. Elle est arrivée aux urgences avec un placenta praevia. A la naissance le bébé présente une petite faiblesse respiratoire. Les professionnels ont eu peur de cette grossesse non suivie. Le bébé est allé en pouponnière. Le couple arrive dans le service aux deux mois de l’enfant. En néonatologie les parents étaient venus donner des soins mais en pouponnière ils n’ont droit qu’à des visites restreintes. « Ce bébé nous a beaucoup inquiétés à son arrivée, explique Micheline Blazy. La première fois que je l’ai vu j’ai cru qu’il était mort. Il était affaissé, pâle, le regard vide. En quelques jours cet enfant a été réanimé par les soins de sa mère. » Des sorties à domicile séquentielles sont organisées en semaine avec des travailleurs de la PMI et des TISF. L’ordonnance de placement provisoire est finalement levée. Au six mois de l’enfant la mère a pu le prendre en charge avec un accueil en crèche à mi temps pour favoriser l’éveil de l’enfant.

Information, sensibilisation et prévention sur la sexualité et la vie intime

Autre dispositif présenté : le service d’accompagnement médico-social pour adultes en situation de handicap mental et le SAVS du centre de La Gabrielle à Claye-Souilly en Seine-et-Marne.
Stéphanie Soulié, Directrice adjointe du secteur adulte et vie sociale, rappelle que le centre accompagne des personnes qui vivent à domicile dans leur propre appartement. Certaines sont mariées avec des enfants. « On s’est trouvés confrontés à des situations un peu complexes qui faisaient émerger beaucoup d’angoisses chez les professionnels. »
Un plan de formation a été proposé, axé sur la déclinaison de la parentalité formalisée par Didier Houzel (expérience de la parentalité, exercice de la parentalité, pratique de la parentalité). « Ca a interrogé les professionnels, explique Stéphanie Soulié. Nous sommes allés sur le registre que nous connaissons bien, le droit : « oui vous avez autorité parentale qui vous donne le droit d’exercer quelque chose ». Ca a éclairé des champs de possible. Notre rôle est de les accompagner à pouvoir exercer leurs droits. Il s’agit aussi d’essayer de déterminer les capacités d’attachement des personnes. »
Les personnes sont aussi amenées à identifier leurs propres représentations. Stéphanie Soulié explique qu’un temps de parole a été donné afin de leur permettre de déterminer leurs propres besoins, dire ce que représente pour eux le fait d’être parents. Mais lors de ces séances « ils ne parlaient pas de parentalité, mais parlaient de couple, de solitude, de leurs neveux. Après on a davantage ciblé sur la vie affective. » (voir à ce sujet notre article sur un groupe de parole au sein d’un SAVS). Jennifer Fournier, professeur associée Haute école de travail social et de la santé, raconte de son côté avoir mené un projet intitulé « mes amours » sur la possibilité pour les personnes handicapées de former d’autres personnes sur la sexualité.

Jean-Luc Letellier, Président du CRéDAVIS ( Centre de recherche et d’études pour le droit et l’accès à la vie sexuelle ) estime qu’ on est passé « de l’interdiction, du tabou à « on doit absolument s’occuper de la sexualité des handicapés». Il pointe également qu’il faut prendre en compte dans les réflexions le fait que les enfants de personnes porteuses de handicap sont souvent plus « matures ».
Ce qui fait réagir dans l’assistance. « Que les enfants aient une position hyper mature avec leurs parents, oui, mais on ne sait pas forcément à quel prix, objecte par exemple Romain Dugravier. Un enfant confronté à des parents avec des vulnérabilités a besoin d’être lui aussi protégé. Le risque parfois c’est qu’on puisse dire « il est très doué, très mature ». Mais il ne faut pas négliger que ce n’est qu’un enfant. » Une autre participante estime qu’il ne faut pas «confondre l’adaptation du bébé avec maturité ».

L’étude HandiGynéco pour identifier les besoins et recenser l’offre de soins

Delphine Giraud, sage-femme à la Pitié salpêtrière propose un retour d’expérience d’un atelier réalisé dans un SAVS du 19ème arrondissement de Paris avec des femmes séropositives. Puis Catherine Rey-Quinio, Conseiller médical du Pôle médico-social de l’Agence Régionale de Santé, présente l’étude handiGynéco lancée pour recenser l’offre de soins dédiés aux soins gynécologiques des femmes en situation de handicap. Il s’agissait d’abord d’identifier les besoins pour développer un axe prévention, dépistage, soins, conseils. 1000 femmes ont répondu au questionnaire. 58% ont un suivi gynécologique régulier, 26% n’ont jamais eu de frottis, 86% n’ont jamais fait de mammographie, 85% n’ont pas de difficulté d’accès à la contraception. Une grossesse est survenue chez 310 femmes, essentiellement concernées par un handicap moteur. L’étude fait ressortir un problème de communication et un manque de formation du personnel. Frédérique Perrotte, du RSPP, préconise « un maillage gradué selon le handicap ». Elle évoque des « freins multiples », freins de la famille, des professionnels, de la personne elle-même. Catherine Rey Quinio parle d’ un « manque d’accès par renoncement ». Pour Marc Dommergues, il existe « de grandes différences entre la cadre sup qui a eu une rupture de la moëlle épinière mais qui conserve un bon tonus et la femme qui est tétraplégique avec une myopathie et a un respirateur, ou celle qui présente une déficience cognitive. » « Il est compliqué de mettre tout le monde dans le même sac ».

Jennifer Fournier estime que « parler de handicap est une erreur ». « On parle de déficience. Les gens dont la déficience est compensée ne sont pas en situation de handicap. Il y a des professionnels qui agissent autour de la déficience. Il faut aussi agir sur les environnements. C’est l’environnement qui fait le handicap. »
Marc Dommergues, lui, se demande sur ce qu’il est possible de faire en amont de la grossesse, quand le désir d’enfant n’est peut-être même pas là. C’est le premier type d’actions possibles : l’information des personnes avec des ateliers animés par des somaticiens et professionnels du psychisme, dans des lieux de vie collectifs (SAVS, ESAT), lors de consultations spécialisées ou de consultations avancées. « C’est après l’accouchement que les ennuis commencent, résume le médecin. Après la naissance c’est une illusion  de penser qu’ en 3 jours on va faire un pronostic. Il faut porter l’attention sur une parentalité qui ne sera pas classique. En unité mère-bébé on va rechigner à prendre ces mères car ça va mal se finir, le risque de placement est grand. » « Mais le placement n’est pas forcément une mauvaise fin », commente Micheline Blazy. C’est la question de la parentalité d’accueil qui très vite se pose.

Romain Dugravier s’interroge sur la nécessité de créer de nouveaux lieux. « Je suis partagé sur cette histoire du lieu. Je pense qu’il vaut mieux renforcer offre ambulatoire. » « Il faut une palette suffisamment large pour pouvoir aller piocher selon situations », propose Stéphanie Soulié.
Dans la salle, un médecin généraliste prend la parole : « C’est un peu notre boulot d’orienter, d’avoir une vision générale sur la famille. Il faut nous intégrer dans les réseaux. Il faut une culture de travail en commun. Les étudiants qui sortent de fac ont cette culture de la pluridisciplinarité. » « C’est vrai que ça a bien fonctionné avec les maladies chroniques, reconnaît Marc Dommergues. Mais moins moins quand on parle de parentalité. Les généralistes sont quand même très sollicités. » « Oui mais de toute façon, nous les voyons déjà ces personnes ! » argue son confrère. Pour Henri Cohen,  « c’est le travail du réseau d’identifier les circuits ».

Beaucoup de questions, des incertitudes, des dilemmes éthiques : cette journée dédiée à la parentalité des personnes en situation de déficience intellectuelle montre la complexité du sujet et l’impossibilité de dégager des réponses tranchées. Ce n’est pas étonnant dans la mesure où cette complexité et cette absence de certitude ressort également des publications scientifiques sur le sujet. Nous vous en proposons un bref passage en revue dans un article complémentaire.