Le thème de cette nouvelle revue de littérature de la Early Intervention Foundation nous a semblé particulièrement pertinent puisqu’il constitue une antienne dans le discours et les pratiques des acteurs du champ psycho-social : comment amener les parents défavorisés ou vulnérables à s’engager dans des actions de soutien à la parentalité ou de réduction des conflits conjugaux ?

Intitulé “Engager les parents vulnérables et désavantagés”, Ce rapport de la EIF pose en introduction que recourir à des services de soutien parental ou conjugal ne va pas de soi et que les barrières sont autant d’ordre émotionnel que logistique : absence de connaissance des offres existantes, manque de reconnaissance du besoin (et association faite entre le la recherche de soutien et un échec personnel), problème d’accessibilité en terme de temps, de coûts et de lieu. Autres freins cités : l’idée que les relations familiales, et notamment conjugales, seraient privées et ne pourraient relever d’une aide extérieure, et le fait que les couples ne sont enclins à rechercher de l’aide que lorsque la crise est déjà bien installée.

Précision utile : les auteurs entendent par groupes « vulnérables » moins susceptibles de solliciter des interventions extérieures les parents défavorisés, les minorités ethniques, les hommes, les familles avec de jeunes enfants, les parents LGBTQ et les adultes avec des troubles psychiques. Ces groupes de population peuvent se sentir sous représentés dans des offres de services qu’ils perçoivent comme peu adaptées à leurs besoins très spécifiques. Ils ne s’y sentent pas les bienvenus et les freins communs à l’ensemble de la population (manque de conscientisation du problème, accessibilité et acceptabilité limitées) peuvent les affecter de façon disproportionnée.

Les couples considérés comme plus à risque de « difficulté relationnelle » en raison de variables socio démographiques (âge, niveau d’éducation et de revenus, difficultés financières et détresse psychologique) tendent à être sous représentés et moins engagés dans les services de soutien conjugal. Les individus  ayant fait l’expérience des violences domestiques – le rapport ne précise pas ici s’il englobe les auteurs comme les victimes- ont tendance à être plus réticents à solliciter de l’aide, en raison « du risque, de la peur, de la honte et de l’adhésion à des normes religieuses, sociales et culturelles ».

Les freins qui éloignent les populations vulnérables des services proposés

Les auteurs expliquent et étayent les freins relevés pour chaque catégorie de familles « vulnérables ». La littérature montre ainsi de façon assez claire qu’en ce qui concerne le critère du statut socio-économique, les parents de milieu défavorisé sont moins enclins à connaître et à faire appel à ces services de soutien parental ou de thérapie de couple, qui ne constituent pas une solution évidente au sein de leur cercle social. Même lorsqu’ils y ont accès, les couples et parents des classes populaires adhèrent de toute façon moins à ces programmes, pas pensés pour eux. De précédentes études ont mis en évidence que c’est la combinaison d’un faible niveau d’éducation et de bas revenus qui explique la moindre assiduité aux programmes.

Pour expliquer ce moindre investissement, la recherche met en avant le sentiment d’isolement social, les difficultés de lecture et de langue. Sans compter le frein financier, évidemment, lorsque le service proposé est payant.

Concernant les minorités ethniques, certaines barrière sont identiques à celles rencontrées par les familles défavorisées puisque ces deux sous-ensembles se recoupent souvent largement. Le rapport relève qu’il peut être encore plus difficile d’atteindre ces couples et parents d’origine étrangère en raison de normes culturelles spécifiques non prises en compte par des offres de soutien généralistes pensées pour des populations blanches occidentales. On comprend aisément que des différences culturelles empêchent l’adhésion des populations issues de ces minorités et qu’il faille donc réfléchir à la façon dont le soutien proposé peut être culturellement adapté. Mais les auteurs, peut-être parce qu’ils sont anglo-saxons et sont donc imprégnés d’une conception multiculturaliste de la société, ne mènent pas la réflexion jusqu’au bout. Dans une société donnée (ici les sociétés occidentales), jusqu’où doit-on pousser le relativisme culturel en matière de relations conjugales et familiales et l’adaptation aux normes culturelles d’autrui ? Pour le formuler plus clairement, faut-il relativiser l’inégalité de genre ou la violence conjugale, qui peuvent être plus ou moins tolérées, voire préconisées, selon les normes culturelles et religieuses, dans l’objectif d’amener davantage de couples à s’investir dans des programmes de soutien conjugal ? Ou l’égalité au sein du couple et la condamnation de la violence constituent-ils des préalables ? Les auteurs ne le précisent pas et c’est dommage.
Ils soulignent en revanche comment les programmes de soutien à la parentalité sont très peu pensés pour les pères en général ou pour les couples LGBTQ.

Comment recruter les parents et couples vulnérables ?

C’est l’une des questions posées par le rapport qui propose de multiplier les canaux de communication, en développant des services bien intégrés et adaptés à ces populations. Ce qui inclut de:
– Penser des campagnes étendues, créatives et explicites pour atteindre un large public
– Permettre aux populations spécifiques d’identifier en quoi le soutien peut leur être bénéfique
– Organiser un premier contact en face à face pour s’assurer que le programme va vraiment correspondre aux besoins de la personne et qu’elle se sent écoutée et en confiance avec le praticien
– Procéder à des entretiens motivationnels avec les familles à haut risque qui pourraient avoir des a priori négatifs
– Proposer des incitations financières pour augmenter la participation des parents même s’il n’est pas certain que ces incitations permettent de garantir l’assiduité dans le temps
– Mettre en place une collaboration étroite avec les institutions qui sont en lien étroit avec les familles vulnérables (comme les agences pour l’emploi) pour augmenter les taux de référencement
– Passer par les services auxquels ces couples sont naturellement référés, lors des moments de transition, par exemple au moment de la naissance d’un enfant
– Encourager les deux parents à participer en cas de séparation mais recourir aux injonctions obligatoires avec prudence

Comment fidéliser les parents et les couples ?

Les auteurs énumèrent quelques clés pour obtenir l’adhésion et l’assiduité des familles : l’accessibilité, l’adaptation du contenu et de son mode de délivrance, la mise en place d’une alliance thérapeutique forte, la disparition de la stigmatisation associée avec la recherche de soutien.
Les auteurs rappellent un préalable indispensable : bien identifier les besoins de la population cible et les freins qu’elle rencontre en s’assurant que le service proposé vient contre-balancer ces barrières.
Les auteurs enjoignent aussi de déterminer les modalités d’intervention selon les besoins de la cible : entretiens individuels, séances de groupe, à distance. Ils incitent à rendre les séances aussi joyeuses et vivantes que possible en favorisant les « opportunités d’apprentissage » et en variant les modalités des échanges (discussions de groupe, jeu de rôle, coaching personnalisé). Autre conseil : créer un espace sécurisé qui favorise un dialogue sincère au cours duquel les leçons apprises et les expériences peuvent être partagées, donnant ainsi aux participants le sentiment d’appartenance à un groupe qui lui donne envie de revenir. Ou encore concevoir le contenu des interventions en s’assurant qu’il corresponde aux besoins des participants ou qu’il est par exemple culturellement pertinent pour les minorités ethniques.

Une forte alliance thérapeutique est considérée comme l’un des éléments les plus essentiels pour permettre l’engagement des familles. Avec les parents les plus vulnérables, des contacts fréquents par téléphone, SMS, mails, via des visites à domicile sont particulièrement recommandés et permettent de mieux identifier des besoins spécifiques. Les auteurs proposent également de recruter des intervenants qui « ressemblent aux parents », en terme d’âge, de genre, d’origine, d’expériences vécues. Ils insistent sur les qualifications, la formation et la supervision des praticiens mais aussi sur les qualités personnelles nécessaires : la compassion, l’empathie, l’absence de jugement, la patience et l’honnêteté.

Impliquer les populations cibles dans l’élaboration des programmes

Pour modéliser des interventions qui soient vraiment efficaces, il est indispensable de solliciter les premiers concernés afin de clairement identifier les besoins, les intérêts et les modes de vie. Les parents ne doivent pas seulement être perçus comme des destinataires des programmes mais à tout le moins leurs expériences et points de vue doivent ils être pris en compte au moment de la conception d’un programme. Le rapport pointe également la nécessité de penser le soutien aux familles vulnérables comme une approche impliquant des ressources intensives et du long terme, sous l’angle d’un universalisme proportionné : prévoir des services de soutien à la relation à l’intérieur d’une offre plus généraliste dispensée lors de moments de transition (arrivée d’un bébé), former les praticiens de première ligne des services grand public à identifier les familles relevant d’interventions plus soutenues.