Le temps d’une journée organisée par le réseau UNAF-UDAF, chercheurs, institutionnels et intervenants de terrain ont partagé leurs points de vue et expériences sur un sujet fédérateur : les réseaux d’entraide comme moteur de l’action familiale. Voici un bref résumé des échanges. La quasi intégralité des débats est accessible avec cet autre article, réservé à nos abonnés.

Quand l’entraide constituait le cœur de l’Economie Sociale et Solidaire… au début du 19ème siècle. C’est ce qu’explique Jean-Louis Laville, professeur au CNAM, chercheur au LISE et à l’IRIS, en introduction de cette journée du réseau UNAF-UDAF dédiée à l’entraide comme moteur de l’action familiale. Il insiste sur le point de bascule du milieu du 19ème siècle quand les premiers mouvements collectifs de paysans et d’ouvriers, forme d’ESS avant l’heure, ont été écrasés par l’affrontement entre l’approche libérale et l’approche marxiste. Cette période de l’ « associationnisme », quand le peuple voulait faire exister concrètement la fraternité, a depuis été oubliée. Jean-Louis Laville plaide pour la coexistence d’une redistribution organisée par un Etat protecteur et d’une économie sociale et solidaire débarrassée de son modèle « entreprisiste ». Pour le chercheur « le chemin de l’espérance passe par un arrimage entre de nouvelles formes d’initiatives citoyennes et des politiques publiques renouvelées ».

Comme lui, Bénédicte Jacquey-Vazquez, Inspectrice Générale des Affaires Sociales à l’IGAS, se demande comment il est possible d’assister à une telle « invisibilisation de l’entraide, alors qu’il s’agit d’une réalité profondément vivante ». Elle estime que l’Etat manque de capteurs pour identifier des actions de terrain, qui restent hors du scope. Il semble qu’au Québec, les associations, appelées plutôt « mouvements communautaires autonomes » soient à la fois moins assujetties à l’Etat et mieux reconnues par lui, en tous cas dans leur rôle de transformation sociale. C’est ce qu’explique Carl Lacharité, psychologue, professeur à l’Université du Québec. Il propose l’exemple des 300 Maisons des Familles qui permettent aux parents et professionnels de travailler ensemble et de s’entraider mutuellement.

Vies de quartier ou protection de l’enfance : terrains privilégiés pour pratiquer l’entraide

L’entraide est en tous cas une notion bien vivace dans les vies de quartier, comme le montrent les associations Résoquartier et Graine de Jardins. La première, au départ amicale de locataires, ambitionne aujourd’hui de proposer une plateforme d’échange de services, de compétences et de temps à l’échelle d’un quartier. La seconde accompagne les habitants qui veulent investir des friches pour les transformer en jardins. « On partage son savoir-faire de jardinier, on fait du troc de semis, de plantes, de conseils parfois même de cuisine, détaille Valérie de Lescure, administratrice. Mais ce qui est bien plus intéressant c’est la vocation festive, les pique-nique, les repas. On bricole en général un petit abri. Les associations et gens du quartier sont invités. C’est bon enfant, festif et joyeux. » Elle évoque une « réserve de vie, de gaieté, de joie de vivre».

S’il est un autre domaine dans lequel l’entraide apparaît comme une précieuse ressource c’est bien celui de la protection de l’enfance. Mohamed L’houssni, Directeur d’établissement, fondateur de l’association RETIS, aujourd’hui deuxième acteur de la protection de l’enfance de Haute-Savoie explique ainsi avoir monté un accueil d’urgence pour les mineurs placés avec un réseau de familles d’hôte, des gens de la société civile qui offrent l’hospitalité à des enfants le temps de la mesure. Ce spécialiste rappelle qu’en 1945 la majorité des enfants étaient accueillis dans leur famille élargie et qu’aujourd’hui on se limite à un très petit périmètre. Il évoque la Nouvelle Zélande qui a instauré le principe de « conférences familiales » avec les populations Maories. Il s’agit de réintroduire la famille élargie, d’allier la Convention internationale des droits de l’enfant et l’approche traditionnelle grâce à l’alliance de trois cercles : la famille, les réseaux de proches et les professionnels. Autre exemple, celui du dispositif R.E.S.P.I.R.E lancé il y a un an par Olivier Herlemont, directeur de l’UDAF Nord. Il s’agit de parrainage de proximité mais qui mêle la relation individuelle et les temps collectifs. Surtout, loin d’un catalogue d’enfants qu’on ferait correspondre à un catalogue de parrains, on demande aux enfants qui, dans leur entourage, ils aimeraient avoir comme parrain ou marraine. Ce qui peut donner comme réponse « la dame de la cantine » ou « Tata Jacqueline ».  « On est étonnés des réactions des adultes relais, affirme Olivier Herlemont. Ils y voient une gratification, ils sont honorés d’être choisis. Parfois ils disent « je ne peux pas le faire mais je peux vous aider ». »

Les parents solos aussi misent sur l’entraide

Dernier exemple pour éclairer cette problématique de l’entraide dans l’action familiale : le réseau Parents solo 86. Aïda Jafaar, en charge de faire vivre ce réseau auprès de l’UDAF 86 explique bien en quoi le fait d’être accompagnée, épaulée mais avant tout actrice, est primordial : « Nous sommes des militantes de la monoparentalité. On porte ça. C’est un travail de tous les jours. Il faut être tout le temps présent. Notre quotidien est compliqué. Quand on a le nez dans le guidon avec des petits, on ne peut pas prendre du temps pour soi. Donc, avoir un mode de garde qui nous permette de nous réunir sans les enfants, ça change tout. Il faut des éléments moteurs pour impulser auprès des autres. Moi je ne voulais pas de groupe de parole, j’avais envie de m’amuser, de mutualiser, de partager des moments de plaisir. »

En conclusion de cette journée, Carl Lacharité propose un changement de regard sur la vulnérabilité. « Le contraire de la vulnérabilité, l’invulnérabilité, n’existe pas. C’est une illusion. Nous devons convertir la conception que nous avons de la vulnérabilité. C’est à partir de notre vulnérabilité qu’on crée de l’entraide. Vulnérable veut dire être ouvert aux autres, être dans des situations inconnues, familières, souffrantes. Ça ne veut pas dire qu’on est moins. Ce qui met en porte à faux avec le discours dominant d’autres personnes qui essaient, elles, de compenser. Cela induit des relations hiérarchisées. On peut tous et on est tous vulnérables, parfois plus à certains moments de notre vie. » La vulnérabilité, beau sujet pour une prochaine rencontre.

Retrouvez l’intégralité des échanges dans cette version plus longue.