La proposition de loi du député Modem Philippe Latombe qui préconise, en cas de séparation des parents de faire de la résidence alternée l’organisation de la garde de l’enfant par défaut, était débattue hier soir. L’ensemble des 43 amendements n’a pas pu être discuté et l’examen du texte devrait être reporté au mois de mai prochain. Le sujet n’en finit pas de déchaîner les passions. Nous avons regardé la littérature scientifique. En voici un résumé.

Les pour, les contre, l’avis du psy, du juriste, du sociologue, des associations familiales, des mouvements féministes. Quinze ans que cela dure : faut-il faire de la résidence alternée le mode de garde par défaut comme le prévoit une proposition de loi de Philippe Latombe, député du Modem, débattue ce jeudi soir (et qui devrait être ré-examinée en mai 2018) ? La résidence alternée est-elle délétère pour les très jeunes enfants ?
Nous avons décidé de vous épargner l’opinion, plus ou moins fondée, plus ou moins au doigt mouillé, des uns et des autres. Et de vous résumer plutôt la littérature scientifique. Parce qu’il se trouve que sur ce sujet là aussi, les chercheurs ont beaucoup produit. Avec parfois des cohortes plutôt conséquentes. Et des résultats qui vont quasiment tous dans le même sens. Ca nous rappelle un peu les débats sur l’homoparentalité. Les Français s’écharpent à grands coups de théories et d’idéologie sans même jeter un œil aux données de la recherche.

Une revue de littérature sur 40 études

En 2014, Linda Nielsen et son équipe publie dans le Journal du Divorce et du Remariage une revue de la littérature qui synthétise une quarantaine d’études sur le sujet. La plus ancienne (1988-1992), américaine, le « Stanford Custody Project », comparait au terme de quatre années de suivi 51 adolescents en garde partagée avec 355 adolescents vivant essentiellement avec leur mère. Les jeunes en résidence alternée obtiennent un meilleur cursus scolaire, sont moins déprimés, mieux ajustés sur le plan comportemental que les autres. Ils sont également moins angoissés à l’idée de devoir prendre soin de leur mère. Cinq autres études américaines mais de petites tailles, conduites également à la fin des années 80 et au début des années 90 montrent que les enfants en résidence alternée ne se portent pas plus mal voire mieux que ceux dont la garde a été attribuée à la mère. Ces études soulignent que quel que soit le mode de garde choisi, c’est le fait d’avoir une mère dépressive, des parents en conflit (ce qui peut être le cas dans tous les types de modèles familiaux) ou le tempérament de l’enfant qui impactent davantage son bien-être.

Toutes les études de tous les pays aboutissent aux mêmes résultats

Dans une autre recherche, toujours américaine, les 62 enfants en garde partagée sont moins déprimés, moins agités, mois stressés que les 459 en garde simple. Or, trois ans aurapavant, au moment du divorce, les enfants des deux groupes présentaient des scores similaires aux différents tests. La résidence alternée semble donc ici avoir un réel impact positif. L’étude américaine la plus récente (2008) parvient à des résultats identiques : moins de stress, moins de dépression, une plus grande satisfaction quant à l’organisation choisie. Dans ces travaux 90% des pères en résidence alternée ont assisté aux réunions d’école, contre 60% dans l’autre groupe.
Toujours d’après la revue de littérature de Linda Nielsen, les études internationales vont dans le même sens. Dans une première recherche suédoise les enfants en résidence alternée n’ont pas plus de problèmes de comportement, d’agressivité, d’addiction que les enfants en résidence simple. Ils semblent en revanche avoir davantage de facilité à se faire des amis.
Dans la seconde étude suédoise (17.350 adolescents en garde partagée contre 34.452 en garde simple), les jeunes en garde partagée ont de meilleurs scores concernant leur bien-être émotionnel, social, psychologique. Les adolescents de 15 ans avaient, plus que ceux de 12 ans, des résultats plus proches des résultats des jeunes vivant au sein de familles non séparées. Comme si les bienfaits de la résidence alternée se renforçaient avec les années.
Linda Nielsen note que les études néerlandaises et norvégiennes aboutissent aux mêmes conclusions. De plus petites études australiennes corroborent elles aussi ces données. Une collecte de données effectuée par l’OMS en 2010 auprès de 40 pays aboutit à la corrélation suivante : quelle que soit l’organisation familiale, le degré de satisfaction des jeunes est directement lié à la façon dont ils ont pu communiquer avec leur père.

Les études sur les très jeunes enfants moins concordantes parce que moins robustes

Seules six études se sont concentrées sur les très jeunes enfants qui ont été amenés à dormir de façon plus ou moins fréquente chez leur père. L’une d’entre elles montre peu de différences pour les enfants de 2-3 ans quant aux troubles du sommeil, aux symptômes dépressifs, à l’anxiété, aux comportements agressifs ou aux attitudes de retrait. Pour les 4-6 ans, les enfants qui dormaient plus souvent chez leur père présentaient de meilleurs scores sur le plan social et psychique.

Les petites filles semblent moins impactées par un calendrier erratique ou par le fait que plusieurs personnes prennent soin d’elles que les garçons. Les enfants confrontés à plusieurs « fournisseurs de soins » avaient moins de difficultés sociales, comportementales ou d’attention mais davantage d’anxiété ou de problèmes de sommeil. De façon surprenante, le fait d’avoir plusieurs fournisseurs de soin de façon alternée n’avait aucun impact sur les 2-3 ans. Le fait d’avoir un calendrier régulier (ou pas) et de bonnes relations (ou pas) avec chacun des parents semble avoir d’avantage d’effet sur les enfants que le fait qu’ils dorment ou pas dans des lieux différents. Le double domicile n’apparaît pas comme un facteur important en soi.

Trois autres études ont présenté des résultats plus contrastés, ou, plutôt, plus difficiles à interpréter. Comme le rappelle Linda Nielsen, dans la mesure où ces résultats peu lisibles ont malgré tout conduit la société britannique de psychologie et une partie des médias à conclure sur les effets délétères de la résidence alternée sur le très jeune enfant, 111 experts de plusieurs pays ont décidé de mener une autre revue de littérature et ont abouti aux conclusions suivantes : les enfants de moins de quatre ans devraient pouvoir dormir en dehors du domicile principal, il n’y a aucune preuve amenant à reporter l’introduction d’un investissement fréquent et régulier incluant des nuits passées au domicile de l’autre parent y compris pour les plus jeunes, les preuves en sciences sociales soutiennent l’idée que la garde partagée devrait être la norme quel que soit l’âge des enfants.

Seules contre-indications à la résidence alternée : la violence et les réticences de l’enfant

On le voit, la revue de littérature de Linda Nielsen est sans appel. Elle conclut ainsi : il n’existe aucune preuve convaincante d’un impact négatif de la résidence alternée sur les enfants. Les seuls facteurs qui viennent compromettre la garde partagée sont un historique de violence ou le fait que l’enfant n’aime pas ou ne s’entende pas avec l’autre parent. Le fait que les parents en garde partagée ont en général de meilleurs revenus et moins de conflits que les autres parents ne suffit pas à expliquer le meilleur développement des enfants.
Une étude suédoise, parue après les travaux de Linda Nielsen, montre que les enfants en garde partagée présentent un niveau de plainte sur le plan psychique équivalent à celui des enfants des familles nucléaires. Alors que le niveau de plainte est plus élevé chez les enfants élevés par un seul parent.

Un article du Guardian recensant ces différents travaux paru en janvier 2016 concluait ainsi : « La résidence alternée ne fonctionne pas si bien s’il y a un conflit (et s’il y a de la violence, le partage n’est pas une option), si les enfants sont des adolescents (moins ravis d’avoir deux maisons) ou si l’enfant n’aime pas l’un de ses parents. Il est assez aisé de sélectionner les études selon l’argument qui vous arrange parce que les études sont le plus souvent d’une qualité moyenne et mélangent les couples qui ont divorcé et ceux qui se séparent après une simple cohabitation, ce qui peut être différent. De plus les enfants dont les parents ont plus d’argent, une meilleure éducation et restent en de bons termes, feront toujours mieux, quel que soit leur mode d’organisation. Mais la recherche est en revanche très claire sur le fait que les enfants bénéficient de l’intérêt conjoint de leurs deux parents à leur sujet, et la résidence alternée encourage cela ».