Un peu moins d’un an après la remise du rapport rédigé par Sylviane Giampino sur l’accueil des 0-3 ans, un texte-cadre issu de ces réflexions est aujourd’hui proposé à l’ensemble des professionnels pour inscrire leurs pratiques dans des références communes.

Le Ministère des Familles vient de publier le texte cadre national pour l’accueil du jeune enfant. Ce texte « expose pour la première fois les principes et les valeurs essentielles que partagent les professionnel.le.s de l’accueil du jeune enfant en France » et « propose un cadre de référence commun à l’ensemble des modes d’accueil, individuels et collectifs ». Il est issu des travaux de la mission de concertation confiée à la psychologue et psychanalyste Sylviane Giampino. Il part des besoins fondamentaux de l’enfant et de son intérêt supérieur et propose une charte en dix points.

Accueillir tous les enfants, quelle que soit, ou en fonction de, leur situation

Le premier d’entre eux pose que « l’accueil du jeune enfant doit répondre aux spécificités de sa situation ». En sous-titre de de principe on peut lire : «Pour grandir sereinement, j’ai besoin que l’on m’accueille quelle que soit ma situation et celle de ma famille.» Or, il peut y avoir une contradiction entre les deux assertions. La première pose qu’il faut prendre en compte les spécificités de la situation de l’enfant et éventuellement s’y adapter. La seconde peut s’entendre par le fait qu’il faut accueillir l’enfant sans que sa situation ne fasse obstacle à cet accueil, ce qui ne nécessite pas forcément un ajustement spécifique. On comprend ensuite que les enfants porteurs d’un handicap relèvent du premier cas : il est proposé d’éventuels aménagements, ajustements ou encadrement particulier.

Alors que les enfants de parents migrants et/ou allophones, enfants issus de familles en difficulté sociale, enfants placés judiciairement ou dont les parents font l’objet d’une procédure judiciaire relèvent de la seconde : ils doivent pouvoir être accueillis, pose la charte, au même titre que les enfants des parents qui travaillent en horaires atypiques, ou qui ont tout simplement besoin de concilier leur vie professionnelle, leur vie familiale et leur vie sociale, mais sans faire l’objet d’une attention particulière. Pour les auteurs de la charte il ne saurait visiblement exister un handicap social qui nécessiterait lui aussi des ajustements, ou il ne saurait y avoir des besoins spécifiques pour des enfants relevant de la protection de l’enfance. La défaveur sociale est pourtant de plus en plus considérée comme un handicap, par exemple dans l’univers scolaire, puisqu’elle est au cœur des débats concernant la différenciation pédagogique et la question des besoins spécifiques des enfants des milieux précaires. Quant aux enfants protégés, leurs besoins spécifiques ont été mis en exergue dans le rapport issu de la mission de consensus dirigée par Marie-Paule Martin-Blachais.
Dans ce premier point, la charte rappelle aussi la nécessité, pour les professionnels d’une neutralité philosophique, politique et religieuse.

Le jeu et l’activité libre au cœur de la prime éducation

Le deuxième principe pose qu’ « un accueil de qualité doit respecter la spécificité du développement global et interactif du jeune enfant, dans une logique de prime éducation ». Il s’agit de rappeler que « pour le jeune enfant, tout est langage, corps, jeu, expérience. Les dimensions physique, cognitive, affective et sociale de son développement sont indissociables et en interaction constante. » Le texte insiste sur les différences de développement inter individuelles et sur l’importance du jeu et de l’activité libre. La charte pose également qu’il n’est pas recommandé de laisser un enfant de moins de trois ans devant un écran (smartphone, tablette, ordinateur, télévision) compte tenu des risques pour son développement. Dans le vif débat sur les effets des écrans, la conception la plus tranchée l’a donc emporté (le rapport de l’Académie des Sciences distinguait pour les moins de 3 ans les écrans passifs des écrans interactifs, d’autres spécialistes se sont eux prononcés pour le zéro écran avant 3 ans).

La norme, l’ennemi à combattre

Dans le point n°3, il est affirmé que « la relation entre l’enfant et tous les adultes qui l’entourent se construit en confiance et clarté. » La charte propose « une approche prévenante et non normative à l’égard des familles ». Elle expose que « Les familles et les professionnel.le.s s’enrichissent réciproquement en partageant leurs connaissances et leurs idées. L’accompagnement à la parentalité respecte les valeurs de chaque famille, leur diversité, sans injonction normative et sans remise en cause des droits de l’enfant ». Mais qu’est-ce qui relève de la préconisation acceptable parce que scientifiquement étayée et qu’est-ce qui relève de l’injonction normative ? En quoi déconseiller les écrans avant trois ans est-il moins normatif que de conseiller de parler à son bébé ou d’informer sur les effets des châtiments corporels (sujet cher à Laurence Rossignol) ? Jusqu’à quel point respecte-t-on les valeurs d’une famille ? Ces questions là, essentielles, sont difficiles à poser dès lors que la norme est vue comme l’ennemi et le relativisme, le « tout se vaut », comme principe directeur.

Le rôle préventif des modes d’accueil

Le point 4 rappelle la nécessité d’un « encadrement bienveillant, sécurisant, pluriel, ludique et ouvert sur le monde favorise la confiance en soi, en les autres et en l’avenir ». Il est question de bienveillance et de prévenance. « S’adresser à l’enfant de manière personnalisée et encourageante participe au développement de son indépendance et de sa confiance en lui et envers autrui. » La charte pose que « chaque enfant a besoin d’être entouré avec précaution, bien-traitance et attention prévenante. La qualité humaine et professionnelle, le type d’organisation des modes d’accueil ont, en eux-mêmes, des effets de prévention médicale, sociale et psychologique.» C’est un point crucial. De très nombreuses revues de littérature ont en effet montré que des services d’accueil pré-scolaires de grande qualité (en terme de formation des professionnels) avait un fort impact sur le développement des enfants, en particulier sur celui des enfants pauvres. Néanmoins, les études qui étayent ce principe portent essentiellement sur l’accueil des 4-6 ans, elles sont beaucoup plus rares concernant l’accueil des 0-3 ans puisque peu de pays ont développé, comme la France ou les pays du Nord, une politique aussi volontariste concernant les modes d’accueil. Comme le notait un récent numéro de la revue Informations Sociales de la CNAF (voir notre article), la France a une longue tradition en la matière et pour autant elle ne dispose pas d’études sur les effets de ces modes d’accueil sur le développement, notamment cognitif, des enfants. Poser que des modes d’accueil de qualité ont en eux-mêmes (et non par des actions ciblées à destination d’enfants qui seraient considérés comme à risque) des effets préventifs sur le plan médical et psycho-social semble très pertinent même si pour le moment, en ce qui concerne l’accueil des 0-3 ans, les preuves manquent. Dans le doute néanmoins, on ne perd pas grand chose à tenter de rendre accessibles à un maximum d’enfants des modes d’accueil de qualité.

Ouverture sur le monde et sur la nature

Ce passage de la charte insiste également sur le langage et la nécessité de s’adresser aux enfants de façon individualisée, et pas seulement au groupe. Le point 5 expose que « la culture et les échanges interculturels permettent à l’enfant de construire sa place dans un monde qu’il découvre ». Le sixième principe propose un focus sur la nature qui « joue un rôle essentiel pour l’épanouissement des enfants ». Le point suivant revient sur la lutte contre les stéréotypes sexistes. La charte enjoint les professionnels à ne pas transmettre de façon précoce les stéréotypes de comportement, à valoriser les enfants pour leurs compétences personnelles et non en fonction des rôles habituellement attribués à chaque genre et prône une nécessaire mixité dans les métiers liés à la petite enfance. La charte insiste ensuite sur la qualité de l’environnement qui doit être propre, sain, bien organisé, propice à l’épanouissement des enfants comme des adultes. Le principe n°10 est consacré à la formation qui doit transmettre les connaissances actualisées sur le développement de l’enfant mais aussi sur la parentalité et les évolutions sociétales de la famille.