La Direction Générale de l’Enseignement scolaire (DGESCO) finance une étude destinée à élaborer un outil d’évaluation du langage des 30 mois-4 ans. Ce type de référentiels manque en France. Pour permettre l’étalonnage de ce test, les familles de jeunes enfants sont invitées à répondre à un questionnaire en ligne. 

Combler les manques. C’est à cela que s’emploie notamment Sophie Kern, directrice du Laboratoire Dynamique du Langage de L’université Lyon, avec la mise au point d’un étalonnage des compétences langagières des enfants âgés de deux ans et demi à quatre ans. En matière d’outils d’évaluation du langage, sur cette tranche d’âge, il y a « un trou ». La chercheuse continue en fait sur sa lancée puisqu’elle avait déjà précédemment rempli un autre vide : celui de l’évaluation des 8-30 mois, pour laquelle elle avait adapté en français un outil américain (le MCDI pour MacArthur-Bates Communicative Development Inventory) permettant de mesurer le développement communicatif des tout-petits. Ce travail avait abouti à l’élaboration des Inventaires Français du Développement Communicatif (IFDC), existant en deux versions, une courte plutôt utilisée par les pédiatres et une longue, par les orthophonistes. « Il s’agit d’une évaluation de première intention, précise-t-elle. Ces outils constituent une première visibilité quant à la façon dont des enfants très jeunes se positionnent par rapport à une norme.» Traduit dans une quarantaine de langues, y compris en langue des signes, le MCDI permet aussi de nourrir la recherche internationale puisqu’il documente la façon dont les trajectoires de développement sont corrélées aux stimulations langagières et à la typologie des langues.

Repérer pour compenser précocement les retards

En ce qui concerne la France, Sophie Kern remet donc l’ouvrage sur le métier avec un questionnaire informatisé qui doit être rempli par les familles de 500 enfants âgés de 30 mois à 4-5 ans. Les réponses apportées permettront d’établir des repères de production langagière, et d’obtenir un outil d’évaluation des compétences des enfants de ces tranches d’âge, dans un objectif de prévention précoce. « Certains enfants ont une réelle pathologie qu’il faut prendre en charge, d’autres sont insuffisamment stimulés et arrivent en maternelle avec du retard sur le plan du langage », rappelle Sophie Kern qui estime que l’école maternelle ne parvient pas aujourd’hui à combler ce retard. Or, ce différentiel langagier déjà repérable en maternelle, non compensé, fait le lit des inégalités scolaires ultérieures. « Je ne dis pas que si on ne fait rien dès la maternelle tout est fichu pour la suite, mais nous savons que ce sont les interventions précoces qui ont le plus d’impact ». Elle note aussi au passage que les enseignants sont très mal formés en matière de développement du langage. «Il faudrait que leur formation intègre les sciences du langage mais les sciences de l’éducation n’en veulent pas. »

Un questionnaire en ligne sur le vocabulaire, la syntaxe, la narration

La Direction Générale de l’Enseignement Scolaire (DGESCO), elle, a décidé de financer la mise au point de ce nouvel outil ciblant plus spécifiquement les 30 mois-5 ans. Elaboré à partir de l’exemple américain, le questionnaire utilisé permet de consigner le vocabulaire de l’enfant, ses habiletés en grammaire, son utilisation courante du langage. Sophie Kern a ajouté une autre dimension : la capacité à construire un récit. En présence de l’enfant, les parents doivent donc répondre en ligne (de façon totalement anonymisée) à une série de questions, d’abord sur leur situation et les antécédents : âge, profession, éventuelle prématurité de l’enfant, âge d’acquisition de la marche, caractère de l’enfant, survenue d’otites à répétition… Ensuite une longue liste de mots, plus ou moins courants, plus ou moins difficiles (« blessé », « dégoûtant », « fou », « heure »…) est proposée et les parents doivent dire, pour chaque vocable si l’enfant le produit et s’il le produit en français ou dans une autre langue. Les questions suivantes portent sur la syntaxe et la grammaire (l’enfant dit-il « les chiens est là » ou « les chiens sont là »), sur la capacité à utiliser des locutions interrogatives, à catégoriser, à comparer, à se projeter… Puis quatre images sont soumises à l’enfant qui doit raconter l’histoire qu’elles lui inspirent, répondre à des questions. L’adulte prend en note ce qu’il dit.

Tenir compte du bilinguisme des enfants

Cet échantillon de 500 enfants est distribué par tranches d’âge de six mois et doit être représentatif de la population française, en terme de sexe (50% de filles et 50% de garçons) et en terme de milieu social. Pour le moment, les 350 familles ayant déjà répondu sont plus éduquées que la moyenne de la population français. Il est souvent plus compliqué de toucher les familles de milieu populaire avec ces études. Certaines familles répondront deux fois au questionnaire à deux semaines d’intervalle pour vérifier la cohérence des réponses et certains enfants seront également soumis à un examen orthophonique.
L’une des spécificités de cet outil est de prendre en compte le bilinguisme. « Nous voulons évaluer la quantité de vocabulaire quelle que soit la langue, pose Sophie Kern. Tous nos outils sont étalonnés avec une population monolingue. Conséquence : pour les enfants bilingues on n’évalue que la moitié des compétencesLe bilinguisme suscite depuis longtemps moult débats, considéré comme un réel avantage cognitif par les récentes données de la recherche mais souvent accusé de constituer un handicap pour les enfants issus de l’immigration. « C’est une question qui est en fait très peu traitée en France, assure Sophie Kern. Nous sommes le mauvais élève. Or, dans le monde, il y a plus d’enfants bilingues que monolingues et le brassage de la population française ne va pas s’arrêter demain. On a donc intérêt à s’en préoccuper. » Elle poursuit : «  Le bilinguisme recouvre des situations très hétérogènes. Le présenter de façon positive auprès des enseignants, des familles, des enfants eux-mêmes permettrait déjà de débloquer des choses. Et il faudrait expliquer aux parents qu’il est toujours préférable d’utiliser avec son enfant la langue qu’on maîtrise naturellement plutôt qu’un Français pas standard. A partir du moment où les enfants ont autour d’eux d’autres adultes qui leur parlent dans un Français correct, il n’y a pas de souci. »
Monolingues ou bilingues il manque en tous cas encore 150 enfants pour finaliser l’étalonnage de ce nouvel outil. Les familles qui souhaitent participer peuvent remplir le questionnaire en ligne.