Depuis 2011 une version française du programme « Strenghtening Families Program » est implantée en France et remporte un franc succès auprès des parents, et des professionnels. D’ici la fin 2017 une vingtaine de villes auront intégré l’expérimentation, qui fait l’objet d’une évaluation supervisée par Santé Publique France.

Un peu partout en France, dans des quartiers lambda ou labellisés « politique de la ville », des parents et leurs enfants âgés de 6 à 11 ans bloquent deux heures de leur temps une fois par semaine, pendant trois mois et demi, pour améliorer le climat familial, apaiser les tensions, apprendre à mieux communiquer. A Pont-Audemer dans l’Eure ou à Guéret dans la Creuse, ce sont ainsi huit à dix familles qui suivent ou s’apprêtent à suivre l’adaptation française du programme américain « Strenghtening Families Program » devenu le « Programme de soutien aux Familles et à la Parentalité » (PSFP).

Mis au point dans les années 80 par Karol Kumpfer, professeure au département de promotion de la santé à l’université de Salt Lake City, il a depuis été implanté et testé dans plus de 35 pays et fait partie des programmes les plus documentés et les plus évalués. En 2011, Corinne Roehrig, médecin de santé publique au sein du Comité Départemental d’Education pour la Santé des Alpes-Maritimes et thérapeute familiale, est chargée par l’INPES (devenue Santé Publique France) d’adapter le programme pour une expérimentation française.

A la base du PSFP, la parentalité positive

Par leur dimension intensive et standardisée, les programmes nord-américains suscitent toujours en France l’étonnement, voire la méfiance. Quand ce n’est pas une franche opposition. En quoi consiste le SFP à la française ? La philosophie n’est en rien contradictoire avec l’approche classique de l’accompagnement à la parentalité prônée par nos instances officielles et nos spécialistes : il s’agit de valoriser les compétences parentales, de mobilier les ressources internes des familles, de favoriser leur capacité de résilience, en se montrant bien traitant avec elles, jamais stigmatisant ou culpabilisant.

En général, les principes définis en matière de soutien parental s’arrêtent là. On ne va pas plus loin, sur le terrain les acteurs se débrouillent avec ces quelques éléments de langage, valorisation, estime de soi, écoute, bienveillance. Les objectifs poursuivis, et les outils utilisés, sont rarement définis. Les dispositifs standardisés et évalués, eux, établissent un cahier des charges beaucoup plus précis. Le PSFP entend favoriser l’application d’une « parentalité positive ». C’est à dire un ensemble de postures parentales qui permettent le bon développement de l’enfant dans le cadre d’une éducation basée sur la non-violence. Comme Corinne Roehrig l’a expliqué dans plusieurs articles (parus dans la revue Global Health Promotion, Les cahiers de la Puéricultrice, ou encore la Lettre du Respaad), ces postures parentales peuvent être résumées ainsi : des relations familiales apaisées , une supervision adaptée,la transmission explicite des normes et des valeurs familiales. Le programme repose sur plusieurs axes : améliorer l’attention positive donnée aux enfants, encourager les comportements appropriés ; mieux gérer son stress et résoudre les problèmes ; prioriser ses objectifs éducatifs et formuler efficacement ses demandes ; mettre en place une discipline non violente, adaptée et constructive , mieux organiser le temps familial pour partager davantage d’activités communes. Il s’adresse aux parents et aux enfants, ce qui n’est pas si courant.

Des animateurs passeurs d’informations

Pour des professionnels, l’application de ce type de projet nécessite de souscrire à deux idées de plus en plus portées en France, notamment par les Agences Régionales de Santé : 1) il existe bien des comportements et pratiques parentaux plus efficaces que d’autres 2) certaines familles ont besoin d’un soutien plus intensif, de conseils concrets, et ne peuvent se contenter d’échanges libres au sein d’un groupe de parole. Les ateliers proposés reposent sur une guidance active, sur la délivrance de conseils, sur des jeux de rôle et mises en situation. Un parti pris très éloigné de la position de retrait prônée par de nombreux responsables de LAEP. Corinne Roehrig a procédé à de nombreuses modifications du programme originel pour le rendre compatible avec la culture française. Elle a ainsi adapté le vocabulaire et les exemples de situation, supprimé toute gratification à destination des familles, modifié certaines séquences jugées trop intrusives, ajouté un item sur l’accompagnement scolaire des enfants par leurs parents qui ne figure pas dans la version américaine ainsi que des illustrations concernant la gestion familiale des écrans. Elle a aussi élargi le socle de la formation des professionnels amenés à accompagner et animer le programme.

Des retours des familles très positifs

Les parents qui s’engagent dans ce programme vont suivre 14 sessions. Chacune se décompose en deux temps, et c’est une spécificité du PSFP : durant une première heure les parents et les enfants sont séparés et chaque groupe travaille sur une thématique précise avec deux animateurs formés. Puis, lors de la deuxième heure, les familles sont réunies pour une réflexion commune. Pendant que les parents renforcent leur compétence en matière de communication ou de discipline, les enfants apprennent à développer des compétences psychosociales (mieux communiquer, écouter et dialoguer, résoudre problèmes et conflits, gérer sa colère et ses émotions, entre autres).

Fabien Dubos, animateur et éducateur sportif dans une maison de quartier à Pont-Audemer, renouvelle cette année l’expérience, avec un plaisir non dissimulé. « J’ai appris énormément pendant les formations. C’est un programme lourd et très précis. Lors du premier essai, on a vu très vite des résultats positifs, y compris au niveau des résultats scolaires des enfants. Les grands principes sont a priori des choses très simples : valoriser les moments de partage entre parents et enfants, inciter les parents à consacrer chaque jour quelques minutes à leur enfant pour jouer avec lui. Au début les parents trouvent ça étrange, certains n’ont pas particulièrement envie de jouer. Et puis ils découvrent qu’ils peuvent éprouver du plaisir dans ces échanges.» Céline Fouchet, de l’Institut Régional d’Education et de Promotion de la Santé (IREPS) du Limousin, est chargée, avec ses collègues, de déployer le programme sur certaines villes de la région (dont Guéret, Limoges ou Brive). Elle aussi est enthousiaste. « Lorsque le programme débute les parents veulent en général savoir comment on punit un enfant. Mais très vite, cette question passe au second plan. On l’aborde à la fin, voire pas du tout, car ce n’est plus nécessaire. Nous avons été très surpris de constater des changements dès la quatrième session. » Elle évoque les relations de confiance qui se nouent avec les familles, lesquelles deviennent les meilleures ambassadrices du programme. «A la fin de la première vague nous avons demandé aux familles de faire un dessin ou rédiger un texte pour dire ce qu’elles en avaient pensé. Une maman a dessiné un trousseau de clé. « Vous m’avez donné des clés ». » Lors de la première phase de l’expérimentation, menée en 2011-2012 dans la commune de Mouans-Sartoux pour tester la faisabilité du dispositif, Corinne Roehrig a été très étonnée du faible taux d’attrition des participants. 92% des familles sont allées au bout des 14 ateliers.

Un programme universel

Ces familles ne répondent pas à un profil type. Il s’agit d’un programme non ciblé, puisque l’objectif est d’intervenir en prévention, avant que ne surgissent les grosses difficultés, même si les porteurs du projet doivent s’assurer qu’un minimum de familles plus en vulnérables sur un plan psychosocial sont bien impliquées. «Nous essayons de construire des groupes équilibrés, explique Céline Fouchet. Les ateliers réunissent 2 à 3 familles pour lesquelles les perturbations des enfants font « du bruit » à l’extérieur de la cellule familiale, cinq familles pour lesquelles on note quelques difficultés et 2 à 3 familles qui vont plutôt bien et qui cherchent à faire encore mieux ». Le PSFP est un programme éducatif, pas thérapeutique, il ne peut donc prendre en charge des problématiques lourdes. Ce sont les partenaires, à l’échelle du territoire qui sont mobilisés pour trouver les familles susceptibles d’être intéressées par le dispositif. « Nous nous implantons dans les quartiers prioritaires, donc nous travaillons avec des adultes relais et tout un réseau de partenaires », précise Céline Fouchet. A Pont-Audemer des réunions dans les écoles primaires et les maisons de quartier ont été organisées, les médias locaux sollicités. Pour Corinne Roehrig, le partenariat avec les professionnels déjà impliqués auprès des parents est une condition sine qua non de la réussite.

Quatorze villes ont fini ou sont en train d’implanter le programme et sont intégrées dans le processus d’évaluation mené par Santé Publique France. Entre 6 et 8 nouvelles municipalités devraient suivre d’ici fin 2017. L’évaluation consiste en une série de trois enquêtes auprès des parents : une avant le début du programme, une à la fin des 14 sessions et une six mois après le programme.

Pour Corinne Roehrig, le PSFP n’a rien à voir avec « la psychothérapie, la défiance vis-à-vis des familles, le formatage, la stigmatisation, la contrainte ou le contrôle ». Les mots qui reflètent le programme sont, au contraire, « éducatif, résilience, compétences parentales, bientraitance, bienveillance, cadre protecteur ». Oui, on utilise aussi ce vocabulaire là dans les programmes standardisés.