Une équipe néerlandaise a testé la prise en compte de la parentalité des patients adultes au sein d’un service de psychiatrie avec la mise en place de sessions mensuelles de psychoéducation sur l’impact de la maladie mentale des parents sur les enfants.

Près de 45% des patients qui reçoivent des soins psychiatriques pour adultes sont parents. Le fait d’avoir un parent porteur d’une maladie mentale affecte considérablement le bien-être des enfants. Deux tiers des enfants dont un parent souffre d’une dépression sévère ou d’un trouble de l’anxiété développeront un trouble psychique avant l’âge de 35 ans. C’est le panorama dressé par les auteurs néerlandais de cet article* paru dans Frontiers Psychiatry. Leur objectif était de tester la faisabilité et l’acceptabilité d’un dispositif de soutien à la parentalité des adultes traités pour dépression sévère ou troubles de l’anxiété. Les Pays Bas proposent déjà diverses interventions préventives auprès des enfants de patients en psychiatrie mais seuls 1% des enfants concernés y accèdent. Pour les auteurs le premier pas est déjà de se poser la question de la présence éventuelle d’enfants lorsqu’on traite un adulte. En Norvège depuis 2010 comme au Pays-Bas depuis 2017, il est obligatoire de répertorier le nombre d’enfants mineurs à la charge du patient adulte.

Evoquer les enfants avec les patients adultes : pas si simple

Les auteurs pointent que ces dispositions législatives ne suffisent pas à rendre le service rendu vraiment efficace. Il existe de nombreux freins à la prise en compte des enfants, chez les parents comme chez les professionnels. Les parents ne perçoivent pas forcément la nécessité d’évoquer leurs enfants, ils peuvent être réticents à solliciter les enfants, craindre un sentiment de honte et de stigmatisation, rencontrer des problèmes pratico-pratiques tels que les transports. Les professionnels de leur côté peuvent considérer que la parentalité est un sujet trop sensible.
L’objectif de cette étude pilote est de comprendre comment une approche préventive axée sur la famille, consistant en une session mensuelle de psychoéducation intitulée « parentalité et maladie mentale », peut être implantée en routine au sein d’un service de soins psychiatriques adultes. Dans cette expérience menée dans un centre psychiatrique universitaire accueillant des patients hospitalisés ou en ambulatoire, tous les professionnels étaient censés mentionner au moins une fois la question des enfants et inciter les patients à assister aux séances de psychoéducation. Sur une année, 1200 patients environ sont traités dans ce service pour troubles dépressifs ou anxieux. Entre 30 et 50% d’entre eux ont des enfants.

Des séances de psychoéducation : entre partages d’expérience et conseils de professionnels

Voici le déroulé des séances mensuelles de psychoéducation : Les patients se présentent puis le thème de la parentalité en rapport avec la maladie mentale est introduit. L’attention est portée sur la façon dont la maladie est perçue et la relation avec le rôle du patient en tant que parent, avant et pendant le traitement. Les animateurs de la session font attention aux sentiments de culpabilité ou de honte qui peuvent émerger en rapport avec le constat de certaines lacunes parentales. Puis la question est posée quant à la façon dont les parents parlent de leur maladie à leurs enfants. Il s’agit alors d’une conversation ouverte dans laquelle les parents partagent leurs expériences. Ensuite les animateurs résument ce qui vient d’être dit et donnent des exemples d’informations qu’il est possible de transmettre aux enfants selon leur âge.
Enfin est abordée la dernière partie : comment les parents savent-ils que quelque chose ne va pas avec leur enfant ? Sont-ils inquiets quant au bien-être de leur enfant ? Les animateurs informent sur les signaux d’un développement normal et anormal. Le partage d’expériences est encouragé.
A la fin de la séance, d’autres options de soutien sont proposées telles que continuer ces échanges avec le médecin traitant ou un autre professionnel. Une consultation dans un service de psychiatrie infantile est proposée si nécessaire. Les concepteurs de l’étude ont estimé qu’ils pouvaient miser sur la présence de 68 parents au total lors de ces séances.

Retours positifs des professionnels et des parents

La première phase de l’expérience consistait à créer une prise de conscience parmi les parents et les professionnels. Les concepteurs ont communiqué auprès du service dans une newsletter, en réunion, à travers un site et une vidéo, via la presse et les réseaux sociaux. La première session de psychoéducation a eu lieu en octobre 2017. Puis les chercheurs ont procédé de façon itérative en ajustant au fur et à mesure selon les retours des parents et des professionnels. Un questionnaire a été soumis aux parents qui participaient aux sessions. Ce questionnaire est désormais soumis automatiquement à chaque patient qui intègre le service. Les médecins peuvent y avoir accès afin de mieux cerner la dimension familiale de leur patient, la façon dont il perçoit son rôle de parent et comment il est possible d’orienter une conversation sur le sujet.

Pour obtenir des indicateurs, les concepteurs ont soumis un questionnaire en ligne aux professionnels, un autre questionnaire aux parents participant aux sessions et ont mené quelques entretiens plus poussés avec un groupe de parents. 32 professionnels ont rempli le questionnaire. 59,4% d’entre eux ont indiqué qu’ils évoquaient la question de la parentalité la plupart du temps avec leurs patients. Mais la majorité d’entre eux a tout de même exprimé le besoin d’une formation sur le sujet. Au total 64 parents ont participé aux sessions de psycho éducation (moins que les 68 attendus donc). 25 ont rempli le questionnaire. Tous ont trouvé la session utile. 12 ont considéré que les informations prodiguées étaient suffisantes, les autres ont exprimé le souhait de recevoir un soutien supplémentaire.

Un outil prometteur de prévention des troubles mentaux chez les enfants

Le focus de cette expérimentation était mis sur la faisabilité et l’acceptabilité. Les professionnels ont accueilli le projet avec bienveillance. Tous ne se sentent pas concernés de la même façon. Il y aurait une tendance à renvoyer la balle du côté des travailleurs sociaux, perçus comme plus à mêmes de s’emparer de la question. Mais il est en fait vite apparu que les infirmières étaient les professionnelles idoines en raison de leurs contacts directs fréquents et soutenus avec les familles. Les chercheurs estiment que le sujet ne doit en tous cas pas être l’apanage de spécialistes. Une secrétaire peut très bien évoquer les thèmes du quotidien et proposer de la documentation sur la psycho éducation. Les thérapeutes de tout type peuvent insister sur les effets de la maladie mentale sur la parentalité et attirer l’attention du patient sur ce sujet.
Les auteurs de cette étude pointent également le dilemme qui tracasse nombre de professionnels, qui se sentent pris en tenaille entre l’intérêt du parent et celui de l’enfant. Certains tentent d’y échapper an arguant que les échanges au sujet de la parentalité peuvent entraver la relation de confidentialité entre le professionnel et le patient. Les auteurs considèrent en tous cas que le dispositif mis en place a rempli ses objectifs : les parents ont trouvé utiles les informations prodiguées et ont semblé plus conscients du potentiel impact de leur maladie sur leurs enfants. L’équipe de recherche conclut donc que ce type d’intervention constitue un outil de prévention des problèmes de santé mentale chez les enfants de parents traités pour des troubles de santé mentale.
*“…and How Are the Kids?” Psychoeducation for Adult Patients With Depressive and/or Anxiety Disorders: A Pilot Study
Marieke R. Potijk, Louisa M. Drost, Petra J. Havinga, Catharina A. Hartman and Robert A. Schoevers, in Frontiers Psychiatry, 5 février 2019